Cet article a pour sujet la mort, la difficulté d'y faire face, sa réalité, le châtiment du péché, les trois types de mort (spirituelle, physique, éternelle), le chrétien aussi doit mourir, et la préparation à la mort.

Source: Espérer contre toute espérance. 10 pages.

La mort

  1. Devant le problème de la mort
  2. La réalité de la mort
  3. La mort, châtiment du péché
  4. Les trois types de la mort
    a. La mort spirituelle
    b. La mort physique
    c. La mort éternelle
  5. Le chrétien est assujetti à la mort
  6. Se préparer à la mort

1. Devant le problème de la mort🔗

Point n’est besoin de longues recherches pour constater que confrontés au problème de la mort, les poètes, comme le commun des hommes, réagissent intellectuellement ou affectivement de manière très variée. Pour les uns, la perspective de l’anéantissement et l’effroi anticipé devant l’horreur de l’agonie et du cadavre rongé par les vers excitent la réaction épicurienne du carpe diem. Ne retenant qu’un des conseils de l’Ecclésiaste, ils répètent : « Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail… » (Ec 2.24). Mais au sein même des plaisirs, au plus aigu de l’amour, ils éprouvent combien précaires se révèlent nos possessions mortelles; de la source des voluptés, ils sentent, avec Lucrèce, « surgir quelque chose d’amer ».

S’évader, se divertir (au sens pascalien), tenter d’échapper à l’angoisse par l’oubli du drame dans lequel s’achève toute vie est une attitude plutôt qu’une solution. Le problème reste posé, et d’autres poètes l’envisagent plus courageusement. Au lieu de se boucher les yeux et de se détourner avec effroi de la Reine des épouvantements, ils s’obligent à la considérer. Est-elle donc si effrayante qu’on le dit? Ici interviennent, plus ou moins cohérents, les systèmes philosophiques. Et le poète athée ou le poète stoïcien, ou encore le poète platonicien ne réagiront pas, en face de la mort, de façon semblable. Alors qu’un Mallarmé voit dans la possibilité d’une survie une croyance sombre, plusieurs des grands artistes de la Renaissance affirment, à la suite de Pétrarque, l’existence éternelle du monde des idées :

Là est le bien que tout esprit désire,
Là, le repos où tout le monde aspire,
Là est l’amour, là le plaisir encore.
Là, ô mon âme, au plus haut ciel guidée,
Tu y pourras reconnaître l’idée,
De la beauté qu’en ce monde j’adore1.

En général, le commun des mortels préfère ne pas trop penser à la mort. Ou bien n’y penser qu’occasionnellement. Lorsqu’elle frappe autrui, il reste, ou veut rester devant elle, comme un spectateur neutre. Attend-il quoique ce soit au-delà de la décomposition et de la poussière? À moins qu’il ne pense que la mort contribue à la vie et à son incessant renouvellement; comme les feuilles mortes qui tombent sur le sol et l’enrichissent par l’apport de matières nouvelles. Pauvres subterfuges pourtant, ceux par lesquels on tente d’échapper à la peur et à l’emprise de la grande dévoreuse. Où trouver le sens de la mort? Et surtout, comment puiser l’indispensable consolation? Qu’est-ce que la mort? Est-elle liée au mal qu’elle amène à son accomplissement définitif absolu? N’est-elle pas la conséquence et le prix du mal qu’on fait soi-même ou qu’on subit à cause des autres? Une vie déréglée produit la déchéance et laisse des tares sur celle des descendants? Qui pourrait échapper à la seule véritable solidarité entre les hommes, celle du péché et de la corruption universelle? La foi chrétienne apporte-t-elle quelque chose à la compréhension de la mort?

Le message évangélique n’offre pas une explication rationnelle de la vie ou de la mort. Il envisage toute chose sous l’angle du salut. Aussi, même en discourant sur la mort, c’est une Parole de vie que nous prononçons sur la mort. C’est de l’espérance dans sa dimension individuelle que nous tenons à traiter, non de l’angoisse et du désespoir qui saisissent les hommes devant l’ennemi implacable. Notre espérance n’est pas une berceuse pour les âmes ni une vague consolation appelant l’autre monde à la rescousse. L’Écriture parle avec beaucoup de réalisme à ce sujet. Elle est la seule vérité sur Dieu et sur l’homme. Pour elle, la mort n’est pas une simple affaire biologique. L’homme ne meurt pas parce qu’il fait partie du monde animal, comme si pour lui — comme pour le chien crevé — il n’y avait pas d’autre fin que celle-ci.

L’homme meurt en tant que personne créée à l’image de Dieu. Et cette raison-là rend la mort plus tragique encore, ce qui devrait même l’inciter à une plus grande répulsion et à une plus grande révolte…

2. La réalité de la mort🔗

C’est la réalité de la mort de l’homme qui nous retiendra ici dans sa forme à la fois physique et spirituelle. La mort de l’homme, créé à l’image de Dieu, et la mort naturelle sont évidemment deux réalités distinctes, quoique résultant d’une même cause.

La mort et la vie à venir sont des mystères qui ne seraient point élucidés si nous n’avions pas l’éclairage de la révélation biblique. Selon la révélation reçue, « il est désigné pour tout homme un temps où il mourra, après quoi vient le jugement » (Hé 9.27). La vie est bien brève, mais la mort, elle, est certaine. Elle est même permanente. Il n’y a pas de rémission, il ne saurait y avoir un retour en arrière, elle est inévitable, autant pour autrui que pour moi-même personnellement.

Elle peut survenir tel le voleur dans la nuit ou venir à pas feutré, progressivement, en nous avertissant bien à l’avance de la certitude de son arrivée. Saint Pierre l’exprime avec un certain pessimisme qui nous frappe : « Toute chair est comme l’herbe et toute gloire qui s’y attache. L’herbe tombe et la fleur se fane. Mais la Parole de Dieu demeure éternellement » (1 Pi 1.24-25). L’histoire est le compte-rendu le plus éloquent de la mort non seulement des individus, mais encore des civilisations et des nations, même les plus glorieuses.

3. La mort, châtiment du péché🔗

Plus que de la certitude et de la réalité de la mort, nous devrions nous rappeler surtout du lien essentiel entre elle et le péché. L’Écriture attire notre attention sur ce point capital : la mort n’est pas un pur phénomène naturel. La mort est une réalité spirituelle aussi certaine et réelle que notre mort physique. Nous mourrons parce que nous sommes pécheurs. « Le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Gn 2.17). Se coupant de Dieu, source de vie et de vérité, Adam donna son allégeance au prince du mensonge et au roi de la mort. Pour la Bible, la mort est un châtiment éthique. « L’âme qui pèche mourra » (Éz 18.4). « Et comme par un seul homme la mort entra dans le monde, et la mort à cause du péché, de même la mort atteint tous les hommes, car tous ont péché… » (Rm 5.12).

« Tous meurent en Adam » (1 Co 15.22). « Le salaire du péché c’est la mort » (Rm 6.23). Ici apparaît au grand jour le fait que la mort ne vient pas dans le monde comme une conséquence de la loi naturelle, mais à cause du péché. Sans le péché, il n’y aurait pas de mort. Ainsi, on ne peut pas dire avec certitude que l’homme serait quand même mort s’il n’avait pas succombé à la tentation. Telle est pourtant la position de la théologie libérale; telle aussi celle du plus éminent représentant de la théologie dialectique, Karl Barth. Certes, ce dernier reconnaît le lien entre la mort et le péché. À ses yeux, la mort est un jugement de Dieu. Toutefois, Barth persiste à distinguer entre l’aspect jugement et l’aspect naturel de la mort. D’après lui, la mort appartient à la nature de l’homme en tant que telle. Elle est déterminée et ordonnée par Dieu, dans sa bonne création, de sorte que l’homme limité par le temps et conçu mortel devra mourir. La mort apparaît alors non pas comme non naturelle, mais en tant que le terminus ad quem de l’existence humaine. Une telle position atténue gravement le sérieux du péché.

Même s’il ne nie pas le jugement de Dieu, qui cause la mort physique, il en ôte tout le poids. Barth fait intervenir ici — comme partout ailleurs dans sa dogmatique — sa christologie. Christ se charge du jugement de Dieu et il en ôte l’effet. Alors, l’homme surgit du néant. Il passera un certain temps sur terre, quelques années sur terre, pour retourner ensuite à la non-existence. Mais alors on ne voit pas pourquoi, depuis la Genèse jusqu’au Nouveau Testament, l’Écriture lie avec autant d’insistance la mort au péché. Si la mort de l’homme fait partie de la création de Dieu, Christ aurait-il dû, quand même, mourir pour expier les péchés? En outre, quelle explication donnerons-nous à la résurrection du Christ et à celle du fidèle, voire à celle du non-croyant? Les données bibliques infirmeront la thèse de Barth : La mort ne fait pas partie de la bonne création de Dieu.

Une bonne traduction de Genèse 2.16-17, où apparaît un premier avertissement, devrait rendre l’original par « vous mourrez certainement ». Mais quel est le sens de l’expression « le jour où tu en mangeras »? S’agit-il d’un jour chronologique, par exemple d’une journée du calendrier? Gerhardus Vos nous donne la réponse que voici : l’expression est un hébraïsme qui veut dire « aussi sûrement que tu en mangeras » (voir Ex 10.28; 1 R 2.37). La Genèse ne fixe pas une date du calendrier; elle ne fait qu’avertir de la certitude de la mort, en tant que jugement et châtiment infligé au rebelle. C’est pourquoi nous ne sommes pas surpris de ce qu’Adam et Ève ne moururent pas aussitôt après leur transgression.

Quel sens faut-il accorder au « sûrement vous mourrez »? Dans la Bible, le terme revêt un certain nombre de sens. Le premier dans l’original hébreu est bien entendu celui de la mort physique. Le passage de Genèse 3.19, où la mort physique est désignée comme le châtiment subi par le couple transgresseur, ne nous autorise pas à supputer une mort naturelle, en dehors et indépendamment de la chute. Il est explicité : « Poussière tu as été créé, à la poussière tu retourneras. »

Cette sentence n’envisage pas simplement la dissolution du corps physique de l’homme. Le terme biblique de mort inclut et désigne toutes les formes du mal infligé par le châtiment divin. Il signifie le contraire de la récompense promise à la fidélité, la vie éternelle dans l’intimité de Dieu. Il peut désigner le châtiment éternel, dans « l’enfer » de la séparation d’avec Dieu (ce qui est la destinée même des anges déchus, des démons). La mort fait pendant aux misères de notre vie temporelle. L’homme pécheur évite même de penser à Dieu ou à la sainteté. Il est « mort dans ses transgressions » (Ép 2.1). Il est incapable de comprendre et d’apprécier l’offre de la rédemption par le moyen de la foi en Christ, aussi sûrement que l’homme physiquement mort ne peut entendre les sons et les voix du monde!

Selon Charles Hodge, dans l’Écriture et le langage théologique, reconnaître le péché signifie surtout en reconnaître la culpabilité. Ce n’est donc pas tout d’abord la criminalité, ni le démérite, ni même le désert moral ou la pollution morale, mais l’obligation forensique juridique de satisfaire à la justice de Dieu.

Dans le Nouveau Testament, saint Paul établit clairement le lien qui existe entre péché et mort (Rm 5.21). Dans Romains 8.10, l’apôtre insiste sur la mortalité physique du pécheur. De même, il mettra en parallèle le péché d’Adam retombant sur ses descendants et l’imputation de la justice du Christ à ses disciples et fidèles (Rm 5.19; 1 Co 15.22). C’est pourquoi les enfants, qui en un sens nous semblent innocents, subissent aussi la peine et la mort. Parce qu’au sens que nous avons donné au mot coupable, les enfants le sont aussi, Dieu leur inflige le même sort qu’aux adultes. Celui qui a hérité de la nature d’Adam subira la même sentence. Mais dans l’économie du salut, Dieu inclut nos enfants dans son œuvre de rédemption. Ils en sont aussi les véritables bénéficiaires. Eux aussi ont leur « Vicaire », leur « Substitut » devant Dieu.

Que le châtiment infligé à Adam ne fût pas simplement la mort physique apparaît dans le fait que l’ancêtre de l’humanité vécut pendant 930 ans après la chute… Il est mort comme meurt le poisson retiré de l’eau, son élément naturel… Mais en réalité, il mourut en s’aliénant Dieu. On peut dire aussi qu’en un sens la mort physique intervint aussitôt après la transgression. Bien qu’ils vécussent 930 ans, nos ancêtres commencèrent aussitôt à vieillir. Depuis leur chute, ils durent marcher sans répit sur le chemin qui conduit vers la mort.

4. Les trois types de la mort🔗

Distinguons à présent entre la mort spirituelle, la mort physique et la mort éternelle.

a. La mort spirituelle🔗

La mort est la signification et le résultat de la rupture des relations entre Dieu et la créature. C’est dans cet état ou condition qu’existent Satan et ses légions de démons. Mais du fait que la grâce générale de Dieu empêche la corruption absolue, l’homme ne vit pas encore en enfer. Toutefois, la condition de l’homme ne peut qu’empirer depuis sa chute; car le jardin d’Éden signifiait précisément une communion ininterrompue et bienheureuse avec Dieu. Aucune œuvre accomplie par l’homme, même la meilleure, ne pourra le restaurer dans cette communion et lui faire gagner le salut. Aucun motif n’est inspiré par le plaisir d’accomplir la volonté du Créateur et Rédempteur. La mort spirituelle est devenue une source polluée qui empoisonne toute la réalité.

b. La mort physique🔗

Celle-ci est avant tout la rupture entre le corps et l’âme. Le corps est un organisme vivant animé par l’âme. Pour l’Écriture, la mort physique est la fin, la cessation biologique survenue à la suite de la séparation entre le corps et l’âme. À sa mort, la personne cesse d’être en contact avec la réalité créée, et elle n’a plus aucune sensibilité biologique. Aussi est-il clair que les vivants et les morts ne peuvent plus communiquer entre eux.

c. La mort éternelle🔗

Toutefois, la mort physique ne signifie pas la cessation de toute existence. Il n’y a pas d’annihilation totale de l’être humain. La mort physique est la rupture des liens naturels. Car la vie et la mort ne s’opposent pas comme existence contre non-existence, mais plutôt en tant que des existences sous des formes différentes. C’est pourquoi la mort spirituelle et la mort physique du rebelle culminent en la mort éternelle. L’effet corrupteur du péché achève son œuvre.

Tout le poids du jugement de Dieu se fait sentir sur le condamné. Une fois que la rupture totale et radicale d’avec Dieu — seule source de vie et de joie — est consommée survient la mort dans son sens le plus hideux et le plus redoutable, celle qui signifie donc l’absence de Dieu, les douleurs de conscience et sans doute même la douleur physique (voir Ap 14.11).

La première mort est physique et elle frappe tout homme. La seconde mort est spirituelle; elle est destinée aux seuls incroyants impénitents, châtiment éternel frappant ceux dont les noms ne sont pas écrits dans le livre de la vie (Ap 20.12-15). Ceux qui ne sont nés qu’une fois dans leur naissance naturelle mourront deux fois; de la mort physique, certes, mais aussi de la mort spirituelle. Ceux qui sont nés deux fois sont régénérés et ne mourront qu’une seule fois. Ainsi que l’écrit Charles Hodge, comme l’amour de la vie est naturel et instinctif, ainsi l’est aussi la peur de la mort. Non seulement instinctive, mais encore rationnelle, elle est la fin de toute existence consciente et de toute expérience. Les morts sont apparemment des non-existants, comme le sont les non-nés. La mort amène la perte de toutes nos possessions, de toute source de plaisir, elle amène la rupture de tout lien, la séparation finale des parents d’avec leurs enfants. Bien qu’elle puisse sembler une annihilation totale, elle n’est pas la cessation de tout état conscient. Car l’aiguillon de la mort c’est le péché. Or, l’unique moyen pour guérir de l’angoisse de la mort c’est de se laisser libérer du fardeau de son péché.

5. Le chrétien est assujetti à la mort🔗

Pourquoi le chrétien doit-il mourir s’il bénéficie de l’œuvre rédemptrice de son Sauveur et qu’il participe déjà à la victoire du Ressuscité? Ne faut-il pas s’attendre à ce qu’il monte directement au ciel? Pourquoi ce châtiment s’exerce-t-il encore sur sa personne?

La toute première réponse à cette question est que la mort ne survient pas sur lui comme une peine que méritait son péché. Car Christ a effectivement payé pour le pardon. La mort et tout ce qui l’accompagne comme peine et souffrance morale ne surviennent que comme une mesure disciplinaire. Elle sert à son développement et à son affermissement dans la foi. En outre, la mort du croyant devrait servir d’avertissement aux autres pour leur faire comprendre que la fin de tous est imminente, que nul n’échappe à son emprise. Cependant, il n’y a que la mort du pécheur endurci, qui s’abattra sur lui tel un lourd châtiment. Même si extérieurement la mort du fidèle et celle de l’incrédule apparaissent comme un phénomène physique identique, la différence spirituelle en ressortira sans peine.

Selon le Catéchisme de Heidelberg, Christ est mort sur la croix et, à notre tour, nous aurons aussi à mourir. Notre mort ne paie pas notre rançon, elle n’est mort que par rapport au péché, en vue de notre entrée dans la vie éternelle. La théologie réformée considère la mort du fidèle comme une étape, la dernière, placée sur la voie de sa sanctification. À sa mort, il entrera dans la compagnie des « premiers-nés », ceux qui l’ont précédé dans l’état de béatitude. Certes, dès à présent, nous participons à la vie éternelle, mais pour l’heure nous n’en connaissons et n’en goûtons que le commencement. Ainsi, la maladie et la mort, bien qu’elles soient des événements naturels qui surviennent aussi bien au croyant qu’au non-croyant, font partie de la dispensation du salut et contribuent au progrès spirituel du fidèle. À l’avancement du Royaume aussi.

L’incroyant, lui, fait l’expérience de la fin de toute fausse sécurité. Il ne peut échapper à cette ruine soudaine. La rupture d’avec les affections naturelles sera une déchirure irrémédiable et sa solitude celle qu’engendre l’enfer lui-même. Il s’en va vers « le trou d’où personne n’est revenu », et dans l’épouvante il affronte le mystère de la fin ultime; il marche dans la vallée de l’ombre de la mort et il s’y trouve sans Berger.

Dieu a le droit absolu d’infliger une mesure disciplinaire et d’exécuter son jugement sur celui qui lui résiste. L’inégalité de la mort et son caractère absurde devraient nous apprendre la gravité de notre péché et nous faire connaître l’autorité suprême de Dieu. Dieu fixe l’heure où chacun devra quitter sa demeure terrestre. Mais lorsque nous sommes épargnés, soyons reconnaissants à Dieu de nous offrir l’occasion de mener une existence dans la foi et de nous permettre de multiplier nos efforts afin de lui être agréables. De pouvoir aussi mieux nous préparer à affronter notre mort. Nous ne vivons qu’en sursis.

Soulignons que ce sera à la lumière de la mort de Jésus-Christ que nous comprendrons clairement le sens de notre propre mort, celle de croyants et de disciples. La mort du Crucifié nous permet de saisir toute la gravité de notre péché. Sur la croix du Calvaire se dévoile la malédiction qui pèse sur tout homme à cause de son péché et qui, finalement, s’est abattue sur le seul innocent (És 53). La mort injuste de Jésus-Christ, Fils de Dieu et vrai homme, nous aide à découvrir la nature et l’étendue de notre mal, ainsi que toute la hideur de la mort. À la croix, nous nous savons sous le regard de Dieu. Mais à cause de notre Médiateur, ce regard devient celui de la faveur. C’est à la croix que le Sauveur priait : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23.34). Et celui qui déclarait : « Je donne ma vie » meurt à présent pour que notre mort se transforme en vie.

Le système sacrificiel de l’Ancien Testament préfigurait déjà la mort substitutive et le sacrifice offert une fois pour toutes par le Fils de Dieu. La croix est devenue donc l’instrument qui détruisit la mort des élus. Aussi ces derniers peuvent-ils s’associer à saint Paul et répéter : « J’ai été crucifié avec le Christ, si je vis maintenant, je vis par la foi au Fils de Dieu qui s’est livré pour moi » (Ga 2.19-20).

6. Se préparer à la mort🔗

Plus d’un texte biblique devrait nous soutenir dans notre combat, en nous rappelant les promesses de Dieu et l’appui que sa grâce nous offre dans l’attente de la fin, qu’il s’agisse de la nôtre ou de celle de nos proches (Ps 116.15; 2 Co 5.1,6,8; Ph 1.21,23; 2 Tm 4.6-8; Ap 14.13). Aux yeux de la foi, la mort ne présente plus d’épouvante, le chrétien la considère comme la limite tracée entre ce monde-ci et l’autre. La mort devient le portail qu’il traverse pour aller à la suite de son Seigneur. Aussi est-il prêt, vigilant, sobre et assuré de la certitude de la victoire finale. Il est également assuré de l’héritage qui lui est réservé dans les cieux. Le jour de sa mort sera celui de son couronnement. Il quittera un monde de peine, de tristesse et de péché, pour pénétrer dans celui de la béatitude et de la perfection.

Il ne nous faut pourtant pas penser que la mort soit en elle-même une bénédiction. Ce n’est que la présence du Christ Sauveur, qui en fait la bénédiction. En dehors du Christ, la mort reste toujours une ennemie. Nous ne chercherons pas dans la Bible une idée romantique de celle-ci, car la mort est véritablement le dernier ennemi (1 Co 15.26). Dans l’Ancien Testament, les fidèles protestaient contre elle. David l’appelle « la vallée de l’ombre de la mort » (Ps 23.4). Saint Paul fait état de soupirs et de douleurs (Rm 8.18-23). Elle est l’œuvre de Satan la plus achevée et la plus dévastatrice, une radicale opposition au dessein bienveillant de Dieu. Christ a pleuré devant la mort, celle de son ami Lazare (Jn 11.35). Même s’il n’est pas question d’en être terrifié, elle n’en reste pas moins une expérience douloureuse.

La nudité dont il est question dans 2 Corinthiens 5.1-4 est un réel déchirement. Saint Paul ne se réjouit pas devant cette perspective. S’il avait pu hériter aussitôt de la résurrection, cela eût été de loin la solution qu’il eût souhaitée. Quoique la mort est un mal, la joie de se retrouver avec le Seigneur le rassure. Aussi se prépare-t-il à cette rencontre. Plus que dans d’autres écrits, c’est dans sa deuxième lettre aux Corinthiens que Paul fait part de ses expériences, tissées de labeurs et nourries de tant de détresse. Il y donne un aperçu suffisant de sa carrière d’ambassadeur du Christ. Il se garde pourtant de se livrer à une interminable litanie de griefs. Au contraire, il invite ses lecteurs à communier à son espérance et à partager ses certitudes. Le passage de 5.1-10 est l’un des exposés les plus clairs, voire le joyau par excellence de l’espérance apostolique, et par conséquent de toute espérance chrétienne.

Bien que l’homme extérieur se détruise, l’homme intérieur se renouvelle, et l’affliction qui, à vue humaine, semble dépasser toute mesure est bien légère en comparaison de la gloire à venir. Il ne regarde pas à ce qui est visible et passager. Il fixe les yeux de la foi, devenue à présent une espérance vivante, sur ce qui est invisible et permanent. Tel Moïse, il espère la récompense future. Tel Abraham, son ancêtre, il séjourne sous une tente provisoire, avant de voir apparaître et de pénétrer dans la Cité indestructible, celle dont Dieu est l’Architecte. Patient lorsque son être extérieur se détruit, il n’appelle pas la mort. Il soupire certes, à cause du fardeau de l’existence présente. Il espère cependant de tout son être que la mortalité sera engloutie dans et par la vie. Non pas qu’il ne ressente pas d’aversion face à sa propre mort, mais il souhaite rencontrer le Seigneur pendant cette vie. Son témoignage personnel nous communique une solide espérance.

Le plus grand lutteur chrétien nous fait part d’un sentiment intime : il se fie à Dieu. Il le contemple. La légitime répugnance ressentie à l’approche de la mort se trouve ainsi reléguée au second plan. Sa foi surmonte la terreur. Malgré le fait que la vie présente dans la foi ne soit pas entièrement satisfaisante, « nous soupirons dans cette tente, nous campons en attendant d’être revêtus et d’être logés définitivement dans notre demeure permanente » (2 Co 5.2). Car le corps mortel, corps d’humiliation et de péché, attend son affranchissement. Cette idée semble, au moins apparemment, contredire une certaine attitude chrétienne de gratitude envers la mort… Notre reconnaissance va à Christ et non à la mort considérée comme libératrice. La foi n’a rien d’une attitude stoïque. Le temps de notre pèlerinage sur terre nous laisse effectivement insatisfaits, quelle que soit la forme de la foi et l’intensité de la vocation accomplie.

Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce parce que nous nous savons éloignés du Christ, ou plutôt à cause des frustrations connues? Sommes-nous, à l’instar de l’apôtre, impatients de nous retrouver avec le Christ, ou bien à cause d’une angoisse existentielle cherchons-nous à nous défaire de nos fardeaux? En toute loyauté, examinons les motifs de notre espérance et purifions notre attente eschatologique. Si l’apôtre cherche à éviter la mort, c’est qu’il désire s’unir au Seigneur de sa vie, sans passer par l’expérience douloureuse de l’affrontement du dernier ennemi.

Le chrétien peut donc ressentir une aversion à l’égard de la mort. Mais aversion et angoisse ne sont pas des attitudes identiques. Car le Christ dispense ses consolations à chacun de ses élus. Il a ôté et a brisé l’aiguillon. Elle a beau être la reine des épouvantements, elle n’est qu’une reine déchue et dépossédée de tout pouvoir décisif.

Faut-il nous étonner que plus d’un propos écrit par l’apôtre Paul ait dissipé tant d’appréhensions, consolé et adouci tant de peines, affermi la foi vacillante de tant de fidèles? Comme partout ailleurs, cette page de la révélation ne développe pas une théorie abstraite ni ne spécule sur un état métaphysique. Elle ne fait qu’exprimer l’assurance de la rencontre avec le Vivant, avec celui qui a fixé son rendez-vous et qui ne manque jamais à sa parole. Mais l’apôtre ne se borne pas à consoler; il adresse encore une exhortation virile : « Nous mettons notre point d’honneur à lui être agréables, soit que nous demeurions dans ce corps, soit que nous le quittions » (2 Co 5.9).

Voici donc un chrétien qui traite de l’au-delà, du paradis, des réalités à venir, et qui a quand même les pieds solidement rivés sur terre! Alors même que nous gémissons, puisqu’il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ, nous tenons à lui praire. Il ne suffit pas de contempler béatement l’héritage glorieux. Car il existe des tâches qu’il faut assumer, une mission qu’il faut poursuivre.

Plaire au Seigneur, voilà la raison principale de notre existence et la meilleure préparation en vue de notre rencontre au-delà de la mort. À l’heure de celle-ci, nous sommes assurés que sa présence sera lumineuse et resplendissante, plus éblouissante même que toutes les lumières du monde réunies, plus apaisante aussi, car le Seigneur sera à son rendez-vous. Nous le savons, il l’a promis sur la croix : « En vérité je te le dis, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23.43).

L’auteur de la lettre aux Hébreux nous assure aussi la victoire définitive sur la mort (Hé 2.14-15). Christ a assumé notre corps humain. L’adversaire s’est transformé en servante utile. La mort n’est plus la fin, mais le début de la gloire; puisse-t-elle nous aider à comprendre que, dès maintenant, nous aurons à mener une vie de sanctification, de renoncement à la chair et aussi d’humilité et de service sans répit. Comme le Christ a pénétré dans la gloire après avoir souffert, nous aussi nous y parviendrons à l’issue de la tribulation présente.

La mort est l’épreuve la plus intense que subit notre foi. Elle risque de nous prendre au dépourvu. Qu’elle devienne donc une incitation à une plus grande vigilance. « Celui qui écoute ma parole et qui croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie », a déclaré le Prince de la vie (Jn 5.24). Il peut donc combattre le bon combat, finir la course, conserver la foi, atteindre la couronne (2 Tm 4.7-8).

Pourquoi craindre la mort? Que l’expérience de ceux qui nous ont précédés sur l’étroit sentier nous aide à nous préparer et à l’affronter. Sachons que notre citoyenneté est au ciel. Notre vie présente n’est qu’une école de préparation. Dieu ne veut pas nous voir satisfaits uniquement de la terre soumise à la vanité! Aussi nous envoie-t-il souvent des motifs d’insatisfaction afin que nous aspirions aux choses meilleures. Préparons-nous donc à l’affronter (Mt 24.44). À l’heure de la mort, nous ne pourrons rien faire d’autre que de mourir. Il nous faut nous y prendre d’avance. C’est le signe d’une grande sagesse que de se préparer adéquatement à l’avance.

D’ordinaire, on pense qu’une maladie douloureuse est un mal insupportable. Sans doute l’est-elle. Mais même une telle épreuve, longue et interminable, devrait servir à notre préparation. Qu’elle nous inculque mieux encore la grande leçon de la vie : « N’amassez pas de trésors sur terre » d’aucune sorte, qui risquent de vous séparer de l’affection de celui qui nous a préparé un héritage incorruptible (Mt 6.19-20).

Ne pleurons pas non plus les morts comme ceux qui n’ont aucune espérance, parce qu’ils ne connaissent pas de Dieu Sauveur. Les larmes ne sont pas déplacées au bord de la tombe, et l’Écriture mentionne bien des cas où l’on a pleuré un disparu. Cependant, lors de funérailles chrétiennes, le monde doit voir le plus clairement possible ce qu’est l’espérance chrétienne et la force de la foi. Qu’elles deviennent l’occasion d’un témoignage lumineux, lucide et convaincu! L’amour de Dieu, la solidité de la rédemption et la certitude de la vie à venir peuvent être présentés lors d’un service d’ensevelissement mieux qu’à une autre occasion.

Au début de l’Église, les païens s’étonnaient de voir les chrétiens aussi sereins, en présence de la mort. Aucune de leurs philosophies ne pouvait expliquer le secret de cette foi ferme et sereine.

La Bible est bien plus lumineuse sur ce chapitre de la mort qu’elle ne l’est sur d’autres. Si nous sommes nourris de ses promesses et guidés par la Parole, nous ne connaîtrons pas d’épouvante. « Que votre cœur ne se trouble point », a dit Jésus aux siens (Jn 14.1). « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce quer je m’en vais vers mon Père » (Jn 14.28). Ce serait péché que de sombrer dans l’amertume. Ce serait une révolte contre son règne glorieux et contre sa providence qui contrôle tout. Ce serait ouvrir un fossé infranchissable entre lui et nous-mêmes que de nous lamenter dans la révolte. Quand Dieu appelle nos bien-aimés, il sait que leur temps est comblé. À nous, il nous confie une œuvre à compléter. Il s’attend à ce que nous nous adaptions à la nouvelle situation.

Par moments, il nous semble qu’il y a eu mort prématurée. Nous déplorons que des jeunes, voire des enfants, soient fauchés si tôt! De notre point de vue, leur vie a été incomplète. Pensons pourtant à la jeunesse même du Christ. À sa mort prématurée… Aux yeux de la non-foi, il aurait pu accomplir davantage encore, car il n’avait que 33 ans! Mais voilà que sur la croix il déclara : « Tout est accompli » (Jn 19.30). Sa jeune vie accomplit une mission totale qu’il scella par sa mort.

Pensons également à l’exemple du plus brillant parmi les sept premiers diacres de l’Église chrétienne, à Étienne; et puis à Jacques, le frère de Jean, décapité par Hérode. Nous aurions tendance à dire : ce sont là des vies fauchées prématurément, des vies incomplètes… Mais Dieu, lui, déclare : c’est une vie complète! Car d’après son point de vue, notre vie et ses accomplissements ne sont pas une affaire d’années ou de durée. Il y a des jeunes qui auront accompli, durant leur brève vie, beaucoup plus que bien des vieux!

À ce sujet, relevons encore un autre point. Nombre de chrétiens estiment que mourir avant le retour du Christ serait un grand malheur. Nous avons rendu suffisamment clair le fait que l’aversion devant la mort est une attitude normale. Mais la réalité est que ceux qui meurent dans le Seigneur ont le privilège inexprimable de vivre et de partager, dès maintenant, le règne messianique du Christ. Cela aussi est une grâce, aussi grande que celle qui sera accordée à ceux qui seront vivants lors de l’avènement de notre Seigneur glorieux.