Que penser de la restitution de biens acquis frauduleusement?
Que penser de la restitution de biens acquis frauduleusement?
« Que penser de la restitution de biens acquis frauduleusement? Par exemple, un ancien ministre du gouvernement est devenu chrétien. Cependant, lorsqu’il était encore ministre, il a volé son pays par des surfacturations, des détournements de fonds avec lesquels il a pu acquérir de nombreux biens (immeubles, voitures, etc.). Que doit-il faire maintenant qu’il est devenu chrétien? Se rendre à la justice? Garder ses biens ou les donner à l’Église? Ou prenons le cas d’un brigand coupable de meurtres, de viols et d’attaques à main armée. Que doit-il faire? Approcher les parents des victimes et leur confesser ses forfaits en leur demandant pardon? Doit-il se rendre à la police pour les vols et crimes commis par le passé? Doit-il travailler pour rembourser l’argent volé? »
Question d’un correspondant
La question de la restitution de biens volés est clairement mentionnée dans la Bible, en particulier aux chapitres 21 et 22 du livre de l’Exode, peu après l’énoncé des dix commandements. Plusieurs cas sont évoqués, qui naturellement reflètent les caractéristiques économiques et sociales de l’époque où la loi a été donnée. Prenons le cas du vol d’animaux : Si quelqu’un vole un bœuf ou un mouton et qu’il l’abatte ou le vende, il devra donner cinq bœufs pour le bœuf volé ou quatre moutons pour le mouton volé. La restitution se fait donc au quintuple ou au quadruple pour compenser la perte de l’animal — lequel ne peut plus être restitué puisqu’il a été soit tué, soit vendu — et aussi pour imposer une pénalité à l’auteur du forfait. Pénalité, ajoutons-le, dissuasive. Mais un peu plus loin, nous trouvons la prescription suivante : S’il a volé un animal – bœuf, âne ou mouton – et qu’on le retrouve vivant en sa possession, il rendra deux animaux en compensation. Ici, la restitution de l’animal volé peut avoir lieu, mais le voleur ne peut s’en tirer à bon compte en retournant simplement la bête à son propriétaire lésé. Il doit apporter une compensation égale à la valeur de l’animal dérobé.
Mais revenons aux cas posés par mon correspondant. Il est certain qu’il doit y avoir compensation dans tous les cas. De nos jours, la compensation doit être exigée par la justice et imposée par le bras exécutif du pouvoir en place. Des dommages et intérêts sont réclamés pour compenser la perte subie et les effets calculés d’une telle perte sur le court, moyen ou long terme. Mais notez qu’aujourd’hui on assortit très souvent ceci d’une peine de prison, la prison servant à la fois de punition, d’instrument de dissuasion et de mécanisme de compensation. Or, dans la loi de Moïse, on ne trouve nulle part l’institution de la peine carcérale. Tout au plus, les condamnés à mort sont-ils confinés quelque part avant leur exécution. On pourrait bien sûr dire qu’on n’y avait pas pensé à l’époque, mais cela ne serait pas correct historiquement. En Égypte et ailleurs, les prisons existaient bel et bien, comme en témoigne par exemple l’histoire de Joseph dans le livre de la Genèse. Pourquoi alors le système carcéral n’apparaît-il pas dans la loi donnée dans l’Ancien Testament? La raison en est qu’il n’est pas approprié pour opérer adéquatement la restitution nécessaire. On voit bien de nos jours, dans la plupart des pays, le côté inhumain et hors de contrôle du système carcéral, que les États n’arrivent pas à gérer correctement et qui donne lieu à des multiplications d’actes de violence. Mais, nous faut-il ajouter, la surpopulation carcérale va souvent de pair avec l’abolition de la peine de mort : or dans la Bible, là où aucune compensation ne peut être apportée à cause de la gravité du crime, c’est la vie du malfaiteur elle-même qui doit être donnée en compensation. Voilà une notion qui n’est guère populaire de nos jours, et que peut-être vous n’approuverez pas en votre for intérieur. Pourtant, si l’on veut vraiment donner corps à une justice qui prend au sérieux la gravité des forfaits commis, et qui mesure et applique la peine méritée, on ne pourra jamais échapper à cette évidence, aussi pénible soit-elle.
J’ajouterai que la repentance sincère du criminel et sa volonté de confesser ses forfaits en demandant pardon à ses victimes ou à leur famille et leurs proches, aussi bienvenues et même nécessaires soient-elles, ne peuvent servir de compensation ou de peine pour lesdits forfaits. Au mieux, la justice peut prendre en compte une telle attitude – si elle est vraiment sincère – pour atténuer dans une certaine mesure la peine prononcée. Tout cela s’applique naturellement au ministre ou au brigand récemment convertis que mon correspondant prend comme exemples.
Oui, le ministre en question, s’il est vraiment devenu chrétien, devrait déclarer à la justice ses anciens méfaits. Car s’il est vraiment devenu chrétien, lui qui avait auparavant la charge des affaires de l’État – et s’en est mal acquitté – aura compris les implications dans sa vie de ce qu’enseigne l’apôtre Paul au chapitre 13 de la lettre aux Romains, chapitre sur lequel je me suis déjà longuement étendu ailleurs. Il est hors de question pour lui de se débarrasser de biens mal acquis en les donnant à une Église, car cela constituerait tout simplement une autre forme de corruption dont l’Église se rendrait complice. Les dons que l’Église peut accepter ne doivent provenir que de sources et de personnes au-dessus de tout soupçon. Il doit s’agir de dons acquis par la force d’un travail honnête ou d’investissements réguliers. Si dans la pratique il est sans doute difficile de vérifier au cas par cas la source des fonds qui servent de dons aux Églises, il n’en demeure pas moins que les Églises devraient faire le maximum pour s’assurer qu’elles ne vivent pas des larcins des autres.
Il se pose néanmoins, dans le cas cité par mon correspondant, une question épineuse : Que faire si l’on sait pertinemment qu’on a affaire à un système judiciaire tout à fait dysfonctionnel ou injuste? Je décide de mon propre gré de me rendre à la justice, car je me suis sincèrement repenti des vols commis lorsque j’étais dans une position de confiance et d’autorité au sein d’une administration ou d’un gouvernement, mais je risque d’encourir une peine tout à fait disproportionnée par rapport aux méfaits que j’ai commis. Je serai peut-être livré à une vindicte politique et jugé sur la base de méfaits qu’objectivement je n’ai pas commis. Ou encore, j’atterrirai sans nul doute dans un système carcéral inhumain. Il est difficile d’apporter une réponse précise à un tel cas, qui a bien des chances de se présenter, mais disons simplement qu’il existe des instances juridiques internationales qui peuvent dans une certaine mesure assurer une protection adéquate pour une personne se trouvant dans une telle situation. Toute personne livrée à la justice ou qui se livre elle-même à la justice est en droit de s’attendre à un procès équitable.
Vous avez certainement compris, au cours de cette courte discussion, que la question de mon correspondant ne concerne pas seulement une seule personne, son attitude et les conséquences de ses choix dans sa vie future. Il y a bien plus en jeu, car c’est le fonctionnement de toute la société qui est en question. Comment des lois justes peuvent-elles permettre de développer des mécanismes qui facilitent la compensation et la restitution de biens dérobés? Comment donner aux malfaiteurs repentis une véritable possibilité de payer leur dette à ceux qu’ils ont lésés? Est-ce impossible dans nos sociétés contemporaines? Pourquoi cela était-il possible au temps de Moïse, et cela ne le serait-il pas aujourd’hui? Une très sérieuse réflexion à cet égard et une réforme de la société sont tout à fait nécessaires. Les blocages qui empêchent un système de réparation juste et efficace ne sont pas nécessairement d’ordre pratique, mais bien plutôt d’ordre moral et idéologique. Or c’est à cette grande tâche, et à bien d’autres semblables, que les chrétiens sont appelés à travailler au sein des sociétés où ils vivent.