La vie de prière de Jésus
La vie de prière de Jésus
Un aperçu clair et suffisant de la vie de prière de Jésus nous est offert dans la phrase bien connue de l’Évangile selon Luc : « Seigneur, enseigne-nous à prier » (Lc 11:1). Avant cet instant, les disciples avaient dû prier à maintes reprises. Élevés dans l’atmosphère fervente de la piété juive, l’un ou l’autre d’entre eux avait acquis l’habitude de la prière respectueuse adressée à ce Dieu dont ils ne pouvaient même pas prononcer le nom. Mais, à cet instant, une nouvelle conscience les anime et ils ressentent, l’un après l’autre, le besoin de réapprendre à prier selon Jésus. Il leur est devenu clair et même impératif, après avoir observé la vie de prière de Jésus, que leurs prières doivent connaître une transformation profonde. Aussi nous voyons l’un d’entre eux s’approcher de Jésus, qui venait de prier, pour lui demander : « Seigneur, enseigne-nous à prier. »
L’homme se rendait parfaitement compte, en sollicitant cette « instruction religieuse », que la prière de Jésus n’était pas simplement spontanée et authentique, mais encore très bien ordonnée et empreinte d’une sérénité n’étouffant pas une joie débordante. Sa prière à lui, celle de l’Israélite pieux, devait passablement ressembler aux nôtres, balbutiement faible ou requête tremblante, sans doute aussi intermittente et sans suite, sans fermeté dans l’intention, sans oser espérer un exaucement effectif. Deux observations préliminaires s’imposent à cet endroit.
Premièrement, Jésus n’a pas discuté de la possibilité de la prière ni même de son opportunité. Pas plus qu’il n’a cherché à prouver l’existence de Dieu. Pour lui, Dieu était présent dès le commencement et il resterait immuable jusqu’à la fin. Il n’avait donc pas à « croire » en la prière. Il croyait en Dieu son Père, aussi le priait-il, ayant acquis et conservé la sainte habitude de la prière filiale. Ainsi l’oraison, souffle de son âme en communion avec le Dieu vivant, s’élevait sans que des justifications superflues viennent artificiellement en fonder la pratique ou justifier l’opportunité. Son cœur de Fils, et pour l’heure son cœur d’homme aussi, y aspirait tout naturellement. La pratique de la prière chez lui devenait l’argument le plus persuasif et le plus éloquent en faveur de la prière. Une prière à la fois soumise et active. Quiconque nourrirait à l’encontre de la prière le moindre doute, n’aura qu’à l’observer, dans l’abandon total de la foi et dans l’élévation de l’esprit, ou dans tel geste d’adoration.
Nous ferions mieux de nous fier au Christ orant que de nous débattre dans nos incertitudes à ce sujet. Que l’exemple de la prière de celui qui, Dieu et homme à la fois, a enseigné comme Dieu et a prié comme un homme de la foi puisse nous servir de modèle et de stimulant. Il offre le privilège exceptionnel — étant le seul à pouvoir prier Dieu parfaitement — d’être l’unique à nous enseigner comment l’invoquer correctement.
Notre deuxième remarque concerne aussi bien la pratique de Jésus que sa théorie. Les deux forment un tout indissociable et harmonieux. L’une épouse l’autre, son enseignement n’étant que le fruit de sa vie de prière et sa vie de secrète oraison n’étant rien de moins qu’un enseignement mis en acte.
Retenons quelques traits parmi les plus saillants de la théorie et de la pratique des prières de notre Seigneur.
Il saute aux yeux que la prière constitue l’atmosphère normale de sa vie quotidienne. La présence de Dieu et la vive conscience de celle-ci créent et renouvellent sans cesse ce climat, dont témoigne chacune des pages du quadruple Évangile. Jésus se lèvera tôt le matin pendant que le reste du monde se repose (Mc 1:35). Après une journée — ô combien harassante — qui aurait pu avoir raison de son corps et de ses forces, il veillera parfois durant toute une nuit (Marc 6:46). Quand la foule l’entoure et le presse de toutes parts et que des hommes et des femmes interfèrent dans le peu de vie privée qui lui reste, alors qu’il est sans cesse importuné par des demandes, il ne cessera un seul instant de tourner son âme vers le ciel pour y contempler le visage du Père céleste et accueillir le reflet de sa gloire.
Pour éclairer aussi son chemin, qui s’enfonce dans l’épaisseur d’une obscurité inconcevable pour nous autres mortels. Bien que sa vie de prière apparaisse comme une tranche discrète de sa vie intime, soustraite même au regard des plus proches, nous savons qu’elle est l’expression particulière et authentique de sa vie tout entière. Celle-ci n’est jamais tributaire d’humeurs passagères. Certes, l’homme qu’il a été a connu des variations dans ses sentiments, et joie et tristesse sont apparues tour à tour dans sa vie, intense et riche en émotions. Il a été profondément bouleversé par des faits qui nous laisseraient nous autres, dans notre égoïsme, à peu près indifférents.
Mais la lassitude le guetta aussi au soir de telle ou telle longue journée, d’autant plus dure qu’incompréhension, dureté, hostilité, incroyance et tout ce que peut infliger le poids du péché ne lui furent pas épargnés. À travers ces états, il a toujours eu recours à la prière. Aurait-il pu en être autrement? Elle signifiait la rencontre avec celui qu’il aima le plus au monde. Dans le ciel et sur la terre, « il n’eut personne d’autre », pour employer à son sujet l’expression bien connue d’un Psaume. Il l’aima d’une telle ardeur qu’un instant de coupure, même fortuite, lui était intolérable. Le Fils de Dieu, devenu un homme semblable à nous, a vécu comme nous devons vivre; car la foi et la vie de la foi, qu’est-ce que c’est si ce n’est d’abord communion et communication avec Dieu?
|| nous advient d’expliquer — voire de justifier — l’échec de notre prière en l’attribuant aux sauts de notre humeur. Selon Jésus, il ne s’explique que par une raison profonde : la froideur de notre cœur pour Dieu, l’absence de la foi en lui. L’exemple de Jésus nous incite à aller vers le Dieu qui est au ciel pour lui avouer : « Notre Père, nous voici pour redire : Nous t’aimons. » Il nous advient aussi de négliger la prière sous le prétexte de nos nombreuses occupations, et il est vrai que nous avons mille préoccupations qui nous harcèlent dès la première heure de la journée. Parfois, nous avons l’audace téméraire de prétendre qu’une œuvre, le travail, vaut bien plusieurs prières. Mais regardons le Christ, lui aussi tellement accaparé. Lisez les premières lignes de l’Évangile selon Marc. Elles décrivent une journée typique du ministère nouvellement inauguré. Ordinaires ou inhabituelles, ces journées témoignent d’une activité s’ajoutant à une autre, sans répit, le faisant vivre sous une pression insoutenable pour un mortel ordinaire.
Ici, un malade implorant secours; là, des disciples ou un auditoire le bousculant; ailleurs, une horde haineuse d’adversaires menaçants. Et lui, ne refusant ni s’esquivant jamais. Le monde entier attendait sa libération et il était venu en sa qualité de Rédempteur désigné. Or, l’ouvrier le plus occupé de l’histoire a laissé l’exemple lumineux de celui qui s’est ressourcé constamment en la présence divine. Quoique les œuvres de la foi puissent compter comme une sorte de prière, nous ne verrons jamais Jésus substituer l’activité à la prière, qui ne sera jamais remplacée par aucune autre forme de son ministère.
Nos prières ne sont étouffées que par l’unique activité dans laquelle nous mettons un peu de constance, dans laquelle nous excellons; je veux parler de notre impatience. Nous avons la mauvaise habitude de nous imaginer qu’aussitôt après avoir frappé à la porte de la grâce, celle-ci doit s’ouvrir à deux battants pour nous inonder de toutes les béatitudes célestes. Lorsque la porte tarde à s’ouvrir, quel empressement à mettre fin à notre quête, quelle hâte à fuir Dieu! Une phrase particulièrement évocatrice de la lettre aux Hébreux nous permet d’avoir un autre aperçu sur les prières de Jésus : « C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort… » (Hé 5:7). Quel que soit le sens que nous donnerons à cette ligne, une chose est certaine : Jésus a prié avec une persévérance ferme et tenace. Toutes les énergies de son esprit ont été mobilisées dans ce combat inlassable.
L’inoubliable parabole de l’homme qui vint à minuit importuner son voisin nous vient ici à l’esprit (Lc 11:5-13). Cet homme avait manqué de savoir-vivre, admet Jésus. Mais il l’approuve. Selon son avis, la prière de cet homme était une sorte d’audace sacrée. Ne te décourage pas si tôt, homme impatient! Frappe avec entêtement. Dieu ne s’amuse pas à garder le silence, à décrocher son téléphone. Il ne prend pas plaisir à nous tenir en haleine comme dans les séquences des films à suspense ni à nous renvoyer à vide lorsque nous lui présentons nos légitimes sollicitations. Il est le Dieu tout-puissant à qui nos prières sont destinées. Nous n’avons pas à étaler devant lui une paresse indigne de sa majesté qui prive notre requête d’une ferme conviction. Une telle prière n’est pas seulement bavardage inutile, elle est déshonneur, mépris et déshonneur envers Dieu. L’homme de la foi est patient, de cette patience qui dérange, qui insiste et qui ne se relâche jusqu’à ce qu’il ait obtenu l’exaucement.
Jésus fit l’éloge de ces importuns, de cette femme syro-phénicienne qui, renvoyée une première fois, revient à la charge, et par sa sainte obstination déroute le Maître. À cause de son obstination, elle obtiendra la guérison de sa fille malade (Mc 7:24-30). Ce non-voyant qu’était Bartimée, criant à pleins poumons, obtiendra la miséricorde qu’il implorait grâce à sa ténacité (Mc 10:46-52). Ces quatre hommes portant une jeune malade et qui, à défaut d’une porte s’ouvrant sur leur passage, monteront sur le toit de la maison, et, en en défaisant la toiture, descendront le paralytique aux pieds mêmes de Jésus, seront eux aussi récompensés (Mc 2:1-12).
Je soupçonne que l’une des raisons pour lesquelles nous ne prions pas — tout au moins pas adéquatement — et qui nous dérobe l’exaucement, c’est un obstacle moral, une tache sombre noircissant notre conscience. L’honnêteté et une rigueur absolue forment l’arrière-plan, le terrain solide sur lequel s’élève comme une flamme offerte et purifiée de toute souillure — tel un sacrifice vivant —, notre prière dans l’Esprit. Seuls les purs verront Dieu, avait prévenu Jésus. Tel péché, tapi au fond du cœur ou vilainement entretenu, interrompt la communion comme le parasite brouille les communications. Tel péché spécifique est un obstacle aussi grave à la prière que le sont le doute ou l’incrédulité. Jésus — ai-je encore besoin de le rappeler — est le pur de cœur qui a contemplé le visage de Dieu sur terre dans et par le don céleste qu’est la prière dans l’Esprit.
Jésus a prié à chacun des grands tournants de sa vie. Lors de l’appel public, à l’heure où sa vocation se confirmait, au moment du choix des douze disciples, il pria même durant toute la nuit (Lc 6:12). Il pria encore ce jour de grand bouleversement lorsque les disciples, pris au dépourvu par un incident exceptionnel, vinrent poser à Jésus la question : « Pourquoi n’avons-nous pas réussi à chasser cet esprit? », en parlant du démon qui avait tourmenté l’épileptique? « Cet espèce de démon ne peut sortir que par la prière », répondit Jésus (Mc 9:28-29). Et quand l’ombre menaçante de la croix se mit à grandir devenant de plus en plus ténébreuse et que le chemin conduisant au Calvaire devint de plus en plus raide et étroit, à Gethsémané comme au Calvaire, Jésus pria Dieu (Lc 22:44). Il pria quand la douleur physique déchirait son corps, et lorsque la souffrance physique dévorait son âme il invoqua à grands cris le Père. La dernière parole sortie de sa bouche fut précisément une prière, celle du psalmiste : « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23:46; voir Ps 31:6). Il avait vécu avec la prière, il expira en prononçant une dernière oraison.
Mentionnons sommairement quelques-uns des facteurs qui composèrent la prière du Sauveur.
La communion en est le premier. À tel point que la conscience de la réalité de la présence de Dieu transformait les traits mêmes de son visage. Rappelons-nous Jésus sur la montagne de la transfiguration, dans cette conversation avec l’Esprit du Père, si profonde et si glorieuse que les trois disciples présents vacillèrent. L’un déraisonna presque devant tant de gloire resplendissant même à travers les mots échangés entre Jésus et ses interlocuteurs célestes.
Les prières de Jésus nous apprennent aussi que les nôtres devraient cesser d’être ces doléances larmoyantes, ces réclamations chagrines, ces rengaines amères et aigries que nous déposons parfois comme si nous nous trouvions devant des guichets célestes. La prière est avant tout communion. N’abordons pas Dieu pour décrocher une faveur à tout prix.
Nous irons vers lui, même lorsque nous n’avons rien à lui demander. Pour lui-même. À cause de sa personne. Pour la joie de nous trouver et de nous retrouver en sa présence. Afin de faire et de refaire la bienheureuse expérience de son Esprit se répandant dans nos esprits. Alors nous connaîtrons, nous aussi, une transformation intérieure certaine et radieuse qui illuminera aussi notre vie extérieure.
Les actions de grâces rendues par Jésus contrastent avec nos réclamations souvent querelleuses. La bonté majestueuse et libérale de Dieu remplissait l’existence de Jésus d’un bout à l’autre. Non seulement lors d’expériences lumineuses, mais encore dans les profondeurs de la nuit, lorsque le trouble l’avait saisi et que l’angoisse, tapie dans le jardin des Oliviers, le guettait de toute son horreur. Il rendit grâces, prenant le pain, symbole de son corps qu’il allait offrir tout à l’heure, et la coupe, symbole du sang répandu. Il remercia Dieu, descendit de la chambre haute où il venait de célébrer la Cène, et il se rendit sur la colline proche chantant des psaumes. Pourtant, il connaissait à cette heure-là que le baiser du traître le livrerait entre les mains de ses ennemis et qu’un procès sommaire le livrerait sans traîner au bourreau romain.
La requête fait aussi partie de ses prières. Nous n’avons pas à la négliger. Jésus a clairement expliqué qu’elle faisait partie de toute oraison prononcée en son nom. Si Dieu est Père et que par sa grâce nous sommes devenus ses enfants, nous oserons lui présenter nos requêtes. Nous abstenir de lui présenter nos besoins sous prétexte qu’il les connaît d’avance, c’est faire preuve d’incrédulité. Jésus nous dit de frapper à la bonne porte.
Terminons enfin par cet autre élément qu’est l’intercession dans les prières de Jésus. Il pria pour les petits enfants et il intercéda pour ses bourreaux. Il lutta pour les uns et livra une lutte spirituelle dans la prière en faveur des autres. L’arme puissante et efficace de l’intercession assura à Pierre, le disciple renégat, sa conversion et le confirma dans sa mission. Ce même ministère nous est confié, comme nous l’avons écrit dans un chapitre de notre étude. Nous aurons à prier pour la famille, l’Église et sa mission, le Royaume de Dieu, de même que pour les autorités temporelles dans le monde.
La vie de prière de Jésus explique aussi bien son ministère que le secret de sa vie de foi. Il remporta la victoire parce que, avec une supplication ardente, il se présenta constamment devant Dieu, son Père et le nôtre.