Cet article a pour sujet des problèmes du postmillénarisme et de la théonomie à la lumière de l'eschatologie du Nouveau Testament, de sa structure en deux ères, de la victoire au milieu de la souffrance et de la vigilance à exercer dans l'attente du retour du Christ.

22 pages. Traduit par Paulin Bédard

Théonomie et eschatologie - Réflexions sur le postmillénarisme

Le renouveau du postmillénarisme constitue un élément essentiel à l’émergence de la théonomie et du reconstructionnisme (chrétien)1. Parmi les postmillénaristes actuels, tous ne sont pas reconstructionnistes, bien sûr, mais tous les reconstructionnistes — quelles que soient leurs différences — se considèrent comme postmillénaristes. C’est du moins ce qu’il semblait jusqu’à tout récemment, avec l’impact imprévu et apparemment croissant des points de vue des reconstructionnistes dans des cercles dont l’eschatologie est typiquement prémillénariste. Toutefois, pour les principaux défenseurs du reconstructionnisme, le postmillénarisme fait manifestement partie intégrante — que ce soit logiquement ou psychologiquement — de leur position dans son ensemble. Les postmillénaristes non reconstructionnistes nieraient évidemment l’existence d’un tel lien.

Ce chapitre présente quelques réflexions partielles, à caractère personnel, en espérant toutefois qu’elles ne seront pas totalement inutiles, sur la résurgence du postmillénarisme au cours des 20 à 25 dernières années2. Mes réserves portent sur au moins quatre domaines3.

1. La définition du postmillénarisme🔗

Un grand élément d’ambiguïté recoupe une grande partie du postmillénarisme actuel. Avant d’essayer de préciser cette ambiguïté, il sera utile, d’un point de vue historique, de porter une certaine attention sur le fait que, dans le passé également, le postmillénarisme n’a pas été la position aussi clairement définie et sans ambiguïté que certains de ses partisans contemporains le font croire.

Il est assez courant de souligner le caractère inadéquat de nos désignations conventionnelles pré, post et a4. Cependant, non moins souvent, cette reconnaissance s’estompe dans la discussion qui s’ensuit. En conséquence, les efforts, par exemple, pour distinguer les positions postmil et amil deviennent empreints de confusion, cette confusion s’étendant généralement au-delà de la simple confusion terminologique.

Qui a inventé le terme amillénariste et quand a-t-il commencé à être utilisé? Peut-être l’ai-je raté quelque part, mais les sources habituelles ne semblent pas le savoir ou du moins ne le précisent pas. Quoi qu’il en soit, en 1930, Geerhardus Vos, par exemple, considéré aujourd’hui comme amil, semble encore ne faire la distinction qu’entre les positions prémil et postmil et s’inclure dans cette dernière5. Plus tard encore, en 1948, un an avant sa mort, toujours en opposant les deux positions, il se distancie, apparemment, non pas du postmillénarisme en tant que tel, mais seulement de « certains types » de postmillénarisme6. De même, dans un article de 1915, B.B. Warfield, en plus de qualifier les termes « prémillénariste » et « postmillénariste » de « malheureux » et de « fâcheux », semble ne reconnaître que ces deux positions7.

De manière plus représentative, l’édition originale (1915) et l’édition révisée (1929/30) de l’International Standard Bible Encyclopaedia n’ont pas d’entrée pour l’amillénarisme, et la rubrique « Millennium, post-millennial view » [Le millénium, le point de vue postmillénariste] renvoie simplement le lecteur à l’article de Vos (résolument amil), « Eschatology of the New Testament » [L’eschatologie du Nouveau Testament]8.

Notons quelques autres exemples connexes. En ce qui concerne le passage sur le millénium (Apocalypse 20.1-10), Warfield adopte ce que presque tout le monde aujourd’hui considérerait comme un point de vue amil9. Et le regretté John Murray, bien qu’il soit souvent présenté (à tort, je crois) comme étant postmil, expose, dans ce qui est à mon avis la déclaration la plus claire de sa perspective eschatologique globale, une position qui — si nous devons choisir une des étiquettes habituelles — est mieux désignée comme amillénariste10. L’exégèse de Romains 11 par Murray ne fait pas davantage de lui un postmil que l’exégèse d’Apocalypse 20 par Warfield ne fait de lui un amil.

(D’ailleurs, quiconque a lu attentivement le discours de Murray de 1968 sur Matthieu 24-25 peut-il sérieusement remettre en question son orientation amillénariste11? Il est peut-être quelque peu spéculatif de ma part, mais guère injustifié, de déceler dans ce discours — qui ne réfère pas explicitement au travail d’autres personnes — une réfutation du traitement postmil caractéristique de Matthieu 24, avancé à cette époque, par exemple, par J. Marcellus Kik, en particulier l’idée selon laquelle tout ce qui est annoncé jusqu’au verset 35 s’est accompli lors de la chute de Jérusalem et de la destruction du temple12. Avec son caractère incisif typique, Murray montre que le passage couvre l’histoire jusqu’à sa consommation et que l’élément de la tribulation de l’Église, qui n’est résolument pas attribuable à un « âge d’or », « est représenté comme caractérisant l’ensemble de la période entre les deux venues du Christ », p. 389).

Ainsi, dans le passé, la désignation « post », en particulier contre le prémillénarisme, semble également avoir couvert ce qui, en fait, était « a ». La possibilité de ce genre d’usage réside dans la considération évidente (bien que parfois négligée) que le point de vue amil est postmillénariste dans le sens où, pour les deux points de vue, le Christ reviendra après le millénium; tous les amils sont postmils.

Qu’est-ce qui a provoqué l’invention du mot amillénariste? Si les origines précises de ce terme sont incertaines, la raison de son apparition semble assez claire. En fin de compte, ceux qui ne partageaient pas l’accent mis par les « postmils » sur un millénium purement futur ont ressenti le besoin d’avoir une étiquette pour désigner leur point de vue. Le mot « amillénariste » a servi, du moins de manière générale, non pas nécessairement à nier que le millénium soit sur terre (bien que certains « amils » aient sans doute adopté une telle position), mais à maintenir la correspondance du millénium avec la période entre les deux venues du Christ. Le « a » nie deux choses en affirmant que (1) le millénium est la période entre les deux venues du Christ, et non pas un interrègne qui y ferait suite (le point de vue prémil), et que (2) le millénium est la période complète entre les deux venues du Christ, et non seulement une ère vers sa fin (le point de vue postmil).

Nous en avons maintenant suffisamment dit pour nous rappeler que, selon les normes de l’histoire de l’Église, le modèle de désignation en trois parties (a, post et pré), que nous avons tendance à considérer comme traditionnel, est, après tout, une innovation assez récente. Il est encore plus important de dire que « a » et « post » ne distinguent pas des points de vue différents ayant de longues traditions, clairement délimitées et bien établies dans le passé de l’Église, comme certains semblent le penser. Il est donc quelque peu trompeur — comme je l’ai fait, par exemple, au début — de parler simplement d’un renouveau du postmillénarisme en relation avec l’émergence récente du reconstructionnisme chrétien. Il existe sans aucun doute de véritables continuités avec les points de vue « postmillénaristes » antérieurs, mais affirmer avec assurance que le postmillénarisme actuel a redécouvert « l’eschatologie réformée historique » est certainement gratuit.

Pour ma part (bien que je reste ouvert à la discussion), je ne suis pas prêt à abandonner le jugement historique de nul autre que Warfield, rapporté par son ami (et collègue postmillénariste), Samuel G. Craig :

« Lui-même [Warfield] admettait librement que l’amillénarisme, bien qu’il ne fût pas connu à l’époque sous ce nom, est l’opinion protestante historique, telle qu’elle est exprimée dans les credo de la période de la Réforme, y compris les textes de Westminster.13 »

Le fait que des générations passées dans l’histoire de l’Église aient exprimé, par exemple, un optimisme (plus ou moins illimité) au sujet de la diffusion de l’Évangile ou aient cru que Romains 11 enseigne une conversion massive future des Juifs ne fait guère d’eux des postmils dans un sens ultérieur ou contemporain.

L’ambiguïté du postmillénarisme antérieur, dont nous avons suggéré qu’elle a donné naissance à l’étiquette amillénariste dans un effort de clarification, a été encore aggravée par le fait qu’actuellement un nombre non négligeable de postmils (surtout dans les cercles reconstructionnistes, semble-t-il) considèrent que le millénium est coextensif à toute la période entre les deux venues du Christ. Il s’agit certainement d’une rupture, pour l’essentiel, avec le postmillénarisme antérieur et, à cet égard, ces postmils sont amillénaristes. Dans la situation actuelle, nous avons donc des « amils postmils » (tous les amils) et des « postmils amils » (certains postmils).

Comment devons-nous évaluer cette évolution? Serait-ce une indication que ces postmils se sont à tout le moins rapprochés des amils et qu’il existe entre eux une base pour une cause commune eschatologique? Il est séduisant et stimulant de penser en ce sens, et pour ma part, je ne veux surtout pas être coupable de rater ou de ne pas capitaliser sur les éléments d’unanimité existants. Toutefois, il convient de noter que les postmils en question souhaitent toujours rester identifiés comme des postmils. J’en déduis qu’il ne s’agit pas d’un simple incident ou d’une question indifférente de terminologie, mais, comme j’essaierai de l’expliquer ci-dessous, cela reflète l’instinct selon lequel leur affinité la plus profonde, malgré le correctif apporté par l’amil, reste le postmillénarisme antérieur (« non amil »).

Les commentaires que j’ai faits jusqu’à présent devraient montrer clairement que le « postmillénarisme » est loin d’être une entité simple ou monolithique. Mes réserves ne portent donc pas sur tout ce qui a porté ce nom dans le passé (ou qui continue de porter ce nom aujourd’hui), mais sur ce qui, me semble-t-il, constitue certaines caractéristiques dominantes du postmillénarisme actuel (et antérieur). Il convient de garder cette réserve à l’esprit dans ce qui suit.

2. La structure eschatologique🔗

Ma principale réserve, en un mot, est que, comme le prémillénarisme, le postmillénarisme — à distinguer de l’amillénarisme — « déseschatologise » l’existence présente (et passée) de l’Église. Les postmils comprennent mal la structure de base de l’eschatologie du Nouveau Testament et, de ce fait, dévalorisent fondamentalement la vie et l’expérience chrétiennes dans le présent (et le passé) ainsi que dans l’avenir immédiat et prévisible14. Comment cela se fait-il?

a. L’âge d’or de l’Église15 🔗

Rien n’a été plus caractéristique du postmillénarisme actuel que l’accent mis sur la royauté du Christ monté au ciel; rien n’enflamme plus la vision postmil que cette réalité. Pourtant, c’est justement cette réalité que le postmillénarisme compromet effectivement et qu’il nie même en partie. Les postmils, en particulier, trouveront sans doute cette dernière affirmation surprenante, voire scandaleuse, aussi vais-je tenter de l’expliquer.

Rien n’est plus caractéristique de la vision postmil que son attente d’une « victoire » promise à l’Église, un futur « âge d’or », avant le retour du Christ. Cet âge d’or est conçu de diverses manières. Dans ses versions reconstructionnistes, par exemple, il s’agit d’une période de suprématie mondiale et de contrôle par les chrétiens de tous les domaines de la vie. Cependant, toutes les constructions postmils — passées et présentes, et toutes marquées (comme « postmils ») pour les distinguer des autres points de vue eschatologiques — ont en commun que « l’âge d’or » ou la « victoire » du millénium (1) est attendu avant le retour du Christ et (2) demeure entièrement futur jusqu’à présent dans l’histoire de l’Église, à l’exception de quelques anticipations occasionnelles.

C’est donc ici qu’un problème, une difficulté structurelle fondamentale, commence à apparaître à la lumière de l’enseignement du Nouveau Testament. L’accent mis sur l’âge d’or comme étant entièrement futur laisse l’impression indubitable que le présent (et le passé) de l’Église est autre chose qu’un âge d’or, que jusqu’à présent dans son histoire l’Église a été moins que victorieuse. Cette impression n’est que renforcée lorsque, selon mon expérience, l’avenir glorieux anticipé est dépeint simplement en le contrastant avec ce qui est supposé être l’état lamentable actuel de l’Église (l’angle de vision semble rarement aller bien au-delà de la scène ecclésiastique aux États-Unis!), généralement avec la suggestion supplémentaire selon laquelle ceux qui n’embrassent pas la vision postmil sont des « défaitistes » et contribuent à tout le moins à perpétuer le triste et peu prometteur statu quo.

Le Nouveau Testament, cependant, ne tolère pas une telle construction. S’il y a quelque chose de fondamental (et, j’aurais tendance à dire, de clair) dans son eschatologie, c’est que la royauté eschatologique du Christ commence dès sa première venue et culmine avec sa résurrection et son ascension. Dès l’exaltation du Christ et à partir de celle-ci, « Dieu a tout mis sous ses pieds et l’a donné pour chef suprême à l’Église » (Ép 1.22; voir le verset 20).

Il s’agit d’une déclaration eschatologique clé (annonçant l’accomplissement en Christ de ce qui avait été promis au Psaume 8.6 et au Psaume 110.1). Au moins deux observations s’appliquent à cette déclaration et à des déclarations similaires (par exemple Ac 2.34, 36; Ph 2.9-11; 1 Pi 3.22) :

  1. Le Nouveau Testament enseigne certainement une nouvelle phase de la royauté du Christ dans le futur. Cependant, cette transition décisive est manifestement associée à des événements concomitants à son retour personnel et corporel (notez en particulier l’application des deux mêmes passages, tirés des Psaumes 8 et 110, à l’espérance de la résurrection de l’Église dans 1 Corinthiens 15.24-28), et non à un point intermédiaire antérieur à son retour ou à un ensemble de développements conduisant à son retour.

  2. Toute la période comprise entre son exaltation et son retour, et non pas seulement un segment vers la fin, est la période de la royauté eschatologique du Christ, exercée de manière ininterrompue (par la présence et la puissance eschatologiques du Saint-Esprit dans l’Église depuis la Pentecôte).

En d’autres termes, pour le Nouveau Testament, l’ensemble de la période entre les deux venues du Christ, et pas seulement un épisode final, constitue « l’âge d’or » de l’Église. Ccette période et ce qui s’y déroule, dans son ensemble, incarnent le « succès » et la « victoire » millénaristes de l’Église. Nier cela en définissant « l’âge d’or », « le succès » et « la victoire » (presque) exclusivement en termes d’avenir de l’Église (peu avant le retour du Christ), c’est soit nier la qualité eschatologique de l’existence actuelle de l’Église (« déseschatologiser » le présent), soit — ce qui pour le Nouveau Testament n’est pas moins problématique, comme nous le verrons plus loin — nier l’équation (pour la période s’étendant jusqu’au retour du Christ) de ce qui est « eschatologique », d’une part, et « victorieux », empreint de succès, etc., d’autre part.

Quelle que soit l’alternative, l’effet est le même : l’exercice actuel de la royauté (eschatologique) du Christ, tel qu’il est présenté dans le Nouveau Testament, est diminué de manière décisive. Sa royauté, en effet, est maintenue en suspens; plutôt que d’être une réalité actuelle, elle est en grande partie une question de potentiel, prête pour son exercice futur, au cours de « l’âge d’or ».

b. Un accomplissement en deux épisodes🔗

L’enjeu ici est la dualité fondamentale de l’accomplissement eschatologique enseigné dans l’Écriture. Ce qui, dans l’optique de l’Ancien Testament, est un point focal unitaire et télescopé de l’espérance eschatologique (une venue du Messie, un jour du Seigneur) se révèle, dans la différenciation de son accomplissement réel dans le Nouveau Testament, être un point focal double (et non pas triple ou davantage). En d’autres termes, il y a deux venues (ou, plus exactement, deux épisodes de l’unique venue) du Christ, mais rien de plus. Dans la terminologie de l’eschatologie juive de l’époque, reprise par Jésus et par les auteurs du Nouveau Testament, le « siècle à venir », ou royaume, déjà présent dans le ministère terrestre de Jésus qui a culminé avec son exaltation, arrivera également dans le futur lors de son retour, mais pas avant (et de manière répétée).

Il est certain qu’à l’intérieur du premier épisode, celui du « déjà », il y a place pour différentes étapes ou phases, marquées par des événements décisifs introduisant une nouvelle période dans l’histoire, tels que le baptême de Jésus, sa mort, sa résurrection, son ascension, la Pentecôte et la chute de Jérusalem. Cependant, aucun de ces événements ni aucun événement ou développement prétendument encore à venir avant le retour du Christ, aussi important soit-il, ne peut avoir une signification eschatologique catégorique et définitive, comparable à la venue du Christ dans sa dualité (passée et future). La Pentecôte, par exemple, est correctement comprise comme étant la venue du Christ (pour être avec l’Église par la présence et la puissance du Saint-Esprit; voir par exemple Jn 14.18-20; Rm 8.9-10; 1 Co 15.45; 2 Co 3.17). Il serait cependant tout à fait trompeur de considérer la Pentecôte au même niveau que l’incarnation et ce que le Nouveau Testament appelle fréquemment la parousie (par exemple 1 Co 15.23; 1 Th 2.19; 2 Pi 3.4), de sorte que cette dernière serait alors la « troisième » venue du Christ.

(La chute de Jérusalem, d’ailleurs, doit être étroitement associée aux événements susmentionnés [mort, résurrection, ascension] qui la précèdent; elle fait partie, avec eux, d’un ensemble unifié d’événements. En tant que telle, comme ces autres événements, elle indique et anticipe la seconde venue du Christ — avec laquelle, dans la perspective unitaire de l’Ancien Testament, le complexe d’événements de la première venue peut même être considéré comme un seul événement. Cependant, la chute de Jérusalem est résolument mal comprise si l’on ne reconnaît pas que — même pour l’Église apostolique, alors qu’elle était encore future — ses affinités premières ne vont pas vers l’avenir, mais vers le passé, vers la première venue, puisqu’elle marque la fin de la brève période de transition entre l’ancienne et la nouvelle alliance. C’est une erreur fondamentale de lecture que de considérer que les discours eschatologiques de Jésus [Matthieu 24, Marc 13, Luc 21] et de l’Apocalypse s’accomplissent presque exclusivement ou même en grande partie dans les événements de l’an 70 apr. J.-C., comme si ces événements avaient une importance eschatologique majeure. La destruction de Jérusalem et du Temple commence déjà le Vendredi saint, lorsque Dieu lui-même profane radicalement « la ville sainte » [Mt 27.53] dans son sanctuaire intérieur. Déjà à ce moment-là, la ville est désolée en son centre vital lorsque le voile du temple est déchiré « en deux du haut en bas » [Mt 27.51; voir Mc 15.38; Lc 23.45]. Ce qui se passe en 70 apr. J.-C., malgré les souffrances et la violence indicibles, n’est que la conséquence inévitable, rien de plus qu’une secousse secondaire).

Le facteur crucial ici, une fois de plus, est la dualité impliquée. Lorsque, par contraste avec la condition présente (et passée) de l’Église, on tente de situer le ou les événements eschatologiques culminants avant le retour du Christ à un point encore dans l’avenir pour l’Église, alors tout ce qui précède perd nécessairement (en termes de structure biblique fondamentale) son caractère eschatologique. Par ailleurs, si nous admettons la signification eschatologique de la première venue du Christ enseignée dans le Nouveau Testament, l’avenir (avant son retour) ne peut impliquer l’introduction de quoi que ce soit de substantiellement ou de constitutivement nouveau sur le plan eschatologique; cet avenir doit être en continuité avec la réalité eschatologique déjà présente et opérante dans l’Église et en être le déploiement.

Si, comme certains l’accusent, cette position relève du « statique », impliquant une vision « statique » de l’histoire, qu’il en soit ainsi. Toutefois, il ne s’agit pas d’un statique qui élimine tout progrès réel et significatif dans l’histoire. C’est, pourrions-nous dire, « le statique du dynamisme eschatologique », statique dans le sens où la permanence royale du Christ exalté est effectivement manifestée — dans sa grandeur pleine et diverse (et finalement incalculable et imprévisible) — sur toute la période entre les deux venues du Christ, du début à la fin. Ce qui est constant tout au long de cette période — l’exercice de la royauté eschatologique du Christ — est plus fondamental et constitutif que toutes les variations et les « succès »/« progrès »/« développement » qui ont résulté et peuvent encore résulter de cet exercice. En d’autres termes, « l’âge d’or » et « la victoire » sont déjà présents et se réalisent continuellement.

Pour exprimer autrement ma préoccupation principale, tout point de vue selon lequel la victoire de l’Église sur terre avant l’état éternel est (principalement) future, est essentiellement « chiliastique16 », c’est-à-dire qu’en mettant l’accent sur l’avenir, on nie (au moins implicitement), ou on ne peut maintenir que de manière incohérente l’accent mis par le Nouveau Testament sur le fait que l’ordre eschatologique provisoire a déjà été inauguré lors de la première venue du Christ17. Étant donné que, pour la période précédant les nouveaux cieux et la nouvelle terre, le postmillénarisme déplace effectivement le centre de gravité eschatologique vers l’avenir, il est, tout comme le prémillénarisme, une forme de chiliasme. En opposition à ce qui est commun à ces deux autres positions — leur préoccupation « chiliastique » du millénium comme entièrement futur —, le Nouveau Testament enseigne le « millénarisme réalisé » (Jay Adams)18.

c. Quand la victoire de l’Église se réalise-t-elle?🔗

Mais, maintenant, qu’en est-il des postmils « amils » mentionnés plus tôt? Qu’en est-il du fait que beaucoup (la plupart?) des postmils contemporains reconnaissent que le millénium et la période entre les deux venues du Christ sont coextensifs? Ce fait ne rend-il pas la plus grande partie de mon analyse et de mes critiques précédentes, du moins en ce qui les concerne, inapplicable et non pertinente? C’est ce que l’on pourrait croire à première vue.

La question ici, cependant, n’est pas de savoir si l’on s’accorde sur le fait que le millénium commence à la première venue du Christ et s’étend sur toute la période entre les deux venues du Christ; ni même de reconnaître que « le cataclysme définitif a déjà eu lieu », aussi importante que soit cette reconnaissance19. Il s’agit plutôt de savoir quelles sont les implications de cette reconnaissance (et de la royauté du Christ monté au ciel) pour l’existence présente (et passée) de l’Église : la « victoire » millénariste est-elle définie de telle sorte qu’elle ne se réalise qu’à la fin ou bien sur toute la période? Cette victoire est-elle seulement une attente future ou est-elle également une réalité présente?

La réponse donnée à cette question est décisive et, pour autant que je sache, la réponse donnée plus ou moins systématiquement par les postmils en question est la première. Leur intention ou leur instinct le plus profond se révèle dans le fait qu’ils continuent à se désigner postmils et qu’ils considèrent leur position comme une renaissance du postmillénarisme (même si leur reconnaissance de la coïncidence entre le millénium et la période entre les deux venues du Christ faisait généralement défaut aux postmils antérieurs). Les postmils « amils » ne sont pas vraiment très amils après tout; ce facteur semble représenter une concession exégétique qui n’exerce pas particulièrement d’influence sur l’ensemble de leur point de vue.

Ils sont cependant incohérents, dans certains cas peut-être même en tension fondamentale avec eux-mêmes. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut soit renoncer à l’espoir d’une « domination » future, définie par contraste avec le prétendu désarroi — la condition prétendument indécise, ambiguë, non influente, « non victorieuse » de l’Église à l’heure actuelle (et dans le passé) —, soit, comme alternative inévitable, abandonner effectivement la royauté eschatologique présente et passée du Christ qui ne serait rien d’autre qu’un potentiel (largement non réalisé).

Je dois souligner de nouveau mon souci de ne pas participer ici à une polarisation inutile ou à une exagération des différences. Si c’est le cas, j’ai besoin (et je veux) qu’on me le signale. Peut-être que, malgré tout ce qui a été dit jusqu’à présent, la ligne de démarcation entre moi et certains « postmils » s’avérera finalement assez fine. S’il s’agit simplement d’un désaccord sur des questions exégétiques spécifiques, comme celle de savoir si l’Écriture nous donne le droit d’être optimistes quant à la propagation et au progrès futurs de l’Évangile (oui, de la manière la plus catégorique, bien que mes définitions des mots « optimisme » et « succès » puissent être quelque peu différentes), ou si Romains 11 enseigne une conversion massive des Juifs à la fin des temps (très probablement pas), alors le débat peut se poursuivre sans que les différences soient substantielles sur le plan eschatologique.

Un problème se pose toutefois — et là, je deviens mal à l’aise — lorsqu’un ensemble particulier de réponses à ces questions (et à d’autres questions connexes) (une certaine notion de « victoire » millénariste future) est élevé au rang d’élément définitif de l’eschatologie et devient ainsi perçu comme une position eschatologique de base supplantant toutes les autres. Alors, avec cet ensemble de réponses (« postmils ») prenant de telles proportions principielles et constitutives, la déseschatologisation du présent de l’Église, déjà mentionnée, est virtuellement inévitable.

d. L’Église possède déjà la victoire dans le Christ exalté🔗

Enfin, c’est le lieu de préciser que ce que j’ai écrit jusqu’à présent sur le postmillénarisme ne doit pas être compris comme une défense de l’amillénarisme dans son ensemble. Sous l’angle considéré, la critique que je formule à l’égard de ce dernier est, d’une certaine manière, encore plus radicale. Si l’on doit reprocher au postmil de déseschatologiser l’existence de l’Église avant l’ère anticipée de la victoire millénaire, l’amil, trop souvent, s’est rendu coupable de déseschatologiser toute la période entre les deux venues du Christ. La compréhension exégétique correcte selon laquelle le millénium ne peut être réduit à une époque, que ce soit à l’intérieur ou à la suite de cette période, est souvent allée (et va) de pair avec une incapacité (tout comme pour les postmils et les prémils) à comprendre les véritables dimensions eschatologiques de l’ensemble de la période entre les deux venues du Christ. À la lumière du Nouveau Testament, une grande partie de l’amillénarisme n’a pas vraiment été une position eschatologique. Que le terme « défaitiste » soit ou non la meilleure description, il s’agit, disons, d’un millénarisme « complètement déseschatologisé ». (Soit dit en passant, si nous voulons lancer l’accusation de « défaitisme » : si les amils sont « défaitistes » à propos de l’ensemble du millénium [la période entre les deux venues du Christ], alors les postmils sont coupables d’être « défaitistes » à propos de ce qui s’est avéré jusqu’à présent une partie substantielle de celui-ci).

Pour moi, l’essentiel d’une grande partie de la discussion jusqu’à présent se résume ainsi : l’eschatologie biblique, en particulier l’eschatologie du Nouveau Testament, corrige de manière décisive (et relativise) nos débats eschatologiques traditionnels. Le Nouveau Testament présente une structure eschatologique qui est en fait « prémillénariste » (!), dans le sens où elle est antérieure et plus fondamentale que toutes les vues eschatologiques standard. L’Église d’aujourd’hui restera pauvre dans la compréhension de sa véritable identité et de sa tâche dans la création, jusqu’à ce qu’elle soit saisie par la signification pleinement eschatologique de la mort et de la résurrection du Christ et qu’elle embrasse l’eschatologie « réalisée » ou « inaugurée » enseignée dans le Nouveau Testament — ce que Vos, faute d’un meilleur terme, appelle la nature « semi-eschatologique » de l’existence chrétienne durant la période entre la résurrection et le retour du Christ. Ce qui interpellera, activera et soutiendra l’Église (et lui donnera de « l’optimisme ») dans sa vocation actuelle, c’est sa perception non pas d’une promesse présumée de domination future avant le retour du Christ, mais de la victoire réelle qu’elle possède déjà dans le Christ exalté.

Ce que le Nouveau Testament annonce dans la première venue du Christ, en particulier dans son exaltation, n’est rien de moins que le commencement réel de la fin — la grande œuvre tant attendue de Dieu qui met fin à l’histoire et qui inaugure l’ordre nouveau et définitif de la création (par exemple Mc 1.15; 2 Co 5.17; Ga 4.4; Ép 1.10; Hé 1.2; 9.26). Cet ordre, dès le départ, est si culminant qu’il ne peut être supprimé, si ce n’est par l’état éternel des choses qui commencera au retour du Christ. Il n’y a pas d’autre « deuxième » dans l’ordre de grandeur eschatologique que cet état — ce qu’enseigne précisément Hébreux 9.28 (« il apparaîtra une seconde fois… »; voir le verset 26). Tout ensemble de développements dans l’intervalle entre la résurrection et le retour du Christ, même s’ils sont par ailleurs significatifs, peut-être même importants, ne peuvent avoir qu’une importance subordonnée et dérivée sur le plan eschatologique. Toute « espérance » de ce qui peut encore se produire avant son retour ne peut être comparée à ce qui est déjà arrivé en Christ et qui se réalise déjà dans et par l’Église.

Ce que Vos écrit en vue principalement du prémillénarisme s’applique également aux constructions postmillénaristes :

« Paul conçoit l’état chrétien actuel sur un plan si élevé que rien de moins ni de plus bas que l’état absolu du royaume éternel consommé ne semble digne d’en être la suite. Le représenter comme étant suivi de quelque condition intermédiaire n’atteignant pas la vie céleste parfaite serait de nature très décevante. […]
Il est donc de l’essence même du salut qu’il mette en corrélation l’état du chrétien avec les grandes questions du dernier jour et du monde à venir. […]

Ce que nous voulons souligner dans tout cela, c’est que Paul représente la vie chrétienne actuelle comme conduisant si directement à la vie du monde éternel, la préfigurant si complètement, que l’hypothèse d’un tertium quid séparant l’un de l’autre doit être considérée comme destructrice de l’organisme interne de son eschatologie. Car […] ce que la vie chrétienne anticipe, c’est […] quelque chose de nature absolue, quelque chose qui appartient à l’état consommé. Quels que soient les éléments concrets ou les couleurs avec lesquels la conception d’un état chiliastique peut être remplie, pour un esprit qui se nourrit des prémices de la vie éternelle elle-même, elle ne peut, pour la raison même qu’elle n’est pas la vie éternelle, avoir que peu de signification ou d’attrait.20 »

Telle est l’eschatologie enseignée dans le Nouveau Testament, une eschatologie réalisée et donc un amillénarisme résolument optimiste, optimiste quant à la victoire — présente (et passée) tout autant que future — qui se réalise dans et par l’Église.

3. L’eschatologie et la souffrance🔗

J’en viens maintenant à ma réserve la plus importante. Elle concerne la conception de la vie chrétienne et du rôle de l’Église dans le monde, jusqu’au retour de Jésus, qui semble caractériser une grande partie du postmillénarisme contemporain, notamment au sein du reconstructionnisme. Le développement de ce point servira à clarifier et à affiner les observations formelles et structurelles, nécessairement quelque peu abstraites, qui ont déjà été faites. Je me limite ici presque entièrement à la dimension de ma préoccupation, telle que je la conçois, qui est la plus critique et la plus sensible sur le plan religieux (« pratique », si vous voulez).

L’eschatologie inaugurée du Nouveau Testament n’est surtout pas la base du triomphalisme dans l’Église, à quelque moment que ce soit avant le retour du Christ. Au cours de l’ensemble de la période entre les deux venues du Christ, du début à la fin, un aspect fondamental de l’existence de l’Église est de « souffrir avec le Christ »; selon l’enseignement du Nouveau Testament, rien n’est plus fondamental pour son identité21.

a. L’enseignement du Nouveau Testament🔗

Deux passages, tous deux de Paul, sont particulièrement instructifs concernant cette réalité. Au sens strict, ils sont autobiographiques, mais le contexte immédiat et élargi de ces deux passages montre qu’ils entendent fournir un paradigme, non seulement pour les autres apôtres ou pour sa propre génération, mais pour tous les croyants jusqu’à la venue de Jésus.

1) 2 Corinthiens 4.7🔗

« Nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu et non pas à nous. »

L’expression « ce trésor dans des vases de terre » décrit de manière très réaliste la tension au cœur de cette déclaration, et de la compréhension globale qu’a l’apôtre de la nature de la vie chrétienne entre la résurrection et le retour du Christ. « Ce trésor » est l’Évangile ou, mieux encore, le contenu de l’Évangile : la lumière de la gloire du Christ (exalté) (v. 4), la gloire de Dieu eschatologique de la nouvelle création, révélée en Christ (v. 6). Les « vases de terre », en revanche, sont les croyants, dans toute leur mortalité et leur fragilité. Nous avons « ce trésor », dit Paul, mais pour l’instant, jusqu’à ce que Jésus vienne, nous ne l’avons que dans les « vases de terre » que nous sommes. Ou, comme il le dit ailleurs (Rm 6.12-13), les croyants sont « des vivants revenus de la mort », ils sont déjà ressuscités, mais ils ne le sont que « dans un corps mortel », car ils ne sont (en ce sens) pas encore ressuscités.

Les versets 8 et 9 développent cette « dialectique » fondamentale de la vie chrétienne, ressuscité et non ressuscité, au moyen de quatre paires de contrastes formulés de façon précise : comme des « vases de terre », les croyants sont « pressés de toutes manières », « désemparés », « persécutés » et « abattus »; néanmoins (notez la quadruple répétition de « mais non ») — comme possédant « ce trésor » —, ils ne sont « pas écrasés », « pas désespérés », « pas abandonnés » et « pas perdus ».

Le verset 10 décrit encore cette réalité de façon sommaire : nous (les croyants) portons dans notre corps « la mort de Jésus » [le terme nékrosis utilisé ici réfère à la mort en tant qu’activité ou processus], afin que « la vie de Jésus » [« ce trésor »] soit manifestée « dans notre chair mortelle » [« dans des vases de terre »]. Le verset 11 est étroitement parallèle au verset 10, avec de légères variations explicatives : « … nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle ».

Même à partir de cette brève analyse du passage, il ne devrait pas être difficile de reconnaître que, dans la description sommaire des versets 10 et 11, la souffrance (caractérisée par « la mort de Jésus » et par le fait d’être « sans cesse livré à la mort à cause de Jésus ») et « la vie de Jésus » ne sont pas des secteurs distincts de l’expérience chrétienne, comme si le second terme, par addition, équilibrait et compensait en quelque sorte le premier. Paul ne dit pas non plus que la tendance de la seconde est de remplacer la première; en fait, il se distancie effectivement de la vision (postmillénariste) selon laquelle la vie (eschatologique) de Jésus (ressuscité et monté au ciel) incarne un principe de puissance et de victoire qui améliore et réduit progressivement les souffrances de l’Église.

Paul veut plutôt dire que, tant que les croyants sont dans « le corps mortel », « la vie de Jésus » se manifeste comme « la mort de Jésus »; cette dernière décrit le mode d’existence de la première. Jusqu’à la résurrection du corps à son retour, la vie de résurrection du Christ s’exprime dans les souffrances de l’Église (et nulle part ailleurs, en ce qui concerne l’existence et la vocation de l’Église, comme nous le verrons plus loin); le lieu de la puissance du Christ monté au ciel est l’Église souffrante.

Il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une réalité évangélique ou missiologique d’une importance fondamentale : « Ainsi la mort agit en nous, mais la vie en vous » (v. 12 ; voir v. 7 : « afin que cette puissance supérieure soit attribuée à Dieu et non pas à nous »).

2) Philippiens 3.10🔗

« Mon but est de le connaître [le Christ], lui, et la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en devenant conforme à lui dans sa mort. »

Cette aspiration exprime essentiellement la même idée que 2 Corinthiens 4.10-11. Dans le contexte immédiat, Paul se préoccupe de « l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur » (v. 8), connaissance qui vient du fait d’être « trouvé en lui » (v. 9), c’est-à-dire d’être uni au Christ. Le verset 10 met donc en évidence un élément fondamental de cette union riche et expérientielle : la connaissance.

Une clé pour saisir l’effet voulu par le verset 10 est de reconnaître que les deux « et » (après « Christ » et « résurrection ») ne sont pas simplement des éléments de coordination, mais des éléments explicatifs; ils ne se contentent pas de relier, ils expliquent. Paul trace progressivement, par étapes, une seule et même notion composite : la connaissance de la puissance de sa résurrection n’est pas quelque chose qui s’ajoute à la connaissance du Christ, pas plus que la connaissance de la communion de ses souffrances n’est un ajout supplémentaire aux deux. Au contraire, la considération dominante est l’union avec le Christ dans sa mort et sa résurrection, de sorte que « connaître » ou expérimenter le Christ, c’est faire l’expérience de la puissance de sa résurrection, qui est, à son tour, faire l’expérience de la communion de ses souffrances — il s’agit d’une réalité totale qui peut alors se résumer à la conformité à la mort du Christ.

En vertu de l’union avec le Christ, dit Paul, la puissance de la résurrection du Christ se réalise dans les souffrances du croyant; avoir part aux souffrances du Christ est la manière dont l’Église manifeste sa puissance de résurrection. Encore une fois, comme dans 2 Corinthiens 4.10-11, c’est dans la souffrance chrétienne que se localise la vie eschatologique; la marque ou l’impression indélébile, inaltérable, laissée sur l’existence de l’Église par la puissance formatrice de la résurrection est la croix. En outre, il ne s’agit pas d’un état de choses purement temporaire, lié aux circonstances de l’Église à l’époque de l’apôtre, mais d’un état de choses pour tous ceux qui aspirent à la résurrection d’entre les morts — et ceci pour toute l’Église, quels que soient le temps et le lieu (v. 11).

3) D’autres textes de Paul🔗

C’est également ce que vise Romains 8.17b, lorsque Paul conclut par une condition générale son enseignement qui précède immédiatement. Il ne s’agit pas d’une condition de l’adoption dont il vient d’être question (v. 14b-17a), mais d’un élément conditionnel néanmoins, donné avec cette adoption : « si toutefois nous souffrons avec lui [avec le Christ], afin d’être aussi glorifiés avec lui ».

Cette corrélation entre la gloire future et la souffrance présente est une préoccupation majeure dans la section qui suit dans Romains 8. Au moins deux points méritent d’être notés à propos des « souffrances du temps présent » (v. 18) : (a) leur nature et leur étendue et (b) leur fin.

a. La souffrance chrétienne ne doit pas être conçue de manière trop étroite. Dans les passages examinés jusqu’ici, et ailleurs dans le Nouveau Testament (par exemple 2 Co 1.5-10; 1 Pi 4.12-19), la souffrance comprend certainement, mais pas seulement, la persécution et le martyre (réservés principalement, disons, aux apôtres et aux missionnaires étrangers).

Romains 8.18-27 révèle en particulier l’ampleur de ce que doit être notre conception de la souffrance chrétienne. La souffrance doit être considérée dans le contexte de la « vanité » ou « futilité » (mataiotes), de « la servitude de la corruption » à laquelle la création entière a été soumise, non par la nature inhérente des choses, mais à cause de la malédiction de Dieu sur le péché d’Adam (les v. 20-21 sont, en fait, un commentaire paulinien de Genèse 3). La souffrance est une fonction du principe de la vanité et de la corruption à l’œuvre dans la création depuis la chute; la souffrance est tout ce qui se rapporte à l’expérience en tant que créature de ce principe de mort.

Dans cette perspective, la souffrance chrétienne comprend donc littéralement toutes les manières dont cette existence de « faiblesse » (v. 26) est supportée, par la foi, au service du Christ : les frustrations banales, « triviales », mais souvent si facilement exaspérantes et troublantes de la vie quotidienne, tout comme les épreuves monumentales et les persécutions flagrantes. La souffrance avec le Christ est la totalité de l’existence « dans le corps mortel » et dans « la figure de ce monde qui passe » (1 Co 7.31) endurée pour lui. Ce qu’il faut prendre en compte ici, c’est l’omniprésence du « don » de la souffrance chrétienne, sa nature constitutive pour l’existence de l’Église dans son ensemble; la souffrance pour le Christ est le correspondant inséparable de la foi en lui, ce qui est précisément le point de Philippiens 1.29 : « Car il vous a été fait la grâce non seulement de croire en Christ, mais encore de souffrir pour lui… » (voir 2 Tm 3.12 : « Tous ceux d’ailleurs qui veulent vivre pieusement en Christ-Jésus seront persécutés », une réalité vécue « dans les derniers jours », v. 1, c’est-à-dire jusqu’à son retour).

b. Romains 8.18-27 n’est pas moins clair quant à la fin de cette souffrance globale. Les croyants, avec le reste de la création, à l’exception de Satan et de ses serviteurs, vivent dans l’espérance (v. 20), dans les « gémissements » (v. 22-23, voir v. 26), dans l’attente (v. 19, 23) de « la révélation des fils de Dieu » (v. 19), de « la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (v. 21). Cette révélation et cette libération des croyants (note : en même temps que la libération de la création dans son ensemble et inséparable de celle-ci) est la dimension future de leur adoption et elle aura lieu au moment de la rédemption (c’est-à-dire de la résurrection) du corps (v. 23), pas avant. En attendant le retour du Christ, le principe de la souffrance, de la vanité et de la corruption dans la création reste en vigueur, non atténué (mais sûr d’être vaincu); c’est un facteur débilitant qui traverse l’existence de l’Église dans sa totalité, y compris sa mission. L’idée que ce facteur de frustration sera manifestement réduit et que le service de la souffrance de l’Église sera sensiblement atténué, voire compensé, dans une ère future, avant le retour du Christ, n’est pas seulement étrangère à ce passage; elle banalise et brouille à la fois la souffrance actuelle et l’espérance de la gloire future. Jusqu’à son retour, l’Église reste un pas derrière son Seigneur exalté; l’exaltation du Seigneur signifie l’humiliation (privilégiée) de son Église. Le retour du Seigneur (et pas avant) signifie l’exaltation de son Église.

4) L’enseignement de Jésus🔗

Il convient de souligner que ce que nous examinons en ce moment n’est pas un élément subordonné ou périphérique de l’enseignement du Nouveau Testament. Nous pouvons l’apprécier davantage à partir de l’observation structurelle fondamentale selon laquelle Paul et les autres écrivains exposent l’enseignement de Jésus et la réalité eschatologique qu’il contient. Cette réalité eschatologique est au cœur de cet enseignement selon les Évangiles synoptiques et s’appelle le royaume de Dieu ou le royaume des cieux. Les écrivains du Nouveau Testament sont fondamentalement des interprètes de la proclamation du royaume par Jésus (et donc, à leur tour, de l’Ancien Testament qui est à la racine de cette proclamation).

Les passages sur la souffrance que nous venons d’examiner, entre autres, développent une dimension fondamentale de l’enseignement de Jésus sur la vie de disciple : l’arrivée effective du royaume eschatologique dans la venue de Jésus signifie, jusqu’à son retour, un service dans la souffrance. Dans le royaume, la mesure de la grandeur est d’être un serviteur (Mt 20.26; Mc 10.43); chercher à être « le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9.35) est un mot d’ordre clé du royaume. Plus précisément, Jésus annonce ceci comme condition absolument nécessaire et « salvatrice » de la vie de disciple : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive » (Lc 9.23; voir Mt 10.38; 16.24; Mc 8.34; Lc 14.27). Porter sa croix est une description complète de la vie d’un disciple dans le royaume, comme l’indique explicitement l’expression « chaque jour ». En réponse à la demande des disciples d’obtenir un statut important dans le royaume — un poste de « domination » dans le royaume, si vous voulez (Mc 10.37) —, la seule promesse que Jésus leur fait (et nous fait), avant son retour, est la « communion de ses souffrances » (Ph 3.10) : « Il est vrai que vous boirez la coupe que je vais boire et que vous serez baptisés du baptême dont je vais être baptisé » (Mc 10.39). Jean a bien compris : jusqu’à ce que Jésus revienne, la présence du royaume est encadrée par les réalités de la « souffrance » et de la « persévérance » (Ap 1.9; voir Ap 3.11; 22.7, 12, 20).

b. Qu’est-il advenu de la théologie de la croix?🔗

D’après mes lectures et d’autres contacts que je considère comme assez représentatifs, ette marque — cette marque essentielle — de l’identité de l’Église semble atténuée ou très peu prise en compte par une grande partie du postmillénarisme actuel. Ses rêves d’un « âge d’or » semblent laisser peu de place à la souffrance chrétienne — si ce n’est comme un moyen peut-être nécessaire, mais temporaire, de réaliser ces rêves, dont la réalisation, à leur tour, signifiera la disparition virtuelle de la souffrance pour l’Église.

Il est certain que l’eschatologie du Nouveau Testament est une « eschatologie victorieuse » — elle annonce une victoire qui se réalise actuellement par et pour l’Église, par la royauté eschatologique du Christ exalté (Ép 1.22). Cependant, toute perspective qui ne saisit pas que, avant le retour du Christ, cette eschatologie de la victoire est une eschatologie de la souffrance — une eschatologie de la « puissance du Christ qui s’accomplit dans la faiblesse » (2 Co 12.9) — rend confuse l’identité de l’Église. Comme Paul le rappelle à l’Église quelques versets seulement après le passage de Romains 8 examiné ci-dessus (v. 37), « nous sommes plus que vainqueurs » non pas « au-delà » ou « (seulement) après », mais « dans toutes ces choses » [« la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou le dénuement, ou le péril, ou l’épée », v. 35]. Jusqu’à ce que Jésus revienne, l’Église « gagne » en « perdant ».

Qu’est-il advenu de cette théologie de la croix dans une grande partie du postmillénarisme contemporain? L’image de l’espérance et du progrès que je retiens de la lecture du Nouveau Testament n’inclut pas, par exemple, la figure d’un incroyant qui serait comme un enfant nu se battant pour obtenir les miettes qui tombent de la table généreuse et surchargée du croyant22. Est-ce vraiment exagéré de dire qu’un tel triomphalisme est répugnant pour les sensibilités bibliques? Certains postmillénaristes, en tout cas, surtout au sein du reconstructionnisme, semblent épeler « succès » et « progrès » avec un alphabet qui ne se trouve pas dans le Nouveau Testament.

(Des orientations herméneutiques d’une grande importance sont en jeu à ce stade, bien que je ne puisse pas les discuter ici en détail. En bref, la question fondamentale est la suivante : doit-on permettre au Nouveau Testament d’interpréter l’Ancien — comme a toujours préconisé la tradition interprétative la meilleure et la plus fiable de l’histoire de l’Église [et certainement la tradition réformée]? Est-ce que le Nouveau Testament dans son ensemble — en tant que document inspiré par Dieu révélant l’aboutissement eschatologique de l’histoire de la révélation spéciale — fournit le point d’observation déterminant pour comprendre correctement tout l’Ancien Testament, y compris ses prophéties? Ou, au contraire, est-ce l’Ancien Testament, en particulier des prophéties telles qu’Ésaïe 32.1-8 et 65.17-25, qui doit servir de clé d’interprétation herméneutique? Est-ce que des pans entiers de la perspective eschatologique encore future que l’on trouve dans le Nouveau Testament, comme les discours de Jésus en Matthieu 24 avec ses parallèles et la majeure partie de l’Apocalypse, seront effectivement privés de leur pertinence pour la perspective eschatologique de l’Église d’aujourd’hui, en reléguant leur accomplissement aux événements passés de l’an 70 apr. J.-C.23? Les vastes étendues de la prophétie de l’Ancien Testament, y compris son imagerie apocalyptique récurrente et fréquemment polyvalente, seront-elles ainsi librement interprétées sans que Nouveau Testament nous éclaire sur leur signification? Deviendront-elles virtuellement un chèque en blanc que l’on pourrait remplir avec tout ce qui pourrait être autre chose que le résultat d’une saine exégèse? Adopter cette alternative, c’est conduire l’Église dans un marasme herméneutique dont elle devra finalement s’extirper, non sans mal. Nous devrions nous épargner cela).

Toute perspective qui tend à supprimer ou à obscurcir du triomphe actuel de l’Église la dimension (constitutive) de la souffrance pour l’Évangile est une illusion. L’attente malencontreuse, avant le retour du Christ, d’un « âge d’or » dans lequel, contrairement au présent, l’opposition à l’Église aura été réduite au minimum et la souffrance aura reculé à la périphérie pour laisser place à une chrétienté (enfin) « victorieuse » est une conception erronée qui ne peut que fausser la compréhension que l’Église a de sa mission dans le monde. Selon Jésus, l’Église n’aura pas vidé la coupe de sa souffrance qu’elle partage avec son Maître avant son retour. L’Église ne peut pas se permettre d’éluder ce point. Elle le fait au risque de mettre en péril sa propre identité.

4. La vigilance dans l’attente du retour du Christ🔗

Ma dernière réserve est que le postmillénarisme prive l’Église de l’attente imminente du retour du Christ et sape ainsi la qualité de la vigilance dont l’Église doit faire preuve. La question n’est pas de savoir, par exemple, s’il y a des déclarations d’imminence dans Matthieu 24 et ses parallèles synoptiques qui font référence à la chute de Jérusalem; certaines le font sans aucun doute. Il s’agit plutôt de savoir que toutes ces déclarations ne se sont pas accomplies lors de ce cataclysme et que celles qui se sont accomplies renvoient en fin de compte, dans leur contexte immédiat, à la seconde venue du Christ. Le marana tha du Nouveau Testament est loin d’être satisfait par les événements de l’an 70 (1 Co 16.22; voir par exemple Rm 13.11-12; Ph 4.5; Jc 5.8; 1 Pi 4.7; 1 Jn 2.18; Ap 1.3; 22.20).

Le message général du Nouveau Testament est le suivant : étant donné la mort et la résurrection du Christ, la venue de l’Esprit à la Pentecôte et la fin de l’ère apostolique (y compris la destruction de Jérusalem), avec leur signification eschatologique, tout est prêt pour le retour du Christ; le seul événement encore en suspens dans l’histoire de la rédemption, pour autant que la prophétie biblique le révèle, est ce retour avec ses concomitants (voir, par exemple, 2 Th 2.1-12). Par exemple, Paul considère que la propagation et le triomphe mondial de l’Évangile se sont déjà accomplis à son époque; grâce à son propre ministère (apostolique), en partie, « cet Évangile […] porte des fruits et fait des progrès dans le monde entier », et « l’Évangile […] a été prêché à toute créature sous le ciel » (Col 1.6, 23)24. De même, le livre des Actes ne laisse pas le lecteur en suspens, attendant peut-être la « troisième partie » adressée à Théophile ou une quelconque autre suite pour connaître le dénouement final. Il raconte une histoire complète; il documente la réalisation effective de la vaste promesse d’Actes 1.8 : la diffusion universelle de l’Évangile par l’intermédiaire des apôtres (voir v. 2-3 pour l’antécédent apostolique de « vous » au v. 8), s’étendant de Jérusalem (les Juifs) aux « extrémités de la terre » (Rome représentant le centre mondial des Gentils). En bref, la première partie de la déclaration de Jésus en Matthieu 24.14 (« Cette bonne nouvelle du royaume sera prêchée dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations »; voir Mc 13.10) trouve un accomplissement adéquat dans le ministère des apôtres.

Le Nouveau Testament anticipe et prévoit certainement l’avenir postapostolique de l’Église, de manière tout à fait explicite, notamment dans les épîtres pastorales; il reconnaît qu’une superstructure permanente sera érigée sur le fondement apostolique posé une fois pour toutes (Ép 2.20). Toutefois, il ne donne aucune indication quant à la durée de cet avenir, du moins aucune indication calculable. Il semble crucial de considérer que, selon le Nouveau Testament, le Christ aurait pu revenir pratiquement à n’importe quel moment depuis le ministère des apôtres; toutes les exigences des prophéties, à l’exception du retour du Christ et de ce qui s’en suivra, ont été satisfaites par le déroulement de l’histoire rédemptrice qui s’est achevée avec leur ministère.

En d’autres termes, le cercle de la portée universelle du triomphe de l’Évangile a été tracé par le ministère des apôtres. Dans la mesure où Dieu a révélé ses desseins, le processus ultérieur permettant de remplir ce cercle aurait pu être et peut être interrompu à tout moment. Le processus consistant à « remplir » ce cercle est celui de l’Église qui « supplée à ce qui manque aux afflictions du Christ », pour reprendre le langage de Paul décrivant son propre ministère (Col 1.24; voir Rm 8.17b). Cependant, la durée de cette réalité essentiellement missiologique, le temps qu’il faudra pour constituer la somme totale de cette souffrance, est cachée en Dieu. Selon le Nouveau Testament, « le jour du salut » (2 Co 6.2) n’est pas seulement arrivé, mais il est aussi à son terme; la durée de sa gracieuse extension n’est connue que de Dieu, enracinée dans les profondeurs insondables de sa miséricorde salvatrice.

Il semblerait donc que le Nouveau Testament ne justifie pas le genre de confiance prête à affirmer : « Ce monde a devant lui des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers d’années de piété croissante, avant la seconde venue du Christ.25 » Peut-être faudra-t-il autant de temps, peut-être davantage, mais peut-être pas. Peut-être que ce sera à notre époque, mais peut-être pas. Le Nouveau Testament nous appelle à nous tenir prêts, avec un désir ardent (Rm 8.23, 25) qui n’est pas pris au piège par l’un ou l’autre des extrêmes de calculs.

L’équilibre que nous devrions avoir est exprimé avec justesse par les auteurs des textes de Westminster dans les mots avec lesquels, notez-le bien, ils ont choisi de conclure leur Confession de foi :

« Il veut donc que ce jour soit inconnu des hommes, afin qu’ils se débarrassent de toute sécurité charnelle et qu’ils soient toujours vigilants, car ils ne savent pas à quelle heure le Seigneur viendra, et qu’ils soient toujours prêts à dire : Viens Seigneur Jésus, viens vite. Amen. »

5. L’Église dans le désert🔗

Il ne suffit pas de rejeter cette étude comme étant les divagations de quelqu’un ayant trahi son héritage réformé — avec sa vision ennoblissante de la vie elle-même comme religion et de la vie tout entière à la gloire de Dieu — pour un christianisme anémique qui fuit la réalité en signant la capitulation culturelle. Il ne fait aucun doute que le grand ordre missionnaire reste pleinement en vigueur, avec toute son ampleur culturelle, jusqu’au retour de Jésus. « Enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit » demeure le mandat du dernier Adam exalté qu’il a confié au peuple de sa nouvelle création. Nous ne pouvons pas mesurer la limite de ce « tout » et de ses implications; nous ne pouvons que confesser avec le psalmiste : « Je vois une fin à tout ce qui est parfait : Ton commandement est d’une ampleur sans limites » (Ps 119.96). Ce mandat ne peut donc qu’avoir un impact robuste, un effet de levain — qui réorientera tous les domaines de la vie et transformera non seulement les individus, mais, à travers eux, collectivement (en tant qu’Église), leurs cultures; il l’a déjà fait et continuera à le faire jusqu’à ce que Jésus vienne26.

Cependant, l’impact escompté ne se réalisera que si l’Église vit selon l’état d’esprit exprimé par Paul dans 1 Corinthiens 7.29-31 : « Le temps est court », non pas temporellement (ou temporairement), disons jusqu’aux événements de l’an 70 (un malentendu postmillénariste assez typique apparemment, qui banalise ce passage et frappe au cœur de la théologie de Paul sur l’existence chrétienne dans son ensemble), mais jusqu’à la venue de Jésus, quelle que soit la durée de ce temps. Pendant ce temps raccourci, comprimé, poursuit-il,

« désormais que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, et ceux qui usent du monde comme s’ils n’en usaient réellement pas. »

« Car », raisonne-t-il, en introduisant une considération d’une ampleur bien plus fondamentale et d’une portée bien plus grande que celle que la chute de Jérusalem ait jamais eue : « la figure de ce monde passe ».

Le postmillénarisme reconstructionniste, semble-t-il, n’a pas ce « comme si » (hos me) paulinien, cette tension paradoxale du « détachement pleinement impliqué » ou, si vous voulez, de « l’implication détachée » dans les affaires de ce monde. En fait, sa vision de « l’âge d’or » millénaire laisse peu de place, voire aucune, à cette tension.

Cette tension, il ne faut pas l’oublier, reflète une qualité essentielle de l’Évangile lui-même; elle présente une dimension de cette « offense » et de cette « folie » que l’incrédulité perçoit inévitablement dans l’Évangile, comme Paul nous le dit plus tôt dans cette même lettre (1 Co 1.23). Il est vrai que l’équilibre demandé ici est insaisissable et difficile à maintenir; il n’y a pas de formules faciles ou de plans qui vont de soi. Le chemin que l’Église est appelée à suivre jusqu’à la venue de Jésus, qui est toujours exigeant et qui laisse souvent perplexe, ne peut être franchi que si « nous marchons par la foi et non par la vue » (2 Co 5.7).

Cette foi, dans son mode d’espérance et d’optimisme eschatologique, persévère — comme le contexte immédiat l’indique à la lumière de Romains 8.18-25 — dans l’attende de l’ordre permanent et parfait de cette création (et non pas d’autres cieux et d’une autre terre), dans tout son caractère concret et sa pleine dimension physique, pour être établie, sans autre délai, en même temps que la résurrection corporelle des croyants au retour du Christ27. Entre-temps, cette foi restera sur ses gardes pour ne pas être déséquilibrée, que ce soit par les tendances prémillénaristes (ou amillénaristes déseschatologisées) à renoncer au monde et à le négliger, ou par la disposition, plus prononcée chez certains postmils que chez d’autres, à être absorbé et séduit par le monde.

6. Conclusion🔗

La vision d’ensemble que l’on trouve dans la lettre aux Hébreux permet de conclure ces remarques de manière à propos. Deux réalités dominent le merveilleux exposé de l’auteur sur le discours eschatologique de Dieu, « en ces jours qui sont les derniers », par son Fils (Hé 1.2). La première réalité est Jésus, le souverain Sacrificateur dans les cieux (par exemple Hé 4.14; 8.1). Accomplissant le Psaume 110, le Christ exalté est « Sacrificateur pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédek » (par exemple Hé 5.6; 6.10; 7.17); le Nouveau Testament ne contient pas de présentation plus impressionnante de la dimension eschatologique réalisée en sa personne et son œuvre.

Mais pour qui le Christ exalté est-il souverain Sacrificateur? Qui est servi par son service du sanctuaire (Hé 8.2) d’intercession eschatologique (Hé 7.25)? La réponse à cette question, c’est l’autre réalité : l’Église en tant qu’assemblée de pèlerins, en tant que peuple dans le désert. Utilisant une grande analogie tirée de l’histoire de l’alliance, l’auteur compare l’Église vivant entre l’exaltation et le retour du Christ au peuple d’Israël dans le désert (voir en particulier Hé 3,7 à 4,11) : de même que la génération du désert délivrée de l’esclavage égyptien (image de l’eschatologie réalisée) n’était pas encore entrée en Canaan (image de l’eschatologie encore future), de même l’Église du Nouveau Testament, qui fait actuellement une expérience réelle du salut promis dans l’Évangile, n’est pas encore entrée en possession de ce salut dans sa forme finale où tout danger sera écarté (« le repos de Dieu »).

Deux perspectives fondamentales se dégagent de ces deux réalités. D’une part, l’eschatologie réalisée de l’auteur ne laisse aucune place à une position prémil : une fois que Jésus « a traversé les cieux » (Hé 4.14) et « s’est assis à la droite du trône de la majesté divine dans les cieux » (Hé 8.1), son retour pour établir un règne terrestre provisoire, avant l’ordre céleste éternel, serait pour l’auteur un retour en arrière, un recul eschatologique. Le retour du Christ sera le retour du souverain Sacrificateur céleste, et non l’apparition du Christ échangeant temporairement son ministère céleste contre des fonctions terrestres. Ce retour signifiera l’apparition sur la terre de l’ordre céleste et du sanctuaire céleste où le Christ est « un souverain Sacrificateur pour l’éternité » (Hé 6.20). Ce sera la manifestation sur la terre, sans délai à son retour, de la « Jérusalem céleste » (Hé 12.22), de la « cité permanente » (Hé 13.14), de l’ordre éternel du « repos » (Hé 4.11).

Cependant, l’auteur n’est pas moins indisposé par une perspective postmillénariste : jusqu’au retour du Christ, l’Église reste une assemblée dans le désert; tout comme les patriarches dans la terre promise, les croyants sont des « étrangers et résidents temporaires sur la terre » (Hé 11.13). Cette tension est une dimension essentielle de leur identité — étrangers dans la création qui leur appartient de droit et dont la restauration eschatologique leur a déjà été assurée par leur souverain Sacrificateur et Roi.

Il n’y a pas d’âge d’or à venir qui remplacera ou même améliorera ces conditions désertiques de mise à l’épreuve et de souffrance. Aucun succès de l’Évangile, aussi grand soit-il, n’amènera l’Église dans une position de prospérité et de domination terrestres qui éliminerait ou même marginaliserait le désert avec ses persécutions et ses tentations. Tel devrait pourtant être le résultat si l’on veut que la prospérité — comprise, par exemple, dans les termes d’Ésaïe 65.17-25 — ait une quelconque signification. Une telle prospérité et une telle bénédiction pour l’Église sont réservées pour le retour du Christ.

L’auteur de la lettre aux Hébreux présente un profil eschatologique assez simple : l’absence corporelle du Christ signifie l’existence de l’Église dans le désert; la présence corporelle du Christ signifiera son entrée dans le repos final de Dieu. Ce que l’auteur doit affronter chez ses lecteurs est un problème permanent pour l’Église, une tentation de premier plan, liée à son existence dans le désert : pour le moment, la gloire messianique et le triomphe eschatologique du croyant sont voilés; « nous ne voyons pas encore maintenant que toutes choses lui soient soumises » (He 2.8), avec le désir et la promesse que représente le « maintenant » pour l’Église. Nous sommes donc tous engagés dans une lutte permanente, contre notre impatience eschatologique profondément enracinée qui veut déchirer ce voile et notre hâte excessive de sortir du désert et de voir se réaliser ce qui, à cause de cette hâte et de cette impatience, se révélera inévitablement être des rêves et des aspirations irréfléchis et trop « charnels ».

« Car nous n’avons pas ici de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir » (Hé 13.14).

Notes

1. Cette renaissance, à moins que je n’aie oublié quelque chose, a eu lieu presque entièrement au sein de la communauté réformée anglophone, en particulier américaine; on n’en trouve que des traces éparses dans des contextes non réformés ou encore dans le reste du monde réformé — Pays-Bas, Afrique du Sud et ailleurs.

2. NDT : C’est-à-dire depuis 1965-1970, puisque cet article a été écrit en 1990.

4. NDT : Ces préfixes désignent respectivement ce qu’on appelle le prémillénarisme, le postmillénarisme et l’amillénarisme, que l’on désigne aussi, par souci de brièveté, par prémil, postmil et amil.

5The Pauline Eschatology [L’eschatologie paulinienne] (Grand Rapids, MI : Baker, 1979 [1930]), p. 226. Ce passage est tiré d’un chapitre pratiquement identique à un article (« The Pauline Eschatology and Chiliasm » [L’eschatologie paulinienne et le chiliasme]) paru initialement dans The Princeton Theological Review, 9 (1911) : 26-60 (voir p. 26).

6. Geerhardus Vos, Biblical Theology [Théologie biblique] (Grand Rapids, MI : Eerdmans, 1948), p. 406, voir p. 405. Cette évaluation de ce que Vos dit semble plus précise que celle de Greg Bahnsen, « The Prima Facie Acceptability of Postmillennialism » [L’acceptabilité de prime abord du postmillénarisme], The Journal of Christian Reconstruction, 3,2 (Winter, 1976-77) : 55-56 (Bahnsen cite des notes de cours non publiées identiques au passage tiré de Biblical Theology cité ci-dessus). Dans « The Second Coming of Our Lord and the Millennium » [Le retour de notre Seigneur et le millénium], Redemptive History and Biblical Interpretation. The Shorter Writings of Geerhardus Vos [Histoire de la rédemption et interprétation biblique. Les écrits courts de Geerhardus Vos] (Phillipsburg, NJ : Presbyterian and Reformed, 1980), p. 419, Vos semble se distancer de « l’esprit des pré ou postmillénaristes les plus prononcés » (cet article a été publié pour la première fois en 1916). Pour autant que j’aie pu le découvrir, Vos ne se qualifie jamais lui-même d’« amillénariste » et ne qualifie pas ses positions de cette façon.

7Selected Shorter Writings [Sélection de textes courts] (Nutley, NJ : Presbyterian and Reformed, 1970), 1:349.

8. La récente révision (1986) de l’ISBE traite de ces trois positions dans un seul article, « Millennium », par J. W. Montgomery (vol. 3 : 360-61), qui cite Vos comme un représentant amil.

9. « The Millennium and the Apocalypse » [Le millénium et l’Apocalypse], Biblical Doctrines (New York, NY : Oxford University Press, 1929), p. 643-664 (publié à l’origine dans The Princeton Theological Review, 2 [1904] : 599-617). Vos cite cet article en l’approuvant (tacitement) dans son article ISBE, « Eschatology of the New Testament » [L’eschatologie du Nouveau Testament], réimprimé dans Redemptive History and Biblical Interpretation [Histoire de la rédemption et interprétation biblique], p. 45.

10. « Structural Strands in New Testament Eschatology » [Les éléments structurels de l’eschatologie du Nouveau Testament], un article lu à la 7réunion annuelle de la Société théologique évangélique en décembre 1954 et influencé de façon décisive, à mon avis, par Vos, en particulier p. 36-41 de The Pauline Eschatology [L’eschatologie paulinienne]. Malheureusement, pour des raisons quelconques, cet article n’a pas été réimprimé dans les Collected Writings de Murray. Il peut être trouvé dans la bibliothèque du Westminster Seminary, Philadelphie.

11. « The Interadventual Period and the Advent : Matthew 24 and 25 » [La période entre les deux venues du Christ et la venue du Christ : Matthieu 24 et 25], Collected Writings of John Murray [Recueil des écrits de John Murray] (Edinburgh : Banner of Truth Trust, 1977), 2:387-400.

12The Eschatology of Victory [L’eschatologie victorieuse] (1948); réimpression (Nutley, NJ : Presbyterian and Reformed, 1971), p. 30-40, 59-173, en particulier p. 158. Ce volume est une réimpression d’un ouvrage publié pour la première fois en 1948 (p. 53), avec l’inclusion d’une série de conférences données au Westminster Seminary en 1961.

13. Dans l’introduction de l’éditeur au livre de B.B. Warfield, Biblical and Theological Studies [Études bibliques et théologiques] (Philadelphie, PA : Presbyterian and Reformed, 1952), p. xxxix (c’est nous qui soulignons). La clause soulignée fournit une confirmation éclairée de l’origine relativement récente du terme amillénariste. Notez également l’évaluation de L. Berkhof, Systematic Theology [Théologie systématique], 4édition (Grand Rapids, MI : Eerdmans, 1962), p. 708 : « Le nom [amillénarisme] est nouveau en effet, mais le point vue qu’il désigne est aussi vieux que le christianisme. […] Depuis [les anciens Pères de l’Église], c’est le point de vue le plus largement accepté, c’est le seul point de vue qui est exprimé ou implicite dans les grandes Confessions historiques de l’Église, et qui a toujours été l’opinion dominante dans les cercles réformés. »

14. NDT : Pour approfondir le sujet, on consultera avec profit les articles suivants :

15. NDT : Nous avons ajouté les titres des sections pour faciliter la lecture, tout en conservant les divisions originales.

16. NDT : Le mot chiliasme vient du grec ancien « chiliasmos » qui signifie mille. Doctrine de ceux qui croient en un règne messianique terrestre du Christ pendant mille ans.

17. Les commentaires de W. Rordorf concernant le rejet historique chrétien et augustinien du chiliasme sont indéniablement pertinents ici : « Si le royaume de mille ans est déjà présent, il ne viendra pas une seconde fois. Un temps de salut qui n’est que provisoire [“provisional”, “eine zweifache nur vorläufige Heilszeit”] ne peut se produire deux fois. Inversement, si, à l’encontre d’Augustin, nous devions maintenir la croyance en un millénium futur, nous ne devrions pas soutenir que le royaume de mille ans est déjà réalisé de manière proleptique : la même raison nous conduirait à cette conclusion. » Sunday, ET (Philadelphie, PA : Westminster, 1968), p. 117.

18The Time Is At Hand [L’heure est venue] (Nutley, NJ : Presbyterian and Reformed, 1970), p. 9-11, bien que l’on puisse se demander si Adams, lui aussi, apprécie suffisamment la nature eschatologique du millénium et de la période entre les deux venues du Christ.

19. Je suis en grande partie d’accord avec les commentaires de David Chilton dans « Orthodox Christianity and the Millenarian Heresy » [Le christianisme orthodoxe et l’hérésie millénariste] et « Optimistic Amillennialism » [L’amillénarisme optimiste], The Geneva Review, 19 (juin 1985) : 3 et 20 (juillet 1985) : 5-6. L’intégralité de la déclaration, extraite ci-dessus, se lit comme suit : « Le cataclysme définitif a déjà eu lieu dans l’œuvre achevée du Christ » (p. 3, c’est lui qui souligne). Il me semble, cependant, que sa vision du Paradise Restored [Le paradis restauré] (Tyler, TX : Reconstruction Press, 1985) est contrôlée par une structure eschatologique substantiellement en tension, voire étrangère à celle indiquée dans ses articles utiles et souvent incisifs.

20. « Eschatology and Chiliasm » [L’eschatologie et le chiliasme], p. 34-35; voir Pauline Eschatology [L’eschatologie paulinienne], p. 235-236. Voir « Second Coming » [Le retour du Christ], p. 422 : « On peut dire que […] le présent conduit si directement à l’avenir éternel, il le préfigure si complètement qu’il ne laisse aucune place à un troisième élément qui séparerait l’un de l’autre. »

21. Pour un traitement plus développé de la discussion dans cette section, voir mon article « The Usefulness of the Cross » [L’utilité de la croix – L’eschatologie et la souffrance chrétienne], Westminster Theological Journal, 41 (1978-79) : 228-246, et la documentation qui y est citée. NDT : Voir également Bill Green, La souffrance et l’eschatologie.

22. Voir la photo de la couverture de l’ouvrage de Gary North, Dominion and Common Grace. The Biblical Basis of Progress [Domination et grâce commune. Le fondement biblique du progrès] (Tyler, TX : Institute for Christian Economics, 1987). L’impression laissée par le contenu du livre lui-même est certainement celle que la couverture veut transmettre, en particulier lorsque l’auteur développe ses vues sur le progrès historique et les réalisations millénaristes de la grâce commune.

23. Voulons-nous vraiment risquer de mettre en jeu la viabilité de notre position eschatologique à partir de réponses douteuses à des questions d’introduction spéciale — des questions qui elles-mêmes, par la nature du cas (le manque de données canoniques adéquates dans de nombreux cas), admettent des réponses qui sont au mieux hautement probables et sont toujours, comme tous les résultats de l’érudition historique, sujettes en principe à examen et révision? Si je comprends bien, il semble que ce soit de plus en plus la ligne suivie par certains postmillénaristes qui essaient de défendre un « prétérisme » rigoureusement cohérent, fondé sur la conclusion que tous les documents du Nouveau Testament, en particulier l’Apocalypse, ont vraisemblablement été écrits avant la chute de Jérusalem et ont une perspective future largement préoccupée par cette chute comme événement eschatologique clé.

24. L’une des raisons pour lesquelles je suis opposé à l’idée que Romains 11.11-35 enseigne une future conversion massive des Juifs est que Paul semble considérer que son propre ministère auprès des Gentils (avec son effet d’incitation à la jalousie et à la repentance) sert, dès cette époque, à réaliser la « plénitude » des Juifs (v. 11-15; comparer « tout Israël », v. 26). Tout au long du passage, cette plénitude s’oppose au « reste » élu (v. 5), qui n’a pas été « endurci » (v. 7) et qui n’a pas « trébuché » (v. 11); les Juifs qui se repentent grâce à l’action de l’apôtre ne s’ajoutent pas au reste, mais inaugurent la plénitude, dont la somme totale sera ensuite réalisée pendant toute la période entre les deux venues du Christ.

25. Chilton, Paradise Restored [Le paradis restauré], 221-222. Cette prédiction, à la différence des prophéties de Hal Lindsey et al, est peut-être à l’abri d’un démenti embarrassant dans un avenir immédiat, mais elle se situe sur le même continuum de calcul chiliastique.

26. C’est le bon endroit pour faire part de ma réaction à la rhétorique reconstructionniste typique (qui ne semble pas être une description injuste) selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que les gens travaillent efficacement pour le succès de l’Évangile aujourd’hui à moins qu’ils ne soient convaincus de la vision reconstructionniste d’une victoire millénariste finale; selon l’argument, on ne peut pas ou on ne veut pas travailler pour un objectif dont on ne croit pas qu’il sera réalisé. En supposant pour un moment la légitimité de toute vision reconstructionniste théonomiste particulière et indépendamment d’autres considérations, ce raisonnement semble suspicieusement similaire, à l’échelle plus large de la communauté, à l’argument selon lequel on ne peut pas s’attendre à ce que le croyant individuel se préoccupe personnellement de la sainteté parfaite à moins que cette perfection personnelle ne soit atteignable dans cette vie. On peut supposer que les reconstructionnistes ne voudront pas soutenir cela, à la lumière de Romains 6.1-23, de 1 Pierre 1.15-16, etc.

27. Mon hypothèse est que, pour beaucoup, un facteur important qui les dispose à adopter une position prémil ou postmil provient d’une compréhension éthérée, voire insipide, moins que biblique de l’état éternel. De telles conceptions raréfiées et incolores donnent lieu à la conviction — aggravée par une conscience absente ou inadéquate de l’eschatologie réalisée enseignée dans l’Écriture — selon laquelle Dieu doit finalement, d’une manière ou d’une autre, « mettre la main à la pâte » et « régler les choses » dans l’histoire, par opposition à l’éternité. Mais qu’est-ce que l’ordre éternel, sinon la consommation de l’histoire, le processus historique parvenu à son aboutissement final? Les nouveaux cieux et la nouvelle terre, inaugurés au retour du Christ, seront l’apogée de la justification de l’alliance de Dieu et, par conséquent, son triomphe historique final, la réalisation ultime de ses desseins pour la création originelle, perdus par le premier Adam et garantis par le dernier. Il semble que la tendance à une séparation ou même à une polarisation non biblique, et certainement non réformée, de la création et de la rédemption avec son eschatologie soit inhérente aux perspectives postmil et prémil. (Alors que cet article est envoyé aux éditeurs, il me semble que l’ensemble aurait très bien pu être développé sous l’angle de cette note de bas de page).