Cet article a pour sujet le sens du mot eschatologie qui ne concerne pas seulement l'avenir et le retour du Christ, mais aussi l'ordre nouveau qu'il a déjà établi à sa première venue avec ses implications pour la vie chrétienne.

5 pages. Traduit par Paulin Bédard

Que contient le mot eschatologie?

  1. Le mot eschatologie
  2. L’eschatologie et le Christ
  3. L’eschatologie et la vie chrétienne

1. Le mot eschatologie🔗

Qu’est-ce que le mot eschatologie évoque dans votre esprit? Le considérez-vous comme l’un de ces mots techniques utilisés par les théologiens ou comme un élément du jargon que les pasteurs utilisent lorsqu’ils se retrouvent ensemble? Ou bien cela vous rappelle-t-il l’enseignement biblique sur le retour du Christ et votre espérance en tant que croyant — un enseignement que vous trouvez intéressant et encourageant, mais qui semble avoir peu de rapport avec les préoccupations de la vie quotidienne?

De telles réactions, bien qu’assez courantes parmi les chrétiens, proviennent du fait que la plupart des enseignants dans l’Église, au fil des ans, ont appliqué le mot eschatologie — qui signifie littéralement « paroles sur les choses dernières » — uniquement à ce qui se passera au retour de Jésus (ainsi qu’à notre mort). Par ailleurs, on a également eu tendance à considérer ce grand avenir de manière détachée, comme un spectateur. Dans les livres traitant de la doctrine chrétienne, le chapitre sur l’eschatologie se trouve généralement à la fin, et ne fait que peu ou pas de lien avec les chapitres précédents.

Toutefois, une telle approche, bien qu’elle ait bien servi l’Église, passe à côté d’un aspect vital et tout à fait pratique de l’enseignement biblique. Dans la Bible, en particulier dans le Nouveau Testament, l’eschatologie concerne aussi bien le présent que l’avenir plus ou moins lointain. En fait, le message de l’Évangile lui-même, avec ses implications, est une eschatologie. Ainsi, même si l’on n’a jamais entendu ce mot auparavant, rien n’est plus fondamental pour éclairer notre identité de chrétien et pour donner un sens à notre vie, y compris à ses détails parfois perplexes et souvent apparemment insignifiants. Cela vaut certainement la peine d’être exploré.

2. L’eschatologie et le Christ🔗

La Bible nous enseigne à définir l’eschatologie en tenant compte aussi bien de la première venue du Christ que de sa seconde venue, pour inclure ce que Dieu a déjà fait et ce qu’il n’a pas encore fait en Christ.

Pendant tout son séjour sur terre, Jésus a prêché « la bonne nouvelle du royaume » (Mt 4.23). Cette proclamation du royaume des cieux ou de Dieu (Mt 4.17; Mc 1.15) n’était pas simplement une autre façon de dire que Dieu règne sur la création depuis son commencement. Ce que Jésus a annoncé à ses auditeurs était surprenant et sans précédent : Le royaume de Dieu, qui n’avait jamais existé auparavant, était enfin présent; l’exercice de la seigneurie de Dieu, qui jusque-là n’avait été que promis et espéré, était enfin arrivé.

Il en était ainsi à cause de Jésus, à cause de qui il était et de ce qu’il était en train de faire. Lorsque ses disciples ont entendu son enseignement et vu ses miracles, ils ont reçu la connaissance des « mystères du royaume » (Mt 13.11). Ils ont fait l’expérience de cette connaissance. « Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent » (Mt 13.16). À cet égard, ils étaient privilégiés par rapport à « beaucoup de prophètes et de justes qui ont désiré voir ce que vous regardez et ne l’ont pas vu, et entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (Mt 13.17). « Tous les prophètes et la loi ont prophétisé jusqu’à Jean » (le Baptiste), qui a été le dernier de la longue lignée à préparer la voie à Jésus, le Messie. Depuis lors, cependant, « le royaume des cieux est soumis à la violence » (Mt 11.12-13). Le royaume qui est arrivé avec Jésus — et qui sera pleinement réalisé à son retour — accomplit toutes les promesses de Dieu faites à son peuple, le peuple de l’alliance. En un mot, c’est le royaume eschatologique.

Les auteurs du Nouveau Testament ont pris soin d’expliquer cet Évangile du royaume et d’en tirer les nombreuses implications qui en découlent. Au cœur de cet Évangile (« avant tout », 1 Co 15.3) se trouvent la mort et la résurrection du Christ considérées comme étant l’accomplissement des Écritures (1 Co 15.3-4). Les écrivains bibliques ont eu le souci de montrer que ces événements sont des événements eschatologiques.

L’auteur de l’épître aux Hébreux le dit clairement. Il commence par déclarer que Dieu a parlé en son Fils « en ces jours qui sont les derniers » (Hé 1.2). Plus précisément, la mort du Christ a eu lieu « à la fin des siècles » (Hé 9.26). Selon Pierre, le Christ est apparu « à la fin des temps » pour être notre sacrifice sans défaut et sans tache (1 Pi 1.19-20). Quant à Jean, il insiste sur le fait que l’opposition au Christ — l’activité présente et future du ou des antichrists — montre que « l’heure dernière » est arrivée (1 Jn 2.18).

Nous devons résister à la tendance apparemment persistante dans l’Église à atténuer et à relativiser ces déclarations ainsi que d’autres semblables. Elles signifient que la révélation de Dieu en Christ est définitive, non seulement en raison de ce qu’il est en tant que Fils de Dieu, mais aussi dans le sens où cette révélation met fin à l’histoire et inaugure l’ordre nouveau et définitif de Dieu pour la création.

Selon Galates 4.4, Dieu a envoyé son Fils pour être notre rédempteur « lorsque les temps furent accomplis » (voir aussi Ép 1.10). Ici, Paul ne dit pas que le Christ est venu à un moment particulièrement stratégique de l’histoire, lorsque les conditions religieuses et sociopolitiques du monde méditerranéen du premier siècle étaient des plus favorables (bien que cela soit vrai). Il veut plutôt dire ce qu’il dit : le temps a été comblé, rendu plein dans un sens absolu. Avec la venue du Christ, l’histoire s’est achevée, vraiment et réellement, même si elle se poursuit jusqu’à son retour. Le royaume eschatologique de Dieu, comme Jésus l’a enseigné, est à la fois présent et futur.

Cette vérité profonde est difficile à saisir et va à l’encontre de notre vision habituelle de l’histoire. La manière dont Paul dépeint la résurrection du Christ nous aide à comprendre. Dans 1 Corinthiens 15, il traite de la grande espérance eschatologique que nous possédons en tant que croyants, à savoir la résurrection du corps. Le verset 20 exprime l’idée qui oriente une grande partie de l’enseignement de ce magnifique chapitre : le Christ ressuscité est « les prémices de ceux qui sont décédés ».

Les prémices sont la partie initiale d’une récolte, inséparable du reste de la moisson. La résurrection du Christ, dit Paul, n’est pas un événement isolé dans le passé; elle appartient à l’avenir. Elle n’est rien d’autre que le début de la moisson de la résurrection qui viendra à la fin de l’histoire. Les croyants peuvent être assurés de leur résurrection, car la moisson eschatologique a déjà commencé. Dans la résurrection même du Christ, la fin de l’histoire est en partie devenue présente et visible dans l’histoire.

Ainsi, lorsque nous entendons le mot eschatologie, ce qui devrait nous venir à l’esprit en premier lieu, c’est la mort et la résurrection du Christ.

3. L’eschatologie et la vie chrétienne🔗

Cette compréhension eschatologique de l’Évangile détermine, sans surprise, la manière dont le Nouveau Testament envisage le fait de devenir chrétien et de vivre en tant que chrétien. « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. Les choses anciennes sont passées; voici : toutes choses sont devenues nouvelles » (2 Co 5.17). La traduction « nouvelle créature » que l’on trouve dans plusieurs versions de la Bible restreint presque certainement ce que Paul veut dire ici. Si je suis uni au Christ par la foi, les « choses anciennes » ont disparu pour moi, mais ce n’est pas seulement mon passé individuel d’incroyant qui a disparu; j’appartiens maintenant à l’ordre nouveau et définitif de la création qui est arrivé dans la mort et la résurrection du Christ.

Par conséquent, il n’y a maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ (Rm 8.1). Cette grande vérité n’existe pas dans le vide. Paul ne dit pas non plus que les croyants sont exemptés du jugement dernier (Rm 2.5-16; 2 Co 5.10). Au contraire, le verdict qui doit être rendu dans le futur, lors du jugement dernier, a déjà été prononcé à l’égard du croyant. Notre « acquittement public » (Petit Catéchisme de Westminster, Q&R 38) en ce jour dernier est certain; il mettra simplement en lumière ce qui est déjà vrai à notre sujet. Notre justification par la foi est un événement eschatologique!

Une fois encore, ce que le Nouveau Testament enseigne sur la résurrection nous aide à comprendre. Jésus est catégorique (« Je vous le dis en vérité ») : celui qui croit « a la vie éternelle », c’est-à-dire la vie eschatologique; il est déjà « passé de la mort à la vie » (Jn 5.24). Parce que Jésus est « la résurrection et la vie », celui qui croit en lui « vivra, quand même il serait mort ». Mais il est également vrai qu’il « ne mourra jamais » (Jn 11.25-26)! La vie de résurrection n’est pas seulement un espoir futur, mais une réalité présente.

L’enseignement de Paul dans de nombreux textes (Rm 6.2-13; Ép 2.1-10; Col 2.12-13; Col 3.1-4) est construit sur la vérité selon laquelle les croyants sont déjà morts, ont déjà été ressuscités et sont déjà montés au ciel avec le Christ. Parlant au nom de chaque croyant, Paul dit : « Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2.20). Combien de fois avons-nous mémorisé ou récité cette déclaration saisissante, et pourtant, nous avons du mal à en saisir le sens. Notre place dans la grande moisson de la résurrection de la fin des temps est une réalité à la fois présente et future, elle est déjà là, mais pas encore.

Voyons les choses sous cet angle. Si nous sommes chrétiens, au cœur de notre être (ce que l’Écriture appelle notre « cœur » ou notre « homme intérieur »), nous ne serons jamais davantage ressuscités que nous ne le sommes déjà! Mais, objecterez-vous, cela ne peut pas être vrai! Quand je me regarde dans le miroir, je vois quelqu’un qui, de toute évidence, est tout sauf ressuscité; mes attitudes et mes actions pécheresses ne sont guère celles de quelqu’un qui participe déjà à la résurrection du Christ.

Tout compte fait, Romains 6.12-13 résume très bien la vie chrétienne : nous sommes « des vivants revenus de la mort », et pourtant nous restons « dans le corps mortel ». Le « corps » ici n’est pas seulement la partie matérielle de mon être, mais l’ensemble de l’être psychophysique que je suis. N’étant pas encore ressuscité, le corps reste le moyen par lequel la tentation a accès à moi et m’incite à pécher, ce dont je suis pleinement responsable. Cependant, par la foi, il y a plus en moi que ce que je peux voir dans le miroir. En même temps, et plus profondément que tout ce qui m’anime, le pouvoir et la nécessité du péché ont été brisés dans ma vie : « Christ est ressuscité d’entre les morts… [afin que] nous aussi, nous marchions en nouveauté de vie » (Rm 6.4).

Paul éclaire ce scénario par deux métaphores qu’il utilise pour désigner l’Esprit Saint. Tirées de la vie agricole et commerciale de son époque, elles expriment le caractère véritablement eschatologique de l’action actuelle de l’Esprit dans les croyants. L’Esprit Saint est le « gage » de notre héritage (Ép 1.14); il est aussi appelé les « arrhes » et les « prémices » en prévision de notre résurrection corporelle (2 Co 5.5; Rm 8.23). Dans le plan eschatologique de Dieu, l’Esprit est l’acompte versé qui garantit le paiement final. Dans le don de l’Esprit, nous recevons dès maintenant une part de l’avenir. L’Esprit qui habite actuellement dans les croyants n’est rien de moins que la puissance de la résurrection (voir Rm 8.11).

En parlant de ce qu’est la vie chrétienne et de ce qu’elle doit être, Colossiens 3 nous décrit un aspect important de tout ce que comporte cette vie de résurrection. S’adressant à nous qui avons été ressuscités avec le Christ, Paul nous ordonne de « chercher les choses d’en haut », là où se trouve le Christ ressuscité et monté au ciel (Col 3.1). Il précise ensuite ce que cela signifie concrètement : ayant renoncé aux pratiques pécheresses spécifiques de notre passé d’incrédulité (Col 3.5-11), nous devons manifester la grâce de Dieu au sein de l’Église, dans nos relations avec les autres croyants et dans le culte (Co 3.12-17), dans notre vie conjugale et notre vie de famille (Col 3.18-21) et dans notre travail (Col 3.22 à 4.1). Il s’avère que le fait de « penser à ce qui est en haut et non à ce qui est sur la terre » (Col 3.2) est quelque chose de très « terre à terre »! Il n’est nullement question ici de détachement monastique ou d’un domaine « religieux » qui serait distinct du reste de la vie. Le fait d’être ressuscités avec le Christ se manifeste dans les détails quotidiens, souvent banals, des relations et des responsabilités fondamentales de la vie.

En d’autres termes, le grand défi lancé à l’Église est le suivant : « Considérez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour Dieu en Christ-Jésus » (Rm 6.11). Cette considération n’a rien à voir avec le « pouvoir de la pensée positive » ou avec l’optimisme et l’estime de soi prêchés à la Crystal Cathedral1. Cela signifie plutôt qu’il nous faut évaluer et estimer, par la foi, ce que nous sommes en Christ, à cause de sa mort et de sa résurrection, et par la puissance de son Esprit.

Ainsi donc, j’espère que vous serez d’accord, l’eschatologie ne concerne pas seulement l’avenir. Elle a aussi tout à voir avec le présent et avec ce que nous sommes déjà en Christ.

Note

1. NDT : Crystal Cathedral [Cathédrale de cristal] est une Église qui a été fondée en 1955 par Robert Schuller et dont l’énorme édifice en cristal est situé à Garden Grove en Californie. Le télévangéliste Robert Schuller y prêchait le faux évangile de l’estime de soi. Cette Église a fait faillite en 2010 et sa propriété a par la suite été vendue à l’Église catholique romaine qui l’a renommée Christ Cathedral.