Cet article a pour sujet la théonomie, le reconstructionnisme chrétien et le postmillénarisme, la compréhension théonomiste de la relation entre l'Ancienne et la Nouvelle Alliance et entre l'Église et l'État, suivie d'une évaluation critique.

17 pages. Traduit par Paulin Bédard

La théonomie et le reconstructionnisme chrétien Une évaluation critique

  1. Introduction
  2. Ce que la théonomie enseigne
    a. La relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance
    b. La séparation de l’Église et de l’État
    c. Le postmillénarisme
  3. Évaluation critique
    a. La relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance
    b. L’Église et l’État
    c. Le postmillénarisme
  4. Conclusion : la loi et le chrétien

1. Introduction🔗

Depuis un certain nombre d’années, des termes tels que théonomie et reconstruction chrétienne sont utilisés et discutés dans les cercles réformés et presbytériens. Bien que beaucoup considèrent que la théonomie et le reconstructionnisme chrétien sont la même chose, il y a des distinctions à faire. Définissons nos termes. Littéralement, théonomie signifie la loi de Dieu, ce qui implique que l’on est lié à la loi de Dieu. Par exemple, Herman Ridderbos, dans The Coming of the Kingdom [L’avènement du Royaume], parle de la théonomie de l’Évangile : dans le royaume de Dieu, il est demandé d’observer la loi de Dieu1. Qui d’entre nous ne se qualifierait pas de théonomiste dans le sens où nous sommes sous la loi de Dieu en Jésus-Christ, comme Paul en parle dans 1 Corinthiens 9, et comme nous le confessons dans le Catéchisme de Heidelberg, les dimanches 32 à 44, et que, par conséquent, notre éthique est basée sur la loi de Dieu?

Néanmoins, plus récemment, le terme de théonomie a été utilisé par des personnes ayant une méthodologie de base ou une approche herméneutique de l’Écriture qui prône une normativité continue des lois morales et judiciaires de l’Ancien Testament, ainsi que des sanctions pénales de l’Ancien Testament pour aujourd’hui; à leur avis, celles-ci ne concernent pas seulement l’Église, mais la société dans son ensemble.

Quelle est la relation entre cette théonomie et le reconstructionnisme chrétien? Le reconstructionnisme chrétien prend l’approche herméneutique de base de la théonomie appliquée à l’Écriture et commence à l’appliquer de manière concrète afin de transformer ou de reconstruire chaque domaine de la vie dans ce monde pour se conformer à la loi de Dieu. Le reconstructionnisme est également postmillénariste en ce sens qu’il croit avec optimisme en une domination mondiale du Christ où le royaume du Christ pénétrera tous les domaines de la vie. Cela se produira lorsque tous les aspects de la vie s’inclineront dans l’obéissance à la loi de Dieu. En fait, le gouvernement civil doit appliquer les lois et les sanctions de l’Ancien Testament afin que la société soit reconstruite comme une société chrétienne. Nous devons comprendre que tout reconstructionniste est théonomiste, mais que tout théonomiste ne possède pas nécessairement toutes les caractéristiques du reconstructionnisme.

Ces dernières années, la presse a lancé de nombreuses attaques acerbes contre la théonomie, en particulier à cause des déclarations de théonomistes qui préconisent, par exemple, que le gouvernement civil exécute les homosexuels. Pour être juste, il faut préciser que les théonomistes ne préconisent pas d’imposer leur programme de reconstruction à la société. Au contraire, ce programme doit être enseigné et prêché à la société jusqu’à ce que presque tout le monde l’accepte. Il n’y aura alors pratiquement plus d’homosexuels et d’autres problèmes similaires qui nécessiteraient une exécution. Ce programme pourrait prendre des centaines de milliers d’années.

La popularité de la théonomie s’explique par le désert religieux créé par la théologie libérale et par la détérioration générale de la société. De nombreuses personnes aux États-Unis, par exemple, sont vraiment bouleversées par l’anarchie qui règne dans la société et sont à la recherche d’un modèle pour reconstruire la morale et les valeurs et sauver ainsi la civilisation américaine. La théonomie attire des évangéliques américains, des fondamentalistes et certains charismatiques — des personnes qui souhaitent que leur foi prenne le contrôle de tous les aspects de la vie, y compris les sphères sociales et politiques.

Les partisans de la théonomie sont variés. Le père du reconstructionnisme américain est Rousas J. Rushdoony, auteur de l’ouvrage The Institutes of Biblical Law [L’institution de la loi biblique]. Il est unique parmi les théonomistes dans la mesure où il souhaite maintenir les lois alimentaires de l’Ancien Testament. Gary North est un autre théonomiste, qui est bien connu pour ses politiques économiques et sa façon acerbe d’écrire. Il a rédigé l’introduction du livre de Greg L. Bahnsen, By This Standard [Selon cette norme], dans laquelle il avertit avec dédain que la théonomie, c’est là que se trouve l’action, et que quiconque ne s’y rallie pas ne sera plus sur le devant de la scène sur le plan ecclésiastique2. Il y a aussi James Jordan, qui est tellement modéré qu’on peut se demander s’il est un vrai reconstructionniste. Toutefois, le véritable dogmaticien du groupe semble être Greg L. Bahnsen. En raison de sa façon claire et articulée de présenter les principes fondamentaux de la théonomie, ses travaux méritent toute notre attention.

La théonomie présente des attraits évidents. Elle met l’accent sur l’infaillibilité de l’Écriture, sur la grâce souveraine de Dieu et sur la dépendance totale de l’homme à l’égard de Dieu pour tout don. Elle présente également des directives très claires sur la nécessité d’être un chrétien vivant et pratiquant sa foi dans tous les aspects de la vie. On peut apprécier beaucoup de choses dans tout cela. La question qui se pose est toutefois la suivante : la théonomie et le reconstructionnisme chrétien présentent-ils une interprétation et une compréhension correctes de l’Écriture? Cet article tentera de répondre à cette question.

2. Ce que la théonomie enseigne🔗

a .La relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance🔗

Dès le début de son livre, By This Standard [Selon cette norme], Greg Bahnsen expose sa méthodologie de base :

« Nous présumons que nous sommes obligés d’obéir à tout commandement de l’Ancien Testament, à moins que le Nouveau Testament n’indique le contraire. Nous devons supposer une continuité avec l’Ancien Testament plutôt qu’une discontinuité.3 »

Bahnsen met en garde contre ceux qui soulignent la discontinuité entre les deux alliances, comme les dispensationalistes, ainsi que contre ceux qui sont réticents à appliquer les lois strictes de l’Ancien Testament à la société d’aujourd’hui. Pour Bahnsen, le mot clé est « exhaustivement » : les lois de l’Ancien Testament doivent être respectées de manière exhaustive, dans les moindres détails.

Le passage clé pour Bahnsen et tous les théonomistes est Matthieu 5.17-20 où le Christ dit dans son Sermon sur la Montagne : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. » Il propose une étude exégétique de ce passage dans son ouvrage Theonomy in Christian Ethics [La théonomie dans l’éthique chrétienne] (p. 39 et suivantes). Bahnsen traduit et interprète le verset 17 comme signifiant que le Christ est venu confirmer, établir ou ratifier la loi de l’Ancien Testament. Cela signifie que le Christ a démontré l’autorité et la validité permanentes de la loi de l’Ancien Testament, et qu’il n’y aura pas un seul iota qui disparaîtra de la loi jusqu’à ce que le ciel et la terre disparaissent. Sur la base de cette traduction et de cette exégèse de Matthieu 5, Bahnsen parle de la validité permanente de la loi dans les moindres détails et de la continuité de l’alliance. C’est là que se trouve la clé de sa méthodologie d’interprétation des Écritures.

Il ajoute immédiatement que tout ce qui se trouve dans l’Ancien Testament ne doit pas être observé littéralement — il reconnaît le progrès de l’histoire rédemptrice et le phénomène des ombres de l’Ancien Testament. Ce qui ne doit pas être observé, ce sont les impératifs localisés, les détails culturels, les détails administratifs pour Israël et les lois cérémonielles. Il parle de la loi cérémonielle comme des rituels de rédemption qui ont été rendus extérieurement inopérants ou obsolètes à cause de la venue de Jésus-Christ. Sa compréhension de Galates 3 et 4, qui parle de la loi comme d’un tuteur jusqu’à la venue du Christ, est que cela ne s’applique qu’à cette loi cérémonielle. En d’autres termes, la loi morale et la loi civile de l’Ancien Testament, y compris la pénologie de l’Ancien Testament, doivent être conservées de manière exhaustive dans les temps modernes.

Sur quelle base Bahnsen présume-t-il une telle continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament? Bahnsen, tout comme Gary North dans son livre Unconditional Surrender [Capitulation inconditionnelle], et d’autres théonomistes, insiste sur l’immuabilité de Dieu. Bahnsen l’explique au chapitre 5 de By this Standard [Selon cette norme]. Dieu ne change pas : Il ne change pas sa justice, ses normes, sa personne — Dieu ne change pas! Il n’est donc pas un Dieu à deux poids, deux mesures, opérant dans le Nouveau Testament à partir d’une norme différente de celle de l’Ancien Testament. Dieu a un seul code moral, une seule loi, qui est la même pour toute l’histoire. Les théonomistes disent : dès que les gens reconnaîtront cela aujourd’hui et commenceront à observer les lois de l’Ancien Testament de manière exhaustive, alors les États-Unis pourront être reconstruits en tant que nation chrétienne, jouissant de sa paix et de sa liberté. Ce sont les Églises institutionnelles des dernières décennies qui ont saboté cette continuité et qui sont responsables de la plupart des maux de la société.

Dans les chapitres 11, 12 et 13 de son livre By This Standard [Selon cette norme], Bahnsen tente de montrer comment le Nouveau Testament soutient la loi de l’Ancien Testament. En réalité, le Nouveau Testament ne contient pas beaucoup de lois, car il s’appuie sur l’Ancien Testament pour cela et présume que nous nous tournerons vers l’Ancien Testament pour obtenir des directives sur la volonté révélée de Dieu. Naturellement, le célèbre passage de 2 Timothée 3.16-17 — « toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner » — est utilisé pour montrer pourquoi le Nouveau Testament n’a pas besoin de contenir beaucoup de lois.

Voici quelques exemples de Bahnsen qui montrent comment le Nouveau Testament soutient l’Ancien Testament. La règle des deux ou trois témoins de Deutéronome 17.6 est soutenue par Jésus-Christ dans Matthieu 18.16 qui parle de deux ou trois témoins en matière de discipline. La condamnation de l’homosexualité et de la bestialité dans Lévitique 18.22 et 20.16 est soutenue par Paul dans Romains 1. La règle de Deutéronome 25.4 qui dit de ne pas museler un bœuf lorsqu’il foule le grain est soutenue par Paul dans 1 Corinthiens 9.8-14 où il applique cette loi aux pasteurs qui vivent de l’Évangile. C’est grâce à de tels exemples — peu nombreux d’ailleurs — que Bahnsen arrive à la conclusion que le Nouveau Testament s’appuie clairement sur les lois de l’Ancien Testament et sur l’application qui en est faite pour aujourd’hui.

En ce qui concerne les types de lois, Bahnsen en admet deux : morale et cérémonielle4. Il insiste sur le fait que la loi judiciaire ou civile fait partie de la loi morale. En fait, il enseigne que la loi judiciaire ou civile n’est que la loi morale illustrée par des applications concrètes. (Afin de clarifier ce dont nous parlons, il utilise l’exemple suivant : la loi morale dit que nous devons aimer notre prochain; cette loi morale est appliquée de manière concrète dans une loi judiciaire ou civile telle que Deutéronome 22.8 où il est ordonné au peuple de l’alliance de Dieu de mettre un parapet sur le toit de sa maison pour la protection de son prochain). Bahnsen fait deux choses avec cet enseignement. Tout d’abord, il veut éviter de placer la loi judiciaire au même niveau dans l’histoire rédemptrice que la loi cérémonielle, ce qui abrogerait son utilisation dans le Nouveau Testament. En second lieu, il veut rester en accord avec les confessions de son Église. La Confession de Westminister déclare dans l’article 19.4 :

« Dieu lui a donné aussi, comme code politique, diverses lois judiciaires qui vinrent à expiration en même temps que le peuple juif cessait d’être un État; ces lois n’obligent personne maintenant au-delà de ce que l’équité générale qui s’y trouve peut exiger. »

La plupart des gens concluraient de la Confession de Westminster que l’équité générale est la loi morale, et que les préceptes moraux généraux qui sous-tendent les spécificités de la loi judiciaire d’Israël subsistent, mais que ces lois judiciaires elles-mêmes ne sont plus en usage. Greg Bahnsen affirme toutefois que les lois judiciaires sont simplement des préceptes illustratifs qui appliquent la loi morale — par exemple, l’interdiction de l’inceste, de l’homosexualité, etc. Il admet que les formes extérieures de ces lois judiciaires ne sont plus normatives, en accord avec la Confession de Westminster. Mais leur équité générale, c’est-à-dire leurs principes sous-jacents, demeure. Or, ces principes sous-jacents des lois judiciaires doivent être appliqués de manière équitable d’une culture à l’autre, d’Israël à la société d’aujourd’hui.

Ainsi, la loi qui consiste à placer un parapet ou une clôture autour du toit en Israël s’applique de manière interculturelle à la société actuelle en plaçant une clôture autour de la piscine. Bahnsen souligne ainsi la continuité des lois de l’Ancien Testament de manière exhaustive, en ne faisant que les adapter de la culture d’Israël à notre culture d’aujourd’hui. Il est clair que, pour Bahnsen, les principes sous-jacents de la loi judiciaire signifient le maintien de l’ensemble de la substance de la loi avec seulement une adaptation culturelle mineure au monde extérieur.

Le point principal pour la théonomie est le but de cette loi. Ce point est expliqué au chapitre 21 de By This Standard [Selon cette norme]. Outre l’objectif très évident de la loi qui est de définir le péché, de conduire le pécheur au Christ et d’être le modèle de la sanctification (je pourrais ajouter que cela est magnifiquement expliqué par Greg Bahnsen), il y a aussi l’utilisation politique de la loi qui est de restreindre le mal des hommes non régénérés. Un passage clé pour Bahnsen est 1 Timonthée 1.9-10 : « la loi n’est pas faite pour le juste, mais pour les méchants et les indisciplinés, les impies et les pécheurs… » Selon lui, il se situe fermement dans la ligne de Calvin et de Luther en ce qui concerne cet usage politique de la loi. Cet usage de la loi n’a pas pour but de sauver qui que ce soit, mais simplement de contenir les hommes impies et d’être dissuasif. C’est le magistrat civil qui devra accomplir cet usage de la loi en utilisant les lois de l’Ancien Testament. Ceci nous amène naturellement à la deuxième partie de l’enseignement fondamental et distinctif de la théonomie : la séparation de l’Église et de l’État.

b. La séparation de l’Église et de l’État🔗

Les théonomistes tels que Bahnsen et North critiquent sévèrement quiconque ose suggérer que la loi et la politique de l’Ancien Testament sont accomplies en Christ et n’ont plus d’application littérale pour les gouvernements d’aujourd’hui. Pour comprendre Bahnsen, il est important de suivre sa logique. Vous pouvez la voir mise en œuvre, par exemple, dans les chapitres 24 à 26 de By This Standard [Selon cette norme]. Il déclare : La loi morale de Dieu s’applique à tous les hommes. On le voit dans Romains 1 où Paul parle des hommes qui connaissent Dieu à partir de sa création, ce qui les laisse sans excuse, et dans Romains 2 où il parle des païens qui montrent que ce que la loi exige est écrit dans leur cœur. Or, cette loi morale pour tous les hommes, qui était présente parmi les hommes dès le commencement du monde, a été normalisée dans les lois pour Israël. Il est donc logique que tous les hommes qui connaissent la loi morale et qui y sont liés se tournent, aujourd’hui encore, vers la loi morale normalisée pour Israël et fassent pleinement usage de cette grande bénédiction de Dieu.

Le texte clé pour Bahnsen est Deutéronome 4.5-8, où Moïse parle des nations environnantes qui s’émerveillent du Dieu d’Israël et de la loi donnée par Dieu à son peuple en alliance avec lui. Bahnsen en tire la conclusion fondamentale selon laquelle Dieu a donné la loi à Israël pour qu’elle devienne ensuite la loi du monde. Pour étayer cette conclusion, il souligne que Dieu a utilisé des dirigeants séculiers tels que Nebucadnetsar et Cyrus, les appelant ses serviteurs. Ce principe est confirmé par Paul dans Romains 13, où les dirigeants séculiers doivent être obéis en tant qu’hommes ayant l’autorité de Dieu — ils sont appelés les ministres de Dieu. La conclusion logique est que si le chef séculier est le serviteur de Dieu, il doit utiliser la loi de Dieu telle qu’elle est définie dans l’Ancien Testament.

Cela inclut la pénologie de l’Ancien Testament, comme les lois de restitution et la peine de mort pour une variété de péchés graves. Il est frappant de constater que Bahnsen affirme que les sanctions pénales prévues par la loi de Dieu ne varient pas en fonction de la culture. Comment changer la forme extérieure de la peine de mort? Une personne qui commet une bestialité doit être mise à mort. Un point c’est tout! Et c’est l’État qui doit le faire. Il est impossible que la peine capitale en Israël se traduise par l’excommunication de l’Église chrétienne. La discipline ecclésiastique est une tout autre affaire et elle ne s’attaque pas aux maux de la société.

Ce dernier point de distinction entre ce que fait l’Église du Nouveau Testament et ce que fait l’État devient une question délicate pour le reconstructionnisme chrétien. Bahnsen le présente de la manière suivante au chapitre 27 de By This Standard [Selon cette norme]. Dans l’Ancien Testament, il existe une distinction claire entre l’Église et l’État, illustrée par la distinction claire entre Aaron et Moïse. Fondamentalement, c’est à l’Église qu’il incombe d’être l’agent de la rédemption. Quant à l’État, il n’a pas de but rédempteur et ses lois civiles n’ont pas d’effet rédempteur. Bahnsen prend pour exemple les lois relatives à l’étranger et au voyageur dans l’Ancien Testament. Dieu se préoccupait des questions sociales et politiques indépendamment des questions religieuses. Cette relation entre l’Église et l’État dans l’Ancien Testament doit se refléter dans la relation entre l’Église et l’État aujourd’hui. Bahnsen n’établit pas un parallèle exact entre les relations entre l’Église et l’État dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais il souligne que la loi révélée à Israël en tant qu’État est toujours valable pour notre société actuelle5.

Matthieu 28.18-20 est un passage clé pour Bahnsen :

« Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. »

Jésus-Christ est le Roi des rois qui jugera les magistrats selon leur manière de gouverner. Il charge donc l’Église de faire quelque chose pour la société en enseignant aux nations la moralité sociopolitique et la validité de la loi de l’Ancien Testament6. Le christianisme doit être le sel de la terre et la lumière du monde, également dans la sphère sociopolitique de la vie. À cet égard, nous devrions également noter ce que Gary North écrit dans Unconditional Surrender [Capitulation inconditionnelle] où il fait une distinction claire entre l’Église et le royaume, soulignant que l’Église n’est pas le royaume, mais qu’elle est l’agent de ce dernier7. Le royaume de Dieu est aussi vaste que le monde et c’est le but de la mission de domination de Dieu. Dieu n’est pas seulement le Dieu de son Église, mais il est le Dieu vivant sur toute la création. Comme le Christ l’a clairement indiqué dans Matthieu 28, les chrétiens doivent porter la loi de Dieu dans toutes les parties du monde afin qu’il y ait une société chrétienne et une domination de Dieu à l’échelle mondiale. Ceci nous amène au dernier enseignement fondamental et distinctif de la théonomie : le postmillénarisme.

c. Le postmillénarisme🔗

Bahnsen enseigne que le postmillénarisme ne fait pas partie intégrante de la théonomie, bien qu’il fasse partie du reconstructionnisme chrétien8. Nous devrions prendre note de ses mises en garde. Cependant, ma lecture suggère que la théonomie conduit naturellement au postmillénarisme, c’est-à-dire à un certain type de postmillénarisme. Si l’on ajoute à cela le fait que nous examinons également le reconstructionnisme chrétien, il est nécessaire que nous nous penchions sur le postmillénarisme. Gary North en parle plus longuement dans Unconditional Surrender [Capitulation inconditionnelle].

À proprement parler, le postmillénarisme du mouvement théonomiste envisage une future ère glorieuse pour l’Église ici sur terre, où l’adoration de Dieu sera généralisée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de péché ou qu’il s’agira d’une utopie. Naturellement, cela correspond à l’enseignement distinctif du reconstructionnisme chrétien. Il s’agit d’un mouvement très solide qui envisage une restructuration de la société selon les lignes mentionnées ci-dessus, qui culminera dans une époque glorieuse où presque tous les hommes serviront le Christ. La paix, l’ordre public et la prospérité seront au rendez-vous. L’interprétation de Matthieu 24 par Gary North, par exemple, considère les guerres et leurs rumeurs comme un temps qui passera dans l’histoire, et ensuite viendra l’âge d’or de la paix, de la prospérité et de la domination mondiale du Christ, le diable étant lié9.

Il appartient aux hommes de soumettre le monde pour la gloire de Dieu, et il y aura alors une possibilité accrue de retour du Christ, car ses ennemis deviendront son marchepied. L’Église doit être à l’attaque et, à la fin, les anges n’auront plus qu’à faire le ménage. L’Église doit être confiante et musclée, elle doit se débarrasser de cette attitude défaitiste si typique du dispensationalisme qui permet au monde de s’enfoncer dans son marasme spirituel et sa décadence. C’est la théologie de la domination. Son outil est la loi. Conformément à Matthieu 28, le monde doit être soumis à la discipline de la loi, afin d’inaugurer le règne millénaire du Christ, et alors la fin pourra venir.

3. Évaluation critique🔗

a. La relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance🔗

Greg Bahnsen fait paraître la relation entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance comme étant simple : présumer la continuité, garder les lois de l’Ancien Testament de manière exhaustive à l’exception de certaines parties comme la loi cérémonielle, et veiller à ce que le gouvernement civil applique la loi de l’Ancien Testament avec ses sanctions pénales. Il admet que cela demandera beaucoup de travail, notamment en raison des différences interculturelles en matière de droit judiciaire. Il admet également qu’il n’existe pas de loi pour chaque situation de la vie. En outre, il faudra une évangélisation massive pour convaincre le monde d’adopter la loi. Mais en réalité, cette approche simple ne fonctionne pas et ce qu’elle fait, c’est nous priver d’une partie de la profondeur et de la signification réelles de l’Ancienne Alliance par rapport à la Nouvelle.

L’un des problèmes de la théonomie, et plus particulièrement de Bahnsen, est l’infaisabilité de sa propre méthodologie : présumer la continuité sauf dans les cas où le Nouveau Testament nous informe spécifiquement qu’il n’y a pas de continuité. Il met en garde à plusieurs reprises contre les méthodologies et les théologies qui supposent une discontinuité parce que l’Ancien Testament est accompli dans la personne et l’œuvre de Jésus-Christ. Bahnsen reconnaît le développement historique et rédempteur de l’Écriture, ainsi que certaines discontinuités. Il constate, par exemple, que selon l’Écriture, la loi cérémonielle est inopérante à l’époque du Nouveau Testament. Il souligne également que les lois judiciaires doivent être appliquées en passant d’une culture à l’autre et que de nombreuses autres parties de la loi de l’Ancien Testament qui traitent spécifiquement de la présence physique d’Israël en Palestine, telles que les villes de refuge et la question du lévirat, ne sont plus applicables.

Le problème est que, si l’on adopte une telle méthodologie, il faut s’y tenir. Par exemple, lorsque nous lisons dans Deutéronome 17.2-17 qu’un homme ou une femme qui adore d’autres dieux doit être mis à mort, alors, selon la méthodologie de la théonomie, l’État doit aujourd’hui exécuter les idolâtres. Certains théonomistes affirment qu’il doit en être ainsi. Mais d’autres commencent à expliquer pourquoi certaines lois judiciaires ne doivent plus être respectées. Un certain nombre de critiques de la théonomie ont dit qu’elle mourait de mille réserves et restrictions. Soit la théonomie s’en tient à sa méthodologie, soit elle commence à présumer une discontinuité sur la base d’une autre méthodologie, à savoir qu’avec la venue du Christ, il y a un changement historique rédempteur significatif! Je pense que certains théonomistes qui reconnaissent l’inapplicabilité de leur propre méthodologie s’orientent davantage vers la reconnaissance de la discontinuité ou de l’accomplissement apporté par Jésus-Christ.

Il convient de souligner, au moins brièvement, que l’utilisation que fait Bahnsen de l’équité générale est différente de celle qu’en font Jean Calvin et la Confession de Westminster. Calvin et la Confession de Westminster soutiennent que la loi cérémonielle et la loi judiciaire ont été abrogées parce qu’elles sont des ombres accomplies en Jésus-Christ. Pour Calvin, même les punitions de la loi de l’Ancien Testament appartenaient aux ombres accomplies en Christ et, par conséquent, elles ne requièrent pas une adhésion stricte de la part des gouvernements civils aujourd’hui (Institution chrétienne, V.xx.16). Ce que l’on entend par équité générale est merveilleusement résumé par l’article 25 de la Confession des Pays-Bas (qui contient les pensées de Calvin et qui est essentiel à notre compréhension de la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament) :

« Nous croyons que les cérémonies et les symboles de la Loi ont cessé à la venue de Christ et que toutes les ombres ont pris fin. Ils ne doivent donc plus être utilisés parmi les chrétiens. Toutefois, la vérité et la substance de ce qu’ils représentaient demeurent pour nous en Jésus-Christ, en qui ils trouvent leur accomplissement. »

Nous devrions nous garder de nous laisser entraîner par l’explication de Bahnsen, qui donne l’impression d’être en accord total avec les confessions et avec Calvin, alors qu’en réalité il maintient l’usage des lois de l’Ancien Testament qui ont été accomplies en Christ. Ni la Confession des Pays-Bas ni la Confession de Westminster ne parlent d’un simple changement interculturel. En même temps, nous devons reconnaître que la vérité et la substance de la loi de l’Ancien Testament demeurent pour nous aujourd’hui : vues sous l’angle christologique, elles nous enseignent comment aimer Dieu et notre prochain, comment rester saints et séparés d’un monde incroyant, etc. Bahnsen n’est certainement pas complètement à côté de la plaque lorsqu’il met l’accent sur les lois de l’Ancien Testament, même si nous avons quelques inquiétudes quant à sa méthodologie.

Comme nous l’avons vu, le texte classique de Bahnsen est Matthieu 5.17-20. Nous n’avons aucun argument à lui opposer quant à son affirmation selon laquelle, dans ce passage, Jésus-Christ n’abolit pas la loi. Cependant, l’exégèse et la traduction de Bahnsen ne sont pas solides lorsqu’il affirme que le Christ dit qu’il confirme ou ratifie la loi de l’Ancien Testament pour l’usage du Nouveau Testament et que, par conséquent, aucune partie de l’Ancien Testament n’est abrogée jusqu’à la fin du monde. Au contraire, ce que dit le Christ, c’est qu’aucune partie de l’Ancien Testament n’est abrogée ou rendue inutile parce qu’elle trouve en lui son parfait accomplissement et sa validité.

Dans ce passage, le Seigneur Jésus anticipe l’accusation d’être un révolutionnaire qui renverse la loi et les prophètes à cause des béatitudes qu’il vient de prononcer. Il dit : « Je ne suis pas venu pour les abolir, mais pour les accomplir. » Accomplir signifie remplir quelque chose jusqu’au bout, jusqu’à la limite. C’est amener quelque chose à sa pleine réalisation. Pensez à cela à la lumière de ce que dit le Christ : Je suis venu accomplir la loi et les prophètes. Cela signifie que je suis venu dans le but messianique spécifique d’achever ce qui était incomplet, de réaliser ce qui n’avait pas été réalisé, bref, d’amener à sa finalité tout ce qui a été promis, prédit et préfiguré dans l’ensemble de l’Ancien Testament. Par conséquent, l’ensemble de l’Ancien Testament pointe vers Jésus-Christ et s’accomplit en lui. Il doit être lu d’un point de vue christologique, sinon il n’a aucun sens. Ce que notre Seigneur Jésus-Christ fait ici, c’est expliquer que l’Écriture doit être lue et comprise de manière historico-rédemptrice10.

L’Évangile selon Matthieu utilise souvent le mot « accomplir » de la manière que nous venons d’interpréter. Pensez à Matthieu 2.13-15 où nous lisons que Joseph et Marie ont dû fuir en Égypte avec leur enfant Jésus par crainte d’Hérode. Matthieu conclut : « Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait déclaré par le prophète : J’ai appelé mon fils hors d’Égypte. » Cette référence à Osée 11.1 montre que le séjour d’Israël et sa délivrance de l’Égypte ne s’étaient pas encore réalisés et sont restés dans l’ombre jusqu’à ce que le Christ lui-même aille en exil, en Égypte, pour son peuple, prenant sur lui ses péchés, sa condamnation et sa punition, et apportant ainsi la véritable et éternelle délivrance du péché et de la mort pour eux. Il y a d’autres exemples de ce genre dans Matthieu. Pensez aussi à ce que Jésus-Christ a enseigné aux deux hommes sur la route d’Emmaüs après sa résurrection : « Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24.27). Absolument tout dans l’Ancien Testament est une prophétie du Christ et de son œuvre. L’Ancien Testament est christologique, il trouve son accomplissement en Christ.

Il est évident qu’il existe une continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament : on ne peut même pas lire ou comprendre le Nouveau Testament sans l’Ancien. Mais en même temps, il y a aussi une discontinuité. La vie et l’œuvre de Jésus-Christ ont produit un changement important. L’Ancien Testament était une époque marquée par des types, des ombres et des cérémonies qui ont permis à Israël de rester sur la bonne voie, de se préparer et d’attendre la venue du Messie. Paul développe ce point en Galates 3 et 4, où il parle de la loi comme d’un frein pour Israël et d’un gardien jusqu’à la venue du Christ. Il compare également l’Église de l’Ancien Testament à un enfant et l’Église du Nouveau Testament à un adulte. En d’autres termes, l’enfant qu’était Israël était gardé par la loi, il était emprisonné par la loi avec tous ses types, ses ombres et ses cérémonies pour rester concentré sur le Christ à venir et être ainsi conduit au Christ. Bahnsen affirme que Paul ne parle ici que de la loi cérémonielle, mais ce n’est pas ce que Paul dit : il fait référence à l’ensemble de la loi. Le but de la loi de l’Ancien Testament était de garder et de conduire l’Église vers le Christ, en lui montrant également le salut qui serait accompli par le Christ, ce qu’elle a admirablement fait.

Cependant, il est également clair que la loi donnée par Moïse était un arrangement temporaire, quelque chose qui devait être mis de côté lorsque son objectif divin a été accompli. Comme l’écrit Paul en Galates 3.24-25 : « Ainsi la loi a été un précepteur pour nous conduire à Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce précepteur. » Lorsque Jésus-Christ a accompli la loi et les prophètes, l’Église est parvenue à l’âge adulte. Par conséquent, en tant qu’adulte en Christ, l’Église n’a pas besoin de la tutelle de ces choses qui l’ont temporairement maintenue dans son enfance pour qu’elle reste concentrée sur le Christ. En fait, l’Église du Nouveau Testament n’est pas autorisée à revenir à une période de servitude pédagogique tutélaire, comme si le Christ n’était pas encore venu11. Au contraire, l’Église doit lire et comprendre l’Ancien Testament d’un point de vue christologique. Bahnsen affirme qu’en faisant cela, on modifie la Parole de Dieu. Cependant, il faut comprendre que ce changement fait partie intégrante du plan et du progrès de Dieu dans l’histoire de la rédemption.

Jean Calvin, John Murray, Herman Ridderbos et Klaas Schilder ont tous souligné la continuité entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, mais en même temps, ils ont également souligné un changement, une discontinuité. Schilder parle de la révélation de Dieu, de sa volonté qui ne change jamais, mais à la lumière d’économies ou de dispensations changeantes12. Ridderbos13 et Murray14 parlent de la validité de la loi de l’Ancien Testament placée sous la condition de son accomplissement en Jésus-Christ.

La loi est christologique, elle trouve son mode de réalisation permanente et finale de la vérité en Jésus-Christ. Il est la fin de la loi, comme l’écrit Paul dans Romains 10.4. Faire comme si la loi était maintenue de la même manière que dans l’Ancien Testament, c’est la rendre indépendante de son caractère historico-rédempteur qui pointe vers le Christ, et c’est donc saper l’œuvre du Christ. En fait, la loi n’a aucun sens ni aucune efficacité en dehors du Christ. Sa valeur réside dans le fait qu’elle exerce son rôle pour le jour où elle sera accomplie en Christ. Par conséquent, insister sur le fait que la loi de l’Ancien Testament continue d’être utilisée dans le Nouveau Testament, comme le souhaitent les théonomistes, revient à introduire un changement fondamental et dangereux dans l’ensemble du dessein de Dieu en ce qui concerne la loi et le plan rédempteur de Dieu.

Vous pourriez peut-être penser que nous nous dirigeons vers l’antinomisme si nous parlons de cette différence entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. Mais cela passe complètement à côté de l’essentiel. Dans le Nouveau Testament, nous ne sommes pas sans loi. Au contraire, comme l’écrit Paul dans 1 Corinthiens 9.21, nous ne sommes pas sans loi envers Dieu, mais sous la loi du Christ. Nous pouvons également penser au sermon de Jésus-Christ sur la montagne, où il s’est penché sur les moindres détails de la loi et l’a exposée dans toute sa profondeur. Pensez également à Jérémie 31.34 et à Hébreux 8.10, qui parlent de la loi écrite dans le cœur. Quelqu’un qui a embrassé Jésus-Christ comme Sauveur n’extériorisera pas la loi, mais l’intériorisera de telle sorte qu’elle sera son plaisir quotidien et qu’il l’appliquera concrètement de bon cœur, en pensée, en parole et en action. Il méditera quotidiennement la loi de Dieu dans l’Ancien Testament, à la lumière de son accomplissement en Christ, et il l’appliquera assidûment dans sa vie.

De plus, contrairement à ce qu’écrit Bahnsen, l’enseignement de Jésus-Christ et des apôtres contient de nombreuses directives pour une vie juste dans le royaume des cieux. En effet, les dix paroles de l’alliance se retrouvent dans le Nouveau Testament. D’une manière générale, en ce qui concerne la loi de l’Ancien Testament — et c’est là l’approche herméneutique décrite par Herman Ridderbos concernant la relation entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament —, seule la partie dont le contenu n’est plus compatible avec le sens de l’administration du salut inaugurée par la venue du Christ ne doit plus être appliquée à l’usage littéral et quotidien15, c’est-à-dire que les ombres qui obscurcissaient les réalités célestes, et ce qui était destiné à garder les gens jusqu’à la venue du Christ ne sont plus en usage aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’une fluctuation dans la révélation, comme l’accuserait Bahnsen, mais d’une juste compréhension de l’histoire de la rédemption, dans laquelle la validité de la loi de l’Ancien Testament est conditionnelle à son accomplissement en Christ.

Ce qui devrait être clair, c’est qu’avec la plus grande bénédiction de la Nouvelle Alliance vient aussi une plus grande responsabilité dans l’observation de la loi de Dieu. C’est en cela que nous devons être de véritables théonomistes. Il devrait également être clair, comme le souligne Bahnsen, que la Parole de Dieu n’est pas un code juridique qui contient une loi pour chaque situation de la vie. C’est pourquoi il nous a accordé l’Esprit du Christ, qui écrit la loi dans nos cœurs, et il a fait de nous des fils — et non des esclaves — qui, du fond de leur cœur, discernent soigneusement la volonté de Dieu et l’appliquent dans tous les aspects de leur vie. Nous nous tournons aussi naturellement vers l’Ancien Testament, dont la vérité et la validité s’appliquent encore aujourd’hui. C’est cela la véritable théonomie.

b. L’Église et l’État🔗

La thèse de Bahnsen selon laquelle la loi de l’Ancien Testament ne s’adresse pas seulement à Israël, mais aussi aux nations environnantes, et donc au gouvernement civil d’aujourd’hui, est gravement erronée. Son utilisation de Deutéronome 4 pour prouver cela ne tient pas la route, car le but n’est pas que les nations soient impressionnées par l’économie politique d’Israël et veuillent s’en emparer, mais qu’elles soient impressionnées par le Dieu d’Israël et veuillent l’adorer en se joignant au peuple de l’alliance. En outre, il est clair que la loi est spécifiquement donnée au peuple de l’alliance de Dieu et qu’elle définit la nature des relations d’alliance de Dieu avec son peuple. Notez que, dans les premiers mots du décalogue, le Seigneur dit : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex 20.2). La loi est spécifiquement donnée à ceux que Dieu a délivrés. Bahnsen passe à côté de l’objectif de la loi, qui est de faire de la communauté de l’alliance un royaume de prêtres et de rois pour Dieu.

Quant à la distinction importante que fait Bahnsen entre l’Église et l’État d’Israël, elle est artificielle. Elle est insoutenable. Dans l’Ancien Testament, l’Église et l’État ne faisaient qu’un, comme l’affirme le Seigneur lui-même : « Vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte » (Ex 19.6). Même un voyageur ou un étranger dans le pays pouvait être témoin des bénédictions de Dieu pour son peuple de l’alliance et en faire l’expérience. Même les dirigeants séculiers étaient employés comme serviteurs de Dieu au bénéfice de son peuple en alliance avec lui. Ce que Dieu a fait pour l’étranger ou la manière dont il a utilisé un dirigeant séculier ne démontre pas une séparation de l’Église et de l’État en Israël, qui auraient existé indépendamment l’un de l’autre, mais montre comment Dieu accomplit son unique plan de salut.

De même, la distinction que Bahnsen fait entre Moïse et Aaron pour étayer la distinction entre l’Église et l’État est artificielle. Ces deux hommes ont travaillé côte à côte pour les mêmes objectifs au sein de l’unique communauté de l’alliance de Dieu! Et n’est-il pas vrai que, d’une part, Moïse devait intercéder pour Aaron et que, d’autre part, les Lévites devaient parfois jouer le rôle de juges? Cela ne vient-il pas ébranler la thèse d’une séparation entre le domaine religieux et le domaine politique en Israël?

Nous comprenons bien sûr que l’Israël de l’Ancien Testament, combinant l’Église et l’État, n’était pas une situation idéale. Cela aussi fait partie des ombres de l’Ancien Testament qui renvoient à une réalité céleste. Ce n’était qu’un ectype de l’archétype. En Jésus-Christ, cette situation trouve son accomplissement dans l’Église du Nouveau Testament. Comme l’écrit Pierre, « vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté » (1 Pi 2.9). Il n’y a pas de parallèle entre l’État d’Israël dans l’Ancien Testament et le gouvernement civil d’aujourd’hui. Il n’y a rien qui soutient cela dans les Écritures. Une telle idée est basée sur une approche non christologique de l’Ancien Testament.

Par conséquent, le transfert des sanctions pénales de l’Israël de l’Ancien Testament aux mains de l’État d’aujourd’hui ne tient pas non plus. La discipline exercée dans l’Israël de l’Ancien Testament est maintenant accomplie dans la discipline de l’Église du Nouveau Testament. Alors que, dans l’Ancien Testament, un certain nombre de péchés étaient punis de la peine de mort, dans le Nouveau Testament, c’est l’excommunication de l’Église et donc du royaume de Dieu qui est pratiquée. Que faire des homosexuels, des adultères, des incestueux? Paul dit qu’il faut leur prêcher la Parole et les avertir, et s’ils restent impénitents, ils doivent être excommuniés. Pensez au jeune homme incestueux de 1 Corinthiens 5.

En fait, la colère de Dieu exprimée contre de telles personnes dans Romains 1 ne culmine pas dans la peine de mort, mais dans la condamnation éternelle. Cela ne rend pas la loi de Dieu moins efficace et moins disciplinaire, comme le prétend Bahnsen; en fait, c’est tout le contraire. Il suffit de lire la lettre aux Hébreux, en particulier la dernière partie du chapitre 10. Nous y voyons que la pénologie mosaïque s’accomplit et s’intensifie dans la responsabilité et la condamnation accrues de la Nouvelle Alliance. La colère de Dieu est terrible contre ceux qui ont appris à connaître Jésus-Christ et qui, pourtant, pèchent délibérément. Hébreux 10 indique clairement que la peine capitale de la loi mosaïque s’accomplit dans la colère dévorante de Dieu. Cette colère de Dieu se manifeste aujourd’hui par l’excommunication de l’Église chrétienne, car Dieu exclut alors une personne de son royaume éternel.

Bahnsen est très attentif à la distinction entre l’Église et l’État. Cependant, en confiant les lois d’Israël, y compris les punitions, à l’autorité civile, on risque de confondre le travail de l’Église et celui de l’État. On risque de mettre davantage l’accent sur la restructuration d’une société chrétienne par l’État que sur la proclamation par l’Église de l’Évangile de la rédemption en Jésus-Christ. Il y a un risque que la discipline de l’autorité civile reçoive plus d’importance que celle de l’Église. Il en résulte également une certaine confusion : dans le cas de l’idolâtrie, est-ce à l’État de punir les idolâtres? En outre, une personne qui n’est pas membre de la communauté de l’alliance doit-elle être punie, voire exécutée, pour avoir adoré d’autres dieux? Les punitions dans la Bible ne sont-elles pas fondées sur la relation d’alliance d’une personne avec Dieu et sur le fait qu’elle doit en répondre? Même certains théonomistes se rendent compte de la confusion qui règne dans leur propre raisonnement.

Il est clair qu’il y a également une mauvaise compréhension de Matthieu 28 et une distinction erronée entre l’Église et le royaume, en particulier dans les enseignements de Gary North. Cela conduit à un appauvrissement aussi bien de l’Église que du royaume. L’Église n’est pas l’agence qui permet aux chrétiens d’aller et d’accomplir le travail du royaume, à savoir la restructuration de la société. Le Dr J. Faber parle des dangers d’une trop grande distinction entre l’Église et le royaume dans Essays in Reformed Doctrine [Essais de doctrine réformée]16. Il n’y a pas de distinction nette entre les deux : l’Église est l’assemblée des citoyens obéissants du royaume. Le royaume est répandu par la proclamation et l’institution d’Églises localisées dans le monde entier. C’est pourquoi Matthieu 28 ne doit pas être compris comme le programme du Christ pour une reconstruction chrétienne de la société, mais comme la proclamation de l’Évangile et l’institution de l’Église où sont rassemblés les citoyens obéissants du royaume. C’est alors que ceux qui sont rachetés et renouvelés en Christ pourront aussi cultiver la terre à la gloire de leur Roi!

Pour une bonne compréhension de l’Église et de l’État aujourd’hui, nous devrions étudier l’article 36 de la Confession des Pays-Bas, qui s’inspire de l’Institution chrétienne de Calvin. Conformément à Romains 13 et à 1 Timothé 2, il incombe à l’État de préserver la vraie religion et de créer les conditions dans lesquelles l’Église peut s’épanouir. Bahnsen aime Calvin parce que Calvin affirme que le gouvernement civil doit fonder ses lois sur la politique de Moïse. Cependant, une lecture attentive de Calvin dans son Institution, IV.xx.14-16, montre qu’il comprend que la loi mosaïque est unique pour Israël, mais que nous pouvons maintenant prendre la substance et la vérité de ces lois pour faire de bonnes lois pour aujourd’hui. Calvin indique clairement que chaque gouvernement devra aujourd’hui adopter des lois adaptées à sa situation particulière. Par conséquent, dire, comme le font certains théonomistes, que Calvin préconise le rétablissement des lois mosaïques et des sanctions pénales est une interprétation erronée. Il est vrai que Calvin a préconisé la peine de mort pour l’adultère et le blasphème (pensez à Servet), non pas parce que Moïse l’a dit, mais plutôt parce que la loi morale l’exige.

En tant que chrétiens, nous aborderons naturellement la société et le gouvernement du point de vue de ce que Dieu nous a enseigné dans sa Parole. Mais nous ne nous contenterons pas de leur remettre les dix paroles de l’alliance. Nous devons montrer que les principes fondamentaux (l’équité générale selon la Confession de Westminster) que Dieu nous a révélés dans sa Parole ont également un sens pour le monde : ne pas blasphémer le nom de notre Dieu, accorder un jour de repos, honorer l’autorité, interdire toute forme d’immoralité sexuelle, etc. Même un gouvernement non croyant et une société non chrétienne peuvent être amenés à reconnaître le bénéfice d’un tel ordre dans la société, comme l’histoire nous l’a montré.

c. Le postmillénarisme🔗

Les reconstructionnistes sont typiquement postmillénaristes. Ils mettent l’accent sur la victoire finale et le triomphe de Jésus-Christ, qui seront obtenus grâce à l’évangélisation mondiale et à l’établissement du royaume de Dieu dans tous les domaines de la vie. Mais c’est précisément la victoire du Christ qu’ils sapent. Le fait est que l’Église est actuellement victorieuse — c’est l’âge d’or de l’Église où Satan est lié et où le Christ est le Chef de toutes choses en faveur de l’Église, comme l’écrit Paul dans Éphésiens 1. Nous sommes déjà dans les derniers jours, où rien ne peut supplanter le présent, sauf le retour de Jésus-Christ17.

L’exégèse de Matthieu 24 et de l’Apocalypse par les théonomistes est erronée. Voir la morosité et la souffrance annoncées dans ces passages à la lumière de la chute de Jérusalem n’est pas correct. La chute de Jérusalem n’est que le contrecoup du Vendredi saint et du grand bouleversement que la mort et la victoire du Christ ont entraîné. Dans le Nouveau Testament, franchement, la chute de Jérusalem n’est pas un événement important. Au contraire, ce dont le Christ parle dans Matthieu 24, dans 2 Thessaloniciens 2 et dans l’Apocalypse se réfère à l’histoire de l’Église du Nouveau Testament avant sa seconde venue.

Pour être réaliste, les derniers jours de l’Église ne seront pas une période de conversion massive et de restructuration chrétienne de la société sur terre. Ce sera un temps de persécution et de souffrance, un temps où l’amour de la plupart des hommes se refroidira, où nous pouvons nous attendre au type même d’impiété que nous rencontrons dans notre société qui, selon les théonomistes, ne devrait pas exister. Le Nouveau Testament parle sans cesse des tribulations des chrétiens. Pourtant, l’Église est victorieuse et le royaume de Dieu prospère parce que l’Évangile est proclamé et que les gens croient en Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. Même lorsque la société devient de plus en plus impie et que les chrétiens sont terriblement persécutés, Jésus-Christ rassemble, défend et préserve les citoyens obéissants de son royaume — et aucun ne manquera à l’appel lorsqu’il les rassemblera sur Sion.

L’un des grands dangers du postmillénarisme est que l’idée d’un âge d’or à venir devient une théologie de la gloire plutôt qu’une théologie de la croix. L’accent est mis sur ce que nous pouvons et devons faire. Nous devons reconstruire le monde pour qu’il soit le royaume du Christ, en faisant de ses ennemis son marchepied, et alors le Christ pourra revenir. C’est presque comme si nous devions faire ce que le Christ n’a malheureusement pas fait. Ce que l’on oublie, c’est que Christ est victorieux, qu’il nous a libérés du pouvoir de Satan, du péché et de la mort, et que, dès que tous les élus seront rassemblés, il reviendra dans sa parfaite victoire.

L’autre grand danger du postmillénarisme est qu’il sape la vigilance de l’Église. Il faut s’attendre à un retour imminent du Christ. Nous ne pouvons pas compter sur une période de temps prolongée pendant laquelle nos vies peuvent être mieux préparées pour le retour du Christ. L’Église doit être prête dès maintenant — le Christ peut venir à tout moment. De plus, nous devons réaliser que nous sommes une Église du désert. Comme Abraham, nous ne sommes pas à la recherche d’une ville terrestre. En fin de compte, notre richesse n’est pas dans ce monde, mais dans l’au-delà. Au milieu d’un monde brisé et impie, nous attendons avec impatience le monde à venir au grand jour du Christ.

4. Conclusion : la loi et le chrétien🔗

En conclusion, nous devrions observer que certains critiques de la théonomie ont l’impression que la théonomie a une mauvaise herméneutique, mais qu’au moins elle est sur la bonne voie et qu’elle nous fait réfléchir. Soyons clairs : la théonomie ou le reconstructionnisme chrétien a une mauvaise herméneutique, elle fait une mauvaise exégèse des passages essentiels et c’est une mauvaise théologie. Il ne s’agit pas de dire que quiconque adhère à certains principes de la théonomie est hérétique et non réformé. Cependant, que les différences soient claires et que nous restions sur nos gardes de peur d’y adhérer involontairement.

Une note explicative s’impose ici. Je me suis concentré sur ce que j’appellerais les théonomistes de la « première génération ». Certains théonomistes de la « deuxième génération » peuvent pousser les principes de base de la théonomie à des extrêmes plus radicaux. Je me suis abstenu de traiter des variétés les plus extrêmes de la théonomie. Cependant, nous devons être conscients du fait qu’une nouvelle génération de théonomistes peut être plus radicale que ce qui a été décrit dans cet article.

Cela dit, il faut souligner qu’il y a de bons éléments parmi les théonomistes, en particulier Greg Bahnsen. L’accent mis sur la souveraineté de Dieu, l’infaillibilité des Écritures, la continuité entre les deux alliances, l’importance de vivre une vie sainte et obéissante dans la reconnaissance envers Dieu — tout cela est excellent. L’accent mis sur le fait que nous ne devrions pas avoir une attitude quiétiste ou d’évasion face à la vie, comme le font de nombreux dispensationalistes et prémillénaristes, qui souhaitent désespérément échapper aux problèmes d’un monde impie, est également précieux. Nous devons être le sel de la terre et la lumière du monde.

Comme le montrent les articles 25 et 36 de notre Confession des Pays-Bas, nous pouvons et devons prendre la vérité et la substance des lois de l’Écriture et les utiliser comme lignes directrices dans notre société. Même la substance et la vérité de la pénologie de l’Ancien Testament peuvent nous aider à traiter la question des problèmes dans nos prisons et du dédommagement des victimes. Notre société doit prendre davantage conscience que le meurtre est terrible et qu’il n’est pas justifié, même dans le cas d’enfants à naître non désirés ou dans le cas de femmes qui tuent des maris oppressifs ou d’autres hommes. L’homosexualité et toutes les formes d’immoralité sexuelle doivent être condamnées, par exemple, à la lumière de Romains 1.

L’Église doit œuvrer de toutes les manières possibles à promouvoir la moralité et la paix dans la société, afin de créer une atmosphère propice à l’épanouissement de la prédication de Jésus-Christ et de permettre ainsi l’avènement du royaume. Il est clair qu’il faut beaucoup réfléchir et étudier ces questions. La théonomie n’a pas les réponses, elle a même des idées dangereuses. Cependant, aller à l’extrême opposé et dire que l’Église n’a rien à faire pour le monde ou l’État est tout aussi insoutenable. Les réformés doivent étudier cette question de manière beaucoup plus approfondie.

Et bien sûr, il devrait y avoir un profond respect dans nos vies personnelles pour la loi de Dieu. Nous qui avons été rachetés par le Christ et qui avons la loi écrite dans nos cœurs par son Esprit, nous méditerons chaque jour cette loi, Ancien et Nouveau Testament, en voyant ses applications les plus profondes et les plus larges dans la vie de tous les jours, et par la grâce de Dieu nous garderons cette loi en le remerciant, lui, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, à qui appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour toujours!

Notes

1. Herman Ridderbos, The Coming of The Kingdom [L’avènement du Royaume], Philadelphie, The Presbyterian and Reformed Publishing Co., 1975, p. 291.

2. Greg L. Bahnsen, By This Standard [Selon cette norme], Tyler, Institute for Christian Economics, 1985, p. xxvi.

3. Bahnsen, Standard, p. 3.

4. Bahnsen, Standard, p. 135.

5. Bahnsen, Standard, p. 289.

6. Bahnsen, Standard, p. 321.

7. Gary North, Unconditional Surrender [La capitulation inconditionnelle], Tyler, Texas, Institute for Christian Economics, 1988, p. 230.

8. Greg L. Bahnsen, No Other Standard [Pas d'autre norme], Tyler, Texas, Institute for Christian Economics, 1991, p. 52.

9. North, Surrender, p. 303 et suivantes.

10. Je suis l'exégèse du Dr Jakob van Bruggen dans son Matteus [Matthieu], Kampen, J.H. Kok, 1990.

11. Voir l'article de Robert Knudsen. William S. Barker et W. Robert Godfrey, éd, Theonomy : A Reformed Critique [La théonomie : Une critique réformée], Grand Rapids, Zondervan Publishing House, 1990, p. 20.

12. Trouvé dans le Dictaat Kompendium der ethiek de Schilder.

13. Ridderbos, Kingdom, p. 311.

14. John Murray, Principles of Conduct [Principes de conduite], Grand Rapids, Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1957, p. 190.

15. Ridderbos, Kingdom, p. 311.

16. J. Faber, Essays in Reformed Doctrine [Essais de doctrine réformée], Neerlandia, Inheritance Publications, 1990, p. 131-178.