Cet article sur 1 Jean 2.3-5 a pour sujet la connaissance de Dieu, qui n'est pas juste intellectuelle (Platon et Socrate), ni émotive (religions à mystère), mais par la révélation de Dieu. Elle nous met en relation avec Dieu et produit l'obéissance.

Source: La certitude de la vie éternelle - Méditations sur les épîtres de Jean. 4 pages.

1 Jean 2 - La connaissance de Dieu

« À ceci nous connaissons que nous l’avons connu : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : Je l’ai connu, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. Mais celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu est vraiment parfait en lui. »

1 Jean 2.3-5

« À ceci nous connaissons que nous l’avons connu » (1 Jn 2.3). Cette phrase de l’apôtre Jean sonne à nos oreilles comme une lourdeur stylistique; on dirait qu’elle jure avec l’élégance de notre français. Les férus de la stylistique ne manqueront ni de la critiquer ni de l’améliorer. C’est sans doute ainsi que les traducteurs de la version de la Bible française dite à la Colombe (révision de Louis Segond) se sont crus autorisés à rendre le grec par : « À ceci nous reconnaissons… » Ce qui à mon sens altère le sens de l’original. Car si je tiens compte de tout l’enseignement biblique, je dois croire que nous sommes incapables de reconnaître Dieu; nous ne le connaissons que parce qu’il se fait connaître.

La reconnaissance de notre part supposerait une certaine capacité naturelle, la possibilité de notre raison de nous remémorer Dieu. Or, notre malheur est précisément d’avoir perdu tout contact et toute possibilité de renouer avec lui. À moins qu’il se révèle, il nous est absolument impossible de le reconnaître; mais il est possible de le connaître dès qu’il se dévoile à nos yeux. Ne cherchons donc pas dans la Bible les canons académiques de langue; elle n’a pas été écrite pour satisfaire notre esthétique du parlé et de l’écrit ni pour justifier les prétentions de la science ou de la pseudoscience dite linguistique. Elle nous transmet un message divin, et sans vouloir trop alourdir notre propos, nous ajoutons qu’il faut nous méfier grandement de certaines nouvelles versions de la Bible. Elles ont la prétention d’en améliorer le langage en se basant sur les définitions du dictionnaire, ancien ou moderne, et de la grammaire de chez nous, mais en sacrifiant l’autorité dont le Livre saint est revêtu. Or c’est seulement par le témoignage intérieur et la persuasion du Saint-Esprit que nous comprendrons le contenu du saint Livre. En voilà assez à présent de cette digression, qui est pourtant d’importance.

Pour saint Jean, il s’agit de connaissance pour le connaître. Quel est le sens du mot « connaître » dans la Bible? Ce mot possède un sens beaucoup plus large et plus profond que dans nos conversations courantes. Il ne s’agit pas seulement de percevoir une chose, de la distinguer, d’en acquérir une notion plus ou moins précise. Connaître s’applique ici à Jésus-Christ et à travers lui à Dieu. Or les facultés de l’esprit ne sont pas seules à percevoir Dieu. Notre être tout entier, l’âme, l’esprit et le cœur sont entraînés dans cette découverte. Devant Dieu, je ne reste pas un observateur qui juge et qui critique. Je suis transporté vers lui, qui s’offre à moi. Il s’empare de moi, il me possède. Un rapport intime s’établit entre sa personne et la mienne, et cette relation touche tous les domaines de ma vie.

Ces lignes de la lettre de Jean contiennent des phrases et des pensées qui étaient familières au monde contemporain et à l’antiquité en général. Les anciens, notamment les Grecs, discouraient énormément au sujet de la connaissance de Dieu, voire d’être en Dieu. Sur quel point réside alors la différence entre la révélation dont saint Jean est le porte-parole et les spéculations et les discours païens? Il est vrai que connaître Dieu et demeurer en lui, avoir communion avec lui a toujours été la quête principale des hommes depuis des temps immémoriaux. Saint Augustin exprimait cette quête par sa célèbre pensée : « Nous avons été faits pour Dieu et nous n’aurons point de repos à moins de nous trouver en lui. » Trois lignes de recherche sont tracées depuis l’antiquité.

À l’âge classique et dans l’apogée de la pensée et de la littérature grecques, aux 6e et 5siècles avant Jésus-Christ, les penseurs Grecs étaient persuadés qu’ils pourraient atteindre Dieu à l’aide de leur raisonnement logique. Les Grecs glorifiaient l’intellect. Nous ne connaîtrons sans doute pas de penseur plus subtil et plus perspicace, plus profond aussi que le grec Platon. Pour Platon, fondateur de l’Académie d’Athènes, et son maître Socrate, il ne suffisait pas d’émettre des hypothèses au sujet de Dieu; il fallait encore savoir, connaître avec certitude, dans une clarté intellectuelle, sinon éblouissante, tout au moins bien éclairante! La curiosité de l’esprit n’était pas un défaut pour le Grec; au contraire, elle passait pour être l’une des plus grandes vertus. La curiosité de l’esprit était la mère de toutes les sciences et de tout savoir. Tout devait être examiné; l’univers devait passer au scrutin de l’intelligence; aucune question n’était oiseuse; la nature devait livrer ses secrets et se soumettre à la domination de l’homme. Dieu aussi entrait dans la catégorie des sujets que l’on devait connaître et saisir par une analyse rigoureusement rationnelle. À son tour, il devait livrer son secret à l’enquête du penseur. Pour les Grecs de cette ère, si l’on voulait avoir accès à Dieu, il fallait emprunter la large avenue de l’intellect.

Cependant, on se rendit compte assez vite qu’une telle quête intellectuelle en matière religieuse ne se préoccupait nullement de morale. Si par religion on entend simplement quelques sujets et quelques problèmes relevant du domaine et de l’activité de la pensée, si Dieu n’est que l’objectif ultime à atteindre grâce à une intense activité intellectuelle, et rien de plus, alors il serait possible de comparer la religion à la science mathématique, une mathématique supérieure. Elle apportera peut-être une satisfaction intellectuelle, ce qui n’est pas absolument certain, mais n’engendrera pas d’impulsion morale. Le triste fait (attesté par l’histoire) est que des géants de la pensée intellectuelle tels que Socrate et Platon, pour ne citer que ces deux-là, furent aussi parmi ceux qui pratiquèrent l’immoralité; ils ont été accusés notamment d’homosexualité, ce qui pour la Bible est une abominable perversion. Or, à quoi bon chercher à connaître Dieu si la quête la plus rigoureuse et la plus passionnée va de pair avec la dégradation des mœurs? On pourrait connaître parfaitement Dieu sans que cela fasse de nous un homme meilleur.

Plus tard, plus près de l’ère du Nouveau Testament, les mêmes Grecs ont cherché à connaître Dieu par le canal des expériences émotives. La religion des mystères était le phénomène religieux particulier de cette période (actuellement, nous en voyons, hélas!, certaines versions chrétiennes dans des mouvements se réclamant à cor et à cri du Saint-Esprit). Le but recherché dans cette religion mystique était l’union avec la divinité : au moyen d’une recherche passionnée, irrationnelle, débridée, dégénérée. Les adeptes des religions des mystères s’imaginaient vivre au même étage que la divinité, là où celle-ci a vécu, a souffert, est morte et est ressuscitée. L’initié recevait une instruction soignée. Il devait s’astreindre à une discipline ascétique, pour pouvoir atteindre un degré élevé d’intensité émotionnelle, quasi hystérique! Ensuite, il prenait part à la représentation dramatique de l’histoire de son dieu; de manière théâtrale, il vivait, il souffrait, il mourait et il revenait à la vie comme son dieu. Tout, dans ces liturgies lubriques, avait été conçu pour accroître l’intensité émotionnelle du sujet religieux : lumière éblouissante, musique sensuelle, encens parfumé, liturgie exotique… Dans cette atmosphère de célébration cultuelle, l’adorant pouvait alors s’écrier : « Je suis toi, tu es moi. » Le dieu et son adorateur formaient ainsi une unité indistincte, confondue, l’un et l’autre complètement dépersonnalisés. Pour ces religions des mystères, l’essentiel n’était pas tant de connaître Dieu que de le sentir dans sa peau (comme nous proposent aussi actuellement nombre de sectes et de sectoles se réclamant d’une haute spiritualité chrétienne).

C’est alors qu’apparaît sur le continent des bizarreries religieuses la foi chrétienne avec sa doctrine de la connaissance de Dieu. Ici, il n’existe aucune spéculation, nul débordement d’émotions, ni même, pour reprendre une remarquable distinction que ferait Jean Brun, de dévoilement de Dieu dû à l’effort intellectuel, mais révélation.

Le Dieu révélé était un Dieu saint. Par conséquent, son adorateur aussi devait l’être. Saint Jean ne pouvait concevoir Dieu, même pas un seul instant, sans que cette connaissance n’aboutisse à l’obéissance. La connaissance de Dieu ne peut se prouver que par l’obéissance. Connaître Dieu c’est éprouver l’amour de Dieu manifesté en Christ.

Telle est la raison pour laquelle il écrivait les lignes lues plus haut, qui nous paraissent quelque peu maladroites sur le plan du style. Dans le monde grec, il se trouvait face à face avec un problème intellectuel de rencontre avec Dieu. Le grec disait : « Je connais Dieu », mais sans ressentir envers lui une obligation morale. Chez les adhérents des mystères, on se disait bénéficiaires d’une intense expérience mystique : « Je suis en Dieu et Dieu est en moi », mais ici encore sans aucune préoccupation pour observer les commandements divins.

Pour le disciple du Christ, il fallait démontrer de manière infaillible et sans aucune concession que connaître Dieu c’est obéir à sa volonté. L’union avec le Christ n’est possible qu’en imitant le Sauveur. La foi chrétienne est l’unique religion qui offre à la fois un indicible privilège, celui du salut gratuit, et qui impose aussi l’obligation la plus exigeante. Non que l’effort intellectuel ou que l’expérience y soient superflus. Seulement, l’un et l’autre doivent s’unir afin d’inspirer et de fonder l’action morale. Nous sommes loin d’une connaissance intellectualiste et abstraite à la façon des Grecs ou selon les modes de certains modernes. L’apôtre Jean, et à sa suite tout chrétien, connaît un Vivant, et cette connaissance implique nécessairement un engagement de tout son être, un amour qui n’est autre que le rayonnement en lui de l’amour qu’il connaît.

Arrivés à ce point, qu’il nous soit permis de demander : Connaissez-vous ce Dieu qui s’est fait connaître? La méditation suivante sur 1 Jean 2.5-11 expliquera quelle est la preuve par excellence d’une telle foi connaissante.