Cette fiche de formation a pour sujet la spiritualité des pasteurs et des chrétiens, selon 1 Pierre 4.7-11. La piété est vécue dans l'attente du retour du Seigneur, dans la sobriété, la prière (dépendance, écoute), l'amour fraternel et le service.

14 pages.

1 Pierre 4 - La spiritualité des pasteurs

  1. Les questions qui se sont d’emblée (im)posées à moi
    a. Ministère pastoral, spiritualité : de quoi parle-t-on?
    b. S’accorder, prier…
    c. Le pasteur, un cas particulier?
  2. Quelques repères de spiritualité chrétienne
    a. Spiritualité et proximité de la fin
    b. Spiritualité et style de vie
    c. Spiritualité et prière
    d. Spiritualité et amour fraternel
    e. Spiritualité et ministère
  3. Épilogue

Annexes

  1. Écouter
  2. L’amour fraternel

1. Les questions qui se sont d’emblée (im)posées à moi🔗

Le professeur Pierre Courthial recommandait de toujours définir les mots qu’on emploie. Et cela me renvoie à cette parole de Jésus : « Si deux s’accordent… » (Mt 18.19). Cela signifie que ce n’est pas automatique. Jésus ne précise pas combien de temps ils vont mettre pour s’accorder, ces deux-là. Cela procède d’une démarche volontaire, qui peut aboutir — ou pas — à un accord.

Souvent, nous pensons gagner du temps en évitant cette étape qui semble un peu scolaire, pas tellement spirituelle… Dans notre contexte, le spirituel est assez souvent défini comme étant simplement ce qui échappe aux contraintes du matériel, du technique, de l’économique : la subjectivité, l’indéfini, l’aléatoire, l’imaginaire, le ressenti, l’esthétique.

Cela me conduit à trois observations concernant notre sujet :

  • L’importance de définir les mots : ministère pastoral, spiritualité
  • L’importance de s’accorder : entre nous, mais aussi dans la prière
  • Une interrogation sur la position spécifique des pasteurs…

a. Ministère pastoral, spiritualité : de quoi parle-t-on?🔗

Quelques mots sur le ministère pastoral. Notre environnement (appelé parfois « postmoderne ») conditionne inévitablement notre manière — et peut-être notre possibilité — d’exercer le ministère pastoral. Au point où la définition même du ministère pastoral peut se poser, ou se pose. En fait, c’est quoi? Quel est l’objectif? Quels sont les obligations, les limites, les moyens? Quelle en est la légitimité, la justification? Visiter, mais pour quoi faire? Prêcher, mais pour dire quoi? Est-ce si clair? Un ministère hérité du passé? Un ministère fourre-tout?

Dans ces conditions, il n’est pas très étonnant qu’il y ait relativement peu de vocations pour ce ministère, qu’un nombre non négligeable de pasteurs soient tentés de passer à autre chose et que ceux qui persévèrent le fassent sur un mode mineur, en se protégeant comme ils peuvent, quand bien même leur agenda est rempli et bien rempli. Le ministère pastoral « touche à tout » produit inévitablement un pastorat minimal bien incapable d’agir avec anticipation et d’équiper l’Église en vue de sa croissance.

En France, en 1905, le législateur a demandé aux Églises de s’inscrire dans un cadre associatif, et je pense que cela, dans bien des cas, a prévalu dans la vision de ce qu’est l’Église et le ministère; et des notions comme la vérité, l’unité, l’autorité, l’obéissance, la communion, la soumission, la répréhension, la fraternité, la cure d’âme, la direction spirituelle… ont évolué vers un sens plus horizontal, plus profane. Plusieurs de ces termes ont plus ou moins disparu de notre vocabulaire — alors qu’ils ont été regardés comme essentiels pendant des siècles1.

Sera-t-il plus aisé définir la notion de spiritualité? Comment la définir? À partir de quoi? L’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ2, il est vrai, a écrit dans sa première leçon qu’« il vaut mieux plaire au Saint-Esprit que d’en connaître la définition ». Je pense qu’il a cent fois raison. Mais cela signifie-t-il que chacun peut mettre derrière ces mots le sens qu’il veut? On ne peut certes l’empêcher(!), mais cela nous permettra-t-il de nous accorder, d’avancer?

Dans notre contexte, en effet, le spirituel est souvent regardé comme englobant tout ce qui n’est pas scientifique ou économique ou technique : la subjectivité, l’indéfini, l’aléatoire sont de mise, comme dans la conception moderne de l’art. L’imaginaire, le ressenti, l’esthétique semblent être les seuls outils qui conviennent.

Ce que j’entends fréquemment, aujourd’hui, c’est que « les chrétiens n’ont pas le monopole de la spiritualité », et même que les croyants n’ont pas le monopole de la spiritualité. On a entendu parler de « spiritualité sans Dieu », avec des penseurs comme André Comte-Sponville, Michel Onfray et quelques autres.

Je ne crois pas exagérer en disant que pour certains (beaucoup?) la spiritualité du dalaï-lama — qui renvoie chacun à sa propre tradition — passe pour être la plus évoluée, la plus émancipatrice. On pourrait parler de la spiritualité de la franc-maçonnerie, elle aussi supra-religieuse, bien que nourrie de rites. « Il y a la spiritualité du coucher de soleil, celle de l’engagement social… », ai-je entendu lors du service protestant de la Fédération Protestante de France sur France-culture, en mai dernier.

Dans le milieu hospitalier, les services de soins palliatifs parlent aussi des besoins spirituels des patients en fin de vie; et cela sans lien avec le religieux, ou même en opposition avec le religieux. Mais je constate que ce « spirituel » là peut comprendre tout et n’importe quoi…

Je constate encore ce qu’on pourrait appeler l’envahissement par les sciences humaines du domaine théologique et pastoral, en aumônerie par exemple, mais pas seulement. La psychologie, la sociologie, l’anthropologie et bien sûr la psychanalyse offrent les outils « scientifiques », les clés censées garantir l’approche la plus sérieuse, la plus crédible. Y compris du texte biblique ou de la spiritualité. On se demande parfois si on est encore sur un champ chrétien…

Face au tout technologique ou au tout économique, face aux extrémismes religieux aussi, l’humanisme passe dans de nombreux endroits, laïques ou religieux, comme étant la meilleure garantie d’une saine spiritualité. L’homme comme référence suprême. Mais qu’est-ce que l’homme, par rapport à l’animal, par exemple? La question a été posée au groupe de réflexion éthique de l’hôpital d’Alès. Elle a été bien explorée aussi par l’essayiste Jean-Claude Guillebeau dans ses nombreux et récents ouvrages, notamment dans Le principe d’humanité (Le Seuil, 2001).

Dans ce contexte d’évangile des droits de l’homme, nous pouvons évoquer une certaine notion de fraternité, mi-républicaine, mi-socialiste, pseudo-religieuse, qui affecte directement notre regard sur le monde, l’Église, la foi, l’espérance et l’amour. Cela me semble avoir un rapport direct avec la spiritualité et avec le ministère pastoral3. Nous y reviendrons à la fin de cet exposé.

b. S’accorder, prier…🔗

Ma seconde observation est née de ce que j’ai appelé la règle de l’accord. « Si deux s’accordent… » (Mt 18.19). Ce n’est pas un mérite, c’est une condition… S’accorder sur le sens des mots, sur la motivation, sur l’intention… Et j’ai pensé, spontanément, à la prière qui, chaque jour, plusieurs fois par jour, tout le jour, va précisément me permettre de m’accorder. Avec Dieu, en tout premier lieu. Et avec moi-même, comme le fils prodigue : « Étant entré en lui-même, il se dit… » (Lc 15.17). Là aussi, Jésus ne précise pas combien de temps cela va prendre quand il dit : « Entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est dans les cieux » (Mt 6.6).

Cela signifie qu’on n’évalue pas une vie de prière en heures ou en minutes. Et cependant… Je me suis souvent dit cela : Si tu veux humilier ou troubler ton auditoire, c’est facile : parle de la prière. Quand nous entendons que Martin Luther priait pendant deux heures chaque jour (et trois heures si la journée était chargée), nous sommes tentés de penser qu’il s’agissait d’un homme d’une autre nature que nous. Et là nous vient à l’esprit ce que dit l’apôtre Jacques :

« Élie était un homme de la même nature que nous : il pria avec instance pour qu’il ne plût pas, et il ne tomba pas de pluie sur la terre pendant trois ans et six mois. Puis, il pria de nouveau, et le ciel donna de la pluie, et la terre produisit son fruit » (Jc 5.17-18).

S’accorder avec Dieu, cela pourrait être une définition de la spiritualité chrétienne. « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Mt 6.10). « Non pas ma volonté, Seigneur, mais la tienne! » (Lc 22.42).

« Si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. Et si nous savons qu’il nous écoute, quoi que ce soit que nous demandions, nous savons que nous obtenons ce que nous avons demandé » (1 Jn 5.14-15).

Pour entrer dans « les œuvres préparées d’avance » (Ép 2.10)…

c. Le pasteur, un cas particulier?🔗

Ma troisième observation, je la formule par une question. En quoi, si elle doit l’être, la spiritualité des pasteurs devrait-elle être différente de celle des autres membres de l’Église?

Probablement serions-nous tous d’accord pour dire que, fondamentalement, il n’y a pas de spiritualité spécifique pour les pasteurs, de même qu’il n’y a pas de foi spécifique, d’espérance ou d’amour spécifiques. Et certains, ces dernières décennies, ont eu à cœur d’insister dans ce sens en disant que le pasteur était avant tout un chrétien comme les autres, et même un pécheur (pardonné, bien sûr) comme les autres, avec les mêmes faiblesses, les mêmes tentations… Qui pourrait le nier? Dans le même sens, on pourra dire aussi que le chrétien est un homme comme les autres — et il est vrai que beaucoup d’apparences tendent à le montrer. Cependant, en entendant cela, nous avons peut-être entendu aussi une sorte de banalisation du ministère ou de ce qu’est un chrétien, finalement, avec des pertes de référence ou d’objectifs qui peuvent nous amener à nous interroger — comme la sainteté, par exemple4. Qui ose en parler?

Nous nous souvenons, par exemple, qu’en rappelant le principe du sacerdoce commun des croyants (il n’y a plus de prêtrise médiatrice), les réformateurs n’ont absolument pas nié les ministères établis, donnés par Christ à son Église avec un mandat spécifique (Ép 4) : non pas entièrement différent, mais spécifique. Et nous avons peut-être pensé à ce que dit Pierre : « Nous [les apôtres] nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole » (Ac 6.4). Ou à ce qu’écrit Paul :

« Priez pour moi, afin qu’il me soit donné, quand j’ouvre la bouche, d’annoncer hardiment et librement le mystère de l’Évangile, pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes… » (Ép 6.19).

Ou à ce qu’il dit aux anciens d’Éphèse :

« Prenez-garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis gardiens pour paître l’Église que le Seigneur s’est acquise par son propre sang » (Ac 20.28).

Ou à ce qui est écrit ailleurs : « Qu’il y en ait peu qui enseignent, car ils seront jugés plus sévèrement » (Jc 3.1; voir 1 Tm 4.16). Et encore : « Souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu; considérez quelle a été la fin de leur vie, et imitez leur foi » (Hé 13.7).

Nous pouvons rappeler simplement ceci : les pasteurs et les anciens n’ont pas le monopole de l’Esprit, de la grâce, des dons accordés, des paroles opportunes ou prophétiques. Il y a peut-être et même sans doute dans chacune des assemblées que nous servons des chrétiens, des chrétiennes qui ont une consécration égale ou plus grande que la nôtre, une vie de prière plus consistante et régulière que la nôtre, une sensibilité à la direction de l’Esprit ou une manifestation du fruit de l’Esprit plus évidente. Et en un sens, tant mieux! On n’est pas en compétition! Prenons garde toutefois — je le dis sans témérité — que l’Église ne soit troublée par des pasteurs plus légers qu’une partie des fidèles, moins avancés dans la compréhension des réalités spirituelles, du combat spirituel, de la nourriture spirituelle, de l’édification, de la vision5

2. Quelques repères de spiritualité chrétienne🔗

Après ces considérations, un texte s’est imposé à moi, qui va me permettre de sélectionner quelques références ou repères à mes yeux pertinents. Ce texte se trouve dans la première lettre de Pierre, au chapitre 4. Je retiens les versets 7 à 11 — cinq versets et cinq repères. Il se pourrait que certaines de ces références apportent des éléments de réponses aux questions que nous venons d’évoquer.

a. Spiritualité et proximité de la fin🔗

« La fin de toute chose est proche », dit Pierre (v. 7a). Nous reconnaissons là un accent qui appartient en propre à la proclamation de l’Évangile. La proximité (« Le Royaume de Dieu est proche », « le Seigneur est proche »), l’imminence (« Le Seigneur ne tarde pas », « Je viens bientôt, rapidement »), l’urgence (« Tandis qu’il fait jour… », « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix… »), la nécessité de veiller (« Sachez que dans les derniers temps… », « Veillez et priez »).

On peut faire de cela un mauvais usage. Je connais un serviteur de Dieu, dans le Midi, qui m’a dit avoir grandi avec un tel sentiment de l’imminence du retour du Seigneur qu’il était persuadé qu’il ne se marierait pas. Depuis, il a modéré ce que cet enseignement pouvait avoir d’excessif, sans cependant l’évacuer. Qui ose, aujourd’hui, faire écho à cet aspect en apparence irrationnel du message chrétien? Qui ose braver le risque de passer pour un illuminé, un fondamentaliste, sous le prétexte que cet aspect-là du message chrétien n’a que peu de chance d’être compris et approuvé par notre entourage? Est-ce une dimension immature du kérygme de la première Église qu’il nous revient de corriger aujourd’hui? Au nom de quoi?

Et est-ce un détail? Frères et sœurs, je ne crois pas que ce soit un détail, mais bel et bien quelque chose qui fait partie du message. Depuis les Béatitudes jusqu’aux dernières paroles du Nouveau Testament, cette attente de l’avènement du Seigneur forge le caractère chrétien. Et celui des serviteurs de Dieu. Je crois que de cela dépend en grande partie ce qu’on appelle la piété — et donc la spiritualité spécifique de notre foi. La manière de prier, la manière de lire la Bible, la manière d’écouter la prédication et de prêcher!, la manière de considérer le monde, et l’Église, et les épreuves, et les tentations, et le témoignage, et les vocations, et la persévérance, et la souffrance (je pense aux chrétiens persécutés), etc., seront grandement conditionnées par le fait que nous aurons ou pas conscience que « le temps est court », que le terme est bientôt là, à la porte, imminent.

Question : Est-ce que cela peut avoir une incidence sur l’agencement de ma journée? Et sur celui de mon agenda? C’est-à-dire sur les objectifs, sur les priorités, sur le rythme de mes activités, sur l’alternance travail/recueillement que Jésus avait trouvée si nécessaire pour lui? Et sur la manière de lire la Bible, et de prier? Et donc sur la manière de vivre chaque moment, comme on le voit dans la vie des personnes atteintes d’une pathologie grave6

Je crois que c’est tout simplement la réalité de l’espérance, qui est « une ancre de l’âme » (Hé 6.19), qui a un rapport étroit avec la foi et avec l’amour. Rien que ça! Et aussi avec la persévérance, l’endurance, la capacité à souffrir, si Dieu le veut, jusqu’au bout (Hé 12.1-11; 1 Pi 3.14-17). Tout cela est très concret. Tout cela a un rapport avec la spiritualité7.

Le mot « fin » (dans la traduction Segond) correspond au mot « télos » en grec : le but, l’achèvement. Je crois que le but conditionne la marche. Il n’est pas difficile de constater aujourd’hui que la vie de beaucoup de chrétiens, pasteurs compris, l’organisation de la vie de beaucoup d’Églises, reflètent une vision de la vie et du monde dont l’achèvement est relativisé, estompé, incertain. Je crois percevoir, sur le contenu de l’espérance chrétienne, de grands doutes… Cela se traduit inévitablement dans la manière de vivre, dans la spiritualité8. « Si les morts ne ressuscitent pas… »

La fin, le but qui est devant moi, c’est ce qui éclaire mon visage, même quand je n’y pense pas.

b. Spiritualité et style de vie🔗

« Soyez donc sages et sobres », dit la fin de ce verset (4.7). Le mot « donc » indique le lien avec ce qui précède9. Et c’est la dimension de la sobriété que je voudrais souligner maintenant, comme une marque (une preuve) de l’espérance chrétienne dans la vie chrétienne. Un style de vie qui reflète la spiritualité. Cela n’est ni misérable ni morbide!

Dans nos sociétés opulentes (car nos sociétés sont opulentes, même s’il s’y trouve des pauvres), parler de sobriété demande un certain courage. En fait, on n’en parle pas. Sans doute parce qu’on ne le vit pas. À part quelques écolos. Notre idéal est ailleurs. Il se traduit par cette manière-là de transmettre l’Évangile : Ne renoncez à rien, mais à tout ce que vous avez, ajoutez seulement Jésus! C’est l’Évangile sans douleur. Vivre comme tout le monde (pour mieux communiquer, dit-on) avec l’Évangile en plus. L’Évangile comme un plus, à la manière des vitamines ou de la natation.

Mais est-ce rendre compte de ce qu’est vraiment l’Évangile? La Bible nous donne-t-elle cette compréhension d’une foi qui ne renonce à rien, qui ne s’abstient de rien, qui ne change rien finalement, et qui se contente d’offrir quelque chose en plus? Depuis la vocation d’Abraham et la sortie d’Égypte jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste, de Jésus et des apôtres, la foi est toujours accompagnée par un appel à quitter, délaisser, abandonner, perdre. Et même mourir. Pourquoi? Parce que c’est la marque de la foi! Pensons à Abraham, aux disciples de Jésus… Parce que c’est aussi la condition pour recevoir! Le modèle de l’athlète, comme celui du soldat, démontre la nécessité d’effectuer des choix parfois draconiens en fonction de la vocation qu’on reçoit. « Il n’est pas de soldat qui s’embarrasse des affaires de la vie s’il veut plaire à celui qui l’a enrôlé » (2 Tm 2.4). Ce n’est pas une question de mérite, mais de conditions10. « Si mon peuple abandonne ses mauvaises voies… » (2 Ch 7.14). « J’ai prêché la repentance, la conversion à Dieu et la pratique d’œuvres dignes de la repentance » (Ac 26.20; voir Hé 12.4)11.

Oh! La joie de ceux et celles qui le vivent! Puisse-t-elle s’exprimer dans nos lieux de culte comme de vibrants témoignages; et puisse-t-elle devenir contagieuse! Quand le Réveil de la Drôme s’est manifesté, en 1923, la première touchée a été une bergère. Puis cela a été les pasteurs. Et puis beaucoup d’autres après eux. Et tous se rendaient aux temples en chantant des cantiques12.

Le professeur Henri Joyeux, cancérologue à Montpellier, dit : « Il y a trop de Nutella sur les tartines de nos enfants », et de démontrer que non seulement c’est mauvais pour la santé, mais aussi pour la spiritualité! Michel Johner, professeur d’éthique à Aix-en-Provence, le dit ainsi : « Nous sommes dans la civilisation du trop. »

Je suis aumônier hospitalier. Autrefois, aux abords des hôpitaux, on trouvait le panneau « Silence, Hôpital! » qui laissait penser à un certain recueillement. Cela voulait dire : Dans ce lieu, on souffre. Dans ce lieu, on se prépare à mourir. Dans ce lieu, des personnes se penchent sur ceux qui souffrent et qui, peut-être, se préparent à mourir. Aujourd’hui, il y a la télévision dans toutes les chambres. Il existe en Argentine une prison dirigée par des chrétiens. Pas de télévision dans cette prison. Explication au journaliste qui fait l’enquête : La télévision tue la spiritualité.

Je pourrais prolonger bien longtemps cette énumération. Vous pourriez le faire tout aussi bien. Mais que fait-on du constat? Je pense à la parole de Dieu à son peuple, par la bouche d’Osée : « Je veux lui ôter tout ce qu’elle a et la conduire au désert. Et là, je parlerai à son cœur » (Os 2.16 et le contexte des versets précédents). Le désert… comme lieu d’inconfort total, où Dieu parle. Rappelons-nous le fils prodigue. La sobriété. « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre » (Mt 6.19). La difficulté de dire « non » alors qu’il le faudrait. La capacité d’être différents s’il le faut. Et même de souffrir si c’est la volonté de Dieu (1 Pi 3.17).

S’abstenir, non pour faire son salut, mais pour aller plus loin. Non pas des choses mauvaises seulement (cela, c’est la repentance), mais aussi de choses bonnes, afin d’en recevoir de meilleures! Cela, c’est le jeûne. Jeûne de nourriture; mais aussi jeûne de travail (c’est le sabbat), jeûne de paroles (c’est le silence — Daniel Bourguet en parle beaucoup), jeûne de relations (c’est l’isolement, Jésus l’a beaucoup pratiqué), y compris jeûne de relations sexuelles dans le couple, pour un temps, « afin d’être disponibles pour la prière » (1 Co 7.5).

Il y a un style de vie chrétienne qui précède, qui accompagne et qui découle de la spiritualité chrétienne (Ph 4.11-12). Tout n’est pas compatible…

Le ministère terrestre de Jésus a commencé avec un jeûne et s’est terminé (si on peut dire) à la croix. Humainement parlant, c’est un anti-modèle. C’est simplement la mise en application de cette résolution originelle dans le cœur du Seigneur : « Je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Hé 10.7). C’est sans doute une racine principale de la spiritualité chrétienne (voir le Notre Père avec son début et sa finale).

c. Spiritualité et prière🔗

Le verset 7 s’achève ainsi : « afin de vous attacher à la prière ». Le « afin de » montre une fois de plus le lien de cause à effet. Il y a bien un lien entre l’espérance chrétienne, le mode de vie chrétienne et la spiritualité chrétienne. Ne nous étonnons pas qu’il soit si difficile de prier dans le contexte qui est le nôtre. Y compris pour nous. Je pense qu’il se trouve encore des fidèles qui imaginent que les pasteurs prient une à deux heures par jour. S’ils savaient… Tout se ligue contre la prière, en fait. Et pourtant, sans prière, qu’allons-nous faire de sérieux?

Je pense qu’il y a des doutes dans nos esprits, à ce sujet. Les trains roulent sans prière, l’hôpital fonctionne sans prière. Et l’Église aussi, finalement. On est au 21siècle! On s’organise pour. Bien sûr, ce n’est pas dit comme cela. Mais dans les faits… Tout se ligue contre la prière, y compris pour nous, pasteurs. Il faut être fou pour prier alors qu’il y a tant à faire. Qui peut assumer cette folie? Pas grand monde. Mais du coup, notre sagesse ne diffère que fort peu de celle des autres hommes. Quant à la puissance de Dieu… Elle est compensée par plein d’autres moyens à notre disposition. Quant aux fruits…

Mais Pierre recommande (pas seulement aux pasteurs) de s’attacher à la prière, c’est-à-dire de s’abstenir de certaines choses, de renoncer à certaines activités « pour prier » (Darby), « pour vaquer à la prière » (Segond), « afin de pouvoir prier » (Tob et Français courant), « afin d’être disponible pour prier » (Semeur)13.

Pour ne pas allonger, je retiens deux points concernant la prière. Deux points qui n’en font qu’un, en fait : la dépendance et l’écoute. Deux attitudes fondamentales pour la foi, mais difficiles à apprendre…

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1) La prière comme acceptation d’une dépendance🔗

Si le péché (Gn 3) se caractérise par le désir d’autonomie, la foi est bien l’acceptation d’une dépendance. « Avant d’avoir été humilié, je m’égarais; maintenant j’observe ta Parole » (Ps 119.67). Et le chrétien qui l’a vécu continue à le vivre et toute la pédagogie de Dieu consiste à le lui enseigner encore de cent façons. Notamment au travers des épreuves. En un sens, c’est mourir! Mais y a-t-il une vie chrétienne qui puisse progresser sans cela? C’est la dimension de la supplication, de l’humiliation, accompagnées par la confession de la foi nourrie de l’Écriture, et bientôt accompagnées d’actions de grâce (Ph 4.4-7).

J’ai utilisé le mot « progresser », avec pour objectifs la maturité et les victoires remportées… J’ai l’impression que cette dimension-là passe parfois pour être contraire à la réalité de la grâce, comme si celle-ci, finalement, ne se démontrait que dans une certaine stagnation. Est-ce là ce que nous lisons dans l’Écriture? « Nous vous en conjurons, au nom du Seigneur Jésus, de marcher à cet égard de progrès en progrès » (1 Th 4.1; voir Lc 6.40; Rm 6.1).

Cela concerne chaque chrétien, quel qu’il soit, normalement dans tous les domaines de la vie, y compris professionnel, et déjà pour nos enfants dans la cour de l’école. Les chrétiens quels qu’ils soient, cela veut dire aussi les pasteurs!

Être dépendant, comme le sarment l’est du cep. « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15.5). C’est là sans aucun doute une racine de la spiritualité chrétienne.

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2) La prière comme écoute🔗

C’est quelque chose que chacun a déjà médité, bien sûr. Mais il est bon de le rappeler, car cela ne va pas de soi. L’écoute véritable est difficile. L’écoute véritable est rare. Par manque de temps, pensons-nous; mais l’obstacle est plus profond que cela14.

« Le Seigneur éveille, chaque matin, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme écoutent les disciples. Le Seigneur, l’Éternel m’a ouvert l’oreille, et je n’ai pas résisté, je ne me suis pas retiré en arrière », dit le prophète Ésaïe (És 50.4-5). Et juste avant, nous lisons : « Le Seigneur, l’Éternel m’a donné une langue exercée pour que je sache soutenir par la parole celui qui est abattu » (És 50.4). L’écoute de Dieu et la parole opportune. Quoi de plus précieux que la parole opportune, que ce soit ou pas dans la bouche d’un pasteur? (Pr 15.23). Mais d’où viennent ces paroles? Elles viennent de Dieu. Ce sont des paroles de grâce (Ép 4.29). Cela passe par la disposition à recevoir, à écouter. « Écoutez et votre âme vivra » (És 55.3). « Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent » (Jn 10.27; voir 1 Co 12.8-11).

Jésus lui-même a accompli son ministère sur ce modèle. « Mon enseignement ne vient pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé », dit-il (Jn 8.28; 12.49; 14.10).

L’expérience de Saul de Tarse me paraît bien significative, à cet égard. Après qu’il soit resté trois jours sans voir ni manger (c’est-à-dire dans une faiblesse extrême et entièrement dépendant), Dieu demande à Ananias d’aller prier pour lui. Comme Ananias s’étonne, Dieu lui dit : « Va le voir, car il prie » (Ac 9.11). On a l’impression que Dieu dit : Enfin, il prie! Comme c’est étonnant. Enfin, il écoute. Enfin, il va devenir un instrument utile entre mes mains! Ananias était un disciple qui écoutait. Et Saul venait de commencer, et Dieu lui montre qu’un homme du nom d’Ananias va venir pour prier pour lui… Ceux qui sont à l’écoute de Dieu vivront des rencontres semblables, aujourd’hui encore, qu’ils soient pasteurs ou pas. Quelle dépendance! Quelle précision! Quelle force! Quelle joie!

C’est là la différence (fondamentale) entre faire quelque chose pour Dieu (c’est le schéma religieux) et laisser Dieu faire quelque chose en nous et au travers de nous, qui est le schéma de la grâce. Entre les deux, il y a la croix.

Et cela nous renvoie directement à ce que dit Pierre en Actes 6 : « Nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la Parole » (Ac 6.4). Pourquoi pas seulement : au ministère de la Parole? Cela ferait un bon sujet pour la réflexion en groupes.

Un mot sur la lecture de la Bible. Cela paraît si élémentaire. Il y a bien sûr diverses manières. Mais je pense naturellement au temps consacré à lire la Parole de Dieu pour nous-mêmes. On pourrait dire aussi : pour elle-même! Ou pour Dieu même. Un peu dans le même esprit que : « Entre dans ta chambre, ferme ta porte… » Dans les périodes de mon ministère où je m’y suis spécialement appliqué, j’ai nettement eu cette impression : Le temps passé seul devant la Parole écrite de Dieu, c’est un temps passé devant Dieu. Pas automatiquement, bien sûr. Je ne fais pas de la bibliolâtrie. Mais quand même. Et ce n’est pas très étonnant, car l’Esprit de Dieu qui est en moi reconnaît les paroles qu’il a lui-même inspirées, selon ce que dit Pierre (2 Pi 1.21)15. Cela a évidemment une incidence sur la prière dont une des vocations est précisément de demander ce que Dieu veut (1 Jn 5.14-15; voir Rm 8.26-27).

d. Spiritualité et amour fraternel🔗

J’aurais pu arrêter là mon examen de ce passage. Je le prolonge encore quelques instants avec deux mentions qui me paraissent importantes, concernant notre sujet.

Le verset 8 dit : « Avant tout, ayez les uns pour les autres un amour ardent. » Il s’agit de l’agapè de Dieu. Cela est confirmé à mes yeux par le verbe avoir : « ayez ». Quel amour véritable pourrions-nous avoir sinon celui que nous avons reçu par la foi, c’est-à-dire celui que Dieu a révélé pour des impies en donnant son Fils, comme dit Jean (1 Jn 4.7-11)? Et comment le recevrons-nous, et comment le saurons-nous? « En ce qu’il nous a donné son Esprit » (1 Jn 4.12-13). Je retiens de cela deux leçons qui ont un rapport direct avec la spiritualité.

1. L’amour-agapè est un amour spirituel, dans le sens biblique du terme. Il est de Dieu. Il est donné par Dieu, « versé dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (Rm 5.5).

L’amour dont parle le Nouveau Testament est spécifiquement chrétien, dans le sens où il est lié à la personne et à l’œuvre de Jésus-Christ dans les cœurs. On me dira qu’il y a bien des non-chrétiens qui aiment plus que bien des chrétiens. Cette observation ne dément pas, à mes yeux, le principe. Qu’on relise le début de 1 Corinthiens 1316

Je ne plaide pas ici pour une démarche mystique faite uniquement de contemplation. « N’aimons pas en paroles, mais en action et en vérité », dit Jean (1 Jn 3.18). Je plaide pour un amour qui ne se réduit pas à ce que le monde appelle la charité, les bonnes œuvres, le social ou l’humanitaire qui ont certes de la valeur, mais qui ne sont pas des marques spécifiquement chrétiennes. Cette spécificité se démontre particulièrement au niveau communautaire, et donc au niveau du ministère qui est le nôtre (Rm 15.25-26; 2 Co 9.1; Hé 6.10; 1 Jn 3.10; 4.20-21).

2. C’est précisément ma deuxième leçon, qui n’est pas aisée à recevoir non plus, mais qui découle directement de ce verset (et de beaucoup d’autres) : l’amour que nous sommes amenés à manifester est avant tout un amour fraternel. L’expression « les uns les autres », dans le Nouveau Testament, concerne toujours et exclusivement la communauté des disciples. L’amour dont il est question est un amour de communion. En d’autres termes, c’est le même que celui de Christ pour ses disciples17.

C’est précisément ce que Jésus dit à ses disciples en Jean 13 :

« Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13.34-35).

Le « comme », ici, n’est pas un comme d’imitation seulement, mais c’est un « comme » d’implication ou de déduction, qui signifie : De l’amour dont je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres — avec une dimension de réciprocité qui va démontrer aux yeux de tous que vous êtes mes disciples, les membres de mon corps. Le « à ceci tous connaîtront » démontre bien qu’il ne s’agit pas d’une attitude frileuse, dans un esprit de clan. Au contraire, c’est la condition d’un témoignage vivant, d’une démonstration, en quelque sorte.

Le « avant tout » (pro panton) de 1 Pierre 4.8 confirme cela, car il indique tout à la fois une urgence et une priorité. C’est là quelque chose de capital. En oubliant cette règle, volontairement ou pas, nous avons, je le crains, maintes fois dénaturé l’expérience et le témoignage chrétiens. Je le dirais ainsi : la priorité fraternelle est une condition pour le débordement de la grâce, pour que ce que nous avons reçu déborde sur ceux que Dieu place autour de nous. Respecter ce principe permettrait aux pasteurs (et aux Églises) d’être moins débordés, davantage débordants18. Nous sommes bien dans notre sujet.

e. Spiritualité et ministère🔗

Je mentionnerai sous forme de conclusion le cinquième point que j’avais retenu et que j’avais appelé : spiritualité et ministère. Il s’appuie sur le dernier verset de notre passage :

« Si quelqu’un parle, que ce soit pour transmettre les paroles de Dieu. Si quelqu’un assure le service [Segond dit : le ministère], que ce soit avec la force que Dieu accorde… » (1 Pi 4.11, Tob).

Quelques mots seulement. L’expression « quelqu’un » est équivalente à chacun et donc à tous. C’est là l’indication d’une haute responsabilité partagée, dans un esprit de service, avec la force que Dieu donne, de telle sorte que chacun peut, le moment venu, parler ou agir « de la part du Seigneur ». Cela met-il en péril les ministères établis? Nullement. Ils sont donnés pour rendre cela possible, au contraire, sans pour autant qu’il y ait du désordre. C’est ce que Paul appelle « l’équipement des saints » (Ép 4.12). C’est une manière de centrer la vie de la communauté non pas sur le pasteur, mais sur la personne de Jésus-Christ, de telle sorte qu’il soit « en tout le premier » (Col 1.18). C’est la condition, il me semble, pour une saine spiritualité, pour un sain ministère.

3. Épilogue🔗

Un bon épilogue devrait être assez bref et pointer deux ou trois aspects saillants de la réflexion, pas plus. J’en retiens trois que je formule de manière conjointe :

a. Les pasteurs devraient simplement s’appliquer ce qui est attendu de chaque chrétien. Par exemple, le « Ôte premièrement la poutre qui est dans ton œil [j’ai enlevé le mot “hypocrite”, car je ne suis pas Jésus!], et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère » (Mt 7.5) qui doit être entendu par chaque membre du peuple de Dieu. Nous remarquons, au passage, que ce texte nous parle d’un ministère de chaque chrétien vis-à-vis de ses frères et sœurs dans la foi! « Alors tu verras comment ôter la paille… » C’est vrai pour tous. Aussi pour les pasteurs!

b. Il est bien évident que les pasteurs doivent entendre cela en tout premier lieu, vu qu’ils ont un ministère établi au milieu de l’assemblée. Cela apparaît bien entendu dans les lettres de Paul à Timothée. Je retiens cette exhortation :

« Exerce-toi à la piété; car l’exercice corporel est utile à peu de chose [comparativement], tandis que la piété est utile à tout, ayant la promesse de la vie présente et de la vie à venir » (1 Tm 4.7b-8).

Là, on peut dire à l’inverse : ce qui est vrai en premier lieu pour les « serviteurs de Dieu » l’est bien évidemment pour tous! C’est la pédagogie du modèle. La piété n’est pas que pour les pasteurs, heureusement. Je note au passage que la situation du pasteur ne sera pas identique selon qu’il est dans une assemblée qui est « exercée à la piété » ou pas… Il en est d’une assemblée comme d’une personne : elle est plus ou moins avancée. Cela apparaît, par exemple, quand Paul demande aux membres de l’Église de prier pour lui afin qu’il puisse exercer fidèlement son ministère (Rm 15.30-32; Ép 6.19). Il y a donc bien une dépendance réciproque.

Ce principe de priorité (ou cette pédagogie du modèle) me paraît important, car il associe et distingue tout à la fois les pasteurs et les membres de l’Église (comme aussi les parents et les enfants, etc.). Pour le dire autrement, il y a une différence qui est relative (temporelle), mais bien réelle néanmoins, liée à une fonction attribuée pour laquelle il sera demandé des comptes. C’est qu’il y a à cela un enjeu communautaire, et pas seulement personnel, comme dit Paul aux anciens d’Éphèse.

« Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis comme gardiens pour prendre soin et diriger (paître) l’Église du Seigneur, qu’il s’est acquise par son propre sang » (Ac 20.28).

C’est sérieux.

c. Ce sérieux est souligné par ce même Paul dans le passage évoqué plus haut (« Exerce-toi à la piété »), quand on considère le contexte. Cette exhortation intervient après un sérieux avertissement sur les doctrines déviantes qui marqueront les temps derniers (1 Tm 4.1-3) et avant une série d’impératifs sur l’exercice du ministère, et notamment celui-ci :

« Veille sur toi-même et sur ton enseignement avec persévérance, car en agissant ainsi, tu te sauveras toi-même et tu sauveras ceux qui t’écoutent » (1 Tm 4.16).

Ma troisième remarque est donc pour souligner le lien qui relie la prière et l’enseignement, comme le dit Pierre en Actes 6.4, déjà cité.

Il y a donc bien une spécificité liée aux ministres de la Parole qui, cela est écrit, « seront jugés plus sévèrement » (Jc 3.1). Il y a donc une crainte qui est de mise, qui est le commencement de la sagesse, on le sait, qui est le commencement d’une posture adéquate, posture qui deviendra elle-même un enseignement! Cette crainte n’est pas du tout opposée à la joie de servir, comme cela est dit de la première Église (Ac 2.43-46), pas plus que le sérieux n’est opposé à la simplicité de cœur ou à l’humilité. C’est ce que je veux retenir pour moi-même.

Annexes

1. Écouter🔗

« Le premier service que l’on doit au prochain est de l’écouter. De même que l’amour de Dieu commence par l’écoute de sa Parole, ainsi le commencement de l’amour pour le frère consiste à apprendre à l’écouter…
Les chrétiens, et spécialement les prédicateurs, croient souvent devoir toujours “offrir” quelque chose à l’autre lorsqu’ils se trouvent avec lui; et ils pensent que c’est leur unique devoir. Ils oublient qu’écouter peut être un service bien plus grand que de parler…
Qui ne sait pas écouter son frère bientôt ne saura même plus écouter Dieu; même en face de Dieu, ce sera toujours lui qui parlera… Nous devons écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir nous adresser aux autres avec sa parole.19 »

2. L’amour fraternel🔗

« Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13.34; 1 Jn 3.16; 4.11). Comme beaucoup d’autres paroles « célèbres » de Jésus, celle-ci a souvent été comprise sur un mode universaliste, comme une manière de préfigurer la Déclaration des droits de l’homme. Qu’il suffise pourtant de se rappeler que l’expression « les uns les autres » s’applique toujours aux relations au sein du peuple de Dieu, Israël ou l’Église. Par ailleurs, le « comme » qui introduit ce verset n’indique pas une imitation, mais une conséquence de la grâce reçue. On pourrait transcrire ainsi : Si vous avez reçu mon amour, de cet amour-là aimez-vous les uns les autres, maintenant. C’est ce qui fait de la vie chrétienne une expérience de la grâce reçue et transmise, une démonstration de la vie de Christ et non une simple morale.

Cela est largement développé par l’apôtre Jean dans sa première lettre : le fait d’aimer les frères chrétiens n’est rien de moins — avec l’obéissance aux commandements — qu’une preuve, une démonstration de la vie nouvelle, de la vie de Christ dans le cœur du chrétien. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière » (1 Jn 2.10). « Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les frères. Si quelqu’un n’aime pas son frère, il demeure dans la mort » (1 Jn 3.14). C’est ainsi que nous retrouvons ce principe énoncé dans le sommaire de la loi : l’amour pour Dieu et l’amour pour ceux qui lui appartiennent sont indissociables. « Nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4.21). En un sens, ces « deux » amours n’en forment qu’un!

Enfin, il apparaît qu’il ne peut s’agir là de sentiments ou d’intentions seulement, mais bien d’une démonstration visible de quelque chose qui a sa source dans le cœur, par la vertu du Saint-Esprit :

« Si quelqu’un possède les biens du monde et qu’il voit son frère dans le besoin et qu’il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurera-t-il en lui? » (1 Jn 3.17). « Priez sans cesse. Pourvoyez aux besoins des saints » (Rm 12.12-13).

Quand j’aime mon frère chrétien, c’est Christ qui l’aime à travers moi; et c’est Christ que j’aime à travers lui! Cela est le propre des relations fraternelles : c’est une des vocations primordiales que Dieu accorde aux membres de son peuple; c’est un des signes actuels les plus tangibles de la réalité du Royaume de Dieu. « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13.35).

Notes

1. Le pasteur Étienne Lhermenault (enseignant à la Faculté de Vaux-sur-Seine et président du CNEF) a fait une étude sur les démissions dans le corps pastoral. Il est assez évident que le manque de « définition » de ce qu’est ce ministère est devenu la source de beaucoup de questions, de difficultés qui demeurent sans réponse.

2. Thomas A. Kempis, en Hollande au 15siècle.

3. Il y a une propension, aujourd’hui, à affirmer que « tous les hommes sont frères » ou que Dieu est « le Père de tous les hommes » qui ne repose sur aucun texte biblique. Le lendemain de sa nomination en mars 2014, le pape François a dit : « L’Église ne sera qu’une ONG compatissante si elle cesse de s’appuyer sur l’enseignement du Christ. »

4. La philosophe Simone Weil a écrit : « La sainteté est le minimum pour un chrétien. » Cité par Claude Droz dans : Simone Weil : le monde a besoin de saints. Voir Daniel Bourguet, Le monde, sanctuaire et champ de bataille, son commentaire de Jean 17 et le paragraphe « le disciple saint » p. 68.

5. Il est intéressant de mentionner deux pensées différentes à ce sujet. La tradition réformée rappelle que l’efficace de la Parole n’est pas liée au serviteur qui l’annonce, Dieu utilisant des instruments faibles pour que la puissance soit attribuée à sa Parole. La tradition méthodiste, par contre, rappelle qu’un serviteur de Dieu ne pourra amener personne plus loin que là où il est parvenu lui-même…

6. Lire par exemple 1 Th 5.1-11.

7. Dans nos liturgies, nous confessons souvent notre manque de foi, notre faible espérance et notre peu d’amour. Je me demande si nous ne le faisons pas quelques fois comme une sorte d’excuse, comme une forme de dispense de croire et de vivre vraiment ce que Dieu nous demande et nous offre de vivre en Christ, sérieusement, véritablement. Loin de tout esprit de compromission.

8. Voir Ec 7.2, 8; 1 Co 1.21-25; 7.29-31.

9. L’apôtre Paul s’exprime ainsi, également : il rappelle souvent une vérité fondamentale et poursuit sa lettre avec des « c’est pourquoi », « ainsi donc »…, ce qui démontre le lien entre la doctrine et le ministère pastoral, entre la doctrine et la vie chrétienne.

10. Je me permets ici de m’étonner de cette formule à la mode : « l’amour inconditionnel de Dieu ». Elle a certes son sens en référence à la doctrine de l’élection et à celle du salut pas la grâce, au moyen de la foi. Mais sans ces références majeures, elle devient une sorte de nouvel évangile dont on cherchera en vain un soutien dans l’Écriture.

11. Le Pape François, cet été, a recommandé aux croyants sud-coréens de considérer leur foi comme « un antidote à l’esprit de désespoir qui semble croître comme un cancer dans les sociétés qui sont riches en apparence, mais qui connaissent souvent la tristesse intérieure et le vide; à combattre l’attrait d’un matérialisme qui étouffe les valeurs spirituelles authentiques, et l’esprit de compétition débridé qui engendre l’égoïsme et le conflit ».

12. Lire le livre de Jean Cadier, Le matin vient (A.C.E. 33 route de Calvisson, Bizac. F.30420 Calvisson; 15 eu. franco de port).

13. Voir le livre d’E.M. Bounds, Puissance par la prière, Éd. CCPB. Voir le livre Mes rendez-vous avec Dieu.

14. Voir en annexe la citation de Dietrich Bonhoeffer sur l’écoute.

15. Ce n’est pas le moment d’aborder la question du statut de l’Écriture. Elle n’est pourtant pas indifférente : ma posture est-elle la même selon que je considère qu’elle est la Parole écrite de Dieu, le testament de son alliance, ou (seulement) un témoignage rendu à la Parole? Probablement pas.

16. Parallèle avec la prière : les non-chrétiens prient aussi. Mais autre est la prière du chrétien, selon ce que dit Jésus en Matthieu 5. Il en est de même avec l’amour.

17. Voir en annexe quelques lignes sur l’amour fraternel qui développent ce point. Voir aussi mon cours Le ministère diaconal (2) : Tous, mais qui?, et mon article Action sociale et amour fraternel.

18. Voir mon article Débordés ou débordants.

19. Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire.