Cet article sur Amos 2:9-16 a pour sujet l'amour de Dieu qui est grand, plein d'exigence et qui dénonce l'incrédulité, l'inconduite et le mépris de son peuple voulant faire taire la voix des prophètes et refusant de se repentir.

Source: Un prophète pour quoi faire? - Méditations sur le livre d'Amos. 3 pages.

Amos 2 - Un amour exigeant

« Et pourtant j’ai détruit devant eux les Amoréens, dont la hauteur égalait celle des cèdres, et la force celle des chênes; j’ai détruit leurs fruits en haut et leurs racines en bas. Et pourtant moi je vous ai fait monter du pays d’Égypte et je vous ai conduits quarante ans dans le désert pour vous mettre en possession du pays des Amoréens. J’ai suscité parmi vos fils des prophètes et parmi vos jeunes hommes des naziréens. N’en est-il pas ainsi, fils d’Israël? — Oracle de l’Éternel. Et vous avez fait boire du vin aux naziréens! Et aux prophètes vous avez donné cet ordre : Ne prophétisez pas! Voici : je vous écraserai sur place, comme écrase un chariot chargé de gerbes. Celui qui est agile ne pourra fuir, celui qui est vigoureux ne pourra pas déployer sa force, et le guerrier ne sauvera pas sa vie; celui qui manie l’arc ne résistera pas, celui qui a les pieds agiles n’échappera pas, et le cavalier ne sauvera pas sa vie; le plus courageux des guerriers s’enfuira nu dans ce jour-là, — Oracle de l’Éternel. »

Amos 2.9-16

Nous avons constaté, lors de notre étude précédente, que l’Église à son tour devient la cible du discours prophétique. Le prophète-berger ne s’est pas tu à son égard. Il prononce un discours plus sévère encore contre le peuple de l’alliance que contre les nations païennes. Paradoxalement, ce langage qui faisait trembler était aussi celui qui transmettait les vibrations du cœur aimant de Dieu.

Il y a des idées, d’ailleurs fort répandues, au sujet de l’amour de Dieu qui ne reposent sur aucune réalité. Pourtant, elles semblent avoir la peau increvable, par exemple celle qui veut que cet amour ne soit qu’indulgence infinie et rassurante, dépourvu de toute justice rétributive. Pourquoi Dieu n’oublie-t-il pas le mal? N’efface-t-il pas tout simplement les forfaits? Sa patience ne devrait-elle pas être infinie?

Or, que cela nous plaise ou non, ceci n’est pas le cas; du fait que l’amour de Dieu est précisément si grand, il est aussi très exigeant. Parce qu’il est généreux, il attend la reconnaissance; parce qu’il est une lumière aussi intense et brûlante, il peut se transformer en feu purificateur pour consumer tout ce qui est vil et impur.

Amos rappellera l’œuvre que Dieu, dans son amour, accomplit en faveur de son peuple. « N’est-ce pas moi qui ai combattu tes ennemis? », interroge-t-il par la bouche de son messager, « qui t’ai arraché à la servitude et élevé tes enfants pour en faire une race de prophètes? Or, au lieu de gratitude et de repentance, je constate vos forfaits; vous avez enivré mes naziréens (ceux dont la vocation consistait à se mettre au service exclusif de Dieu), et vous avez l’outrecuidance d’interdire à mes prophètes de publier mes messages. » À la clarté pure et cristalline de l’amour de Dieu apparaîtront, sombres et répugnantes, l’incrédulité et l’inconduite des siens.

Dieu se plaint dans son amour, et cet amour blessé et méprisé devient exigeant. À la voix tendre de l’affection succède le rugissement du lion. Il n’est pas prudent de jouer avec une telle inconscience avec cet amour, dont les bienfaits sont plus nombreux que les grains de sable de la mer. Au chapitre deux, le prophète dresse une liste sombre des offenses envers l’amour de Dieu dont son peuple s’était rendu coupable.

« Dieu avait été bon envers Israël », écrira un psalmiste. S’agissait-il des murailles de Jéricho, s’écroulant comme un château de cartes? Ou de la libération d’Égypte? Ou encore de la mise en déroute d’ennemis jadis redoutables? Le nombre des interventions divines est impressionnant. Même la traversée du désert durant 40 ans occupe une place de choix et possède une signification positive. Cette longue pérégrination recelant tant d’embûches, parsemée d’épreuves si redoutables frappant ce peuple de nomades, n’était, au regard de Dieu, que la manifestation de sa bonté et le signe et le sacrement de sa grâce. Cette traversée du désert avait pour but de préparer Israël à la conquête de la terre promise.

L’un ou l’autre parmi nous se rappellera sans doute sa propre traversée du désert. Désert spirituel ou moral, s’étendant au cours d’années qui semblent à jamais perdues. Celles de la guerre, ou de longs mois de maladie, voire des longues nuits d’insomnie ou de dépression, s’étirant interminablement… Les ruptures aussi, comme celles d’une amitié très chère ou d’une affection longue et profonde. Quelle comptabilité humaine pourrait transformer ces expériences en trophée de victoire?

Seul l’insensé s’adonnerait à une telle comptabilité, dira l’homme se voulant rigoureusement logique, qui ne fait sa comptabilité qu’en chiffres palpables et concrets. Dieu, quant à lui, évalue nos pertes et nos passifs comme un bénéfice net lorsque nous sommes sous sa garde. Le temps de l’épreuve prépare à sa manière à la sanctification et conduit, si on se laisse conduire, à ce que la Bible appelle « la nouvelle Jérusalem ».

Telle est la philosophie de la Bible, simple et déconcertante, mais l’unique qui soit à la fois réaliste et qui énonce toute la vérité en qui nous concerne.

Dieu avait dépêché ses prophètes pour qu’ils annoncent ses oracles. Il s’était réservé des naziréens pour donner l’exemple de la consécration, symbole vivant de sa sainteté. Israël ne changea pas pour autant de conduite. Au lieu de se convertir, il adopta une mentalité païenne. Plutôt que de se laisser transformer par l’intelligence de l’Esprit, selon la belle formule de l’apôtre Paul, « il se conforma au siècle présent » (Rm 12.2). Et cette conformité apparut dès lors dans nombre d’offenses sociales et de délits moraux, telles que l’oppression du pauvre, le déshonneur infligé à la servante ou l’attitude blasphématoire vis-à-vis des serviteurs de Dieu. « Vous avez enivré les naziréens et vous avez demandé à mes prophètes de se taire… » C’était là une attitude, hélas!, fort compréhensible de la part de ceux qui ne pouvaient pas supporter de telles exigences. Il leur fallait neutraliser, coûte que coûte, l’exemple des premiers et museler le langage des seconds. Autrement, la mauvaise conscience aurait fait des ravages dans leurs esprits…

Même demeuré au service de Dieu, un homme ivre est incapable de formuler une pensée claire et sensée, et un prophète bâillonné ne peut plus proférer des menaces. On cherchait quand même à sauver les apparences, et des cérémonies cultuelles étaient organisées de plus belle, tandis que les naziréens et les prophètes, soumis aux diktats des dirigeants, ne risquaient plus de troubler la fête en troublant les consciences.

Huit siècles plus tard, celui qui fut plus grand que les prophètes, Jésus-Christ, connut le même sort. Pis encore : s’il ne fut pas enivré ni empêché de parler, il fut simplement mis à mort. On chercha à s’en débarrasser de façon radicale, une fois pour toutes.

En réalité, ce peuple de la Bible est l’exemple par excellence de toute société et de toute communauté religieuse; parfois même de l’Église chrétienne, lorsque celle-ci préserve jalousement les apparences et cultive les formes, tout en reniant sournoisement la force de la foi et tournant le dos au pouvoir de Dieu et à son absolue sainteté. Il peut en être ainsi de notre comportement chrétien… Je me méfie d’ailleurs de tout discours chrétien qui dénonce le mal chez les autres en tenant davantage compte de critères sociopolitiques que des normes bibliques.

Oui, beaucoup battent le rappel pour rassembler leurs forces en vue de combattre les péchés des outsiders, sans se soucier aucunement des leurs, se comportant de la sorte en pharisiens propres justes et orgueilleux. En effet, une telle attitude trahit non seulement le manichéisme, mais encore et surtout un pharisaïsme pur et simple.

Serons-nous assez honnêtes et lucides sur notre propre compte et sur le compte de l’Église chrétienne pour battre tout d’abord notre coulpe et confesser nos péchés, avant de nous en prendre à tel ou tel pays lointain? Saurons-nous nous mettre en règle avec Dieu à titre individuel et en tant qu’Église tout d’abord, avant de dénoncer les péchés d’autrui? Saurons-nous être généreux pour les œuvres de l’Église lorsque nous dénonçons la misère du monde, au lieu de jeter un franc symbolique dans l’offrande à l’heure du culte ou encore dans la marmite de l’Armée du salut la veille de Noël? Car il est à craindre qu’il soit plus difficile pour certains chrétiens de se voir justifiés devant Dieu qu’à certains pécheurs qui n’ont jamais entendu parler de l’Évangile.