Cet article a pour sujet l'apologétique réformée moderne qui se soucie des motivations religieuses ou des présupposés fondamentaux de l'homme créé à l'image de Dieu et corrompu par le péché.

Source: L'apologétique réformée. 4 pages.

Apologétique (3) - Une apologétique réformée moderne

La divergence entre chrétien et non-chrétien relative à la vérité biblique ne concerne pas des détails, comme le montreront l’analyse et la critique des positions aussi bien athées que théistes, non conséquentes, mais des motivations religieuses présuppositionnelles.

Nous reproduisons ici les quatre pages tirées de notre étude, Une apologétique réformée, traitant de la défense de la foi biblique. Le lecteur voudra bien se référer à notre brochure pour situer ces quelques pages dans leur contexte. Cependant, comme telles, ces lignes introduisent déjà la philosophie biblique et chrétienne, telle qu’à la suite de Calvin, ses fidèles disciples ont pu développer.

La théologie calviniste a vigoureusement rejeté l’élément grec païen. Elle a formulé une nouvelle épistémologie. La fausse indépendance de l’homme a été démontrée sous son vrai visage; le péché originel a été réaffirmé. L’Écriture a été reconnue comme fondamentale pour l’élaboration de toute pensée humaine, l’œuvre du Saint-Esprit considérée comme essentielle en vue de la restauration de l’homme, et la possibilité de la connaissance de Dieu a été sans cesse soulignée. Calvin a distingué le sens étroit du sens large de l’imago Dei; au sens étroit, elle s’applique à la vraie connaissance, à la vraie justice et à la vraie sainteté que l’homme possède en sa qualité de créature de Dieu.

La chute a détruit cette image, mais au sens large elle demeure intacte, bien que détériorée (du fait de l’effet noétique de la chute). L’homme retient ces aspects de la nature, mais en un sens il reste aveugle. Être rationnel, sa rationalité est spirituellement aveuglée et émotivement déformée. Ce qui veut dire qu’il fonctionne dans l’intention créationnelle initiale, mais qu’il ne pense pas de manière analogique selon Dieu pour interpréter et pour faire l’expérience de son existence dans les termes mêmes de la volonté révélée de Dieu. Quoique spirituellement aveugle, l’homme reste toujours une « personne ». C’est pourquoi le synergisme luthérien n’était nullement indispensable à la pensée du réformateur français. Le synergisme envisage une situation de « ou bien, ou bien ». Ou bien c’est Dieu qui agit, ou bien c’est l’homme. Le synergisme n’a pas réussi à résoudre le problème, à savoir que si Dieu est un être personnel, l’homme l’est aussi. La personnalité de l’homme est le résultat de la personnalité de Dieu, elle en dérive, affirme Calvin. Le pécheur, en tant que personne créée, ne connaîtra Dieu correctement qu’à condition d’être l’objet d’une illumination effectuée par l’opération du Saint-Esprit, conjuguée avec celle de la Parole. Tous deux opèrent dans son cœur.

Le salut n’est pas l’éternisation de l’homme, mais sa restauration dans sa perfection originelle. L’incarnation a été nécessaire non pas à cause de la finitude de l’homme, mais à cause du péché. Parce que c’est la finitude de l’homme qui constitue le problème majeur, la nature humaine du Christ, dans la Cène luthérienne, perd toute son actualité et toute son importance. Or, l’ordre éternel seul est décisif. Dieu libère l’homme dans le temps, mais non à cause du temps. Il le libère par l’incarnation de la deuxième personne de la Trinité au cours de l’histoire. Dans l’incarnation, la nature humaine n’est pas unie à la nature divine dans un mélange et une confusion. L’incarnation est le moyen du salut, mais la cause en est le Dieu ontologique. Or, souligner de manière excessive l’incarnation, et plus particulièrement la nature humaine du Christ, face à la Trinité ontologique, c’est persister dans le mélange du temporel avec l’éternel. C’est déplacer le salut du domaine de la réalité hors de Dieu et de l’éternité. C’est en développant cet aspect de la pensée de Calvin que l’on peut fonder une authentique épistémologie chrétienne. Calvin n’a pas mélangé les catégories du temporel aux catégories de l’éternel. Il n’a pas succombé à la tentation d’accorder à l’homme une fausse liberté dans l’œuvre du salut. Ce qui explique que les réformés purent se débarrasser sans problème des derniers vestiges du raisonnement platonicien.

Deux aspects significatifs de la théologie de Calvin indiquent la nature de sa pensée théiste : la théologie de l’Alliance de grâce et celle de la Trinité. Le calvinisme ne laisse subsister aucune trace de subordination dans la Trinité. Les personnes sont représentativement complètes l’une dans l’autre, et au niveau éternel elles représentent la solution du problème de l’un et du multiple. Du fait que les personnes de la Trinité ont une égalité ultime, les principes de l’unité et de la diversité la possèdent aussi. L’apologète réformé Cornelius Van Til procède à l’analyse suivante : la complémentarité des personnes nous place devant la nécessité d’interpréter la réalité en des catégories exclusivement éternelles qui sont les sources exclusives de la diversité. Elle ne peut jamais se trouver au-delà de Dieu, d’où le problème de l’un et du multiple, de l’universel et du particulier, de l’être et du devenir, du raisonnement analytique et du raisonnement synthétique, de l’a priori et de l’a posteriori. Ces problèmes devront être résolus d’après une référence exclusive à la Trinité ontologique.

L’alternative serait de tenter une explication d’ensemble de la réalité en termes purement temporels. Mais l’homme est placé devant un choix clair : il n’y a plus de moyen de rechercher une solution à ce problème en cherchant la confusion du temporel et de l’éternel. En se fondant sur le concept de la Trinité, Calvin a approfondi sa théologie de l’Alliance. Puisque les personnes de la Trinité sont mutuellement exhaustives, que Dieu est Créateur et celui qui détermine tout, toutes les personnes, tous les objets et tous les faits sont créés de manière intelligible en termes de la Trinité ontologique; il en résulte que dans n’importe quel acte l’homme sera placé face à Dieu. Rien n’existe dans un monde impersonnel ou neutre. Tout existe dans un monde créé et totalement entouré par la personnalité de Dieu.

Même la rencontre d’une personnalité finie avec une autre n’aurait pas été personnelle si une atmosphère impersonnelle les avait entourées. De fait, leur rencontre tout à fait personnelle est due à la présence de Dieu autour d’elles. Par conséquent, toute relation personnelle entre personnes finies s’effectuera à cause même de la personnalité centrale de Dieu, tout acte de personne créée devra dans la nature du cas être représentationnel, autrement il risque l’impersonnalité. Ajoutons que chaque acte de la personnalité infinie de Dieu doit être représentationnel parce que l’alternative est un acte impersonnel. La Trinité est nécessairement de la manière dont elle existe.

Nous avons déjà affirmé que les principes d’unité et de diversité doivent également être originaux. Par conséquent, lorsque nous abordons les questions de la nature et de la personnalité finie de la créature, ce n’est pas un obstacle à notre personnalité que de penser à elle comme liée par une contrainte à celle de Dieu. Une personnalité créée ne saurait fonctionner autrement que dans une atmosphère entièrement personnalisée et une telle atmosphère peut être accordée par lui, à condition que l’existence dépende entièrement de la personnalité exhaustive de Dieu. L’homme n’est jamais un être métaphysiquement indépendant. Le réformateur est persuadé qu’à moins que l’homme n’opère dans le plan de Dieu, il ne pourra jamais opérer correctement. Bien au contraire, c’est là que se trouve l’alternative à la complète impersonnalisation de l’homme. Calvin se rendait compte que la théologie de l’Alliance lui fournissait une interprétation totalement personnaliste de la réalité. Le conflit entre luthériens et arminiens au sujet de l’acte personnel devant être unipersonnel, c’est-à-dire ne devant pas s’entourer d’une atmosphère personnaliste, est un faux conflit. Selon Calvin, si l’on va logiquement jusqu’au bout de cette position, on en vient forcément à rejeter le schéma chrétien théiste de toute pensée.

La vraie connaissance que l’homme doit avoir de lui-même et celle de Dieu se produisent simultanément. Puisque toute la connaissance tire son origine d’une pensée analogique, et ce sur le fondement de la révélation scripturaire, et étant donné que tout sens dérive de Dieu, le vrai savoir de soi-même ne peut exister que là où Dieu est totalement connu. Ainsi, les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu ne présentent aucune valeur aux yeux de Calvin. Elles se fondent sur la connaissance antérieure de l’homme par laquelle celui-ci peut atteindre à la connaissance finale de Dieu. Ces arguments prétendent à la neutralité de l’esprit de l’homme à l’égard de Dieu, tandis que pour Calvin, l’hostilité de l’esprit de l’homme à l’égard de Dieu est un fait qui ne doit plus être démontré. Bien plus, les preuves de l’existence de Dieu ont au préalable présumé la liberté de l’homme et les faits naturels de Dieu. Elles ont ainsi contribué à l’opposition à la cause théiste plus qu’à la confirmer et l’établir.

La doctrine calvinienne de Dieu rend justice à la transcendance et à l’immanence, tout en laissant la priorité au transcendant. La nature de Dieu et sa volonté ne sont jamais séparées. La volonté de Dieu exprime sa nature, aussi toutes ses opérations sont personnelles. Calvin souligne l’aséité du Fils dans sa doctrine de la Trinité. Chez lui, ont trouvera nulle trace de subordinationisme. S’il y avait eu trace de subordinationisme, cela aurait signifié que Dieu n’était pas ou n’était plus l’unique interprète de la réalité créée. La mesure de subordinationisme que retient un système de théologie dans sa doctrine de la Trinité est le signe même du paganisme dont ce système est affecté. Dès qu’on parle de subordinationisme, c’est le monde sensible et autonome de Platon qui surgit.

À l’époque moderne, la question de l’épistémologie se trouve placée au premier plan de la philosophie. Ce qui prouve que la métaphysique est laissée pour compte, mais également Dieu qui est exclu de la philosophie en tant que notion désuète, ne jouissant d’aucune actualité. Mais l’importance de la position chrétienne et théiste est clairement évidente dans la mesure où elle va dans le sens opposé de la philosophie moderne qui cherche à éliminer Dieu.