Cet article a pour sujet la relation entre la révélation biblique et la raison humaine d'après Charles Hodge et Benjamin Warfield; tout en croyant dans la corruption de l'homme, ils ont accordé trop de place à la raison autonome.

Source: L'apologétique réformée. 4 pages.

Apologétique (6) - Un calvinisme incohérent

Nombre de théologiens réformés n’ont pas échappé à l’erreur consistant à croire que révélation biblique et la raison humaine seraient opposées, quoique sous une forme pas aussi discernable. Charles Hodge et d’autres sont du nombre. Selon Van Til, bien que Hodge croie fermement que l’homme a été créé en vue de la foi, néanmoins il suppose que la foi, elle, peut prendre son départ dans l’édifice bâti de la connaissance indépendante, tout en affirmant que l’homme naturel soit mort dans ses offenses. Il se contredit dans ses plus profondes convictions. La raison est tenue pour un réceptacle capable de la révélation. Selon Hodge, la révélation s’adresse à un être raisonnable, pas à l’enfant ni aux brutes. Pour que la raison soit acceptée comme objet de la foi, elle doit auparavant être comprise comme vérité. C’est donc elle, la raison, qui déciderait si telle ou telle vérité est possible ou impossible. Par conséquent, elle agit comme juge de la révélation. La méthode réformée biblique et conséquente, dit Van Til, commence par l’Écriture. La question du point de départ est largement déterminée par la théologie que l’on opte. Nous en avons exposé plus haut les points fondamentaux.

Charles Hodge et Benjamin Warfield au siècle dernier ont été parmi les plus fermes tenants d’une position réformée. Cependant, note Van Til, ils furent incohérents dans leur position qui se voulait réformée et calviniste. Ils ne sont pas allés jusqu’au bout des présuppositions de Calvin et de sa théologie biblique. Selon Warfield, il faut défendre non seulement une essence minimale, non les détails de la foi chrétienne, des doctrines, mais surtout l’ensemble de la construction théologique chrétienne et réformée, le christianisme lui-même, qui englobe tous les détails et la totalité de l’essence dans son intégralité. Ce christianisme, il faut le communiquer à ceux qui sont « morts dans leurs transgressions ». C’est ainsi que le soleil se lève sur le champ recouvert de cadavres et l’annonce de son avènement tombe dans des oreilles sourdes. Même si toutes les étoiles se mettaient à crier avec joie, leurs cris ne parviendraient pas à percer les tympans morts. Tandis que nous regardons le monde qui est enfoncé dans le mal, c’est la vallée de la vision du prophète qui s’étend sous notre regard. Quelle utilité d’appeler des ossements desséchés et de leur demander d’entendre la voix du Seigneur? La rédemption et la proclamation seront en vain, à moins qu’il ne vienne un souffle du ciel pour les faire revivre.

Le chrétien vit en vertu de la vie donnée antérieurement au début de cette vie, car il n’avait bien entendu aucune force pour agir. Il est de la plus grande importance qu’il n’abaisse pas le témoignage à un surnaturalisme du salut. Il est simplement évident que nous avons actuellement laissé tomber ce niveau élevé en faveur de positions évangéliques dont Hodge parle en rapport de la fonction de la raison et concernant la foi. Il aborde trois points. En premier lieu, il démontre que la raison est nécessaire comme un instrument pour recevoir la révélation. À ce sujet, il peut être dit très peu. La révélation ne peut être accordée à des brutes. Ensuite, la raison doit juger de la crédibilité de la révélation. Est crédible ce qu’on peut croire. Rien n’est crédible si ce n’est l’impossible. Ce qui peut être peut l’être de manière rationnelle sur un terrain adéquat. Qu’est-ce qui est impossible? Hodge répondra : Est impossible ce qui implique une contradiction, par exemple qu’une chose est et n’est pas. Il est impossible que Dieu doive approuver ou demande d’approuver ce qui moralement est faux. Il est impossible qu’il exige de croire ce qui contredit l’une des lois de la foi qu’il a lui-même imprimée sur notre nature. Il est impossible qu’une vérité puisse contredire une autre. Il est par conséquent impossible que Dieu révèle quelque chose de vrai et qui contredit une vérité authentifiée soit par intuition, par expérience ou par une autre révélation. Enfin en troisième lieu, la raison doit juger des évidences (preuves) d’une révélation; il s’en suit que la foi sans preuve est ou bien irrationnelle ou bien impossible. Les deuxième et troisième prérogatives de la raison, dit Hodge, sont approuvées par l’Écriture elle-même. Paul avait reconnu l’autorité immense des jugements intuitifs de l’esprit humain et Jésus s’est adressé à ses propres œuvres comme étant la vérité de ce qu’il prétendait pour lui-même.

Il n’entre pas dans notre intention de traiter ici tout à fait le rapport entre révélation et raison. Il suffit de noter l’ambiguïté qui souligne cette approche par rapport au point de contact. Lorsque Hodge parle de la raison, il est vrai que Dieu a vraiment implanté de telles lois pour la foi. C’est ce point sur lequel Calvin place l’accent lorsqu’il dit que tous les hommes possèdent un sens de la divinité. Mais le non-croyant n’accepte pas la création et l’imago Dei. Par conséquent, il est impossible de s’adresser à la nature intellectuelle et morale de l’homme pour l’interprétation des faits créés ou pour l’action rédemptrice divine. Ils ne peuvent discuter, encore moins établir la crédibilité des preuves de la révélation. Sinon, nous dirions virtuellement à l’homme naturel d’accepter tant et plus la foi chrétienne, malgré son concept irrégénéré de la nature humaine.

L’intellect, ou la raison, est l’instrument dont croyants et non-croyants se servent. Pour le croyant, sa raison a été transformée par la régénération. Elle fait partie de la personne régénérée, assujettie avec joie à Dieu, soumise à son autorité. Par la grâce de Dieu, il a permis d’être interprété par la révélation de Dieu. Si d’autre part la pensée non croyante s’en sert, il doit nécessairement assumer la position de juge par rapport à la crédibilité et aux preuves de la relation, mais la foi lui sera non crédible parce qu’impossible, et ses preuves seront considérées comme inadéquates. Attribuer à l’homme naturel le droit de juger au moyen de sa raison ce qui est possible ou impossible, ou de juger au moyen de sa nature morale de ce qui est bon ou mauvais, revient virtuellement à nier le particularisme qui, selon Hodge et Warfield, croit être la marque déposée distinctive d’une vraie théologie biblique. Dans un tel cas, la foi chrétienne ne peut prétendre pouvoir interpréter. Ceci dans la mesure exacte, ou équivalente, de la position arminienne lorsqu’elle prétend que Dieu rend le salut objectivement possible, mais qu’il n’a pas réellement sauvé l’homme.

La principale difficulté de la position de Hodge réside en la question relative au point de contact, qu’elle ne distingue pas suffisamment entre la nature déchue et originelle de l’homme. Mais fréquemment, il discute comme si cette nature originelle pouvait encore se trouver aussi active dans la conscience commune de l’homme. Ici, il y a certes un élément de vérité comme chez les sophismes des philosophies. L’athéisme ne se trouve pas dans le péché, mais dans la manifestation de leur personnalité. Une comparaison peut tendre à clarifier le point dans Romains 7, où l’apôtre Paul parle de lui-même comme ayant la loi de péché dans ses membres qui souvent le contrôle contre son gré. L’homme nouveau est un homme réel, l’homme Jésus-Christ. Mais ce vieil homme est le reste de sa nature de péché qui n’a pas été détruite.

Appliquant cette analogie à l’homme naturel, nous avons ce qui suit. Le pécheur est celui dont l’homme nouveau est l’homme en alliance avec Satan. Mais ce vieil homme est celui qui guerroie entre ses membres contre sa volonté. La raison du pécheur agira toujours faussement. Le penseur chrétien qui a trop embrassé sur un terrain étranger un principe non chrétien le fait dans l’espoir de s’allier, dans le but de faire bénéficier la vision chrétienne du monde et de l’homme. C’est une conception hybride qui prétendra hériter de la substance du monde et dominer toute la pensée humaine. C’est dans ce même espoir que le christianisme primitif avait embrassé, sans se poser de questions, le platonisme et que la scolastique du Moyen Âge s’est alliée à Aristote. Les chrétiens du Siècle des Lumières ont fait autant avec Descartes et le rationalisme. Aux 19e et 20e siècles, ce furent Kant ou l’existentialisme et actuellement cela peut être telle ou telle idéologie humaniste.

On ne saurait accueillir des fruits chrétiens sur un tronc de pensée étranger à la révélation. Ce qui s’applique au domaine de l’éthique et de la foi reste valable au même titre pour la pensée chrétienne. Aucune pensée autonome humaniste ne saurait dépasser ses propres présuppositions. Ce qu’elle affirme au départ va déterminer en dernière analyse ce qu’elle affirme connaître et qu’elle prétend avoir connu. Ce fut la direction empruntée par la scolastique du Moyen Âge et par la suite par toute la théologie romaine. Celle-ci a tenté d’unir la doctrine chrétienne de la grâce à la notion grecque de la nature. Elle a interprété cette union comme étant l’unité parfaite de la forme avec la matière, à laquelle la pensée grecque n’avait pas pu parvenir. La définition classique de cette union que nous trouvons chez Thomas d’Aquin affirme que Dieu est virtuellement identifié avec la nature en tant que réalité phénoménale et perceptible à l’homme.

Le Dieu de la scolastique consiste en une nature analysée dans sa substance et qui est égale à Dieu le Père; la structure équivaut à Dieu le Fils et l’action correspond au Dieu Saint-Esprit. En dépit de l’intention louable de la scolastique, sa terminologie chrétienne ne parvint pas à insuffler une vie et imprimer un caractère chrétien à une conception de la réalité qui demeure irréductiblement grecque et anti-théiste. Le développement logique de cette idée aboutit à la dissolution de Dieu dans l’immanentisme absolu. Dieu a été englouti par et dans la nature, laissant au rationalisme l’autorité ultime qui assumera l’entière autorité interprétative de la réalité, y compris Dieu. L’Église romaine a tenu à assumer le rôle de Carnute, ce roi qui ne pouvait sérieusement dire à la mer : jusqu’ici et pas au-delà! Rome a tenté sans y parvenir d’arrêter les forces mêmes qui par ailleurs l’ont aidé à se libérer de la foi en la révélation théiste. Nier Dieu comme l’absolu ultime revient à affirmer l’absoluité de l’homme. La nature se présente alors comme le contenant de Dieu et c’est finalement l’homme qui contient Dieu. Chaque fois que la pensée chrétienne a choisi un autre présupposé que le Dieu autosuffisant, en dépit de ses intentions et ses protestations du contraire, elle aboutit à un Dieu contrôlé par l’homme.