Cette fiche de formation a pour sujet le gouvernement de l'Église et l'autorité des pasteurs et des anciens qui est exercée par délégation au nom du Christ, dans l'unité et la collégialité, dans un esprit de service et d'amour.

Source: Autorité et collégialité - Une gouvernance au service de l'Église. 6 pages.

Autorité et collégialité (1) - Au commencement Dieu

  1. Au commencement, Dieu!
  2. L’autorité
  3. La délégation
  4. La collégialité
  5. Annexe – Écouter

1. Au commencement, Dieu!🔗

En un sens, tout enseignement devrait commencer ainsi. C’est d’ailleurs le sens de la demande du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié. » C’est aussi sans doute la meilleure manière d’associer fortement l’enseignement (la réflexion théologique, la doctrine), la piété (la prière, le culte, le désir d’être agréable à Dieu) et l’obéissance (la mise en pratique, la marche chrétienne). On ne devrait jamais dissocier ces trois domaines qui, en un sens, n’en font qu’un.

Seule cette discipline-là permet de mettre en lumière les présupposés qui se cachent au fond de nous et qui dictent notre pensée et notre conduite, même quand nous n’en sommes pas conscients. Par exemple, il n’est pas dit : Au commencement la démocratie, mais : Au commencement Dieu. Ce n’est pas pareil. Beaucoup de choses vont découler de cette mise en lumière qui doit toujours être recommencée, continuée.

Soyons bien conscients que les incroyants qui emploient les mêmes mots que nous, les mêmes concepts, le font avec d’autres références, d’autres points de départ et donc d’autres objectifs, finalement. Cela ne signifie pas qu’ils sont nécessairement insensés, et par la grâce de Dieu nous pouvons rencontrer des incroyants (ou des croyants peu instruits) faisant preuve de remarquables fidélités. Mais cela ne nous dispense pas d’ordonner notre pensée et nos engagements selon les vérités que Dieu nous a révélées dans sa Parole. Cela nécessite une très grande rigueur.

Je donne deux exemples, car ce point de départ est important :

Tout le monde peut parler d’unité, travailler à l’unité avec toutes sortes de motivations, de moyens, dans le monde comme dans l’Église. Mais quand nous prenons garde à la manière avec laquelle Jésus parle de l’unité entre les chrétiens — une unité semblable à celle qui existe entre chacun d’eux et le Seigneur, semblable à celle qui unit le Père et le Fils —, alors nous comprenons que cela est absolument impossible par la volonté et les forces humaines. Nous comprenons que c’est possible cependant, mais comme le fruit de l’action de Dieu par son Esprit, de l’intercession de Christ et de notre… docilité à cette action!

Tout le monde peut faire la promotion de l’amour, chercher à œuvrer utilement dans le bon sens… Mais quand nous prenons garde à ce qu’a dit Jésus : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13.34), alors nous comprenons qu’il ne s’agit pas seulement de bons sentiments altruistes ou même de dévouement. Nous comprenons que l’amour nous est inaccessible, à moins qu’il soit versé dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné.

Ces deux exemples introduisent ce qu’on peut appeler la pédagogie de l’échec : on peut toujours essayer d’imiter, mais ce ne seront que des imitations! La vie chrétienne, la vie de l’Église, c’est tout autre chose! Nous voyons là que le chrétien a une responsabilité bien plus grande que l’incroyant1.

Toute réalité bonne et juste a sa source en Dieu. Ainsi est-il de l’autorité, de la collégialité, et aussi de la démarche pastorale qui président au gouvernement de l’Église.

Il est utile, ici, de distinguer entre l’unicité de Dieu et son unité. Le Adonaï éhad de Deutéronome 6 ne dit pas que Dieu est « le seul Éternel » (c’est l’unicité), mais qu’il est « le Dieu Un » (c’est l’unité). Cette unité profonde, parfaite en Dieu, on le sait, n’abolit pas la réalité distincte du Père, du Fils et de l’Esprit.

Nous n’allons pas, ici, développer cette réalité, mais nous allons la garder comme un fondement essentiel. L’autorité, la collégialité, la gouvernance de l’Église ont quelque chose à voir avec l’unité, et l’unité a quelque chose à voir avec Dieu. En d’autres termes, c’est de cette unité-là que nous voulons parler, et pas de n’importe quelle sorte d’unité2. « Qu’ils soient un comme nous sommes un », dit Jésus à son père (Jn 17.22). Il y a donc plus qu’une similitude entre l’unité qui existe — doit exister — entre les chrétiens (et à plus forte raison au sein d’un collège de ministères) et celle qui existe entre ces chrétiens et Dieu. Le terme communion s’impose, de fait.

L’unité spirituelle entre les chrétiens est une des priorités de la tâche pastorale (de la gouvernance de l’Église). C’est tout autre chose qu’une unité sur un mode associatif ou institutionnel. On peut être assis ensemble et chanter les mêmes cantiques sans être unis…

2. L’autorité🔗

Nous savons et aimons rappeler que Dieu est la source de tout amour. « L’amour vient de Dieu » (1 Jn 4.7). Cela est dit de la même manière pour l’autorité : « Toute autorité vient de Dieu » (Rm 13.1). Toute autorité procède de Dieu. Cette affirmation revêt une importance capitale. On va se garder d’opposer l’amour et l’autorité, n’est-ce pas? Ils ont la même provenance! Si toute autorité vient de Dieu, c’est qu’elle réside en Dieu, elle a sa source là. L’autorité est donc bonne et nécessaire, tout comme l’amour.

Je n’ignore pas que cela peut sonner étrangement à nos oreilles. Nous savons que notre pays a une histoire particulière qui suscite un réflexe de soupçon dès qu’on parle d’autorité. On associe autorité et pouvoir (ce qui n’est pas faux), mais d’une manière telle que l’autorité apparaît presque inévitablement suspecte, mal intentionnée, dangereuse. Tout cela peut se comprendre… jusqu’à un certain point3.

Quand l’apôtre Jean dit que le péché est la transgression de la loi (1 Jn 3.4), on peut penser qu’il fait référence à l’autorité bafouée. En quoi a consisté le péché en Eden? Le refus de l’amour ou le refus de l’autorité de Dieu? Pour l’esprit révolutionnaire, toute autorité menace la liberté; pour la Parole de Dieu, l’autorité juste est garante de la liberté. Les enfants ont toujours été désobéissants. Mais les « enfants rebelles à leurs parents » (2 Tm 3.2) caractériseront les temps de la fin. Dans sa deuxième lettre, l’apôtre Pierre annonce le jugement de Dieu sur les hommes injustes. À quoi les reconnaît-on? À deux signes particuliers : la dépravation morale et le mépris de l’autorité (2 Pi 2.10).

Le défaut d’autorité est aussi préjudiciable que le défaut d’amour. En d’autres termes, l’autorité est aussi nécessaire et bénéfique que l’amour, dès lors qu’elle est juste et bienveillante. Est-ce que tout le monde est convaincu de cela? Il est vrai qu’il existe tellement de modèles erronés de l’autorité.

En tant que chrétiens, nous avons un modèle vrai! Jésus s’est dépouillé et a pris la condition d’un serviteur, d’un serviteur obéissant. Mais quelle autorité il avait! Et nous y avons part… Nous y avons part en y étant soumis et nous y avons part en l’exerçant d’une certaine manière. C’est le sujet de cet exposé.

3. La délégation🔗

Je voudrais ici partager deux belles citations. La première est de Martin Luther : « C’est Dieu qui lange l’enfant et lui donne la bouillie. Mais il le fait par les mains de la mère. » Calvin, avec un style différent bien sûr, a dit quelque chose de semblable : « Dieu met l’enfant dans les bras de la mère et lui dit : Prends soin de lui de ma part, maintenant. »

L’Évangile de Luc (chap. 7) nous rapporte une rencontre saisissante de Jésus avec un centenier dont Jésus a admiré la foi. Cet homme avait compris un principe profond, une loi spirituelle fondamentale qui lui permettait de reconnaître en Jésus celui que Dieu a envoyé. Ce principe est le principe de délégation. « Moi qui suis soumis à une autorité supérieure, j’ai des soldats sous mes ordres; et je dis à l’un : Va! et il va; à l’autre : Viens! et il vient; et à mon serviteur : Fais cela! et il le fait » (Lc 7.8).

Qu’avait compris le centenier de Luc 7? Il avait compris qu’en étant soumis à un supérieur, il était autorisé à exercer l’autorité sur un subordonné, dans le prolongement de l’autorité qui était au-dessus de lui. Et c’est avec cet éclairage qu’il dit à Jésus : « Dis un mot et mon serviteur sera guéri » (Luc 7.7). C’est grand!

Puisque Jésus a admiré l’intelligence du centenier, apprenons de lui. Ce qu’on apprend, c’est l’importance capitale du principe de délégation. Ce principe est certes malmené par le péché, mais il subsiste cependant. Même en dehors de l’Église (voir Rm 13.1; 1 Pi 2.17; Jude 1.8-11).

Exercer une autorité, c’est être autorisé par quelqu’un à, c’est avoir reçu délégation pour. Rappelez-vous le terrible dialogue entre Moïse et Pharaon : « Qui est l’Éternel, pour que je lui obéisse? » (Ex 5.2), autrement dit : « Qui t’envoie, que je doive t’obéir? »

Nous voyons par les exemples cités (Jésus, le père, la mère, et même l’officier romain) que cette autorité se situe dans une perspective de service. En fait, toute vocation correspond à une délégation, à un appel, à un envoi! C’est à la fois son humilité et sa grandeur. La mère n’est que la mère; mais elle reçoit une mission de la part de Dieu. Elle trouve là à la fois la limite de son rôle (et tout rôle a sa limite) et sa force : qui l’arrêtera? Elle trouve aussi le sens de ce qu’elle fait, et le sens est ce qui nourrit la joie et la liberté.

À cela nous pouvons relier l’expression : Faire quelque chose au nom du Seigneur. Nous comprenons que ce n’est pas qu’une formule. Nous comprenons l’exigence qui y est attachée : c’est avec son accord, comme de sa part! C’est pourquoi il est dit que si nous demandons quelque chose au nom du Seigneur, nous l’obtenons. Mais cela signifie « selon sa volonté » (Jn 15.16; 1 Jn 5.14-15), ce qui implique d’être à son écoute4.

En réalité, nous sommes appelés à tout faire « au nom du Seigneur ». « Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus » (Col 3.17). Tout, à commencer par les paroles qu’on prononce, même quand il n’y a pas de micro. Chaque parole (voir Ép 4.25, 29).

C’est le B.A.BA de l’autorité.

4. La collégialité🔗

Ainsi, l’autorité ne s’autoproclame pas : elle est accordée, elle est reçue, elle est reconnue5. Elle met celui qui l’exerce dans une perspective relationnelle précise, marquée par la dépendance. Cela même a sa source en Dieu!

Le pluriel de Genèse 1 : « Faisons l’homme à notre image » peut être compris comme un pluriel de majesté, mais on peut penser qu’il dit plus que cela. Sans entrer ici dans le détail de ce qu’on doit considérer comme un mystère, on peut affirmer qu’il y a en Dieu un principe de pluri-unité qui est le fondement même de l’autorité. Le mot « trinité » est d’ailleurs la contraction de tri-unité.

Rien n’est plus naturel que de trouver dans cette réalité le principe du fonctionnement collégial, avec ses composantes propres : l’unité, la diversité, la parole, l’accord et aussi l’amour. Si cette légitimation est juste, elle est différente de celle que donne le principe démocratique, par exemple, avec ses composantes propres : la représentativité, la tendance, le débat, le rapport de force, la majorité.

Le conseil de Jéthrô à Moïse, en Exode 18, donne cependant une raison pragmatique au fonctionnement collégial : « Ce que tu fais n’est pas bien. Tu t’épuiseras toi-même et tu épuiseras ce peuple avec toi; car la chose est au-dessus de tes forces, tu ne pourras y suffire seul » (Ex 18.17-18). Dans ce texte, Moïse n’est pas la figure des pasteurs, mais de Christ. La figure des pasteurs et des anciens, ce sont les chefs de mille, de cent, de cinquante et de dix que Jéthrô recommande à Moïse d’établir, selon des critères qui ressemblent fort à ceux que Paul donnera à Timothée.

Le pragmatisme se retrouve dans un autre commencement, celui de l’Église primitive, avec la nomination des diacres. « Il n’est pas convenable que nous laissions la parole de Dieu pour servir aux tables », disent les apôtres aux chrétiens. Sept serviteurs sont nommés, « hommes de qui on rend un bon témoignage, qui soient pleins d’Esprit Saint et de sagesse » (Ac 6.3).

Aujourd’hui encore, le pragmatisme (la nécessité ou le bon sens) nous contraindra peut-être à prendre certaines mesures dans ce sens. Mais nous devrons veiller à ne pas dénaturer pour autant le principe du ministère chrétien.

Dans le Nouveau Testament, chaque fois que le mot pasteur est employé au singulier, c’est pour désigner Jésus. Il semble que le ministère soit toujours collégial. Certains diront que le seul ministère pouvant agir seul est celui d’apôtre, dont un des rôles est précisément de former et de nommer des anciens (Ac 20; 1 Tm 3). Cependant, Paul semble toujours accompagné et il s’exprime fréquemment en « nous » (1 Th 2.8, 11). Quant à l’apôtre Pierre, il nous dit que les apôtres sont aussi considérés comme des anciens, au même titre que les autres (1 Pi 5.1). On retrouve là la dimension collégiale avec ses exigences propres, avec notamment la soumission mutuelle et la règle de l’accord (voir le synode de Jérusalem en Ac 15).

Il me semble que le couple offre un modèle pertinent. Ce n’est pas une simple association; il y a la nécessaire unité, il y a la soumission mutuelle qui n’implique pas l’égalité des rôles; il y a les vocations spécifiques (l’époux, l’épouse, le père, la mère) qui servent un intérêt commun et, au-delà, une mission commune. Il n’est pas étonnant que Calvin ait recommandé que « chaque maison soit gouvernée comme une petite Église ».

5. Annexe – Écouter🔗

« Le premier service que l’on doit au prochain est de l’écouter. De même que l’amour de Dieu commence par l’écoute de sa Parole, ainsi le commencement de l’amour pour le frère consiste à apprendre à l’écouter. […]
Les chrétiens, et spécialement les prédicateurs, croient souvent devoir toujours “offrir” quelque chose à l’autre lorsqu’ils se trouvent avec lui; et ils pensent que c’est leur unique devoir. Ils oublient qu’écouter peut être un service bien plus grand que de parler. […]
Qui ne sait pas écouter son frère bientôt ne saura même plus écouter Dieu; même en face de Dieu, ce sera toujours lui qui parlera. […] Nous devons écouter avec les oreilles de Dieu, afin de pouvoir nous adresser aux autres avec sa parole.6 »

Notes

1. Nous n’aimons pas beaucoup la notion de mystère, dans les Églises évangéliques. Un mystère n’est pas une chose à laquelle on ne comprend rien; c’est une chose qu’on ne comprend pas entièrement! Ainsi, nous pouvons accepter qu’il y a beaucoup de mystères. Cela n’est pas démobilisant. C’est au contraire mobilisant pour beaucoup d’attention, de précaution, d’application. En d’autres termes pour la fidélité — un mot qui est de la même famille que le mot foi. Voir Dt 29.29.

2. Le pasteur Teulon, opposé au mouvement d’union des Églises réformées de 1938, a écrit : « Nous ne sommes pas contre l’unité. Nous sommes contre cette espèce de confusion qu’on baptise du nom d’unité. »

3. Voir le « pères, n’irritez pas vos enfants », d’Éphésiens 6.4.

4. Voir en annexe une citation de Dietrich Bonhoeffer sur l’écoute.

5. Il est vrai que la compétence est aussi un facteur d’autorité. Mais, à bien y regarder, celui qui étudie se met à l’école de maîtres, il reçoit d’eux une compétence et porte la responsabilité d’en faire bon usage. Le principe de délégation n’est donc pas absent de l’apprentissage. Les diplômes disent quelque chose dans ce sens. Ils ne sont ni suffisants ni sans signification.

6. Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire.