Cet article sur la christologie a pour sujet l'interprétation de l'Ancien Testament dans l'histoire de l'Église. On s'est souvent servi de l'allégorie ou on a trop vu la présence du Christ, sans assez tenir compte de l'histoire du salut.

Source: Les débats christologiques anciens. 3 pages.

Les débats christologiques anciens (6) - L'interprétation christologique de l'Ancien Testament

L’exégèse allégorique était exercée par le Juif Philon d’après l’exemple de l’interprétation pédagogique d’Homère par les Grecs. Philon cherchait à éloigner de l’Ancien Testament beaucoup de détails qui scandalisaient l’helléniste. Les Pères apologètes n’ont pas non plus été exempts d’une exégèse allégorique, qui ne tenait pas suffisamment compte de la signification littérale et historique de l’Écriture. On trouve surtout une grande influence de la méthode de Philon dans les ouvrages d’Origène. Celui-ci distinguait le sens littéral, le sens psychique (tropique, éthique) et le sens pneumatique (allégorique) de la Bible. Le sens proprement dit de l’Écriture se trouverait, selon lui, derrière le sens littéral. Celui qui voit le sens allégorique comprendrait le mieux ce que la Bible dit de Christ. Partout où il est question d’aveugles dans la Bible, cette interprétation allégorique comprend qu’il s’agit d’aveugles au sens religieux; elle y voit des hérétiques quand la Bible parle de lépreux, etc.

L’école d’Antioche fit un retour à la lettre de la Bible. Mais ce n’était pas facile de mettre fin à l’interprétation capricieuse de la Bible; on trouve aussi l’influence de la fausse interprétation chez Augustin, quoique l’opposition contre cette méthode restera aussi. On la trouve pendant le Moyen âge. C’est surtout la Réforme, acceptant l’Écriture sainte comme la norme absolue, qui s’est opposée à l’exégèse allégorique. L’influence de l’étude renouvelée des langues mortes par les humanistes a exercé son influence sur la nouvelle lecture de la Bible. La Réforme voulut écouter ce que la Bible dit elle-même.

Aujourd’hui, l’exégèse allégorique se retrouve souvent dans des milieux qui ne sont pas favorables à une théologie scientifique et qui prétendent être les défenseurs de la doctrine de l’infaillibilité de la Bible. Dans ces milieux, la « lettre » de la Bible est souvent cachée derrière une spiritualisation capricieuse. Il existe aussi des milieux plus scientifiques qui défendent certaines formes d’exégèse allégorique.

Un groupe de théologiens catholiques moderne demande une nouvelle attention pour l’exégèse allégorique, comme on la trouve par exemple dans les écrits d’Origène; Daniélou et De Lubac sont parmi quelques théologiens dirigeants de ce groupe. L’argument théologique qu’ils donnent est que le même Christ dont la Bible témoigne demeure dans l’Église. C’est pourquoi l’interprétation qui se pose sur la base de la foi ne serait pas limitée à ce qu’une exégèse neutre pourrait trouver. L’exégète croyant, qui appartient à l’Église catholique et qui participe de sa vie et donc de Christ qui est sa vie, peut comprendre le sens spirituel qui ne peut pas toujours être prouvé à un interprète neutre, manquant cet organe pour explorer la Bible et devant se restreindre à ce que le texte contient au moins d’une manière implicite. Il s’agit dans le dernier cas des implications qui, en raisonnant et en appliquant les règles de la logique saine, peuvent être déduites du texte. Le théologien catholique est sans doute lié au texte, selon ce groupe; mais cela ne veut pas dire que, dans une exégèse, il doive se limiter à ce qui est impliqué dans le texte. Il y a aussi dans le texte des implications liées à la réalité décrite dans la Bible à cause de sa présence dans l’Église. L’exégète qui vit en communion avec l’Église peut souvent reconnaître ce qui était dans la pensée des auteurs, mais qu’ils n’ont pas exprimé d’une manière que la logique appelle explicite ou implicite.

Cette opinion suppose tout à fait l’idée catholique de la relation entre l’autorité de la Bible et celle de l’Église. Ici, la Bible a essentiellement perdu son autorité au-dessus de l’Église. Elle est devenue la première expression de l’esprit de l’Église. C’est pourquoi une deuxième expression ne doit pas se limiter nécessairement à ce qui se trouve déjà dans la lettre de la première expression.

L’exégèse purement technique qui était dominante pendant le dernier siècle dans la théologie protestante et qui ne tenait pas compte du caractère spécial de la Bible comme le livre de la révélation divine a heureusement rencontré beaucoup d’opposition plus tard. Hélas!, les opposants n’ont pas toujours su éviter à leur tour une exégèse qui ne rend pas davantage justice au caractère de l’Écriture. Nous pensons à ceux qui veulent une exégèse théologique ou « pneumatique ». Ils exigent une interprétation de la Bible qui se base sur le plan de la foi, qui accepte l’unité essentielle entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament, parce que toute la Bible rend témoignage au Christ. Hélas!, ces bonnes idées vont souvent de pair avec un très grand caprice en ce qui concerne le texte littéral de l’Ancien Testament. Le sens historique d’un certain passage est souvent considéré comme n’ayant pas de valeur pour nous. Un tel passage pourrait être pour nous un témoignage de Christ, quelle que soit sa valeur historique. Selon ces théologiens, l’aspect historique du texte et les événements réels n’ont pas d’importance pour notre foi. La Bible ne contiendrait pas des rapports historiquement exacts, mais des « témoignages ». L’Ancien Testament ne serait pas intéressé par l’histoire comme telle, mais il s’intéresserait seulement à ce qui arrive au peuple de Dieu. Le témoignage de l’Ancien Testament doit être trouvé. Et on cherche partout des allégories et des rapports qui rappellent le Christ, sans que l’on s’intéresse à la réalité historique des événements décrits. Ces opinions par exemple sont avancées par Wilhelm Vischer.

Le défaut d’une telle conception naturellement ne consiste pas dans le fait que l’on cherche le Christ partout dans l’Ancien Testament. Nous nous opposons seulement à la manière dont on le fait. Il est permis de lire un témoignage du Christ dans l’Ancien Testament seulement si le texte veut vraiment nous donner un tel témoignage. Ce n’est donc pas la subtilité de l’exégète, mais le texte lui-même qui doit nous montrer le Christ. Les adhérents d’une exégèse « théologique » combinent souvent une attitude très critique à l’égard de la lettre de l’Écriture avec une interprétation profondément religieuse.

La grande erreur est que la perspective de l’histoire du salut est oubliée; on ne tient pas compte du fait que Dieu agit dans l’histoire d’Israël et que par conséquent l’histoire réelle de ce peuple a une valeur éminente. Cette histoire réelle est la voie vers l’incarnation du Christ. L’exégèse critique n’accepte pas ce mouvement historique de l’action de Dieu vers le Christ. C’est pourquoi, selon eux, l’Ancien Testament parle presque aussi clairement de Christ que le Nouveau Testament. La différence entre le Nouveau Testament et l’Ancien Testament est affaiblie; on cherche partout des témoignages très explicites du Christ parce qu’un passage biblique perdrait sa valeur s’il ne procurait pas un tel témoignage.

Nous comprenons les choses autrement. L’histoire de l’Ancien Testament comme telle est importante. Cette histoire évolue vers l’arrivée de Christ. C’est l’histoire de l’arrivée de Dieu. Mais cela n’implique pas que nous comprenions toujours quel est le rapport entre un certain événement et le Christ. Un passage ne perd pas sa valeur pour nous s’il ne contient pas un témoignage explicite du Christ. La méthode de Wilhelm Vischer conduit à une grande monotonie, parce que ce n’est plus l’histoire toujours nouvelle qui est la révélation de l’arrivée de Christ. Nous remarquons encore que l’exégèse dont nous venons de parler a été influencée par la méthode qui a été inventée par ce que l’on appelle en allemand « die Formgeschichtliche Schule » (l’école de la critique des formes), et dont nous traiterons plus tard.