Cet article a pour sujet le décret immuable de la prédestination dans la pensée de Jean Calvin, incluant l'élection au salut par pure grâce et la réprobation des coupables selon la parfaite justice de Dieu.

Source: Le déterminisme et la responsabilité dans le système de Calvin, 1895. 2 pages.

Le déterminisme de Calvin - Le système - La prédestination

Nous avons vu que, du fait que cette transformation morale ne se réalise pas chez tous les hommes, Calvin avait conclu à la doctrine de l’élection ou de la prédestination proprement dite, qu’il définit en ces termes :

« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire d’un chacun homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition : mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à éternelle damnation; ainsi selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie. »

Ce décret éternel est immuable, et le sort de chaque homme est irrévocablement fixé, dès avant naissance. Nul par conséquent ne peut obtenir le privilège de l’élection par ses propres efforts. Il n’en faudrait pourtant pas conclure que Dieu condamnerait un homme malgré sa foi et sa piété, s’il était réprouvé; une telle supposition est absurde : « car la foi ne se trouve sinon aux élus » et quant « aux adversaires de la vérité », qui

« disent que celui qui est réprouvé de Dieu, perdrait sa peine en s’appliquant à vivre purement et en innocence en cela ils sont convaincus de mensonge impudent; car d’où procéderait telle étude, sinon de l’élection de Dieu? Vu que tous ceux qui sont du nombre des réprouvés comme ils sont instruments faits à opprobre, ne cessent de provoquer l’ire de Dieu par crimes infinis : et confirmer par signes évidents le jugement de Dieu qui est décrété contre eux, tant s’en faut qu’ils y résistent en vain. »

Le décret de l’élection, comme celui de la réprobation est, de plus, absolu. Ceux qui sont prédestinés au salut ne le sont pas en prévision de leur foi ou de leur mérite, mais seulement à cause de la miséricorde gratuite de Dieu, qui fait grâce à qui bon lui semble. Et il ne faut pas chercher ailleurs que dans la volonté mystérieuse de Dieu la cause de la réprobation.

Du reste, les réprouvés ne sont pas condamnés gratuitement, car, outre qu’ils sont prédestinés à justifier par leurs péchés la sentence qui les frappe, cette sentence, si indépendante qu’elle soit des démérites qui en sont la conséquence, est pourtant juste et sainte, mais notre intelligence trop faible pour pénétrer dans les profondeurs mystérieuses de cette justice absolue, dont celle que nous connaissons n’est qu’un pâle reflet, doit attendre patiemment qu’elle soit rendue capable d’en supporter l’éclat trop puissant pour ses faibles moyens d’investigation. Calvin voyait un « hideux sacrilège » dans la thèse d’après laquelle les hommes périraient par suite d’une décision arbitraire de Dieu, sans qu’ils fussent véritablement coupables. Voici d’ailleurs comment il a lui-même résumé son enseignement sur la prédestination :

« Nous disons donc, comme l’Écriture le montre évidemment, que Dieu a une fois décrété par son conseil éternel et immuable lesquels il voulait prendre à salut et lesquels il voulait dévouer à perdition. Nous disons que ce conseil, quant aux élus, est fondé en sa miséricorde sans aucun regard de dignité humaine. Au contraire, que l’entrée de vie est forclose à tous ceux qu’il veut livrer en damnation : et que cela se fait par son jugement occulte et incompréhensible, combien qu’il soit juste et équitable. »

Telle est, exposée dans ses grandes lignes, la doctrine de la prédestination, doctrine devant laquelle la foi la plus ferme est saisie d’une crainte invincible, mais dont elle ne peut se passer si elle veut être conséquente avec elle-même, et ne rien enlever à Dieu de la gloire qui lui est due. Calvin, comme avant lui Luther, et comme plus tard Pascal, a connu cette terreur à laquelle aucun homme de cœur ne peut se soustraire, et l’a laissé deviner dans cette parole échappée à sa plume si réservée : « Je confesse que ce décret doit nous épouvanter. » Oui, on peut trembler devant ce dogme, mais cette crainte ne doit pas nous porter à lui imputer des conséquences qu’il ne comporte pas, comme nous allons essayer de le montrer dans notre deuxième partie.