Ecclésiaste 1 - Une analyse des temps
Ecclésiaste 1 - Une analyse des temps
« Moi, l’Ecclésiaste, je suis devenu roi sur Israël à Jérusalem. J’ai pris à cœur de rechercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel; c’est un souci fâcheux que Dieu donne aux humains comme moyen d’humiliation. J’ai vu tous les ouvrages qui se font sous le soleil; voici que tout est vanité et poursuite du vent. Ce qui est courbé ne peut être redressé, et ce qui manque ne peut être porté au compte. J’ai dit en mon cœur : Ainsi moi j’ai développé et amassé plus de sagesse que tous ceux qui étaient avant moi sur Jérusalem, et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de science. J’ai pris à cœur de connaître la sagesse, et de connaître la démence et la folie; j’ai reconnu que cela aussi est poursuite du vent. Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de tracas, et plus on a de science, plus on a de tourment. »
Ecclésiaste 1.12-18
Nous devons préciser que l’Ecclésiaste est un chercheur lucide et intègre. Il se livre à une analyse des plus rigoureuses de son époque. Chroniqueur avisé, il observe les phénomènes dont il est le spectateur témoin. Il le fait avec zèle et compétence. Il nous tient en haleine jusqu’à la dernière page de son livre. Si la comparaison est permise, je dirai qu’il nous rappelle ces personnages peu ordinaires que sont les détectives privés ou encore ces commissionnaires de police au flair exceptionnel qui ne négligent aucune trace, évaluent ensuite tous les détails, même les plus minimes, et mettent ensemble toutes les pièces du dossier jusqu’à ce qu’ils trouvent la bonne piste qui les mène à élucider l’énigme. Il nous rappelle encore ces savants modernes cherchant à analyser des faits, qui se penchent sur les détails les plus insignifiants, les analysent minutieusement, les rapprochent, les comparent, les rassemblent et, enfin, obtiennent l’explication du phénomène observé.
Déprimé par le sens profond de la vanité de l’existence que l’homme mène au milieu des forces naturelles permanentes, l’Ecclésiaste se met en quête du Dieu du bien suprême. Sa quête débute par un mouvement vers la sagesse. Quel est le sens des enquêtes et des labeurs humains? La sagesse n’est pas un acquis de savoir scientifique, une accumulation de faits sociaux, une maîtrise des lois politiques, la conclusion d’une spéculation, même pas une science psychologique comme telle. C’est une sagesse née d’une expérience vaste et variée, non d’une étude abstraite. Il est familier des faits concrets, des circonstances, des pensées, sentiments, espoirs et intentions objectives de toutes sortes. Il a sur le bout des doigts toute la misérable condition humaine. Il s’engage à rendre visite à ses contemporains, là où ils se trouvent, afin de connaître de près le sort de l’artisan et de l’artiste, de l’époux et de la femme au foyer, du commerçant et du professionnel, du savant et du laboureur. Possèdent-ils une clé qui explique leur situation? Le sens de la vanité, qu’il avait déjà acquis en contrastant la fermeté de l’univers physique à la fragilité humaine, s’accroît davantage au fur et à mesure qu’il poursuit son enquête. Et, avant de s’aventurer à une nouvelle expérimentation, il adresse un nouvel appel pathétique au cœur qu’il avait cherché à connaître avec tant d’empressement à l’aide de ses connaissances.
La vie est incertaine. L’acquisition des biens matériels égale à l’exposition au risque d’extorsions. Conquérants et conquis partagent très souvent le même sort, celui d’être des victimes de satrapes sans scrupules, d’oppresseurs dépourvus de sentiments humains, de magistrats capricieux, de juges véreux, de jaloux haineux d’autrui, de jeunes loups rivaux et arnaqueurs, de rapaces se précipitant sur tout ce qui bouge pour le dévorer.
Accroître le savoir, c’est augmenter ses peines. Les plus prestigieux de nos propres contemporains n’ont-ils pas abouti à ces mêmes constatations? Eux qui regardent de si haut la vie ordinaire de l’homme du commun, adonné à de viles passions, vautré dans des plaisirs bon marché, livrant une âpre lutte pour le gain et l’appât. Vrai, même le Christ, qui observait les publicains coriaces spoliant les contribuables, ou ces hypocrites de pharisiens dévorant le pain des veuves et des orphelins, ne les a-t-il pas fustigés pour leur avarice avec une rare sévérité?
Avec l’Ecclésiaste, nous voyons comment les plus malins et les moins scrupuleux arnaquent et trichent, emportant des succès au prix de leur honneur et même de celui d’autrui. Hélas!, s’il faut chercher le bien suprême dans la connaissance variée de la condition des humains, de leurs espoirs et de leurs craintes et succès, de leurs amours et de leurs haines, de leurs droits et de leurs erreurs, de leurs plaisirs et de leurs peines, nous partagerions le désappointement amer de l’Ecclésiaste et nous répéterions avec lui le triste et sombre leitmotiv « vanité des vanités ». Pourtant, il nous dit que la sagesse est le don de Dieu. Autrement nous ne parviendrions à aucun résultat satisfaisant dans notre enquête.
Selon l’Ecclésiaste, la vie n’est pas une affaire banale. Un rationaliste confortablement calé dans son fauteuil prétendra résoudre à l’aide de ses certitudes logiques le problème complexe de la vie. Mais, chercheur sérieux, l’Ecclésiaste se penchera sur les faits, recherchant chacune des parties, même les plus minuscules, du mécanisme complexe de son univers. Il s’applique à cette entreprise avec sagesse et prudence; il va l’évaluer, en découvrir le sens et en saisir la finalité. C’est pourquoi son livre est aussi intéressant et qu’il n’a vraiment rien perdu de son actualité.
Les hommes de son temps ne se souciaient guère de religion. En cela, ils ne différaient pas de nos contemporains. Ce qui aggrave leur attitude, c’est que ces païens par nature et par conviction ne savaient plus distinguer entre ce qui est sacré et ce qui est séculier. À leurs yeux, le monde tout entier devenait une entité sacralisée. La nature se confondait avec des divinités imaginaires. Presque chaque localité possédait son dieu. Songeons seulement aux Baals dont il est question dans l’Ancien Testament, ces seigneurs, divinités païennes avec leurs consœurs les Astartés. Songeons également au panthéon des Grecs civilisés, avec leurs innombrables divinités, celle de la vie, celle de la mort, de la beauté et de la guerre, de la parole comme du mensonge! Dès lors, il ne faudrait pas s’étonner que la science, telle que nous la comprenons actuellement, ne pouvait se concevoir dans un esprit nourri et imbibé de mythologie. La science moderne aurait été un blasphème au regard de l’adorateur de la nature qui identifiait celle-ci avec les divinités de son imagination.
L’Ecclésiaste, quant à lui, a une autre idée sur le monde et sur Dieu. Certainement connaissait-il parfaitement le livre de la Genèse, il était familier avec le récit des origines. Il avait appris la différence irréductible entre le Dieu Créateur et le monde physique, œuvre de ses mains divines. À ses yeux, l’univers est création divine; jamais le Créateur ne se confond avec sa créature. L’Éternel seul est Dieu. Le culte de la nature pour le croyant de l’Ancien Testament est une chose inconcevable, une horrible abomination. Pourtant, le peuple de l’alliance s’est souvent laissé séduire par les mythologies et superstitions des peuples avoisinants.
Actuellement même, nombre de chrétiens semblent tombés dans le même piège, pas essentiellement différent de l’autre. Ils suivent la voie large. Séduits par l’esprit du temps, ils affirment qu’on ne devrait plus parler d’un Dieu Créateur, mais que, sans plus tarder, il faudrait abandonner de vieilles croyances surannées pour aller dans le sens de l’histoire, unique et exclusive référence depuis Hegel et ses acolytes jusqu’à Karl Marx et compagnie.
Nous, nous écouterons l’Ecclésiaste. Il avait appris par cœur sa leçon d’histoire naturelle. Il regardait autour de lui avec les yeux de son illustre prédécesseur, Moïse, pour apprendre que Dieu est à l’origine de tout ce qui a la vie, le mouvement et l’être; aussi se livre-t-il à une analyse rigoureuse et intransigeante des temps modernes.
Il ne porte pas de lunettes roses, mais il n’est pas pour autant un pessimiste ne broyant que du noir. Les quelques lignes que nous avons lues concluent que la vie est une affaire bien malheureuse. La vie, une affaire malheureuse? ricaneront les jouisseurs modernes… Bien entendu, l’Ecclésiaste ne songeait pas aux mille gadgets que nous offrent les grandes surfaces, ni aux compagnies de voyages touristiques ou à la surabondance de la nourriture, en Occident tout au moins. Avec un réalisme impitoyable, il nous rappelle l’ombre de la mort, les ruines qui jonchent les territoires dévastés par le feu, ceux noyés dans le sang, la perpétuelle présence des pauvres au milieu de nous, des pays affamés qui ne peuvent même pas ramasser les miettes qui tombent de la table du petit monde des nantis, des familles brisées et des vies gâchées par le vice et par la débauche… Il nous crie à la face : « Mais regardez donc, aveugles que vous êtes! Vous vous obstinez à détourner la tête de la déplaisante réalité… » Il hurlerait son indignation et sa révolte en entendant des drogués et autres marchands d’enfer dire : « Les drogues? Elles donnent un nouveau sens à la vie, une nouvelle profondeur… » Profondeur? Abîme plutôt, néant, mort et putréfaction! L’Ecclésiaste se moquerait des élucubrations d’auteurs de science-fiction chantant l’existence de planètes imaginaires et entretenant des mirages. Tout est vanité, répète-t-il. Plus vous accumulez de savoir et plus complexes deviennent vos problèmes! Il nous montrerait même du doigt les hommes de science, qui sont parmi les plus inquiets de notre temps, eux qui ont pourtant tant fait pour produire des armes de destruction massive!
En effet, vue sous cet angle-là, la vie est une affaire bien malheureuse. Pourtant, regardons le monde avec les yeux de l’Ecclésiaste, à la lumière de la création, mais aussi et sans fautes à la lumière de la chute. Écoutons-le dire avec son poignant réalisme, parfois blessant pour notre amour-propre, et pourtant salutaire, allergique à tout romantisme à fleur de peau : « Il n’y a jamais eu de bon vieux temps. » Les époques se succèdent et elles se ressemblent toutes.
Alors, il nous reste à nous accrocher fermement à l’espérance qui, sous le soleil, au milieu des futilités présentes, reste triomphante. Dieu nous appelle à lui; il nous parle dans sa sagesse. Il s’offre avec sa grâce. Il ne nous laisse pas aller à la dérive. Il cherche avec tendresse à prendre soin de chacune de nos frêles existences.
L’Ecclésiaste ne savait pas encore qu’en Jésus-Christ, Dieu allait s’engager en personne, viendrait vivre « sous le soleil », s’abaisser jusqu’à porter lui seul nos vies malheureuses et supporter la malédiction pesant sur elles. Tandis que nous entendions le leitmotiv « vanité des vanités », le voilà ce Dieu, venant à l’improviste se placer au milieu de nous. Désormais, sous le soleil, nous pouvons vivre par la foi, devant Dieu.
Combien j’aime la belle expression de Martin Luther : « Sola fide coram Deo vivere », « par la foi seule vivre en face de Dieu ». C’est là le message essentiel de l’Ecclésiaste. Une chose reste à faire : craindre Dieu, c’est-à-dire croire en lui. Si vous avez fait cette expérience, vous êtes passé de la vanité à la plénitude. Vous qui vous débattez au milieu des futilités, pourquoi tardez-vous à vous accrocher à la seule ancre d’espérance plantée dans le cœur paternel du Créateur? Pourquoi manquer ce rendez-vous essentiel et existentiel au lieu de vous livrer à une expérience négatrice et mortelle? Vivre devant Dieu, par la foi seule, c’est le chemin de la plénitude et de la sagesse. À vous donc de prendre au mot non pas le prédicateur chrétien que je suis, mais le Dieu Sauveur, celui dont l’Ecclésiaste et toute la Bible annonce l’amour, proclame la sagesse, offre le salut.