Face à l'autre Message du Nouvel An
Face à l'autre Message du Nouvel An
L’année qui vient de s’écouler nous aura sans doute apporté son lot d’événements imprévisibles, et ne doutons pas qu’au cours de la nouvelle année que nous inaugurons nous serons surpris par d’autres événements tout aussi inattendus. À la somme d’expériences accumulées dans le passé viendront s’en ajouter d’autres, le plus souvent pénibles, rarement plaisantes.
Pour les peines éprouvées, les déceptions subies, les angoisses ressenties ou les heures d’amertume endurées, nous serions tentés d’égrener un chapelet de jérémiades et de lamentations sur l’année qui vient de s’écouler.
Le long hiver que nous traversons ou l’inconnu printemps que nous attendons susciteront, l’un comme l’autre, d’inquiétantes interrogations. Que nous réservent ces lendemains enveloppés de voiles? Ceux dont nous nous sommes séparés, parce qu’ils n’ont plus inspiré confiance, politiciens, hommes d’État, amis de longue date qui nous ont trompés, voire familiers qui nous ont trahis, et peut-être même des hommes d’Église qui ne se sont pas trouvé dignes ni à la hauteur de leur vocation, seront remplacés par d’autres, non moins fragiles, non moins irrésolus dans leurs voies et leurs engagements, et dont les promesses risquent, elles aussi, de n’être pas tenues.
Des jeunes chercheront à façonner le monde à leur manière, tandis que des adultes se retireront d’une carrière lassante ou prendront définitivement congé de leur éphémère existence. Des jeunes s’ouvrant à la vie poseront l’essentielle, mais troublante question : Que signifie-t-il d’être humain? À quoi rime cette existence sur une planète perdue dans l’immense étendue des galaxies? À quoi sert une foi qui se réclame d’une antique révélation et s’accroche à un personnage nommé Jésus-Christ?
Nombreux sommes-nous à avoir entamé déjà l’automne de la vie. Permettez-moi de vous présenter à vous, jeunes, mais aussi à vous autres, femmes et hommes d’âge mûr, mes vœux les plus sincères. Permettez-moi d’être direct et de vous dire ce que j’espère ardemment pour cette nouvelle portion de temps qui nous est accordée telle une grâce, sinon comme un sursis. Ma prière se résumera brièvement en ces mots : Puissiez-vous, au cours des journées qui viennent, vous placer face à l’autre.
Méditez ce passage saisissant du livre du prophète Jérémie, même si ce texte ne semble pas directement concerner la célébration et l’inauguration d’une année nouvelle.
« Ainsi parle l’Éternel : Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force, que le riche ne se glorifie pas de sa richesse, mais que celui qui veut se glorifier se glorifie d’avoir de l’intelligence et de me connaître, de savoir que je suis l’Éternel, qui exerce la bienveillance, le droit et la justice sur la terre » (Jr 9.22-23).
Au moment où d’autres pensées et écrits religieux, déclarations d’agnostiques et manifestes d’athées, révélations de mystiques ou sourates coraniques, ou encore les mirobolantes promesses d’un Maharishi Yogi vous promettent de bâtir sur terre le ciel de vos rêves, tout un chacun rivalisant avec la foi chrétienne, pourquoi nous accrocher, cette année encore, aux paroles d’un antique messager? Certes, ici et là, on reconnaît et on adore le Dieu dont le prophète Jérémie a été le témoin et le porte-parole, mais il est bien davantage ignoré, refusé, si ce n’est combattu avec acharnement.
Ce qui m’étonne dans ce texte biblique, c’est que le Dieu de Jérémie, celui de Jésus-Christ, s’adresse à nous autres humains en un langage humain, accessible à notre esprit et se plaçant à notre portée pour se faire clairement comprendre. Il ne parle pas, si j’ose m’exprimer ainsi, enveloppé de sa divine et majestueuse puissance, mais descend jusqu’à nous et nous invite en sa compagnie. Ceci devrait nous réjouir immensément.
Mais un tel appel, même en tant que gracieuse invitation, suppose que nous nous engagions totalement avec une foi résolue qui cherche à comprendre et qui lutte, tel le patriarche biblique Jacob dans un corps à corps avec Dieu pour le saisir et lui arracher, si possible, la bénédiction qu’il nous destine (Gn 32.25-33); une foi qui est dans une arène comme l’agoniste classique, en agonie au sens premier du terme, celui d’une lutte totale, afin de scruter le mystère de la révélation divine au risque de se blesser.
Car le Dieu qui nous a façonnés veut être cherché et trouvé, connu et goûté afin de nous dévoiler son visage de Père plein de compassion, animé d’un amour sans calcul. Telle est la gloire de la connaissance de Dieu, le bonheur qui découle de notre présence face à lui. Puissions-nous alors nous engager dans cette agonie et accepter la douleur lancinante qui en découle comme un prix consenti librement.
J’ai dit lutter, terme qui choque nos oreilles qui voudraient plutôt entendre des propos rassurants, elles qui sont si habituées à des discours religieux lénifiants et souvent creux, qu’avec tant de légèreté nous confondons avec l’apaisement que Dieu seul peut accorder à nos cœurs inquiets.
Vous avez certainement lutté, vous homme d’âge mûr, si vous vous êtes trouvé au milieu de l’une des guerres de notre siècle; ou bien derrière les barbelés des camps de concentration, ou durant les jours passés dans le lit de la souffrance ou ailleurs, lors d’interminables nuits de dure solitude… Même vous, chrétien mon frère, ma sœur, vous avez lutté exaspéré d’impatience avec la présence du mal et avez été décontenancé par une providence dont la face semble parfois enveloppée d’ombres.
À vous donc je présente mes vœux, en espérant que vous saurez lutter, mais en présence de l’Autre, en prise avec lui, pour être trouvés par lui et éprouver, enfin, « combien le Seigneur est bon » (1 Pi 2.3); pour comprendre le pourquoi des contradictions dans l’univers qu’il a créé; pourquoi la haine déchaînée et dévorante rampe chaque jour davantage; pourquoi l’escalade de la violence ne semble pas avoir de répit; pourquoi l’amour fait si cruellement défaut. Ce sera seulement dans l’engagement de la foi qui lutte pour comprendre et placés face à lui que vous saurez qu’il est le Dieu d’amour dont témoigne chacune des pages du vieux Livre des chrétiens. Acceptez son défi et vous saurez qu’il tient à vivre en votre compagnie et vous combler de sa plénitude.
Placés face à lui, vous vous retrouverez immanquablement face à autrui. Vous ne pouvez pas rester comme un îlot solitaire dans son superbe isolement au milieu de l’océan, inaccessible aux appels du prochain. Vous êtes appelé dans la communauté. Le Dieu de Jésus-Christ, qui vous a créé pour sa communion, est le même qui vous veut solidaire de votre prochain. C’est l’une parmi les voies étonnantes qu’il a choisie pour le servir. Vous avez peut-être cherché à détourner votre regard de tous les laissés pour compte dans une société sans cœur. « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela [nourrir, abreuver, vêtir, visiter] à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait », déclarera Jésus au jour du jugement (Mt 25.40). Celui qui nous a placés face à Dieu nous place aussi face à l’homme blessé, la femme trahie, l’enfant abusé… « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est le second commandement, qui complète le premier (Mt 22.39).
Je suis déconcerté à la vue de tant d’insensibilité, de tant d’hostilité, de tant d’oppression, même après deux mille ans de christianisme et de proclamation de charité évangélique. Pourtant, l’humanité n’est pas une notion abstraite; elle est chair et sang, sensibilité et douleur, détresse et appel au secours; elle est l’homme que vous croisez sur votre route, celui avec qui vous travaillez, ceux et celles dont la couleur ou l’accent vous incommodent ou le patron que vous détestez. C’est cela l’humanité, le prochain qu’il faut aimer…
Je conviens qu’aucune recherche biologique faite par des savants dans un laboratoire ne trouvera aucune trace d’image divine dans les globules du sang ou dans l’ADN. Et le généticien qui sait parfaitement manipuler le fœtus n’a pas encore découvert de ressemblance avec le Créateur. Mais l’amour manifesté en Christ et répandu dans nos cœurs se penchera sur l’homme analysé qui se meurt d’un mal incurable et protégera l’enfant qui grandit dans le sein de sa mère. Je forme donc le vœu que, après avoir été en communion avec Dieu, vous le soyez aussi avec l’autre, votre prochain.
Enfin, voici un troisième vœu, plus spécifique encore, et qui vous concerne comme tel. Puissiez-vous aussi faire votre propre découverte. Sans doute estimez-vous avoir dressé un portrait plutôt fidèle de votre moi. Des professionnels ou des charlatans n’ont-ils pas dressé votre portrait? Psychologues et sociologues, économistes et hommes politiques, et tant de manipulateurs de l’âme et de l’esprit ont décidé ce que vous devriez être!
Savez-vous pourtant qui vous êtes réellement? Je ne doute pas que vous soyez animés de nobles sentiments; admirant les chefs-d’œuvre d’un Michel-Ange et écoutant, extasiés, une sonate de Beethoven. Vous avez sans doute voyagé, découvert de nouvelles contrées, lu de grands auteurs, réfléchi aux questions importantes que pose l’intelligence. Vous avez votre idée sur la morale et votre opinion sur les problèmes sociaux… Vous pensez peut-être même avoir trouvé une réponse aux inextricables difficultés de l’économie mondiale! Vous ferez d’autres découvertes et enrichirez votre culture, et votre excellente réputation vous vaudra peut-être des honneurs que vous estimez bien mérités…
Mais je vous prie de vous souvenir des paroles du prophète. Devrais-je aussi vous rappeler l’une des paroles les plus réalistes et les plus saisissantes, malgré son extrême simplicité, prononcées par le Christ : « Et que sert-il à un homme de gagner le monde entier s’il perd son âme » (Mc 8.36), c’est-à-dire son moi réel et profond? Ce Christ qui n’est pas n’importe qui, qui n’est pas un prophète parmi d’autres, un fondateur de religion, un maître-gourou à la mode hindoue… Il est le Fils de Dieu, le Créateur de la vie, le Seigneur universel, celui qui s’est incarné pour arracher votre moi à ses égarements.
Son regard posé sur vous, l’attention qu’il vous accorde, sa présence, vous restitueront votre moi. Lorsque Dieu en Jésus-Christ se place devant nous, nous ne nous trouvons pas en face d’une religion parmi d’autres, mais de la grâce, la grâce extraordinaire et libératrice qui nous est faite. Votre intérêt pour l’immensité du cosmos et votre curiosité pour la microbiologie ne vous épargneront pas la tâche de connaître Dieu et de vous connaître en face de lui.
Pour terminer, voici mes vœux et ma prière, Dieu, le prochain et vous-même formant le triangle parfait des relations normales. J’ose espérer que durant les douze prochains mois et durant chacune des journées qui vous seront accordées vous ferez l’expérience d’une année de grâce vraiment heureuse. Il n’est pas bon que vous soyez seul, déclare le Dieu qui vous a créé, qui vous veut pour lui et qui vous offre le prochain comme compagnon de route.