Cet article a pour sujet la famille, la crise familiale et la détérioration de l'éducation, les perspectives bibliques sur la famille, l'amour et l'autorité dans la famille, l'éducation, sous l'autorité et la grâce du Christ, et l'avenir de la famille.

Source: Homme et femme il les créa. 12 pages.

La famille

  1. La crise
  2. Perspectives bibliques
  3. L’amour dans la famille
  4. L’autorité dans la famille
  5. L’éducation
  6. La famille en Christ
  7. La famille de l’avenir

1. La crise🔗

La première partie du présent chapitre consacré à la famille traitera de la crise aiguë qu’elle traverse à notre époque. Nous n’avons pas l’intention de nous arrêter longuement aux mutations historiques et culturelles que nous constatons dans la manifestation concrète de la vie familiale au cours de ces dernières décennies. Certains changements sont inévitables dans presque tous les domaines de la vie sociale moderne et nous n’avons pas à les déplorer. La vie doit connaître un développement dynamique et les changements intervenus dans la forme et dans la fonction de la famille ne devraient pas, à eux seuls, être tenus pour responsables de la crise profonde qui la secoue. En revanche, nous tenons à parler de la détérioration qui mine la structure même de la famille contemporaine.

À l’origine, Dieu a instauré une norme structurelle pour servir de ciment familial. Lorsque les parents oublient cette norme ou la négligent, il en résulte la désintégration de toute vie (Rom. 1). Cette répudiation de fait entraînant une rupture profonde est principalement de nature religieuse et non sociale. Examinons quelques-unes des manifestations concrètes de cette désintégration constatée presque universellement. Nombre de parents semblent tout à fait incapables de s’occuper de leurs enfants. Parfois, la situation prête davantage à rire qu’à se lamenter; ailleurs, elle tourne carrément à la consommation des plaisirs et à la multiplication des conflits, entraînant la crise grave de l’éducation des enfants, déjà à la base.

Il est plus aisé aux parents de gâter leurs enfants ou d’abuser d’eux par une affection immodérée et fragile que de former et d’aider à développer leur personnalité en vue de leur avenir. Des facteurs multiples ont contribué à l’apparition de la situation actuelle. Trois d’entre eux sont plus spécifiquement liés à la détérioration d’une authentique éducation au sein de la famille moderne.

En tout premier lieu, évoquons la conception optimiste de la nature humaine. Le dogme des temps modernes veut, en général, que l’homme soit capable d’exercer un contrôle total sur la nature. Cette prétention à une incontestable hégémonie est considérée même comme une très grande vertu et une conquête remarquable. Remarquons toutefois qu’il s’agit d’une conviction religieuse aux multiples et fâcheuses implications culturelles, même de la part de l’homme non-croyant.

Cette attitude fondamentale vis-à-vis de l’existence revêt une forme extrême dangereusement agressive depuis le Siècle des Lumières (18siècle). La philosophie des Lumières est marquée par le credo de l’autonomie, le primat de la raison humaine, laquelle par ses connaissances scientifiques et sa maîtrise technique serait à même d’ordonner une nature autrement chaotique. Ce motif central de la pensée humaniste oppose alors la nature à la liberté. Ce même credo intervient dans l’affirmation selon laquelle une mère peut, à elle seule, s’occuper d’élever son enfant. En outre, sous l’influence de certaines théories freudiennes, elle a cru que l’avenir de son enfant dépendrait exclusivement de sa propre capacité à l’aimer. Ainsi, les années trente ont vu la prolifération des thèses psychanalytiques consacrées à la manière dont la jeune mère devrait allaiter. L’affection maternelle et elle seule serait en mesure de former le caractère du futur homme ou de la future femme. Tôt ou tard, l’enfant finira par occuper de manière absolue le centre d’intérêt de sa mère. Il ne faut pas être grand devin pour se rendre compte alors du climat dans lequel bien des enfants sont psychiquement abîmés.

Parallèlement à cet optimisme pédagogique s’imposa l’idée du rôle de la technique de l’éducation. Ici, pour parvenir à de bons résultats, la mère doit avoir recours à un certain nombre de procédés techniques qui seront mis à sa disposition. Si, par exemple, l’enfant refuse de manger sa soupe (!), elle n’a qu’à consulter le manuel du célèbre spécialiste N.N. pédago-culinaire prodiguant des conseils des plus adéquats pour résoudre chaque problème. Dans cette perspective, l’éducation devient une pure fonction technique, manifestement manipulatrice dans un système organisé autour des notions de punition et de récompenses. D’une manière ou d’une autre, on s’attend à ce que l’enfant réponde exactement avec une totale précision à la règle visée par cette technique!

Malheureusement, cette approche réduit l’éducation de l’enfant à un processus naturel et mécaniste dépourvu de tout principe normatif. Certes, toute éducation possède son côté technique et certaines techniques sont plus efficaces que d’autres. Cependant, une éducation liée exclusivement à une technique impersonnelle implique une certaine anthropologie qui, selon l’Autrichien Victor Frankl, s’appelle « rien que, excepté ça », c’est-à-dire l’homme n’est rien qu’un organisme biotique. Ici, les normes et les objectifs réels ne trouvent plus aucune raison d’être.

Selon Margaret Wolfenstein, la morale du plaisir serait le facteur le plus important de l’authentique éducation des enfants. Peu à peu, la notion s’est imposée que les choses n’iront bien à moins qu’enfants et parents ne s’amusent ensemble. Si l’enfant ne se plaît pas dans tel ou tel jeu ou sport, la raison en est que les parents l’ont trompé. Ces derniers devraient s’amuser avec les mêmes instruments que leurs enfants. Ils ont le devoir de créer une vie plaisante et agréable, de ne pas priver les enfants de leurs espoirs et de ne pas les frustrer dans leur attente d’une pleine jouissance de tout.

Il ne faut pas se dissimuler le fait que les conséquences de cette approche se sont révélées désastreuses, l’objectif ultime du plaisir ayant primé la norme et les besoins physiques et émotifs ayant presque supprimé le reste. D’innombrables familles ne vivent que pour satisfaire les besoins de l’instant; ainsi une nouvelle maison, l’acquisition d’un nouveau modèle de voiture, soirées récréatives, loisirs fréquents, etc. Il n’est pas étonnant que tant de jeunes couples aient cessé de s’intéresser sérieusement à des problèmes d’ordre culturel, social, politique, national ou international, et notamment à la vie même de l’Église et de la foi en général. Ils ne lisent plus rien qui vaille la peine. Anonymes, perdus dans la masse, ils ne présentent d’intérêt qu’en tant que consommateurs d’articles superflus et de gadgets inutiles. Amateurs de bonne chair, catéchumènes dociles de la religion des médias de masse puissantes et omniprésentes, la majorité des jeunes occidentaux, pour ne parler que d’eux, ne sont plus que des païens agréables et parfois même des païens malfaisants…

Des chrétiens n’ont pas su échapper à l’hégémonie totalitaire de l’hédonisme moderne; l’absence d’une éducation familiale normative a été souvent comblée par la pratique du culte de ce qui est censé être agréable sans être nécessairement utile… Une idée ayant conquis la mentalité chrétienne et même envahi des Églises est celle qui, de manière tout artificielle, sépare le domaine dit spirituel de celui qualifié de naturel. Une telle dichotomie ne peut pas résister aux assauts de l’humanisme matérialiste moderne. Le système de valeurs que chantait l’humanisme de jadis, liberté, justice, patriotisme, maternité, honnêteté, etc., s’est converti en consommation de plaisir, en fuite et en démissions de toute conscience et de toute responsabilité morale.

La crise de la famille qui s’en est suivie extorque actuellement, même chez les chrétiens, un très lourd tribut. L’absence de valeurs supérieures est l’une des causes majeures du grand pourcentage d’enfants que l’on voit émotivement perturbés ou d’adultes aliénés. Les parents semblent n’avoir d’autre but dans la vie que de profiter de tout plaisir à portée de la main. Privés des gadgets et autres fanfreluches modernes, leurs petits seront érigés en valeurs en soi, si ce n’est absolutisés. L’enfant servira de prétexte à prestige! Inévitablement gâtés ou surprotégés, ils le seront au détriment même de leur maturité. Lorsque les parents posséderont d’autres sources d’attractions, les enfants seront mis de côté, voire carrément rejetés. Ainsi prolifèrent nombre d’enfants immatures, désaxés, incapables d’assumer la moindre responsabilité d’adultes.

Lorsque le soin des enfants devient la seule et unique préoccupation des parents, même l’amour devient conditionnel, si ce n’est ambigu. Le père qui sacrifie pour la réussite de son enfant attendra qu’en retour celui-ci lui donne satisfaction. Il faut dire que tout enfant sera conscient de cette attitude ambivalente, ce qui ne manquera pas d’engendrer chez certains d’entre eux un sentiment d’indignité ou celui de culpabilité. Ailleurs, une acceptation conditionnelle fera surgir des sentiments d’hostilité et de méfiance. Il pensera et il dira ouvertement : « Mes parents m’aiment parce que je compte pour eux, si je ne réussis pas selon l’idée qu’ils se font de moi, ils cesseraient de m’aimer. Je ne sais comment dépendre d’eux quand je suis dans l’incertitude ou dans la détresse. J’ignore s’ils seront présents à mes côtés quand surviendra une grave crise! »

Tout enfant devrait savoir s’il est aimé pour ce qu’il est. L’acceptation inconditionnelle de sa personne à la maison le sécurisera en dehors ce celle-ci. L’enfant a besoin d’un amour dont il pourra dépendre; il ne cessera pas de rester l’objet de leur affection, une affection qui ne l’écrasera pas pour se servir de lui à des fins égocentriques. Positivement, conduire l’enfant, lui confier la plus grande responsabilité possible pour son âge et pour ses capacités le fera mûrir. Un tel amour rappellera l’amour de Dieu envers nous. Il lui fera apprendre qu’il peut, avant tout, compter sur l’amour de Dieu. N’est-il pas l’amour qui conduit à la reconnaissance des fautes et qui reste source de pardon manifesté et offert en Jésus-Christ? Il n’y a, en définitive, d’autre amour que celui de Dieu qui fonde et inspire tous les autres.

En dépit de la vie moderne et d’innombrables écueils que nous y rencontrerons, sachons que la plus belle des vocations est celle qui nous appelle à devenir des parents.

2. Perspectives bibliques🔗

Aussitôt que nous plaçons la famille dans une perspective biblique, il surgit devant nous une question essentielle. De quelle manière convient-il d’interpréter ce que la Bible dit au sujet de la famille et comment appliquer à notre époque ce qu’elle prescrit? Nous connaissons ce qui s’est passé dans la première famille comme aussi le mode de vie de la famille patriarcale. L’Écriture nous fait savoir les récits de la misère et de la déchéance morale qui frappa les familles royales, embourbées dans les plus grossières idolâtries. On se rappellera que la famille occupait une place extrêmement importante dans la vie israélite. Les péchés d’Israël étaient très souvent des péchés familiaux. Le livre des Proverbes contient une dose de sagesse inégalable autant pour la vie de la famille que pour celle de l’individu ou de la société.

L’Écriture décrit la situation de fait des familles durant ces temps reculés, cependant elle contient aussi des conseils et des avertissements qui nous concernent nous, gens d’aujourd’hui, autant que les générations du passé. Le Nouveau Testament offre de multiples aperçus de la vie familiale. Jésus est né au sein d’une famille. Plus tard, il s’attacha à une famille amie, à celle de Béthanie, composée de Lazare et de ses deux sœurs, Marthe et Marie. L’une de ses dernières paroles, prononcée sur la croix, concernait un devoir familial, lorsqu’il confiait sa mère aux soins de l’un de ses disciples. Les lettres apostoliques contiennent nombre d’exhortations relatives à la vie familiale. Une très grande attention est accordée à la comparaison des rapports entre mari et femme avec ceux du Christ et de son Église. Le mari est invité à aimer sa femme de même que le Christ a aimé l’Église, son épouse.

La question est la suivante : Comment lier l’enseignement biblique à notre situation actuelle? Quelle valeur pouvons-nous accorder à un mot d’ordre donné il y a 35 siècles à des tribus nomades et quelle est l’actualité des instructions apostoliques données à l’époque gréco-romaine?

Ce rapport entre l’époque biblique, patriarcale ou néotestamentaire, avec notre époque ne peut être saisi à moins d’admettre que, si la Bible est un livre écrit pour des gens d’une époque et d’une culture données, elle pose, de manière permanente, une autorité qui s’impose et s’applique aussi aux hommes et femmes de toutes les époques et de toutes les cultures, donc à nous, à notre époque et dans les cultures qui existent aujourd’hui. Elle transcende les époques et les cultures.

Au moment où Israël recevait les commandements de Dieu dans le désert, il était composé de familles accomplissant, chacune d’entre elles, presque les mêmes gestes, cherchant par exemple la manne, raccommodant de vieux habits, enseignant aux enfants à parler et surtout à répondre à l’appel de Dieu, se préparant à célébrer des fêtes religieuses ou cherchant à marier fils ou fille. Très peu de fonctions sociales existaient à cette époque à part celle de la tribu des Lévites. La famille appartenait à la tribu et celle-ci était dirigée par des chefs appelés anciens, tous désignés par Moïse, le suprême médiateur. Nous y chercherions en vain une différenciation sociale quelconque. Des sphères distinctes, telles que l’État, l’école ou l’Église, n’existaient pas. L’ensemble de la vie nationale, sociale et religieuse d’Israël se déroulait dans le cadre tribal, unique et uni. Ce fut dans ce cadre-là que le cinquième commandement ordonna : « Honore ton père et ta mère » (Ex 20.12); nous ajouterons : « au moment où tu t’apprêtes à conquérir la terre promise ». Ce commandement nous donne déjà une idée du conditionnement culturel d’Israël.

Les diverses relations sociales se développèrent peu à peu dans le temps. Outre les prêtres et les lévites, les gens de métier, tels les orfèvres, les forgerons, les artisans, les maçons, les potiers et les tisserands exercent leur profession. Durant de longs siècles, Israël demeura essentiellement un peuple d’agriculteurs.

Les lettres du Nouveau Testament s’adressaient en général à des Églises fondées dans les centres urbains (d’où les noms qu’elles portent). Des synagogues et des Églises furent établies dans les grandes métropoles, là où se trouvait le siège du gouvernement romain. Il n’existait pas d’école publique, mais il y avait des hommes d’affaires, des fabricants de tentes, des soldats, des serviteurs et des esclaves. Ce fut dans ce cadre social et culturel que l’apôtre exhorta : « Enfants, obéissez à vos parents », et à ces derniers : « Parents, n’irritez pas vos enfants » (Ép 6.1-4). On voit de quelle manière le commandement, donné plusieurs siècles auparavant, restait encore en vigueur.

Il est très important de connaître les conditions sociales et culturelles de l’époque pour pouvoir appliquer l’enseignement biblique à notre propre situation. Nous éviterons l’erreur de vouloir imiter à tout prix des mœurs d’une époque à jamais révolue, mais nous nous garderons encore davantage d’oublier que l’enseignement de la Bible transcende toute culture. À ce titre, elle s’adresse à nous comme elle le fit jadis aux nomades hébreux, aux Grecs et aux Romains ou à d’autres païens. Nous devons discerner avec beaucoup de sagesse ce qui est culturellement conditionné et ce qui possède une force de loi permanente.

Pour l’Écriture sainte, le mariage et la famille ont existé dès l’origine. La famille, instituée divinement, est une structure indispensable à l’existence humaine. Après avoir amené l’homme à la femme, le Créateur leur donna l’ordre de se multiplier. Dès cet instant apparaissent les éléments constitutifs de la famille instituée par Dieu. Maris et femmes, un homme et une femme peuvent et doivent donner naissance à des enfants. C’est là une règle générale. Interrogé au sujet du divorce, Jésus s’est référé à ce récit de l’institution normative du mariage (Mt 19). Saint Paul s’y réfère également en expliquant de quelle manière la femme doit se comporter dans l’Église. Il ne lui est pas permis d’usurper des fonctions confiées exclusivement à l’homme. Car, rappelle-t-il, l’homme a été créé le premier (1 Tm 1.12-14). La femme doit respecter son mari comme Sara respectait Abraham, son époux (1 Pi 3.5-6).

Dans l’esprit de l’apôtre, cette phrase désignait les personnes auxquelles revenait la charge ecclésiastique, celle des anciens et des diacres. Ils devaient être le mari d’une seule femme (1 Tm 3.2,12), car la polygamie est contraire à la loi de Dieu et à l’institution initiale du mariage. L’apôtre interdira encore à la femme à se présenter au culte la tête non voilée (1 Co 11.2-16). Cette interdiction a donné lieu à des débats théologiques passionnés. S’agissait-il d’une illustration de la manière dont la loi devrait être appliquée? Si on venait à oublier le conditionnement culturel dans lequel cette interdiction a été prononcée et si on prenait l’illustration de la loi pour la loi elle-même dans l’intention, en elle-même très louable, de rester biblique, on devrait logiquement empêcher à toute femme chrétienne de venir au culte la tête découverte, car à l’époque où écrivait l’apôtre, cela était signe d’irrespect, voire de rébellion contre son mari. De nos jours, assister au culte la tête dévoilée n’a plus la même signification théologique.

Nous ne nous occuperons pas ici d’us et de coutumes. Notre propos est d’illustrer le rapport normal qui doit exister entre le mari et la femme, et que ce rapport, établi par la révélation biblique, doit être manifesté jusque dans l’Église.

Quand mari et femme se rendent à l’église, ils participent au culte en tant que mari et femme, et non à titre individuel. Le mari, considéré dans ce rapport hiérarchique, devra être honoré même dans le lieu de culte. Ce respect se fonde dans l’ordre même de Dieu. Ce texte apostolique illustre aussi que le foyer ne peut être réduit à une église. Les relations familiales ne s’arrêtent pas au seuil de l’église. Nous sommes ici dans une sphère de l’existence, dans une zone aux relations spéciales où les lois de Dieu et des tâches particulières doivent être observées, assumées et accomplies.

La famille biblique possède une structure propre et irréductible. Considérons cette loi pour le foyer dans notre ère hautement industrialisée, sans confondre les coutumes anciennes avec la loi permanente de la Parole révélée. Pour nombre de chrétiens, le foyer devrait être le lieu où parents et enfants vivent, travaillent et jouent ensemble comme dans le bon vieux temps. C’est là une image de la famille de jadis qui, sur le plan économique, était largement autosuffisante. On y cultivait la terre, filait le lin, tissait les habits, battait le beurre et préparait des fournées de pain.

Cette image pastorale de la famille ne cadre plus avec notre mode de vie motorisé et transistorisé. N’idéalisons pas outre mesure le bon vieux temps et ne nous réfugions pas dans la nostalgie du passé, comme si la vie moderne, son industrie, le travail hors du foyer ou les écoles mixtes menacent, en soi, l’existence de la famille. Pour être en mesure de façonner la famille moderne d’après les perspectives bibliques, il nous faut garder à l’esprit les normes permanentes qui doivent en régir l’existence. Au lieu de nous lamenter sur la disparition du mode de vie pastoral et agricole de jadis, nous nous efforcerons, avec l’aide de Dieu, de construire dans la société contemporaine un foyer d’après des règles bibliques permanentes. Nous sommes appelés à modeler la famille pour notre époque et pour notre avenir. Chacune des mutations sociales auxquelles nous assistons effrayés devrait être considérée comme un défi à nous conformer, dans un monde en pleine mutation, aux principes bibliques permanents afin d’être en mesure de bâtir notre foyer.

Ces principes, en ce qui concerne la forme, ne sont pas rigides. Elles peuvent être adaptées au monde moderne et à des situations particulières, et doivent aussi nous indiquer les limites dans lesquelles doivent s’exercer l’autorité parentale et l’obéissance filiale, c’est-à-dire les canaux d’autorité et de réponse, les limites de la première et la direction vers laquelle doit s’écouler le canal.

3. L’amour dans la famille🔗

La famille est une communauté morale d’amour entre parents et enfants, une institution d’amour, bien que fondée initialement sur des liens du sang. Les deux composantes de la famille sont le lien conjugal et les rapports parents-enfants. Le premier s’exprime par l’attachement mutuel des conjoints. Saint Paul l’exprime bien dans sa lettre aux Éphésiens, au chapitre 5. Personne, écrit-il, ne hait son corps, de même il ne doit pas détester sa femme, bien au contraire, il doit l’aimer et la protéger. En retour, la femme doit respecter son mari et lui obéir. Nul ne comprend ni n’explique de quelle manière un homme et une femme deviennent, comme le dit la Bible, une seule chair. Savoir qu’un et un font toujours un ne suit pas la logique d’une arithmétique ordinaire!

Pour le comprendre, il faut employer le langage de l’amour. Quiconque aime sa femme aime sa propre vie. Ce rapport s’explique dans l’exhortation apostolique selon laquelle le mari ne s’appartient pas, mais il appartient à sa femme, de même que la femme n’a pas de pouvoir sur elle-même, mais elle est à son mari. Ce même rapport d’amour peut se dire au sujet de l’attachement de la mère à son enfant. Mais ce rapport est d’un type différent. Une mère peut-elle oublier le fils qu’elle a allaité? Elle le peut, mais le Seigneur votre Dieu ne le peut pas, affirme la Bible.

Cet amour est le ciment que Dieu veut et offre pour former une famille unie. Il nous est décrit dans les accents pathétiques de la parabole de l’enfant prodigue. Quand ce dernier s’est égaré, son père n’a pas cessé de l’aimer. Le fils devait le savoir, puisqu’il décida, après bien des mésaventures, de rentrer au foyer, dans la maison paternelle où même les serviteurs se portent bien. Le fils ne sera pas déçu par l’accueil. Le père l’attendait. « Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et l’embrassa » (Lc 15.20).

4. L’autorité dans la famille🔗

Une autre composante de la famille est l’autorité qui y est exercée. Elle s’y exerce autrement que dans l’État ou dans l’Église. Elle se limite exclusivement au mariage et à la vie au foyer. Elle s’exprime dans le cinquième commandement et dans l’affirmation que l’homme est le chef de la femme et qu’elle doit l’honorer et lui obéir.

Ce type d’autorité détermine à la fois la manière dont les enfants doivent se comporter envers les parents et la conduite de ces derniers envers leur progéniture. « Enfants, obéissez à vos parents; […] et vous, pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les en les corrigeant et en les avertissant selon le Seigneur » (Ép 6.1,4). L’avertissement contre toute provocation inutile est l’injonction la plus concrète. Celui qui exerce l’autorité dans la famille est invité à le faire avec amour. Or, la situation familiale se prête souvent à l’irritation, au ressentiment, à l’amertume, au désir des jeunes de s’évader, d’échapper à toute contrainte… Une autorité exercée étroitement chaque jour risque de dégénérer à la longue en domination tyrannique. C’est ainsi que des parents empêchent leurs enfants de se développer et de parvenir à leur maturité personnelle. On connaît bien ce genre d’abus chez certains parents.

Il existe de même des abus dans le sens contraire. La Bible nous rapporte qu’Éli, le grand-prêtre d’Israël, fut coupable de faiblesse envers ses enfants. Dieu fut extrêmement courroucé contre l’irresponsabilité du vieillard. Ici, nous rencontrons une permissivité excessive, qui n’ose ni corriger ni punir. L’autre côté de l’abus apparaît quand le père s’imagine investi d’une telle autorité que, pour une vétille, il exerce une autorité tyrannique à peine déguisée. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’amour en tant que ciment aura manqué. La colonne d’appui qui doit supporter et consolider les relations entre parents et enfants est l’autorité parentale.

5. L’éducation🔗

Il s’agit d’une éducation de type spécial. Elle est l’admonestation des enfants qu’on élève dans la foi. Les parents doivent orienter, même déterminer la direction religieuse que doit prendre l’existence de leur enfant. L’influence de la famille, notamment durant les premières années de la vie, est décisive. Non seulement par l’instruction verbale, mais encore par l’exemple, les parents donneront la correcte éducation religieuse. Ils prouveront leur appartenance personnelle au Seigneur de leur vie. Ils aideront l’enfant à consacrer la sienne à Jésus-Christ. Cette direction religieuse dans l’éducation devrait se voir dans toute l’éducation à tous les niveaux. Certes, les parents ne peuvent nécessairement remplacer l’école; néanmoins, ils devraient confier leurs enfants à des éducateurs chrétiens, d’où la nécessité d’un système d’éducation chrétien, de la maternelle à l’université.

Ce type d’éducation se fera avec amour. Le chapitre 12 de la lettre aux Hébreux a des choses importantes à dire au sujet de l’éducation que dispensent les parents. Ils exercent une autorité pour punir, sinon les enfants n’auraient pas la jouissance de leur droit filial. L’amour véritable est autre chose que la permissivité, ce fléau moral de la société contemporaine. Si punir avec excès un enfant pour des vétilles dénote l’absence malheureuse d’amour, en revanche permettre les caprices et élever dans l’indiscipline n’est ni rassurant pour l’enfant ni même pour celui qui s’imagine aimer tellement qu’il lui accorde tout sans discernement ni mesure.

Grâce à l’amour, à l’éducation et à l’autorité bien appliquée dans une société chaotique, tiraillée entre forces morales opposées et dévastatrices, le foyer demeurera le lieu où la sécurité, la paix et aussi la liberté dans le Seigneur permettront au mari et à la femme, aux parents et aux enfants, de se retrouver dans la joie.

6. La famille en Christ🔗

Un motif chrétien bien connu des nombreux foyers se trouve accroché aux murs : « Le Christ est le chef de cette maison, l’hôte invisible de chaque repas, l’auditeur silencieux de chaque conversation. » C’est là une très belle devise, « le Christ est le chef de cette maison ». Mais on peut se demander si quand même il n’est pas plutôt invisible et s’il est réellement entendu. Il n’est le chef de la famille que parce qu’il en est aussi le Sauveur. Si la Bible nous apprend l’origine de l’institution de la famille, elle nous renseigne également au sujet de la corruption qui l’a frappée. Les rapports intérieurs de la famille ont connu une telle altération à cause de la chute et du péché qu’ils ont profondément abîmé la vie familiale. Cependant, en dépit de la chute, la loi initiale reste toujours en vigueur pour régir la vie familiale. Le Christ Libérateur bouleverse l’ordre injuste et tyrannique et accorde au mari, à l’épouse et aux enfants la liberté glorieuse des enfants de Dieu. C’est à cette seule condition que le mari pourra exercer, avec une conscience responsable, tous ses droits, que la femme pourra respecter en toute douceur et humilité son mari et que les enfants obéiront à leurs parents « comme dans le Seigneur ».

Le Christ occupera la première place dans les rapports familiaux. Il y maintiendra l’unité comme partout ailleurs. Sa Parole et sa grâce libératrice seront l’unique loi pouvant transformer la famille, la société autant que l’individu. Pour ses serviteurs rachetés et transformés, le Christ forme déjà un nouveau peuple, son Église. Il prépare avec eux l’avènement de son règne final. Il accorde le pouvoir d’aimer, de se soumettre, d’exercer une autorité juste. Il a béni les petits enfants et réprimandé ceux qui les empêchent de venir à lui.

L’autorité dans la famille possède une direction transcendante qui prend son origine en Dieu; l’autorité n’est pas autosuffisante. Elle n’y sera donc pas absolue. Maris et femmes sont cohéritiers du salut; c’est sur un tel terrain que se baseront les relations d’autorité. Le Christ détient tout pouvoir sur la terre comme au ciel. En lui, même le mariage et la famille seront relativisés. Parfois, l’Évangile invite le disciple à « haïr », c’est-à-dire à se démarquer et à se séparer de sa propre famille à cause d’une fidélité et d’un amour plus grands envers le Christ.

Placer la famille dans une perspective biblique signifie donc avant tout regarder vers le Christ, se placer sous son autorité, observer sa loi, vivre de son pardon.

Si autour de nous la famille connaît une crise profonde, nous en connaissons les causes, mais nous connaissons aussi le secret de sa guérison. Le Christ, Seigneur et Sauveur de nos personnes, est également celui de notre mariage et de notre famille, comme pour la société dans son ensemble.

7. La famille de l’avenir🔗

Ne faisons pas de pronostics sur la famille de l’avenir. Cela aurait pu être très intéressant de poser quelques questions importantes à ce sujet. Nous nous interrogerons, par exemple, sur la cadence des divorces prononcés, sur la désintégration de la famille, sur la libre pratique de la sexualité et de sa dissociation de la vie conjugale. La famille actuelle a-t-elle un avenir? Ou bien cette fin de siècle la verra-t-elle enfouie sous la poussière de traditions considérées comme surannées? Nous vivons un temps de confusion et d’incertitude tel qu’il nous est impossible de prévoir avec précision ce qui va se produire. Pourtant, cette confusion même nous offre la clé nous permettant de traiter notre sujet.

Nous l’avons déjà constaté, notre culture a subi des mutations profondes depuis plus d’une centaine d’années. Parallèlement à des inventions techniques, des découvertes scientifiques, des progrès industriels allant de pair avec une expansion commerciale que nos grands-parents n’auraient même pas imaginée, nous sommes les témoins de l’explosion de la religion humaniste sous des formes nouvelles qui, à leur manière, surent se servir de ces données comme autant d’armes puissantes. Ces forces, elles aussi, ont profondément bouleversé les traditions établies, les normes de conduite et tous les principes d’action en vigueur jusque-là. Ce qui jadis servait de structure permanente pour encadrer le développement culturel n’est, à l’heure actuelle, qu’un cadre fragile incapable de résister à ces forces. C’est un truisme de dire que le visage de la société a changé profondément.

L’école et l’université utilisent des méthodes nouvelles pour éduquer. Les moyens de communication exercent sur nous un pouvoir énorme et forment nos opinions, mais nous ne comprenons pas davantage ce qui se passe dans le domaine économique. Quant au domaine de la politique, il est, comme d’habitude, l’arène où des politiciens, souvent sans scrupules, s’affrontent pour des causes qui n’ont rien de commun avec l’intérêt des citoyens, mais beaucoup avec leurs intérêts d’arrivistes, parfois honteusement sordides. Même les juristes ne savent plus comment traiter de la justice. Quant à l’Église, à moins qu’elle ne se compromette et ne pactise avec les courants qui traversent la société, elle passe, dans bien des pays, pour une ridicule survivance du passé. Dès lors, il n’est pas étonnant que la famille connaisse, elle aussi, des mutations profondes.

Mais pourquoi les changements évoqués produisent-ils autant de confusion? N’y a-t-il pas toujours eu des changements? Chaque génération a toujours été une nouvelle génération… La différence est sans doute que notre époque nous impose de tels changements que nous avons l’impression qu’il ne reste aucun principe fondamental ni durable pour la conduite de la vie individuelle, familiale et sociale. D’où une multitude d’approches contradictoires pour traiter de ces affaires. Ainsi, les historiens ne savent plus ce que c’est que l’histoire. Les théologiens ne savent plus ce que c’est que la théologie. La majorité des politiciens n’ont plus aucun principe régulateur pour s’occuper des affaires publiques. Les juristes se perdent dans un labyrinthe d’arguties juridiques qui bloquent plus que ne servent l’exercice de la justice… On constate partout l’absence d’une vision claire des choses. Le scepticisme outrancier envers toute vérité transcendante et la nécessité de convictions claires et fortes nous plongent dans une pénible incertitude et dans une confusion déroutante.

Pour avoir une autre vision en ce qui concerne la famille de l’avenir, nous devrions tout d’abord saisir les fondements mêmes de la société humaine. Car l’avenir de cette famille sera celui de l’humanité. Pour qu’elle puisse avoir un avenir, il faut qu’elle s’y prépare à travers ses hommes et ses femmes. La grande tâche qui nous attend est de savoir si la civilisation en général et les chrétiens en particulier seront capables d’ancrer solidement notre culture en dérive. La famille pourra jouer un rôle décisif dans cette œuvre.

Examinons l’attitude qui devrait être prise vis-à-vis des mutations modernes et retenons quelques points importants.

En tant que chrétiens, nous savons que la possibilité de la vie humaine est fondée en la connaissance de certains principes fondamentaux qui donneront un sens à notre existence d’hommes et de femmes. Ces principes se trouvent dans la Parole de Dieu. Ou bien nous les respecterons et nous pourrons vivre, ou bien nous passerons outre et alors nous périrons. Ce sont des principes invariables.

Ces principes fondamentaux fonctionnent comme des directives et des orientations. Ce ne sont pas des règles rigides. Prenons l’exemple du gouvernement. Sa forme peut varier, mais sa fonction essentielle, l’application de la justice, restera toujours et sous tous les cieux identique. Nous aurons par conséquent à distinguer entre les principes de l’ordre de Dieu et la réponse concrète que nous devons lui accorder dans toute situation. Cela nous amène à penser que cette réponse peut varier d’une époque à l’autre.

Comment savoir quelle doit être notre réponse à ce principe? À cet endroit encore, un seul principe : toutes nos réponses et tous nos actes doivent se déterminer par amour et par obéissance à Dieu et par amour pour notre prochain.

En gardant ceci à l’esprit, nous comprendrons aisément que la variété des réponses est parfois nécessaire. Ceci apparaît très clairement par exemple dans la loi mosaïque de l’Ancien Testament, l’enseignement du Christ et les épîtres de Paul.

Il faut faire de la famille un signe spécifique du Royaume de Dieu dans le monde présent, signe que la génération future reconnaîtra comme tel. Elle préparera des hommes et des femmes qui ne subiront pas passivement les changements, mais qui auront le courage de faire des choix clairs et courageux face aux changements les plus profonds et aux bouleversements de toute situation. Des hommes et des femmes qui, affranchis de la pesanteur de traditions surannées qui ne sont pas nécessairement en accord avec la Parole de Dieu, sauront reformuler, selon les besoins, la puissance rédemptrice de celle-ci; des hommes et des femmes formés dès leur enfance à distinguer entre ce qui est permanent et ce qui n’est que règle transitoire. La famille de l’avenir sera structurellement la même, mais animée d’un esprit qui lui rappellera qu’elle fait partie du corps vivant du Seigneur Jésus-Christ.

Énumérons à présent les formes de la famille de l’avenir.

1. Nos coutumes, habitudes et traditions au sujet de la famille ne sont que des réponses flexibles accordées à des principes permanents. Cette flexibilité devrait s’apercevoir dans la confiance que les parents ont en leurs enfants, lorsque ces derniers choisissent leur réponse personnelle à ces mêmes principes permanents.

2. Ceci nous amène à dire que les enfants doivent assumer des responsabilités au sein de la famille.

3. L’enfant devra apprendre que la responsabilité individuelle fait de lui une partie de l’équipe, le membre d’un organisme vivant.

4. Les enfants ne doivent pas s’abstenir de faire telle ou telle chose parce que papa et maman le disent, mais à cause de l’absolu d’un principe qui transcende les parents humains. Ce que disent papa et maman doit invariablement pointer vers cette direction-là.

5. Nombre de gens ont la fausse idée que toutes les normes sont des négations et que la vie normale chrétienne consiste à faire ou à ne pas faire telle ou telle chose. Or, invariablement, le sens d’un principe chrétien est positif, rédempteur et libérateur. Il nous est donné en vue d’une action positive et non pas pour le simple goût d’interdire.

6. La famille chrétienne de l’avenir inculquera aux enfants la relativité des règles et l’absolu unique de la loi de Dieu et du principe d’amour, l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain.

En résumé, la famille doit préparer un programme d’éducation qui enseignera la crainte du Seigneur et non des traditions purement humaines. Nos manières d’agir, nos coutumes, nos habitudes doivent être fondées sur la Parole de Dieu et témoigner d’elle.

Concluons par quelques remarques concernant la famille elle-même. Ses problèmes intérieurs peuvent être résolus par celle-ci. Le culte pratiqué en son sein risque, là où il existe, de devenir routine. Il faut en renouveler l’esprit. La famille sera le lieu de la confiance réciproque où nous pratiquons, plus qu’ailleurs, une saine ouverture les uns envers les autres.

Signalons un exemple concret : la vie sexuelle est privée et doit rester éminemment intime, mais non pour cela secrète et honteuse. La recherche d’un fiancé est une affaire privée, mais ne doit pas être une affaire occultée. Il nous faut développer un ensemble de règles qui ne dégénèrent pas en légalisme. Toute règle devrait servir à faire vivre et non à oppresser. La famille développera une conscience culturelle. Elle permettra aux enfants de prendre des décisions et de cultiver un esprit d’initiative positif. À cet égard, une discussion, un échange d’idées et de projets devrait être encouragé.

Il faudrait également une grande disponibilité affective, parce que la famille est le lieu d’ouverture réciproque. Il doit y avoir de la place pour l’affection, la colère, la joie, la crainte et la tristesse.

Le monde moderne empêche de plus en plus un développement sain et une sensibilité équilibrée. Il appartient à la famille chrétienne de s’inspirer et de se laisser guider par l’Esprit et la Parole formateurs et réformateurs du Dieu vivant.