Introduction au livre des Actes
Introduction au livre des Actes
Parmi les nombreux commentaires que le réformateur français Jean Calvin a écrits sur les livres de la Bible se trouve celui sur les Actes des apôtres, publié dans la ville de Genève, en Suisse, en l’an 1554. Comme tous les autres commentaires de Calvin, il est très développé et montre à quel point l’auteur connaissait et comprenait les Écritures saintes. Nous reproduisons ici l’introduction de ce commentaire, où Calvin explique la portée et l’importance du livre des Actes des apôtres pour les croyants de toutes les générations. Afin de faciliter la compréhension de ce très beau texte, si encourageant, j’ai beaucoup modernisé le style de Calvin, qui vivait au 16e siècle; car si son français est magnifique, il relève d’une autre époque, et tous nos lecteurs ne sont pas familiers avec le style et la langue française du 16e siècle. Portons donc attention à ce qu’écrit Jean Calvin sur le livre des Actes des apôtres.
Éric Kayayan
Afin que tous les fidèles arrivent à lire cette histoire plus attentivement et avec plus de soin, il sera bon de montrer brièvement le profit qu’on pourra en recueillir. Les auteurs non chrétiens qui veulent faire l’éloge de l’histoire en général ont l’habitude de dire qu’elle est la maîtresse de la vie. Un tel titre peut bien convenir au récit de choses qui se sont déroulées, et nous montrent simplement ce qu’il faut éviter ou imiter dans les exemples qui nous sont proposés.
Mais alors, que dirons-nous des histoires saintes qui non seulement s’adressent à la vie de l’homme d’en dehors, et qui la forment afin qu’on puisse la louer à cause de ses vertus, mais qui en plus nous montrent que Dieu a pris soin de son Église dès les temps les plus reculés, ce que nous devons bien plus apprécier? Ces histoires saintes nous montrent qu’il a toujours été un bon garant et un bon protecteur de ceux qui ont eu recours à lui et qui se sont confiés en lui. Et aussi qu’il s’est montré favorable et miséricordieux envers ces pauvres pécheurs. En enseignant la foi, ces histoires saintes nous élèvent jusqu’au ciel; elles magnifient et célèbrent en général la providence de Dieu sur tout l’univers; elles nous apprennent ce que signifie le vrai service que nous devons à Dieu, en contraste avec les fausses inventions des hommes. Ces histoires ne manquent jamais de bien discerner entre le vice et la vertu.
Mais pour le moment, je veux éviter de raconter les louanges de toutes les histoires saintes; je veux simplement parler de ce que le livre des Actes des apôtres contient en propre. Saint Luc veut nous raconter ici des choses grandes et très utiles. Premièrement, quand il raconte que le Saint-Esprit a été envoyé sur les apôtres, il montre que non seulement le Christ a tenu sa promesse, mais il nous enseigne aussi que Christ s’occupe vraiment des siens, et qu’il sera à tout jamais le protecteur de son Église. Et c’est justement dans ce but que le Saint-Esprit est descendu. Par là, nous sommes enseignés que, malgré la distance qui nous sépare de Christ, il est toujours avec les siens et il les assiste toujours comme il l’a promis.
Ensuite, dans ce livre nous sont décrits le commencement du règne de Christ, et, pour ainsi dire, le renouvellement du monde. Certes, avant de quitter ce monde, Christ avait déjà rassemblé une partie de l’Église par sa prédication. Cependant, l’Église n’a pas été vraiment constituée jusqu’à ce que les apôtres, armés d’une nouvelle force venue d’en haut, aient annoncé que ce grand Berger, Jésus-Christ, était mort et ressuscité, afin que ceux qui étaient auparavant vagabonds et errants soient tous ensemble recueillis dans la bergerie sous sa conduite.
Donc il nous est raconté ici quels ont été les commencements de l’Église depuis que Christ est monté au ciel, et par quels moyens cette Église a augmenté en nombre et a progressé. Et c’est en cela que la puissance admirable de Christ peut être connue, et aussi la puissance et l’efficacité de son Évangile. Avec la seule voix de l’Évangile, Christ a facilement conquis le monde entier, et il l’a soumis à son obéissance par le moyen de gens qui étaient de condition humble et sans autorité, bien que Satan se soit efforcé de tous les côtés de l’en empêcher. En cela, Christ a donné une preuve très spéciale de sa puissance divine. Nous apercevons aussi la puissance incroyable de l’Évangile, car il a non seulement progressé en dépit de tout le monde, mais il a aussi mis à bas et assujetti à Christ tout ce qui semblait être invincible. Et ainsi la simple parole qui est sortie de la bouche de ces pauvres gens, qui n’étaient pas nombreux et pour qui personne n’avait d’estime, a fait plus que si Dieu avec lancé le tonnerre et la foudre d’en haut.
D’autre part, le Saint-Esprit nous avertit aussi que le règne de Christ ne commence jamais à se dresser sans que Satan ne s’élève furieusement contre lui, et n’emploie toutes ses forces pour l’abattre ou l’ébranler. Nous sommes non seulement enseignés que Satan livre bataille contre Christ comme son ennemi mortel, mais que pratiquement le monde entier enflammé d’une rage semblable n’épargne rien pour empêcher que le règne demeure à Christ. De plus, il nous faut vraiment croire que les méchants, quand ils font du bruit et soulèvent des tempêtes contre l’Évangile, combattent en fait sous le pavillon de Satan et que c’est lui qui les pousse d’une telle rage. C’est là la cause et la source de tant de commotions très désagréables, de conspirations mal venues, de pratiques mauvaises et de complots ourdis par des malins afin d’empêcher le cours de l’Évangile, toutes choses que saint Luc raconte dans plusieurs passages de son livre.
Bref, comme les apôtres ont su par expérience que l’Évangile est feu et épée, il faut que leur expérience nous serve aujourd’hui de leçon, afin que nous sachions que l’Évangile sera toujours assailli par de grands dangers, aussi bien à cause de la méchanceté de Satan que de la rébellion naturelle des hommes; et que cela causera des troubles horribles et des changements extraordinaires.
Mais d’autre part, saint Luc nous raconte que malgré tout cela les apôtres ont exécuté avec grand courage et persévérance la tâche qu’ils savaient que Dieu leur avait confiée. Il nous montre aussi comment ils ont surmonté une infinité de moments désagréables, de choses pénibles et de pièges vicieux, tout comme ils ont soutenu un flot de cruelles persécutions. En somme, ils ont été entraînés à endurer toutes sortes d’injures, de pauvreté et de misère. Ces exemples sont là pour nous conduire et nous habituer à être patients. Car puisque le Fils de Dieu a dit une fois que son Évangile sera toujours accompagné de la croix, c’est une folie de notre part de vouloir croire que l’Église doive fleurir dans ce monde, et se trouver dans un état paisible et tranquille. Soyons donc prêts à endurer de la même manière ce qu’ils ont enduré.
Mais nous avons en même temps une consolation, et pas des moindres : c’est que tout comme autrefois Dieu a miraculeusement gardé son Église au milieu de tant d’afflictions, d’esclandres et d’empêchements, de même il nous maintiendra et nous aidera encore aujourd’hui. De fait, tout ce livre des Actes nous montre comment l’Église, étant constamment environnée de mille morts, est préservée et soutenue par la seule main de Dieu. Donc il n’y a pas de doute que Dieu a voulu nous mettre ici sous les yeux la providence si spéciale qu’il déploie pour son salut.
Il y a encore davantage : nous avons le récit de quelques sermons prononcés par les apôtres, qui parlent de la miséricorde de Dieu, de la grâce du Christ, de l’espérance de l’immortalité bienheureuse, de l’invocation de Dieu, de la pénitence, de la crainte de Dieu et d’autres points principaux de l’enseignement divin. Tous ces sujets sont si bien traités qu’il ne faut pas aller chercher ailleurs un vrai résumé de la piété et de la religion chrétienne. C’est une chose bienséante et utile de connaître comment a commencé l’Église chrétienne, comment les apôtres se sont mis à prêcher l’Évangile, quel progrès ils ont fait, et malgré tout quels combats il leur a fallu livrer, comment ils ont poursuivi avec joie et puissance leur cours malgré tous ces obstacles, comment, sous la honte de la croix ils ont merveilleusement triomphé de toutes les bravades et de l’orgueil du monde, comment Dieu leur est venu en aide par des moyens extraordinaires.
Nous devons donc bien faire attention à ce livre, car sans lui la connaissance de ces choses si grandes serait soit complètement ensevelie et perdue, soit très embrouillée et obscure, voire douteuse et incertaine. Car nous voyons bien qu’à cet égard Satan a employé toute sa ruse pour faire qu’on ne trouve plus rien des actions des apôtres, sinon de manière corrompue et barbouillée de mensonges, afin de rendre suspect tout ce qu’on dirait d’eux, afin d’effacer par ce moyen tout souvenir de cette époque de la mémoire des fidèles. En effet, il a suscité d’une part de sots rêveurs, d’autre part des moqueurs bien rusés, qui, sous des noms d’emprunt, ont propulsé des fables bien mal ficelées dont l’absurdité a enlevé toute autorité même aux récits véridiques.
Par exemple : on voit je ne sais quels petits livres produits par un certain Linus, qui parlent de saint Paul et de saint Pierre, et où il y a tant de niaiseries stupides, qu’il semble qu’on ait voulu faire rire exprès les incroyants et causer du dépit aux gens de bien. Il y a aussi la grande dispute qu’on a inventée entre saint Pierre et Simon le Magicien, qui est si ridicule qu’elle déshonore vraiment la chrétienté. On peut dire de même de tout ce mélange intitulé « Les revues et les conciles de Clément », qu’on trouve mentionné dans tout le galimatias de Gratien. Bien qu’il ne s’agisse que de fariboles sans aucune ombre de vérité, comme elles sont parées de noms d’auteurs anciens, les gens simples sont trompés et les malins n’ont pas honte de les mettre en avant avec beaucoup d’assurance, comme s’il s’agissait d’arrêts du ciel.
Satan a menti on ne peut plus, afin que nous n’ayons aucune certitude des choses qui se sont passées depuis que Christ est monté au ciel. Et en fait, si ce livre de saint Luc n’avait pas survécu pour nous servir de registre où sont consignés les faits, il semblerait que Christ montant au ciel n’ait laissé dans ce monde aucun fruit de sa mort et de sa résurrection. Car tout souvenir en serait perdu, tout autant que la présence de son corps. Nous ne saurions pas qu’il a été reçu dans la gloire céleste de telle manière qu’il exerce une domination souveraine partout dans le monde. Nous ne saurions pas que l’enseignement de l’Évangile a été publié par le ministère des apôtres, afin qu’elle parvienne jusqu’à nous de main en main, quel que soit le temps qui nous sépare d’eux. Nous ne saurions pas qu’ils ont reçu le Saint-Esprit pour ne rien enseigner d’autre qui ne vienne de Dieu, et cela afin que notre foi soit fondée sur la vérité ferme et certaine. Finalement, nous ne saurions pas qu’a été accomplie la prophétie d’Ésaïe où il a prédit que la loi sortirait de Sion et la Parole de Dieu de Jérusalem. Donc puisque ce livre, qui sans aucun doute a été donné par le Saint-Esprit, nous donne un témoignage certain de toutes ces choses, je répète et je maintiens ce que j’ai dit tout à l’heure à bon droit : nous devons le considérer comme un trésor tout à fait unique.