Introduction au livre d'Ézéchiel
Introduction au livre d'Ézéchiel
- Généralités
- Époque et circonstances
- Auteur
- Situation du peuple
- La mission du prophète
- Plan
-
Message
a. La gloire et la puissance de Dieu
b. L’alliance de Dieu
c. Le bon Berger
d. Le jugement de Dieu
e. La culpabilité des hommes
f. Le temple nouveau et le renouveau total
g. Interpréter correctement le message
1. Généralités⤒🔗
Ézéchiel, le troisième parmi les « grands prophètes » écrivains de l’Ancien Testament est également l’une des grandes figures de l’histoire de l’Ancienne Alliance. On l’a comparé à saint Jean l’évangéliste, et ses prophéties à celles du livre de l’Apocalypse dans le Nouveau Testament. Il est étonnant comment les visions de l’apôtre exilé sur l’île de Patmos rappellent en plusieurs points celles du prophète de la période exilique.
C’est un véritable esprit de prière qui anime les admirables 48 chapitres de son livre; un souffle puissant les parcourt d’un bout à l’autre. Il ne faut pas chercher chez Ézéchiel une élévation intellectuelle comparable à celle d’Ésaïe. Sa vie, intimement liée à celle de ses compatriotes exilés, est entièrement consacrée à leur apporter un message pratique; il leur annonce les événements à venir; sans monotonie, et bien que le style soit faible, des images saisissantes remplissent ces pages d’un symbolisme riche et grandiose, au point où l’on souhaiterait connaître parfaitement la langue hébraïque pour pouvoir les apprécier à leur juste valeur.
Le prophète n’est pas un ritualiste fanatique, inventeur du sacerdotalisme et de la légalité judaïque. Il n’antagonise pas contre l’esprit prophétique. Ces deux tendances sont liées parfaitement chez lui, étroitement solidaires l’une de l’autre. Car le vrai prêtre (Ézéchiel en est un) est aussi un véritable prophète et porte-parole du message divin.
Le ministère d’Ézéchiel se déroulera aux bords du fleuve Kébar, pendant la captivité babylonienne. Aussi, son livre jette-t-il une vive lumière sur le genre de vie des exilés. Le prophète est appelé à combattre leurs infidélités; à leur enlever leurs illusions concernant la ville sainte, tout en leur annonçant le salut et la restauration messianiques.
2. Époque et circonstances←⤒🔗
Les circonstances historiques et politiques au sein desquelles Ézéchiel a commencé son ministère sont les mêmes que celles de Jérémie.
« À Jojakim, dont la rébellion avait emmené l’armée de Nébucadnetsar sous les murs de Jérusalem, succéda Jojakin, qui ne régna que trois mois. Le nouveau roi était monté sur le trône au milieu des embarras et des misères du siège. Ce fut sans doute l’arrivée du monarque chaldéen en personne devant sa capitale qui le décida à conclure une capitulation. La ville fut épargnée; mais en se rendant, le roi ne sauva que sa vie. Il fut emmené à Babylone avec 10 000 habitants de Jérusalem, environ tous ceux qui, en cas de nouvelles complications, pouvaient se rendre redoutables par leur position, leur intelligence ou leur connaissance des armes (2 R 24.15-17). Ces choses se passaient en 599 avant J.-C.
Tandis que Jojakin était conduit à Babylone, où il demeura en prison durant de longues années (voir 2 R 25.27), une partie des captifs, emmenés avec lui, furent transportés sur les bords du fleuve Kébar, en Mésopotamie. C’est au nombre de ces derniers que se trouvait l’homme de Dieu dont nous allons étudier la personne et le ministère » (Bible Annotée, Introduction à Ézéchiel).
Le cadre historique est donc celui d’une époque de décadence et de chute pour le royaume de Juda. Les captifs se berçaient encore d’espérances illusoires sur une prochaine débâcle babylonienne et d’un prompt retour au pays. Ils ne pouvaient pas admettre que Dieu pût livrer son temple et sa ville à une destruction totale et définitive. Ils étaient à l’affût des moindres signes extérieurs pouvant confirmer leurs fébriles espoirs. En particulier, ils croyaient pouvoir discerner les signes dans l’impuissance du roi de Babylone à réduire la riche cité maritime de Tyr et dans les soulèvements qui se produisaient un peu partout à l’est de l’empire. Il suffisait de cela pour qu’un vent d’optimisme passât sur les captifs de Juda, qui voyaient déjà leur ville et leur temple retrouver leur splendeur passée.
Il est nécessaire cependant de se rendre compte ici que les Juifs déportés à Babylone ne vivaient pas tout à fait comme des prisonniers. Ils jouissaient d’une liberté assez grande. Le roi de Babylone, comme ses prédécesseurs assyriens spécialistes en transferts de populations, avait simplement voulu ôter aux Juifs toute possibilité de se révolter. La déportation n’était donc pas une sanction prise contre des particuliers, mais contre l’ensemble de la nation.
Humainement parlant, ces déportés n’étaient pas très malheureux. Les Babyloniens semblaient leur avoir laissé une grande liberté, tant économique que spirituelle. Ils pouvaient cultiver la terre, faire du commerce; certains profitèrent si bien de ces possibilités qu’on les verra, le jour où Cyrus leur rendra la liberté, choisir de rester au pays de l’Euphrate, où ils constituaient une colonie relativement nombreuse et très vivante, dont l’existence se poursuivra pendant plusieurs siècles. Au point de vue religieux également, pas de servitude; une complète liberté de conscience et de culte. Ces Chaldéens n’avaient pas une mentalité d’oppresseurs totalitaires.
De plus, les relations avec la mère patrie ne furent jamais interrompues; on pouvait écrire et recevoir des lettres, dans lesquelles on cherchait à se réconforter mutuellement. Mais à Babylone comme à Jérusalem, le peuple devenait une proie facile pour des consolateurs bon marché : il prêtait une oreille complaisante à la voix des faux prophètes qui lui faisaient entrevoir une renaissance imminente.
Ainsi, ce qui pesait le plus aux déportés de Babylone c’était non pas la captivité en elle-même, mais plus simplement le mal du pays, la nostalgie du temple et du vrai culte célébré à Jérusalem, le désir d’une existence nationale, loin du contact impur d’une population païenne. Cette nostalgie a inspiré de nombreux poèmes, des psaumes élégiaques, des prières de vengeance. Mais plus la captivité se prolongeait, plus aussi augmentaient l’amer désespoir des uns et la sombre obstination des autres.
Aussi, lorsqu’en 586 la grande masse du peuple de Juda vint s’ajouter aux premiers déportés et que parvint la nouvelle de la destruction totale des murailles et de la profanation du temple de Jérusalem, le peuple de Dieu connut l’heure de la plus sombre de son histoire. Les hommes intègres qui avaient prêté l’oreille aux paroles d’un Jérémie cherchaient avec angoisse la signification de ces événements. Dieu viendrait-il encore? Comment pouvait-il permettre que les idoles des peuples étrangers fussent plus puissantes que lui? Mais il y avait aussi la masse de tous ceux qui, déjà à Jérusalem, attendaient de voir de quel côté soufflerait le vent pour agir et qui, depuis qu’ils étaient en exil, cherchaient leur consolation dans la superstition et les succédanés religieux de toute nature. Ils succombaient d’autant plus facilement à cette tentation qu’ils se trouvaient désormais complètement privés de toute forme de culte authentique.
D’autre part, on apprit par de nouveaux déportés avec quelle maligne joie les peuples voisins avaient salué la chute de Juda et comment ils avaient essayé de tirer tout le profit possible de la catastrophe. Le peuple de Dieu était vraiment au fond de l’abîme.
Par patriotisme peut-être (Ps 137), à cause aussi de la rupture de leurs habitudes religieuses jusque là si étroitement liées au temple de Jérusalem, mais aussi pour des raisons plus profondes, ils voient dans la défaite d’Israël non seulement une humiliation nationale, mais encore l’effondrement de la puissance de l’Éternel. Ils se demandent parfois si le Dieu d’Israël n’est pas mort. D’autres, sans aller aussi loin, se disent qu’en tout cas leur Dieu est resté en Palestine et qu’il n’y a aucune possibilité pour eux de compter sur lui, sur sa force et sur son aide, puisqu’ils vivent à une telle distance de lui. Un pessimisme noir, traversé par de constantes illusions sur la proximité du retour, tel est le lot, au lendemain de la première déportation, des meilleurs en Israël.
C’est dans cette situation lamentable qu’ils entendent, soudain, la voix d’un prophète qui partageait le sort des exilés.
Car l’Éternel, ici comme tout au long de l’histoire de son peuple, ne l’abandonne jamais. Il demeure toujours fidèle à l’alliance. Et pour venir au secours des siens, il utilise invariablement la même méthode « personnaliste ». Il envoie parmi ceux qui souffrent des hommes qu’il remplit de son Esprit pour qu’ils parlent de sa part. Ézéchiel est donc donné aux exilés de Babylone.
Ézéchiel fut déporté quelques années plus tard avec Jojakim (598 avant J.-C.) et les 10 000 prisonniers que Nébucadnetsar transplanta dans la capitale de son royaume. Son ministère doit avoir duré environ 22 ans, de 593 (Éz 1.2) à 571 (Éz 29.17).
3. Auteur←⤒🔗
La captivité sous Jojakim (597) voit donc un sacrificateur déporté du nom d’Ézéchiel (son nom signifie « Dieu fortifie ») devenir la sentinelle spirituelle sur Israël captif, le messager de la responsabilité personnelle. Il n’a que 30 ans et réside dans sa maison aux bords du fleuve Kébar. Il est marié, contemporain et cadet de Jérémie, et a dû probablement connaître Daniel.
Nous n’avons que peu de renseignements sur la vie du prophète Ézéchiel. Il serait né pendant le règne de Josias, en 622. Il aurait grandi à Babylone et aurait commencé son ministère à 30 ans, la 5e année du règne de Jojakim. Cette hypothèse est assez vraisemblable, si l’on se rappelle que la 30e année avait une grande importance pour les Lévites (Nb 4.1-13). Remarquons qu’Ézéchiel est souvent appelé aussi par Dieu « fils de l’homme », et, Jésus, le « Fils de l’homme » par excellence, commença son ministère public à 30 ans.
« De la manière dont il parle du temple, et généralement de sa connaissance de la vie sacerdotale (Éz 8.40), on peut conclure qu’il avait exercé à Jérusalem, pendant un certain temps, les fonctions sacrées. Nous pouvons calculer jusqu’à un certain point la durée de son activité. Il fut appelé au ministère prophétique cinq ans après la déportation en Chaldée (Éz 1.2-3, vers l’an 595), six ans par conséquent avant la ruine de Jérusalem. D’après Ézéchiel 29.17, celui de ses discours qui porte la date la plus tardive a été prononcé la 27e année de la captivité; nous devons donc attribuer à son ministère une durée de 22 ans au moins. Nous ne savons rien de sa mort » (Bible Annotée, Introduction à Ézéchiel).
Après avoir exercé les fonctions de sacrificateur (Éz 1.3), il fut déporté en 597 avec les notables de la ville. Il habitait avec sa femme une maison particulière. À plusieurs reprises, il eut l’occasion d’accueillir chez lui les délégués des déportés qui le tenaient exactement au courant de ce qui se passait dans la mère patrie. C’est au cours de plusieurs visions qu’il reçut ses oracles, lesquels étaient toujours destinés à la fois aux Juifs de la déportation et à ceux restés en Palestine. Le prophète était conscient du fait que leurs destinées respectives étaient inséparables.
Jérémie avait reçu l’ordre de ne pas se marier, tandis qu’Ézéchiel était marié. Comme plusieurs autres prophètes (entre autres Osée), la vie personnelle du voyant de Kébar était mêlée d’une façon saisissante à son ministère. Le jour où commença le siège de Jérusalem, sa femme mourut, et Dieu défendit à son serviteur de porter le deuil, cette épreuve devant servir de signe pour le peuple, lui faire comprendre que la ruine de la ville était imminente et inévitable (Éz 24.15).
« Une légende juive prétend qu’il fut tué par l’un des princes de Juda auquel il avait reproché son idolâtrie. Mais rien de moins certain que ces traditions extrabibliques. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que l’on ne découvre dans son livre absolument rien qui puisse faire supposer qu’il ait vu lui-même le retour de la captivité et l’accomplissement des promesses par lesquelles il avait si souvent relevé le courage du peuple captif.
Son livre jette quelque lumière sur son genre de vie au milieu de ses frères de captivité. Il jouissait d’une grande considération auprès des compatriotes qui l’entouraient; on le consultait volontiers (Éz 8.1; 14.1; 33.31). Son activité avait quelque analogie avec le ministère évangélique » (Bible Annotée, Introduction à Ézéchiel).
La personnalité d’Ézéchiel nous surprend un peu au premier abord. Il est plus austère, plus raide, moins humain que son aîné Jérémie. Mais c’est un très grand serviteur de Dieu qui a exercé, pendant l’Exil et peut-être encore davantage au cours des siècles qui ont suivi l’Exil, une influence très considérable. À bien des égards, on peut dire qu’il est le Calvin de l’Ancien Testament. En commun avec le grand réformateur, il a l’énergie indomptable, la persévérance inépuisable et aussi un sens très fort de la gloire et de l’honneur de Dieu.
4. Situation du peuple←⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction à Ézéchiel).
Nous recueillons dans le livre d’Ézéchiel les renseignements suivants sur la situation extérieure et l’état moral de la colonie israélite.
La localité où les exilés se trouvaient groupés s’appelait Tel-Abib, « colline des épis » (Éz 3.15), nom qui paraît indiquer la fertilité. Des anciens sont chargés de les administrer, sans doute sous la surveillance d’un représentant du roi. Les exilés formaient l’élite de la nation, au point de vue intellectuel et social, aussi bien qu’au point de vue religieux. C’est ce qui ressort de la vision des deux paniers de figues (Jr 24.1). Mais cette supériorité ne pouvait être que relative. Les illusions auxquelles se livrait la portion du peuple demeurée à Jérusalem et qui allaient lui être fatales n’avaient pas pris fin d’un coup chez les premières victimes de la captivité.
Aussi, Dieu lui-même dépeint à Ézéchiel ses compagnons comme une race rebelle, en face de laquelle il rendra son front dur comme le diamant. Sous le respect extérieur pour l’Éternel et pour son prophète (Éz 33.31), se retrouvaient chez eux les dispositions qui allaient causer la ruine de Jérusalem. L’influence des faux prophètes (Éz 13) contrebalançait celle de l’envoyé de Dieu. L’idolâtrie persistait sous une forme ou sous une autre (Éz 14.3-11) et le tableau des mœurs de la colonie, tracé dans des passages comme Ézéchiel 33.25-26, justifie l’assertion du prophète que le nom de l’Éternel était blasphémé à cause d’Israël au milieu des païens (Éz 36.20-21). En un mot, ce commencement de châtiment n’avait pas plus produit ses fruits sur la terre d’exil qu’à Jérusalem, et il devenait toujours plus évident que, pour être profitable, le jugement devait s’exécuter jusqu’au bout. (Bible Annotée).
5. La mission du prophète←⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction à Ézéchiel).
Étrangers au milieu d’une grande nation idolâtre, sans culte, sans lien religieux avec le centre de la vie israélite, les exilés étaient exposés à perdre rapidement la connaissance vivante du vrai Dieu, et par là tout espoir de restauration. Il était nécessaire, pour parer à ce danger, de suppléer autant que possible aux moyens de grâce qui leur manquaient. C’est à ce besoin que Dieu pourvoit par les révélations accordées au prophète qu’il suscite au sein de l’Exil. Il se révèle à lui dans une apparition magnifique, à la suite de laquelle le prophète fait entendre aux exilés de nombreuses prédictions d’une étonnante précision de détail et d’une forme symbolique très riche, en harmonie avec le milieu où ils vivent. Il décrit enfin, dans le tableau du nouveau temple, la perfection sublime des derniers temps.
Un fait capital partage en deux parties le ministère d’Ézéchiel : la ruine de Jérusalem. Jusqu’à ce moment, le prophète parle à son peuple un tout autre langage que celui qu’il emploiera plus tard. Le patriotisme religieux des Israélites se révoltait à la pensée qu’un jugement de Dieu pût détruire la ville sainte. Il fallait préparer les esprits à cette catastrophe, et pour cela leur faire sentir jusqu’à quel point elle était méritée. Voilà ce que Dieu fait en Babylonie par le ministère d’Ézéchiel, en même temps qu’à Jérusalem par celui de Jérémie.
C’est dans ce but que notre prophète accumule dans la première partie de son livre les descriptions des crimes de Jérusalem, de son idolâtrie, de son immoralité. Il travaille ainsi à renverser l’attente chimérique d’un retour prochain des exilés dans leur patrie et l’espérance, plus folle encore, d’une victoire remportée par le peuple de Jérusalem sur les Chaldéens. Par là, il prévient en même temps le découragement qui aurait pu si facilement saisir les exilés au moment de la ruine de Jérusalem, et il prouve que dans cette catastrophe tout est à la charge du peuple rebelle, et que rien ne peut-être imputé à l’impuissance ou à l’infidélité de Dieu lui-même.
Mais dès que fut arrivée la nouvelle fatale (Éz 33.21), les prédications du prophète prirent un tout autre caractère. Aux appels à la sainteté succèdent les promesses. Ézéchiel s’adresse maintenant au résidu croyant, à ce saint reste, dont avait parlé Ésaïe, qui a su reconnaître « qu’il y avait un prophète au milieu d’eux ». Devant ce peuple humilié, qu’il faut désormais garder d’un trop grand abattement, il étale les perspectives du relèvement; il décrit l’avènement du vrai Berger prenant la place des pasteurs indignes, l’effusion de l’Esprit et la conversion des cœurs, la résurrection nationale et le triomphe de la théocratie restaurée sur tous ses futurs ennemis. Préparées comme elles l’avaient été par la première partie de son ministère, ces promesses purent tomber dans un sol bien préparé et être saisies par la foi, sans que les illusions de l’orgueil ou d’un patriotisme faussé risquassent d’en dénaturer le sens. (Bible Annotée).
Comme ses prédécesseurs Osée, Ésaïe et Jérémie, Ézéchiel a eu parfois recours à certains actes insolites pour tenter d’ouvrir les yeux du peuple. Un jour, on le vit jouer avec une brique sur laquelle se trouvait tracé le plan de Jérusalem, dans l’intention de montrer que Dieu était devenu l’ennemi de sa propre ville; une autre fois, il se priva volontairement de nourriture pour annoncer la famine consécutive au siège imminent. On le vit aussi porter la tonsure des détenus et rester longtemps immobile et couvert de liens, mangeant des aliments interdits aux Juifs, tout cela pour souligner la proximité et le caractère irrévocable du jugement de Dieu sur son peuple (Éz 4.5). Il eut recours à des actions encore plus significatives, si possible. Au rebours du bon sens, il enfonça le mur de sa maison pour symboliser, aux yeux de ses compagnons intrigués par son acte insensé, la prochaine destruction des murailles de Jérusalem et leur enlever ainsi leur dernière illusion. À la mort de sa femme, il renonça à prendre le deuil afin d’avertir le peuple que la ville serait détruite sans laisser de regrets. Par ces divers actes symboliques, Ézéchiel atteste qu’en tant que prophète de Dieu il a cessé d’être un homme privé. Il a dû mettre son existence entière au service du message qui lui avait été confié.
6. Plan←⤒🔗
1. Avant la destruction de Jérusalem - 1 à 24
a. Vocation - 1 à 3
b. La cinquième année de la captivité - 4 à 7
c. La sixième année de la captivité - 8 à 19
1. Pourquoi la gloire de l’Éternel devra quitter Jérusalem
2. Menaces, avertissements, complaintes
d. La septième année de la captivité - 20 à 23
e. La neuvième année de la captivité 24
Début du siège de Jérusalem
2. Prophéties contre les peuples étrangers 25 à 32
a. Ammon 25.1-7
b. Moab 25.8-11
c. Édom 25.12-14
d. Philistins 25.15-17
e. Tyr et Sidon 26 à 28
f. Égypte 29 à 32
3. Après la destruction de Jérusalem; restauration 33 à 48
a. Promesse de salut 33 à 37
b. Grande bataille du jour de l’Éternel 38 à 39
c. Vision symbolique du peuple de Dieu 40 à 48
1. Nouveau sanctuaire 40 à 42
2. Lois du nouveau culte 43 à 46
3. Renouvellement de la terre sainte 47 à 48
7. Message←⤒🔗
À la source de la carrière d’Ézéchiel comme de celle d’Ésaïe et de Jérémie se trouve une vocation divine. La forme en est, il est vrai, quelque peu étrange. Dans une vision grandiose, extraordinaire, difficile pour nous à comprendre, précédée d’un tourbillon de vent et d’une gerbe de feu, la « gloire de l’Éternel » apparaît à son serviteur sous la forme d’un être mystérieux, qui a comme une forme humaine et qui est assis sur une forme de trône, le tout étant en quelque sorte porté par un groupe de quatre animaux qui ont chacun quatre faces, et qu’accompagnent dans leurs mouvements des roues fantastiques couvertes d’yeux sur tout leur pourtour (Éz 1). Sans prétendre définir la valeur symbolique de tous les détails de cette description, il faut noter ceci, qui est capital : Ézéchiel a cette vision de la gloire de Dieu sur les bords du fleuve Kébar, c’est-à-dire en Babylonie. Qu’est-ce à dire sinon que Dieu est présent sur la terre étrangère aussi bien que sur la terre palestinienne? Il est partout, on peut l’adorer partout, on peut compter sur lui partout.
Toutefois, comme celle d’Ésaïe, cette vision n’est que le prélude de la vocation. À celui dont il veut faire son prophète, l’Éternel va maintenant adresser un appel redoutable. Ézéchiel devra être son témoin au milieu d’un peuple rebelle qui ne voudra pas écouter. Il devra dire des paroles terribles, et à prononcer et à entendre. Et sans doute le livre que la main divine lui tend dans sa vision et qu’il doit dévorer pour en faire sa nourriture, ce livre où sont écrits gémissements, lamentations et plaintes, ce livre, quand il l’aura mangé, lui sera doux à la bouche comme du miel; mais cela ne l’empêchera pas d’être profondément troublé par la mission que son Dieu lui donne et de rester, à la suite de l’appel, frappé de stupeur pendant sept jours (Éz 2.1 à 3.15).
Au bout de ces sept jours, nouvelle parole de Dieu, cette fois pour préciser la tâche qui incombera à son prophète. Il sera une sentinelle sur la tour du guet, il observera les signes de la volonté de Dieu et aussi l’attitude des hommes. Son rôle sera d’avertir ceux-ci de la part de Dieu, de leur dire haut et clair ce que Dieu attend d’eux, de dénoncer sans pitié les offenses dont ils se rendent coupables envers Dieu, de leur faire choisir entre le chemin de la mort et celui de la vie. C’est seulement au prix de sa fidélité dans ce service de sentinelle que le prophète sauvera, libérera son âme (Éz 3.16-21).
Ézéchiel, quoique terrifié, reçoit sa vocation : « Fils d’homme, va vers la maison d’Israël, et tu leur diras mes paroles! […] Ne les crains pas, ne t’épouvante pas devant eux, car c’est une famille de rebelles » (Éz 3.4,9).
Il ne les craindra pas et pendant 22 ans il fera retentir son message qui dénonce le péché, mais qui annoncera également les promesses de la restauration future. À partir de ce moment-là, il cesse d’être un homme privé; son existence sera mise au service du message. Tout chez lui, actes symboliques ou discours proférés, ont pour but d’éveiller le sens de la responsabilité de ses contemporains, aussi bien chez ceux qui demeurent à Jérusalem que chez ceux qui sont déportés aux bords du Kébar. En dénonçant leurs péchés, il attribuera à leur infidélité les calamités nationales dont ils sont à présent à la fois les victimes et les responsables.
Au pays comme en captivité, ses compatriotes emploient toutes sortes de subterfuges afin d’éviter leur responsabilité spirituelle. Quand ils sont exhortés à agir, ils prétendent que le temps n’est pas mûr. C’est le péché de la tergiversation, de la remise toujours à plus tard. Ils préfèrent entendre des paroles douces, des messages de consolation bon marché, ceux des faux prophètes. La piété de leurs ancêtres leur sert de garantie! Cependant, ils sont avertis. Si Noé, Daniel et Job revenaient, ils ne sauveraient que leurs propres âmes. Leur prospérité matérielle semble leur suffire comme assurance. Ils s’excuseront en jetant la culpabilité sur leurs prédécesseurs. Les pères ont mangé des raisins verts, les dents des enfants en souffrent (Éz 18.2). Mais non, dit le prophète. « L’âme qui pèche, c’est celle qui mourra » (Éz 18.20). Finalement, ils font preuve de légèreté devant la sentinelle qui prêche sans répit. Ses dénonciations, ce n’est que de l’imagerie! Ses consolations des beaux chants d’amour…
a. La gloire et la puissance de Dieu←↰⤒🔗
Nous avons déjà signalé que le message d’Ézéchiel est double, correspondant à son double ministère, avant et après la chute de Jérusalem. Avant ce suprême châtiment, il s’agissait d’enlever aux exilés l’illusion d’un retour prochain, en leur montrant leurs péchés. Après le sac de la capitale, il s’agissait non plus de condamner, mais d’encourager. La colère de Dieu ne sera pas éternelle. Le Messie, le vrai et bon Berger, viendra, le peuple prendra à nouveau possession de la terre promise, le Saint-Esprit sera répandu sur lui et Israël se convertira. Dieu, enfin, établira son sanctuaire au milieu du peuple, après avoir entièrement anéanti ses ennemis.
Tout ce message est dominé par la vision de la gloire de l’Éternel. Cette gloire qui va être obligée de quitter la ville sainte, à cause de l’abondance de ses iniquités, mais qui reviendra un jour, pour demeurer à perpétuité au sein du peuple purifié et restauré. Nous en déduisons pratiquement pour nous que la connaissance de Dieu, de sa majesté glorieuse et de sa puissance illimitée, est la source de toute joie et de toute espérance. Le connaître c’est avoir les yeux ouverts sur le péché et, comme lui, le haïr; c’est proclamer le jugement, mais aussi nous réjouir et vivre… en attendant la bienheureuse espérance de la manifestation de la gloire du grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ (Tt 2.12-13), le Prince dont nous sommes les sujets (Éz 34.24).
Au fond, le prophète est en train de revivre, mais avec un génie différent et dans un autre contexte, la vision de son grand prédécesseur Ésaïe. Il vient de recevoir la révélation accablante de la transcendance du Seigneur, de la gloire de celui qui est le Roi de toute la terre (És 6). Ce dernier point est absent de la description initiale d’Ézéchiel, mais le prophète en suggère la vérité en ajoutant des traits secondaires, au risque d’obscurcir son intuition primordiale. Ainsi s’explique la longue description de ces animaux fantastiques, tirés du bestiaire mythique des Babyloniens, que le prophète se plaît à voir au service du Seigneur; ou encore la présence de ces roues hallucinantes qui montrent à leur manière que la gloire de l’Éternel est toute-puissante en tous lieux.
Écrasé par cette révélation, Ézéchiel perçoit avec violence sa petitesse; en face de la gloire, il n’est qu’un infime et dérisoire fils d’homme, chancelant, hébété; sur lui, la main du Seigneur est tombée, pesant lourdement; sur lui encore, l’Esprit du Seigneur tombe pour l’enlever.
Ainsi, le trait dominant dans la conception religieuse d’Ézéchiel nous paraît être la puissance illimitée de l’action divine. Ésaïe avait fait ressortir surtout la sainteté du caractère de Dieu, en opposition à l’hypocrisie de l’observance extérieure et aux abominations idolâtres auxquelles se livraient tour à tour les contemporains de ce prophète. Dans les discours de Jérémie, c’est la justice de Dieu qui fait entendre sa voix sévère. Le peuple, définitivement condamné, n’a plus qu’à courber la tête sous ce châtiment; et le prophète, en ce moment douloureux, a pour tâche de lui montrer l’hommage qu’il doit rendre à Dieu par l’acceptation humble du jugement mérité.
Au temps d’Ézéchiel, le peuple captif est profondément découragé; sa dernière espérance s’évanouit; Jérusalem est tombée; l’Exil se prolonge. Comment les captifs de Juda ne reviendraient-ils jamais de cette terre étrangère? Ce serait une vraie résurrection des morts. Inutile de ne rien attendre de pareil! « Et quand vous seriez morts, morts depuis des siècles, l’Éternel vous relèvera; sa puissance n’a pas de bornes »; tel est le message d’Ézéchiel, surtout dans la seconde période de son ministère. Le prophète entretient ainsi l’étincelle de la foi chez ce pauvre « reste », qui se croit abandonné pour toujours; et il rend par là possible son rétablissement. Tel est, nous semble-t-il, le trait saillant de la prophétie d’Ézéchiel.
Le prophète est le témoin de ce tout-puissant Seigneur. Cela apparaît en particulier dans les visions qui lui sont accordées et où il lui est donné de contempler la gloire de Dieu. Malgré la description très scrupuleuse qu’il en donne, on ne peut se représenter cette gloire que sous forme d’images, non que le prophète n’ait pu réussir à nous en laisser une représentation exacte, mais parce que c’est dans la nature de la chose elle-même. L’expression « la gloire de Dieu » revient très souvent chez Ézéchiel, plus que chez aucun autre écrivain biblique.
Le terme hébreu utilisé signifie littéralement : pesanteur, hauteur imposante, éclat rayonnant, honneur, gloire. Ézéchiel atteste la gloire de Dieu dont la réalité se manifeste à Jérusalem comme sur la terre étrangère. Mais on ne peut en aucun cas comprendre et saisir Dieu par sa propre intelligence; l’homme ne peut que se courber sans discuter sous sa gloire, à laquelle doit contribuer aussi bien le jugement que le salut. Précisément parce qu’il y va de sa gloire, le Dieu dont témoigne Ézéchiel n’est pas une divinité à la mesure des désirs ou de l’imagination de l’homme. Mais quand ce témoignage est entendu et pris au sérieux, la question de la puissance ou de l’impuissance de Dieu qui tourmentait si fort ses contemporains est résolue. Et l’homme épuisé au sein d’un peuple vaincu reçoit la force que Dieu donne.
b. L’alliance de Dieu←↰⤒🔗
Nous n’examinerons pas la thèse de la critique libérale selon laquelle Ézéchiel ferait preuve d’un esprit sacerdotal légaliste.
« Le prophète se trouve placé sur la limite d’un passé, l’ancienne théocratie visible qui s’en va, et d’un avenir qui doit sortir de ces ruines. Jérémie avait en quelque sorte inhumé l’ancien ordre des choses; Ézéchiel inaugure le nouveau. Mais qu’on ne s’y trompe pas! Cet avenir qu’Ézéchiel contemple et prépare n’est pas celui qui se réalisera immédiatement après la restauration. Le regard du prophète passe par dessus les cinq siècles qui sépareront la captivité de l’économie spirituelle. Quand Ézéchiel dit : “J’ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair” (Éz 36.26), ce n’est assurément pas l’œuvre du judaïsme légaliste et pharisaïque qu’il décrit de la sorte, mais celle du Christ. La loi n’est que l’ombre, après aussi bien qu’avant l’Exil; le Christ est le corps (Col 2.17), la réalité promise » (Bible Annotée, Introduction à Ézéchiel).
Le message du livre veut être une réponse à la question qui tourmente les exilés. Dieu est-il impuissant? Chez le prophète, le point de départ de la connaissance de Dieu est l’alliance, l’élection dont Israël est l’objet indigne (Éz 16.3), accompagnée des miracles et des délivrances qui jalonnent l’histoire de ce peuple (Éz 16.4-14). Il reprend la pensée du prophète Osée qui compare l’alliance de Dieu au mariage. Pour décrire les infidélités répétées du peuple élu, il utilise lui aussi l’image de la femme adultère (Éz 16.23), attestant par là que l’ingratitude et le manque de confiance entraînent la dissolution du mariage.
En effet, l’ingratitude et le manque de confiance envers Dieu conduisent à se confier aveuglément en l’homme et en ses possibilités à rechercher avant tout le succès extérieur et à s’adapter servilement à la politique des maîtres du jour (Éz 6.15-34; 17.5). Ézéchiel montre que la rupture de l’alliance se produit dès que l’impuissance apparente de Dieu devient pour l’homme une pierre d’achoppement qui lui fait chercher sa consolation dans les superstitions et les religions de remplacement.
De même que l’Ancienne Alliance est le fondement de la connaissance de Dieu du prophète, la Nouvelle Alliance constitue le fondement de son espérance. Ézéchiel attend une action imminente de délivrance. Et la même certitude qui lui fait opposer la réalité du jugement de Dieu à l’optimisme illusoire de ses contemporains inspire sa prédication du salut tout proche, à l’adresse de ceux qui s’abandonnent à un désespoir contraire à l’esprit de l’alliance.
Jugement et salut tendent à un même but, à savoir amener le peuple élu à reconnaître la souveraineté de son Seigneur. Par l’action de délivrance qu’il prépare, Dieu veut enseigner l’obéissance à son peuple désobéissant et redonner force à l’antique pacte du Sinaï.
c. Le bon Berger←↰⤒🔗
Dans la parabole des bergers (Éz 34), qui annonce à la fois Jean 10, Matthieu 25 et Luc 15, il clame son indignation contre les mauvais conducteurs qui, au lieu de prendre soin des brebis qui leur étaient confiées, les ont tondues, exploitées, dévorées, égarées et, finalement, livrées aux ennemis qui les guettaient. Malheur à ces bergers infidèles! Mais bonheur pour les brebis, parce que désormais Dieu va lui-même les prendre en charge, leur donner un Berger selon son cœur en la personne du nouveau David, du Messie qui viendra les paître avec amour!
Le roi qu’Ézéchiel attend pour inaugurer l’ère nouvelle sera le bon Berger, issu de la race de David. Cette espérance montre que les chefs qui ont dirigé le peuple jusque là étaient de mauvais bergers, incapables de repentance. Le fondement de l’espérance du prophète réside dans l’assurance que Dieu est aussi le Maître de la mort. Un suprême combat, déclenché par l’attaque d’un puissant adversaire venant du nord, précédera la délivrance finale. Mais en annonçant cet événement, Ézéchiel ne vise pas à exciter la curiosité de ses contemporains à propos de l’identité de cet ennemi issu du nord et de la date de son offensive; il veut simplement amener le peuple à comprendre que la volonté de Dieu reste pleinement active derrière l’action de l’ennemi et que cet ennemi est en fin de compte déjà jugé, le but dernier des vicissitudes de ce monde étant le triomphe de Dieu sur tous ses adversaires (Éz 38.39).
Il offre librement la délivrance à tous. Sa fidélité éternelle veut atteindre un but. Il ne laissera pas les siens, car il est le bon Berger, lui même paîtra ses brebis. Il attend le temps du retour de son peuple lorsque celui-ci envisagera sa propre responsabilité. Alors sa restauration se fera par un miracle, celui de la résurrection nationale. Ses pires ennemis disparaîtront. Le rétablissement est symbolisé par la grandiose reconstruction du temple.
d. Le jugement de Dieu←↰⤒🔗
Parce qu’Ézéchiel connaît le Dieu vivant, il inclut dans le jugement l’ensemble des peuples païens (Éz 25 à 32). Le peuple de l’alliance doit connaître les intentions de Dieu à l’égard des nations étrangères. Il doit savoir que son Seigneur les mène aussi, fut-ce à travers son jugement, vers un seul et même but : la reconnaissance de sa souveraineté (Éz 25.7,11,17), proclamée au sein d’un peuple désespéré ou révolté par l’impuissance apparente du Dieu qui l’a choisi. Cette parole sur les nations est un témoignage rendu à la puissance réelle de ce Dieu et à la souveraineté universelle qu’il revendique.
Le prophète ajoute que la destinée des nations est étroitement liée à leur attitude à l’égard du peuple de l’alliance. C’est précisément parce que l’alliance et la promesse restent valables que Dieu peut faire des puissances de ce monde des instruments pour l’éducation de son peuple. La cité de Tyr et le roi d’Égypte qui, comme un arbre prodigieux prétend s’élever jusqu’au ciel, sont déjà, eux aussi, condamnés (Éz 28.31). Le Dieu dont témoigne le prophète Ézéchiel n’est pas une providence impersonnelle et indifférente, mais un Juge attentif à faire respecter son droit.
C’est dans ce qu’il dit de la justice de Dieu qu’Ézéchiel se montre le plus pénétrant et le plus impitoyable. D’une part, il affirme que l’individu est responsable de ses actes devant Dieu, qu’il s’agisse du simple citoyen ou du prophète appelé à être une sentinelle de Dieu pour son peuple (Éz 18.4-18). D’autre part, pour se prononcer, Dieu n’utilise pas simplement les critères reconnus par la raison de l’homme. Il peut entraîner les siens sur des voies glissantes (Éz 20.23-26) et se servir contre son peuple d’un ennemi qui, du même coup, se condamne lui-même. Ézéchiel atteste ainsi que l’action de Dieu demeure finalement inintelligible à l’homme, car elle procède non de notre conception de la justice, mais de l’être intime et inaccessible du Seigneur de l’univers.
e. La culpabilité des hommes←↰⤒🔗
C’est dans la lumière de ce témoignage qu’apparaît toute l’époque de la captivité babylonienne de Juda, mais aussi toute période de l’histoire où l’homme, terrassé par les événements, demande : Comment Dieu peut-il permettre ces choses? Où est sa puissance?
Cette question, éclairée par ce même témoignage, se présente alors sous son véritable aspect, comme une manifestation de la culpabilité de l’homme. Et toutes les tentatives faites pour se passer de ce Dieu, que l’on met en question, et pour le remplacer par quelque chose de mieux adapté à la raison humaine ne font que manifester la rupture de l’alliance, dont l’homme a pris l’initiative. À la lumière de ce témoignage, Dieu se révèle, enfin, dans toute son exigeante rigueur; mais chose merveilleuse, lorsque ce message centré sur la gloire de Dieu est pris au sérieux, par exemple à l’époque d’un Ézéchiel ou d’un Calvin, avec tout ce qu’il a d’inexorable et de rebutant pour la raison, bien loin de susciter le désespoir ou l’inertie, il devient une source de force et d’espérance surnaturelles.
Le prophète aperçoit la gloire qui sort du temple et s’éloigne de Jérusalem. Le Seigneur quitte Sion! Pourquoi? Comment? Le motif d’une séparation aussi dramatique, Ézéchiel le découvre dans le péché d’Israël, ce mal endémique dont il s’applique à cerner la gravité, l’étendue et la profondeur. Ce péché c’est l’acte de violence, le crime où le sang est versé, que le prophète met, au moins une fois, sur le même pied que l’impiété; car pour lui le péché capital est l’idolâtrie qu’il voit pratiquée sur toute colline, sous les arbres et jusque dans le temple de Jérusalem. Il en trouve les signes à l’entrée du porche intérieur, dans le parvis, dans le sanctuaire du Seigneur, entre le vestibule et l’autel. Le péché d’Israël, c’est encore l’immoralisme quotidien; Ézéchiel le décrit en s’inspirant des formulaires des confessions de péchés en usage dans les sanctuaires.
Ézéchiel dit et redit que ce péché est une horreur, une abomination; c’est un geste d’infidélité, un adultère, un acte de prostitution. Le prophète développe ce thème dans l’allégorie de l’enfant trouvée, adoptée et ensuite épousée qui se change finalement en « prostituée despotique »; il le reprend ensuite dans l’histoire des deux sœurs, Ohola et Oholiba (Éz 23), épouses infidèles qui se livrent à une insolente prostitution.
Le prophète sait finalement découvrir la racine de l’impudique infidélité à laquelle s’abandonne Jérusalem dans l’orgueil. Ce péché des païens de Sodome, du roi de Tyr, de l’Égypte et de ses pharaons, c’est aussi le péché d’Israël, épouse infatuée de sa beauté; c’est encore le péché du prince.
Jérusalem n’a-t-elle pas d’ailleurs une origine païenne, elle qui descend d’un père amorite et d’une mère hittite? Sa corruption qui se manifeste tout au long de son histoire est congénitale. L’iniquité d’Israël n’est pas encore expiée, les punitions de Dieu ne sont pas à leur terme. À cause des péchés qui se sont accumulés et s’accumulent encore, de nouvelles souffrances sont en vue. Jérusalem tombera. La catastrophe totale sera inévitable.
Jérémie a parlé exactement à la même époque à Jérusalem qu’Ézéchiel à Babylone. Jérémie, lui, lancera un message de triomphe et d’espérance, et il proclamera que tout allait recommencer. Chez Ézéchiel, c’est rigoureusement pareil; lorsque la nouvelle de la seconde défaite arrive à Babylone, du coup son message se transforme, et aux exilés anciens et nouveaux, qui sont maintenant au bout de leurs souffrances, il annonce infatigablement, au nom de son Dieu, que leur souffrance va finir.
f. Le temple nouveau et le renouveau total←↰⤒🔗
Le prophète envisage l’avènement de l’ère nouvelle pour un avenir si rapproché qu’il esquisse un plan destiné à fixer les normes de vie qui prévaudront dans la patrie libérée, la nouvelle Jérusalem (Éz 40 à 48). Ces derniers chapitres se distinguent assez fortement du reste du livre. Pour les comprendre, il ne faut pas perdre de vue que le plan du prophète concerne l’époque qui suivra le jugement et la réorganisation finale, et que cette époque est considérée comme imminente.
En décrivant le temple, le prophète qui, ne l’oublions pas, fut sacrificateur, ne pourrait employer langage plus adéquat, symbole plus approprié pour décrire son attente de la restauration future. Il sera l’endroit où on rendra le véritable culte et où l’on dira « Yahvé shammah », c’est-à-dire Dieu est ici.
Le projet en question, le temple dont il trace le plan et indique les dimensions, jouera un rôle essentiel dans la nouvelle économie qui va s’ouvrir (Éz 40 à 43). Il sera le tabernacle de Dieu au milieu des hommes (Éz 43.7; 48.35). De nouvelles dispositions règlent les sacrifices (Éz 44 à 46) et fixent les devoirs des princes de Juda; cette dernière expression est le titre que portaient les représentants des tribus à l’époque de Moïse et de Josué. En outre, l’ordre de service des prêtres et les jours de fête sont l’objet d’une réglementation; parmi les fêtes se trouvaient désormais, fait important, deux cérémonies d’expiation (Éz 45.18-20). Enfin, ce qui frappe le plus dans le plan d’Ézéchiel, c’est la remarquable réorganisation géographique qui fait du temple le centre du pays, d’où procèdent les fleuves de la vie (Éz 47.48), allusion très nette aux fleuves paradisiaques.
Ces diverses particularités, auxquelles il faut ajouter le projet de répartition du pays entre les douze tribus sans préoccupation des circonstances géographiques du moment, montrent que le plan d’Ézéchiel n’a pas seulement un but pratique, même si le prophète espérait une réalisation prochaine. En particulier, les chapitres sur la nouvelle Jérusalem constituent une prédication bien plus qu’un programme. Ils montrent que le sanctuaire est vraiment la clé de la vie nouvelle. Il ne peut donc plus s’agir d’un temple à la mesure de l’espérance des prêtres bornés et des faux prophètes de l’époque, mais du lieu où l’on adore le Dieu vivant et où l’on se soumet à sa révélation.
Plus saisissantes encore, si possible, sont les promesses que contient la célèbre vision des « ossements desséchés » (Éz 37). Le peuple désespère de l’avenir. Il se croit mort. Et peut-être bien qu’en un sens, politiquement et matériellement parlant, il l’est en effet. Mais l’Éternel est puissant pour ressusciter ce qui est mort. Les ossements éparpillés dans la vallée sont désespérément secs. Mais l’Éternel fait croître sur eux de la chair, des muscles, de la peau. Bien plus, à la voix de son prophète, il fait souffler sur eux l’Esprit et ils revivent. Ainsi, Israël peut revivre, Israël revivra! Les sépulcres aux lourdes pierres se rouvriront. Le pays abandonné sera repeuplé et, témoin de la réalisation de cette magnifique promesse, les peuples sauront que l’Éternel est Dieu.
g. Interpréter correctement le message←↰⤒🔗
« Ézéchiel est à bien des égards le plus surprenant des prophètes, celui qui incarne le plus fortement le souci d’une parole toujours exactement en prise sur l’actualité. Lié à l’histoire de son peuple par toutes les fibres de son être, il sait que ce passé doit mourir pour que l’avenir soit possible. Que soient donc détruits la ville sainte, le temple, lieu de présence du Dieu vivant, et la dynastie porteuse de la promesse messianique. Le passé “non liquidé” est un poison qui rend les peuples incapables de vivre dans le présent; il faut donc accepter le jugement, accepter la mort pour pouvoir espérer un nouveau commencement. Comme dans la vie personnelle, il n’y a pas d’avenir pour une collectivité qui n’a pas eu le courage difficile de faire le bilan de ses erreurs, de ses infidélités et de ses crimes, de donner raison au Dieu qui lui barre la route et lui offre avec l’épreuve le pardon et la possibilité d’un commencement nouveau.
Attaché passionnément à la tradition des pères, Ézéchiel sait que pour ses contemporains la grâce est secrètement présente au cœur même de l’Exil et que l’avenir ne peut être envisagé comme la prolongation du passé coupable; pour être possible, il doit être radicalement autre. La libération d’Israël n’est rien, si elle n’est résurrection d’un peuple qui, mené par son Seigneur au point zéro de l’existence, reçoit un cœur nouveau et décide de vivre l’alliance comme une exigence quotidienne de fidélité totale. Et c’est pourquoi le temple et la loi lui apparaissent comme le cœur vital animant un Israël enfin sanctifié. Pour qui reçoit ce message, il n’est plus de temps mort. La vie présente dans ses souffrances et ses médiocrités est déjà éclairée et transformée par l’espérance de l’accomplissement.1 »
Il serait impossible d’énumérer toutes les paroles éloquentes et saisissantes, les actes symboliques impressionnants qu’Ézéchiel a multipliés pour rendre plus vivant, plus agissant le double message de condamnation et d’espérance dont Dieu l’avait chargé.
Citons seulement encore, parce qu’elle est déjà imprégnée de l’esprit de l’Évangile, la sublime parole : « Est-ce que je désire avant tout la mort du méchant? — oracle de l’Éternel. N’est-ce pas qu’il se détourne de sa voie et qu’il vive » (Éz 18.23). N’aurait-il prononcé que ces mots, Ézéchiel serait déjà un très grand prophète de l’Éternel.
Ézéchiel est l’homme de l’Ancien Testament, et en tant que tel il se sert d’un langage qui lui est familier et qui est familier aussi à ses contemporains, des images propres à sa carrière sacerdotale. Il n’a certainement pas voulu écrire une page de l’histoire de l’avenir. Ses prophéties concernant la fin des temps n’ont nulle intention d’être prises aujourd’hui à la lettre. Il faut donc nous garder des interprétations fantaisistes qui ont cours chez certains chrétiens, relatives à certains passages de ce livre. Ainsi, à titre d’exemple, citons celle qui, pendant la dernière guerre mondiale, voyait dans le passage relatif à l’Harmaguédon l’alliance soviétonazie… C’est manquer de sagesse que de lire l’Écriture sainte à la lumière des nouvelles quotidiennes relatant des événements, politiques ou autres, au lieu de faire le contraire.
En Christ, toutes les promesses de Dieu sont « oui » et « amen » (2 Co 1.20). Harmaguédon, pour le chrétien, symbolise toutes les forces hostiles contre Dieu et son Église. Ces forces ne sont pas en premier lieu de chair et de sang, en l’occurrence des armées militaires, mais des « puissances et des principautés dans les lieux célestes ». L’origine du terme nous échappe; il est probable qu’Ézéchiel a vu dans une coalition politico-militaire contemporaine l’image des adversaires de Dieu et de son peuple. Cependant, tout pacte dirigé contre lui sera voué à l’échec. Car Jésus-Christ nous annonce que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Église » (Mt 16.18). Aussi a-t-il vu Satan tomber du ciel comme un éclair (Lc 10.18). Depuis la croix, l’hostilité s’est intensifiée, et nous vivons tous les jours la bataille d’Harmaguédon. Mais la victoire a été acquise au Calvaire.
En lisant aujourd’hui ce message, délivré en dépit de la rébellion qui mettra un terme à la théocratie et qui persista à employer des subterfuges déclinant toute responsabilité, nous savons qu’Ézéchiel a prêché le Christ dans son langage prophétique. Mais à travers l’ombre, il a discerné l’amour qui sauve et a reconnu la silhouette du bon Berger, compris le Saint-Esprit qui régénère, attendu la vie nouvelle et espéré la restauration de toutes choses.
« C’est au milieu d’un peuple à la fois victime et coupable qu’Ézéchiel est établi prophète, avec la mission de crier la parole de Dieu, cette parole qui peut le pénétrer, telle une nourriture, et le remplir de douceur. Le fils de Buzi doit s’attendre à rencontrer sous ses pas des ronces et des épines chaque fois qu’il criera “Ainsi parle le Seigneur Dieu!”, mais il ne se désiste pas pour autant, l’essentiel devant être, après tout, que les déportés, aussi rebelles qu’ils soient, sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux.
Ézéchiel sera un “guetteur au service d’Israël”. Il devra dire au méchant “tu vas mourir”, afin que ce méchant abandonne sa mauvaise conduite et qu’il vive; il devra avertir le juste de ne pas pécher, afin de demeurer en vie, car contrairement au dicton qu’on se plaît à répéter, il dit : “Celui qui pèche, c’est lui qui mourra. Le fils ne portera pas la faute du père ni le père la faute du fils.”
Si Ézéchiel néglige d’avertir le méchant, il lui sera demandé compte du sang de ce méchant, qui aura péri faute d’admonestation opportune. Cette hypothèse n’est pas gratuite. Il ne manque pas, en ces temps, de prétendus prophètes qui suivent leur propre inspiration sans avoir jamais eu de vision. Ils sont semblables à des maçons qui se contentent de crépir un mur lézardé, au risque de voir l’ensemble crouler. Tels sont ces prophètes qui publient un message de paix sans s’occuper de guérir le péché (Éz 13) » (TOB).
Note
1. Introduction à la Bible. Introduction protestante. Sagesse et Prophètes, p. 308-309.