Cet article sur Jean 18.1-12 a pour sujet l'arrestation de Jésus où rayonnent sa puissance et sa maîtrise souveraine sur les événements et sur les hommes venus s'emparer de lui, et où il donne sa protection à ses disciples.

Source: Afin de croire et d'avoir la vie - Méditations sur l'Évangile selon Jean. 4 pages.

Jean 18 - L'arrestation de Jésus

« Après avoir dit cela, Jésus sortit avec ses disciples pour aller de l’autre côté du ravin du Cédron, où se trouvait un jardin dans lequel il entra, lui et ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, parce que Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas prit donc la cohorte et des gardes envoyés par les principaux sacrificateurs et par les pharisiens, et s’y rendit avec des torches, des lanternes et des armes. Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Il leur dit : C’est moi. Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Lorsque Jésus leur eut dit : C’est moi, ils reculèrent et tombèrent par terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous? Et ils dirent : Jésus de Nazareth. Jésus répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-ci. C’était afin que s’accomplisse la parole qu’il avait dite : Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. Simon Pierre qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur et lui trancha l’oreille droite. Le nom du serviteur était Malchus. Jésus dit à Pierre : Remets ton épée au fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée? La cohorte, le tribun et les gardes des Juifs saisirent alors Jésus et le lièrent. »

Jean 18.1-11

Nous abordons maintenant l’histoire de la passion, c’est-à-dire la souffrance du Sauveur, dernière partie de l’Évangile.

Comme il a été dit dans notre introduction, Jean, qui connaît les Évangiles synoptiques, c’est-à-dire les trois premiers Évangiles, veut parfois, sans les répéter, leur ajouter certaines précisions narratives. Ainsi, il souligne ici le rôle important joué par les Romains dans l’arrestation, puis dans la condamnation de Jésus, et il donne le nom de l’apôtre qui a cherché à le défendre, comme celui de sa victime.

Ce qui lui importe encore davantage, c’est de faire apparaître, à travers le récit de ces sombres heures, la gloire du Christ rayonnant malgré le voile d’ignominie dont les hommes le recouvrent, et la sereine majesté avec laquelle il livre sa vie (voir Jn 10.17-18). C’est pourquoi Jean laisse dans l’ombre l’angoisse de Gethsémané que les synoptiques avaient au contraire mise au premier plan. C’est un autre aspect de la personne du Christ qu’il nous présente ici. Le Fils bien-aimé, maintenant que l’heure est venue, va glorifier son Père par sa parfaite obéissance et, ayant accompli son œuvre, s’apprête à retrouver dans le ciel la gloire qu’il avait auparavant.

Cette souveraineté de Jésus apparaît dans la manière dont il conduit les événements. Il a décidé du lieu où il sera arrêté et du moment de son arrestation, alors qu’il a renvoyé Judas de la chambre haute en lui disant : « Ce que tu fais, fais-le vite » (Jn 13.27). Ce n’est que lorsqu’il a achevé de dire à ses disciples tout ce qu’il voulait leur confier et qu’il a longuement et paisiblement prié avec eux qu’il « est sorti avec ses disciples pour aller » (Jn 18.1) vers le destin rédempteur librement choisi, victime volontaire qui « savait tout ce qui devait lui arriver » (Jn 18.4).

La maîtrise de Jésus sur les événements et les hommes éclate plus fortement encore au moment où les soldats vont s’emparer de lui. Il y a là une foule d’agents du Temple, de serviteurs du grand-prêtre, renforcés d’un important détachement de la garnison romaine avec le tribun lui-même à sa tête. Tout ce monde (c’est bien le mot qu’il faut employer, car ces gens représentent l’humanité juive et païenne, croyante et incrédule qui, soumise au prince des ténèbres, rejette la lumière du monde), tout ce monde s’approche à la lueur des torches et dans un bruit d’armes. Alors, Jésus s’avance à leur rencontre, les interpelle et déclare son identité. Qui est ce Jésus de Nazareth? Un obscur paysan en révolte, un agitateur politique, un illuminé fanatique, un prophète peut-être? Voilà certainement ce que pensent ceux qui viennent l’arrêter. Et soudain retentissent, avec une suprême majesté, les mots que le Fils de Dieu peut seul prononcer : « C’est moi. » Plus littéralement : « Moi, je suis » (Jn 18.5). Cette affirmation court à travers l’Évangile comme un fil de lumière : « Moi, je suis la lumière du monde; je suis le pain de vie; je suis le chemin, la vérité, la vie; je suis la résurrection et la vie; je suis le bon Berger; je suis le cep; je suis le Maître et le Seigneur… »

Dans la nuit de Gethsémané, qu’essaie en vain d’éclairer la lumière fuligineuse des torches, cette parole sonne comme un chant de triomphe : « Oui, je suis Jésus de Nazareth; je suis la lumière du monde. »

Devant cette clarté qui émane mystérieusement de lui, devant la force étrange qui se manifeste ainsi par ce royal « ego eimi », « c’est moi », par deux fois les hommes reculent et tombent à terre.

« L’évangéliste exprime plus clairement de quelle promptitude de courage le Seigneur Jésus s’est offert à la mort; toutefois, il récite en même temps combien grande puissance il a montrée d’un seul mot qu’il a prononcé; afin que nous sachions que les méchants n’ont point eu de puissance sur lui, sinon en tant qu’il leur en a octroyé. Il répond tout doucement qu’il est celui qu’ils cherchaient; et néanmoins, il les rue par terre, ni plus ni moins que si un tourbillon impétueux, voire un coup de tonnerre leur fût tombé sur la tête. Il ne manquait donc point de puissances pour arrêter leurs mains s’il lui eût semblé bon; mais il a voulu obéir à son Père, connaissant qu’il était appelé à la mort par sa décision.
Au reste, il nous faut recueillir de ceci combien la voix de Jésus-Christ sera horrible et épouvantable aux méchants, quand il sera monté en son trône glorieux pour juger le monde. Il se présentait alors comme un agneau prêt à être sacrifié; sa majesté était anéantie quant à l’apparence extérieure; et voici, il dit seulement un mot et ses ennemis tombent bas soudainement, voire ses ennemis armés et bien assurés. Et encore, quelle est cette parole? Il ne foudroie point quelque horrible excommunication, mais seulement il dit : Je le suis. Que sera-ce en comparaison quand il viendra, non point pour être jugé par un homme, mais pour être le Juge des vivants et des morts? Et non point en cette apparence abjecte et méprisable, mais étant orné de sa gloire céleste et accompagné de ses anges? Or il a voulu montrer alors une preuve de cette efficace que le prophète Ésaïe attribue à la voix de celui-ci. Entre les autres puissances du Christ, Ésaïe récite qu’il frappera la terre de la verge de sa bouche, et tuera le méchant par l’esprit de ses lèvres. […] Et quand ceux qui étaient venus pour lier Jésus-Christ sont tombés, alors il a été montré un signe visible de cette frayeur que tous les méchants sentent dans leurs cœurs, le veuillent-ils ou non, quand Jésus-Christ parle par ses ministres. Au reste, puisque ceci a été comme une chose qu’il n’appartient pas à sa substance, à la voix du Seigneur Jésus, laquelle a en propre de redresser les hommes misérables qui, auparavant, gisaient en la mort, il ne faut point douter qu’elle se montre envers nous la puissance de nous élever jusqu’au ciel » (Jean Calvin).

On a essayé d’expliquer leur chute en disant que les premiers surpris reculèrent à l’improviste et firent tomber ceux qui se pressaient derrière eux. La vérité, c’est qu’au moment où Jésus va volontairement tendre les bras aux liens que préparent les huissiers du Temple, il apparaît dans sa majesté de Fils de Dieu et que le monde pécheur et révolté (Judas était parmi eux) s’écroule devant le Vainqueur.

Certes, ce n’est là qu’un signe semblable à celui de la transfiguration; Jésus va suivre jusqu’au terme le chemin dans lequel il s’est engagé. Il faut que le grain meure afin de porter beaucoup de fruit (Jn 12.24). Mais en évoquant cette étonnante manifestation de la gloire divine à l’heure même où Satan semblait pleinement triompher, Jean a voulu donner à ses lecteurs à travers tous les temps la certitude que Jésus de Nazareth était bien le Fils unique de Dieu.

Il ne faudrait pas conclure de cet accent sur la majesté du Christ à une quelconque inhumanité du Seigneur dans la pensée de l’évangéliste. Lorsqu’il rapporte la déclaration de Jésus, disant qu’il lui faut boire la coupe que le Père lui a donné à boire (Jn 18.11), ces mots évoquent, pour des lecteurs familiers des synoptiques, les heures d’angoisse que Jésus a vécues à Gethsémané. De même, un des soucis essentiels de Jésus à ce moment paraît être de protéger ses disciples. N’avait-il pas dit que le mercenaire, lorsqu’il « voit venir le loup, abandonne les brebis et s’enfuit » (Jn 10.12). Le berger, au contraire, ne s’enfuit pas parce qu’il prend soin des brebis.

Ce n’est point seulement leur vie et leur liberté que Jésus veut sauver, mais bien leur destinée éternelle. Le Seigneur pense à leur salut. Ils ne sont pas encore prêts à le suivre sur le chemin de la croix, Jésus le sait, et ils vont bien le montrer par leur abandon ou reniement. Si maintenant ils étaient arrêtés et peut-être suppliciés, comme va l’être leur Maître, leur faible foi risquerait de succomber et son affirmation à leur sujet ne serait plus vraie : « Lorsque j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition » (Jn 17.12).

Cette incapacité spirituelle de suivre leur Maître, Pierre va en donner la preuve en essayant courageusement, mais fâcheusement, de défendre Jésus avec une épée. Il n’a pas compris que c’est précisément pour cette heure d’humiliation et d’abaissement que le Christ est venu dans le monde. Il faut que la lumière brille dans les ténèbres qui ne l’accueillent pas afin qu’un jour elle soit la lumière du monde.

Le récit de l’arrestation de Jésus s’adresse à l’Église persécutée. Il nous rappelle que dès l’origine la captivité est un apanage de l’Église. L’Ancien Testament parle déjà des longues et dures captivités du peuple de Dieu, en Égypte, puis à Babylone. À travers les Psaumes retentissent les cantiques des captifs de Sion. Et si Jésus-Christ, le Chef, est arrêté, les membres de l’Église doivent s’attendre à ce qu’un jour le mandat d’arrêt soit aussi lancé contre eux. Aujourd’hui, « l’Église de la captivité » n’est pas un vain mot. Prêtons donc une oreille attentive aux enseignements qui se dégagent de l’arrestation de Jésus.