Cet article sur Jean 6.1-71 a pour sujet le miracle de la multiplication des pains qui signifie que Jésus est le pain de vie rassasiant procurant la vie éternelle à tous ceux qui viennent à lui avec foi.

Source: Afin de croire et d'avoir la vie - Méditations sur l'Évangile selon Jean. 3 pages.

Jean 6 - Le Pain de vie

Jean 6.1-71

Par sa parole créatrice, avec cinq pains et deux poissons, Jésus a nourri cinq mille hommes. Aucun de ces cinq mille ne songe à mettre en doute le rassasiement complet de la foule. Douterions-nous d’un événement que les témoins eux-mêmes ont tenu pour certain?

À Jérusalem, les Juifs ont rejeté celui qui leur apportait la vie éternelle, parce qu’il leur semblait violer la loi de Moïse et commettre un sacrilège en se déclarant le Fils de Dieu.

En Galilée, où Jésus est allé se réfugier, le même drame va se produire. La foule ignorante acclame Jésus lorsqu’il accomplit des miracles, mais son matérialisme et sa superstition l’empêchent d’en saisir le sens profond. La crise éclate, avec le plus merveilleux des actes de puissance divine de Jésus. Le peuple applaudit le prophète qui multiplie les pains, il veut le porter sur le trône, mais il se refuse obstinément à recevoir l’enseignement spirituel qui donne à ce signe toute sa valeur. Là encore, les hommes ne veulent pas venir à Jésus pour avoir la vie (Jn 5.40).

Ainsi, le peuple tout entier, paysans et pêcheurs de la Galilée comme scribes et prêtres de Jérusalem, rejette le Messie. C’est bien ce qu’annonçait le prologue : « La lumière est venue chez les siens et les siens ne l’ont pas reçue » (Jn 1.11). C’est pourquoi la fin de ce chapitre nous montre Jésus abandonné par un grand nombre de ses disciples. Les douze lui restent fidèles, car, par la foi, ils ont reconnu qu’il a les paroles de la vie éternelle (Jn 6.68).

Le premier enseignement qui se dégage de ce passage, c’est le souci qu’a Jésus de la vie matérielle de cette foule qui l’entoure. S’il donne au miracle des pains une signification symbolique, ce n’est qu’en conséquence de son geste d’amour. Ces hommes ont faim; le Maître de toutes choses, lui qui n’a pas voulu se servir de sa puissance pour se rassasier dans le désert, va leur donner une nourriture. En effet, le christianisme ne doit jamais être un spiritualisme désincarné; il s’adresse à tout l’homme, de même que Jésus a revêtu toute la nature humaine. Le Seigneur connaît par expérience les exigences de la vie physique : il a eu faim et soif (Jn 4.7). Si l’homme ne doit pas vivre seulement de pain, il doit cependant vivre de pain. Jésus affirme ainsi, et l’Église chrétienne avec lui, à travers les différents régimes sociaux, la nécessité d’une vie matérielle suffisante pour tous les hommes.

Notons aussi que Jésus ne crée pas des pains, qu’il ne transforme pas non plus des pierres en pains, mais qu’il se sert pour nourrir la foule de ce que lui offre la plus faible des créatures présentes : les cinq galettes d’orge et les deux poissons séchés du petit garçon. La puissance créatrice du Seigneur accepte de s’exercer à travers le don de cet enfant. Ainsi, plus tard, lorsque le Seigneur ressuscité attirera à lui les foules de l’Église primitive, ce sera toujours à travers le témoignage de ses disciples et l’offrande de leur vie. L’Église doit donc entendre cet appel de son Maître à nourrir « elle-même » les foules, à partager avec elles son pain matériel et spirituel, à s’offrir en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, ce qui est son service raisonnable (Rm 12.1). Dieu alors se servira de cette faiblesse et, à travers elle, multipliera de nouveau les pains.

Cela, c’est l’enseignement de ce récit tel qu’il découle de chacun des Évangiles; mais puisque nous étudions le quatrième, il est important de caractériser maintenant son message particulier et de méditer sur la signification profonde que Jésus donne lui-même à son action, dans son discours du lendemain à Capernaüm. La foule, émerveillée de la puissance du Christ, l’a poursuivi et veut le faire roi. Douloureuse parodie de la vraie royauté du Seigneur! Les hommes n’ont pas tort de reconnaître en lui leur Roi, mais ils ont tort de vouloir se servir de lui au lieu de le servir. Témoins d’un prodigieux miracle, ils n’ont pas compris que par cet acte Jésus s’affirmait comme celui qui donne la plénitude de la vie et pas seulement la vie matérielle. Près du puits de Jacob, il avait déclaré à la Samaritaine qu’il donne l’eau qui désaltère à jamais. Ici, au moyen du pain terrestre et en termes presque semblables, il est lui-même le pain de vie, le pain céleste, et il s’écrie : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6.35).

Cependant, les Galiléens demandent un autre signe. C’est toujours dans l’Évangile une marque d’incrédulité que de refuser de reconnaître ce que le Seigneur donne pour réclamer une preuve encore plus éclatante de sa messianité. Mais, comme l’a dit un commentateur, ils n’ont vu dans le signe que le pain au lieu de voir le signe dans le pain. Ainsi, lorsque Jésus affirme qu’il est le pain de vie, au lieu de croire comme les Samaritains (pourtant des infidèles), ils sont prêts, comme les scribes de Jérusalem, à crier au scandale, non pour des raisons de doctrine, mais tout simplement parce qu’il est l’un des leurs et qu’ils connaissent ses parents.

Jésus, devant leur incompréhension, comme à Jérusalem devant l’hostilité des Juifs, continue à développer son message dans toutes ses conséquences. Ce pain dont il parle, c’est sa chair, qu’il donnera pour la vie du monde. Ainsi apparaît clairement la nécessité de son sacrifice. Or ceci se passe, comme le remarque Jean, au temps de la Pâque, au moment où l’agneau est solennellement immolé dans le Temple, puis consommé par les fidèles qui ainsi s’assimilent à la délivrance accomplie jadis par l’Éternel. Oui, c’est une Pâque prophétique du don de soi-même et de son immolation prochaine que Jésus célèbre devant ce peuple aveugle pour lequel il va s’offrir et qui ne voit là que paroles obscures ou sacrilèges. Et lorsque le Seigneur essaiera une dernière fois de leur faire comprendre qui il est, d’où il vient et comment il s’offre en sacrifice, alors tous s’écarteront de lui et il demeurera seul avec une poignée de fidèles…

« Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent en arrière et cessèrent d’aller vers lui » (Jn 6.66). Pour finir, il n’en resta plus que douze; l’un d’entre eux le trahira, les autres l’abandonneront. Jésus leur dit : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller? » (Jn 6.67). La royauté du Christ ne dépend pas de l’enthousiasme de ses sujets. Il est le Christ, l’oint de Dieu, Roi par la volonté du Roi des rois. Jésus demeure dans la ligne que Dieu, de temps immémorial, a tracée à sa royauté terrestre.

Dans le premier livre de Samuel, il nous est raconté comment le peuple a demandé au prophète de lui donner « un roi comme en ont toutes les nations » (1 S 8.5). Samuel, effrayé, s’est tenu devant Dieu. Jusqu’alors, le peuple de Dieu n’avait jamais eu de roi. Seules les nations païennes en possédaient. La cause de Dieu va-t-elle « s’étatiser? » Dieu avertit son peuple : exiger un roi, c’est se séparer de Dieu. « Le roi prendra vos fils, […] vos filles, […] les meilleurs de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers » (1 S 8.11-14). Le peuple s’est obstiné. Dieu ordonna alors à Samuel d’établir un roi sur eux, selon leur désir, mais aussi avec tout ce que comporte la royauté. Les cinq mille voulaient ce que voulut jadis Israël. Mais Jésus demeure libre. Au lieu de monter sur le pavois, il s’avance vers la croix, selon la volonté du Père. Celui qui croit en lui, il le fait participer à sa liberté. (Walter Lüthi).

De même que dans les passages où l’eau signifiait le pardon et la vie, le quatrième Évangile pensait au baptême. Il est certain qu’ici il a sans cesse dans l’esprit la sainte Cène, dont il ne cherche pas à raconter une fois de plus l’institution, mais qui trouve dans ces paroles toute sa signification.

Quelle que soit la pointe sacramentelle incontestable de ce récit, il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’agit avant tout ici de venir à Jésus par la foi et de se nourrir spirituellement de lui. Par la contemplation, la prière et l’humble obéissance, le croyant peut et doit chaque jour manger ce pain que lui offre l’amour de son Sauveur et ainsi vivre éternellement. Mais où peut-il mieux s’unir à son Sauveur qu’à la table sainte où il communie à son corps et à son sang?