Cet article sur Jude 1.11 a pour sujet la voie de Caïn qui, par sa fausse religion et son meurtre, illustre les faux enseignants qui s'introduisent dans l'Église pour y semer l'hérésie et l'immoralité.

Source: La foi transmise une fois pour toutes - Méditations sur l'épître de Jude. 3 pages.

Jude 1 - La voie de Caïn

« Malheur à eux! car ils ont suivi la voie de Caïn; c’est dans l’égarement de Balaam que, pour un salaire, ils se sont jetés; et c’est par la révolte de Qoré qu’ils ont péri! »

Jude 1.11

Dans son remarquable et salutaire souci d’éclairer des situations aussi graves que l’intrusion d’imposteurs au sein de l’Église, semant la discorde et plantant l’hérésie, Jude a recours à présent à une autre illustration tirée de l’histoire ancienne : la voie de Caïn.

Nous n’examinerons pas ici en détail le texte de la Genèse (Gn 4), dans lequel nous est rapportée la conduite de Caïn. Selon Hébreux 11.4, il est l’opposé même de l’homme de la foi et représente l’humanité sensuelle, dépourvue de toute qualité de l’esprit. Sa voie conduit à la mort éternelle.

Ailleurs, dans les Targums, la révolte de Caïn est représentée comme le refus de reconnaître la nécessité des bonnes œuvres. Certains de ces Targums vont jusqu’à soutenir que selon Caïn il n’y a ni jugement, ni Juge, ni vie éternelle. Point de récompense pour l’homme droit ni de châtiment pour l’impie. Caïn est l’archétype de l’humaniste cynique qui défie Dieu et méprise l’homme. Il manque aussi bien de foi que d’amour. Sa voie se poursuit chez ses descendants, connus dans la tradition judaïque pour avoir eu des mœurs violentes et licencieuses et même pour s’être adonnés aux pratiques bestiales.

Ces références extrabibliques éclairent, nous semble-t-il, le propos de Jude. La « voie de Caïn » consiste en une conduite égoïste, sensuelle et pleine de haine, provoquant la colère de Dieu et conduisant finalement à son jugement.

Si le récit de la Genèse, dans l’Ancien Testament, ne fait pas d’allusion explicite à ces pratiques, présentant simplement Caïn comme le premier meurtrier fratricide, nous pouvons en voir l’explication dans le refus de Dieu d’agréer son sacrifice.

En citant l’exemple de Caïn, Jude ne veut pas nécessairement dire que les docteurs hérétiques sont des meurtriers au sens propre du terme comme Caïn, mais au sens spirituel, car ils causent la mort spirituelle d’autrui par leur faux enseignement. La propagation de l’anarchie et des idées antinomistes compromettent l’existence spirituelle des innocents. Jude veut surtout souligner le rejet par Dieu du sacrifice de Caïn parce qu’il était le sacrifice de la fausse religion, prototype de tous les autres…

Dans sa première lettre, Clément de Rome s’inspire de l’analogie de Caïn. Il le tient pour l’archétype même de ceux qui, par envie, jalousie, mécontentement et hostilité envers les pouvoirs civils, mènent les croyants vers la perdition. Parmi les récipiendaires de sa lettre se trouvant à Rome, il y en avait qui suscitaient inutilement l’hostilité des Romains, incitant ainsi les autorités civiles à prendre des mesures sévères à l’égard de l’Église. Ils aggravaient donc la situation des chrétiens au nom desquels Clément rédige sa lettre.

C’est aussi en ce sens-là que les imposteurs de Jude sont comparés à Caïn. Leur propagande subversive est confirmée encore au verset 16, où les hérétiques sont accusés de susciter du mécontentement envers la société.

Jude prononce un oracle de malheur, dans un style qu’on trouve fréquemment dans la littérature de la sagesse, mais aussi dans les écrits prophétiques. Dans le Nouveau Testament, nous en avons un équivalent dans le passage de Matthieu 24.19. Jésus prononce « malheur à vous » sur les villes de Chorazin et de Bethsaïda (Mt 11.21). Et, dans Matthieu 23.13-30, il s’en prend aux pharisiens par la même invocation.

La forme imprécatoire peut parfois varier. Elle dénonce un péché spécifique et prononce le jugement de Dieu. Dans le grec original, la clause « oti » (car, parce que) indique souvent la cause du jugement, sa raison (voir également Lc 6.25; 11.42-44, 46-47). Jude prend soin de spécifier dans les trois clauses de ce paragraphe aussi bien le péché que le jugement qu’il appelle. Son « malheur à vous », ou « à eux », rappelle Osée 7.13 de la version grecque des Septante. Il faut préciser que prononcer le « malheur » révèle la conscience prophétique de celui qui le prononce.

L’intention de Jude est précise. Dans les versets 5 à 10, il dessinait le portrait des faux docteurs en tant que simples pécheurs. Ici, il les présente sous les traits de faux docteurs induisant le peuple de l’Église au péché. On comprend sa réaction virulente contre les imposteurs, car ces gens-là ne sont pas de simples égarés; ce sont des malfaiteurs déterminés à semer la confusion, à égarer, à conduire à la perdition. Ils ne sont pas seulement coupables d’immoralité, mais ils sont encore des propagateurs fervents d’immoralité. Ils agissent sur la foi de prétendues visions célestes (comme Balaam ou Jézabel dans Ap 2.14,20). Comme Caïn, ils sont violents, pleins de convoitise, corrupteurs de l’humanité.

L’expression « marcher selon la voie… » apparaît fréquemment dans l’Ancien Testament (voir 1 R 15.26,34; 16.2,19,26; 2 R 8.18; 16.3; 2 Ch 11.17; 21.6; Éz 23.31). La leçon de Jude est claire.

En revenant au récit de la Genèse, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle Dieu épargna la vie du premier fratricide. Pourquoi sa miséricorde le préserva-t-elle? N’y a-t-il pas une contradiction entre Genèse 4 et Jude 11? Nous pensons, au contraire, que ces deux textes se complètent.

Pourquoi Dieu a-t-il préservé la vie de Caïn? Il eut certainement ses raisons, qui dépassèrent sans doute l’entendement de Caïn comme ils dépassent le nôtre… Pourtant le lecteur croyant de la Bible peut en saisir au moins un aspect. Toutes les actions divines ont pour finalité la glorification de son nom. L’incrédule y reste aveugle. Pourtant, même à son insu, il sert la réalisation des intentions divines.

Il paraît que les descendants de Caïn furent les artisans d’une grande civilisation. Ainsi, malgré leur apostasie, ils furent amenés à accomplir le mandat culturel reçu par le premier homme. « Dominez, assujettissez et faites fructifier la terre. » Et ceci non seulement au sens agricole, mais encore au sens de l’esprit, de l’art et de l’intelligence (Gn 4.17-22). Paradoxalement, dans sa tentative de s’émanciper de la tutelle de Dieu, l’homme rebelle réussit parfois davantage que le croyant à favoriser l’épanouissement de la culture et à créer des civilisations parfois brillantes… Ce fut peut-être la raison pour laquelle Dieu épargna la vie de Caïn, afin que lui-même, comme sa lignée après lui, pussent servir le Seigneur, bien malgré eux d’ailleurs, par l’œuvre de leurs mains. Mais s’ils parvinrent à un point de civilisation remarquable, ce fut au prix de leur salut, car ils ne cherchèrent qu’à jouir de la vie en renonçant aux bénédictions célestes.

Ainsi, bien que l’œuvre de leurs mains ait pu, comme telle, représenter une certaine valeur en tant que culture et civilisation — le tout préfiguré par l’offrande non agréée de Caïn —, ce fut la simple et confiante consécration d’Abel, représentée dans le sacrifice d’un agneau, qui exprima la foi en Dieu et la dépendance totale vis-à-vis de lui. L’offrande de Caïn est le type même de la religion naturaliste, devenue le culte de l’humanisme athée, sans Dieu et sans espérance. Abel représente l’homme de la foi qui accepte sa justification par la seule grâce. Le premier sera maudit, le second justifié.

Comme dans le cas d’Adam, Dieu a ajouté une promesse après la malédiction. Il a même préservé la vie du meurtrier afin qu’il trouve l’occasion de se repentir et de le chercher. Il a posé le signe de sa bonté, distincte de sa grâce spéciale, sur tout homme venant au monde, afin que tous puissent reconnaître en lui la source de leur vie, le Seigneur, à la fois tout-puissant et Père miséricordieux en Christ, dont le sang versé sur la croix est plus précieux que celui d’Abel. Le Père pardonnera ceux qui se repentent et qui croient. Pourtant, ce n’est là qu’un sursis accordé aux hommes, même aux pires imposteurs et hérétiques… Puissent-ils se convertir à la vérité que leur révèlent l’Esprit et la Parole.