L'Église dans l'histoire (11) - Le christianisme arménien (301)
L'Église dans l'histoire (11) - Le christianisme arménien (301)
- L’Arménie
- L’origine légendaire de la christianisation des Arméniens
- Une sombre page d’histoire
- La conversion de Thirdate (301)
- L’isolement politique et les conséquences de la christianisation
- Résumé
Les deux prochains articles sur l’Arménie sont signés par le traducteur. Il s’agit d’un supplément à la traduction du livre de B.K. Kuyper qui ne relatait pas cette partie importante de l’histoire de l’Église.
1. L’Arménie⤒🔗
L’Arménie est un beau pays montagneux qui s’étend aux pieds du mont Ararat dont les sommets atteignent 5160 mètres. Il s’étend du plateau de l’Anatolie au plateau iranien, des chaînes montagneuses du Pont à la Mésopotamie septentrionale, du Caucase au Taurus. La première mention biblique de cette région se trouve dans les premiers chapitres de la Genèse. Lorsque le déluge universel eut tout détruit par des trombes d’eau cataclysmiques durant quarante jours et quarante nuits, l’arche de Noé vint se poser sur les montagnes de l’Ararat. Précisons que le texte biblique ne dit pas si ce fut sur le sommet de la célèbre montagne que l’arche se posa. On peut en déduire que ce sont plutôt les hauts plateaux dont nous parlions et qui s’appelaient aussi Ararat, ou le pays de l’Ararat, qui l’accueillirent.
Une autre mention biblique plus explicite de l’Arménie est faite dans le premier livre des Rois, dans le récit du parricide commis par les deux fils du roi assyrien Sennachérib. Aussitôt après leur crime, ces deux fils s’enfuirent au pays de Minnie, autre nom donné à l’Arménie de l’époque (8e siècle avant J.-C.). Le mot étranger employé pour désigner tout le pays est formé de deux mots : Ararat (ou Urartu) et Minnie. Quant au mot arménien « Haiasdan », il dérive du nom du héros légendaire Haig, fondateur de l’Arménie, lequel, dans l’esprit d’indépendance qui caractérise tout arménien, s’émancipa de la tyrannie de Bel, roi de Ninive, pour fonder sur les hauts plateaux de l’Ararat la principauté des Hai, c’est-à-dire des Arméniens.
2. L’origine légendaire de la christianisation des Arméniens←⤒🔗
Les deux articles consacrés à l’Arménie traiteront plus particulièrement de la conversion des Arméniens à la foi chrétienne et des conséquences politiques qui découlèrent de ce fait, et ce, durant de longs siècles. Nous évoquerons dans un prochain article1 le prix exorbitant que le peuple arménien a payé pour garder sa foi chrétienne. Selon un missionnaire qui a travaillé parmi les Arméniens, « si pour la plupart des juifs, l’Évangile n’a été qu’un scandale et pour les Grecs une folie, il a été reçu par les Arméniens comme la sagesse même de Dieu et il a été l’occasion d’une renaissance nationale ».
Les origines du christianisme en Arménie, comme c’est le cas d’ailleurs pour d’autres peuples, sont enveloppées d’incertitudes, et dans le fouillis des traditions et des légendes, il n’est pas toujours facile de distinguer le vrai du faux. Il est en tout cas certain que les Arméniens, comme d’autres vieux peuples chrétiens, dans leur prétention d’être chacun le premier pays christianisé, ont voulu pousser les origines de leur Église aussi loin que possible.
Selon la tradition, la pénétration du christianisme en Arménie se fit en deux temps. La première aurait été sous le roi Abgar (appelé par les Grecs Abgarus), qui régnait, dit-on, sur un petit royaume en Mésopotamie, ayant pour capitale la ville d’Édesse. Une légende veut que les disciples Taddée et Barthélemy se rendissent en Arménie, sous le règne d’Agbar, pour y prêcher l’Évangile après la mort et la résurrection de Jésus. Les chroniqueurs romains, entre autres Tacite, en font un roi arabe. L’historien arménien Moïse de Khoren pense autrement et le place au nombre des rois arméniens, dans la dynastie des Arsacides.
3. Une sombre page d’histoire←⤒🔗
Laissons à présent les légendes pour nous occuper de la véritable histoire de la pénétration officielle du christianisme en Arménie. Nous sommes au milieu du 3e siècle de notre ère. Le roi Khosrov, tenaillé de toutes parts dans sa lutte pour sauvegarder l’indépendance de son pays contre les Perses et contre les Romains, est assassiné par un traître à la solde de la cour de Perse. Ce dernier sera abattu à son tour par des éléments loyaux, mais les fils respectifs du roi et du traître (l’héritier Thirdate et Grégoire, le fils d’Anak le régicide) seront sauvés d’un massacre et envoyés à l’étranger. Grégoire qui fait ses études à Césarée est gagné à la foi chrétienne. Thirdate, élevé à la cour romaine et virtuellement roi, rentrera au pays lorsque la situation politique sera apaisée et il occupera le trône vacant. Le jeune Grégoire, converti au christianisme, regagne lui aussi l’Arménie. Néanmoins, son identité ne sera pas révélée au jeune monarque, ce qui lui permettra d’assumer de hautes fonctions dans la cour royale sans pour autant renier sa foi. À cette époque, une violente persécution sévissait partout contre les adeptes de la foi chrétienne.
Au moment de l’accession officielle de Thirdate au trône eut lieu une cérémonie religieuse durant laquelle tous les officiels du palais furent invités à offrir des sacrifices et des actions de grâces à la déesse arménienne Anahid. Grégoire refusa de se conformer à cet ordre, se rendant aussitôt suspect aux yeux du roi, qui le menaça s’il n’obtempérait. À quoi Grégoire répondit imperturbable en démystifiant la déesse :
« Il y a eu jadis, certes, des hommes qui, comme toi, ont invoqué Anahid. Dans ces temps anciens, ils ont persécuté les hommes par leurs magies, élevant des statues et se prosternant dans la poussière. Mais ces idoles n’avaient ni existence réelle ni pouvoir, ni pour le bien ni pour le mal. »
Le roi lui dit à son tour : « J’ai eu pitié de toi, j’espérais que tu rentrerais dans l’ordre comme un serviteur fidèle et éprouvé. Tu déshonores les dieux que nous invoquons et tu invoques un faux créateur. » Pour le roi, ce refus de servir les dieux nationaux était l’équivalent d’une trahison politique et nationale, un crime inexpiable. Aussi fit-il arrêter et jeter Grégoire dans une fosse de la citadelle d’Ardachad, une terrible geôle où le jeune témoin du Christ ne resta en vie que grâce aux soins que lui apportèrent secrètement quelques chrétiens. Selon la tradition, son séjour y aurait duré quelque douze ans.
4. La conversion de Thirdate (301)←⤒🔗
La sœur du roi, la princesse Khosrovitoukhd, avait de réelles sympathies pour l’Évangile. Peu après ces événements, des vierges chrétiennes, quarante au total, fuyant la violente persécution de l’empereur romain Dioclétien, vinrent s’établir en Arménie, où elles s’imaginaient trouver un sûr refuge. L’une d’entre elles, la très belle Hripsimé attira l’attention du roi et surtout sa convoitise. Mais la jeune chrétienne refusa ce païen, fut-il roi. Thirdate ne put réprimer son dépit et sa colère et ordonna alors le massacre des quarante vierges, parmi lesquelles Hripsimé elle-même et leur supérieure, Gayané.
Peu après ce crime odieux, le roi commença à souffrir d’une terrible affection qu’on pourrait éventuellement qualifier de neurasthénie aiguë quoiqu’il ne soit pas aisé d’établir un diagnostic bien précis. Sans doute torturé par le remords, le jeune monarque sombra dans un mal qui paraissait incurable. C’est alors qu’intervint sa sœur, sympathisante de la cause chrétienne et peut-être même secrètement convertie. Elle suggéra qu’on appelât Grégoire afin qu’il prie le vrai Dieu pour qu’il accordât la guérison au roi accablé. Grégoire réapparut dans le palais et sa fidèle intercession dans la prière contribua au rétablissement de la santé du roi. Celui-ci ne tarda pas à s’intéresser aux idées et à la foi de Grégoire.
En l’an 301, le roi Thirdate, la reine Askhen, et la princesse Khosrovitoukhd, des officiels du palais, des princes et des hauts dignitaires du pays, demandèrent à être baptisés. L’armée ne tarda pas à imiter leur exemple et, bientôt, ce fut le tour de la majorité de la population. Ainsi, le christianisme devint religion officielle du pays, et Grégoire, le premier chef de l’Église. À partir de ce moment-là, celui-ci portera le titre de « Loussavoritch », ce qui veut dire en langue arménienne « illuminateur ». Il sera le premier « Katholicos », c’est-à-dire l’évêque suprême de l’Église arménienne. Ce titre est actuellement celui de tous les évêques et patriarches de l’Église arménienne, et jusqu’à ce jour, elle aime aussi s’appeler « Loussavortchagan », du nom de son grand apôtre, Grégoire l’Illuminateur.
5. L’isolement politique et les conséquences de la christianisation←⤒🔗
Rappelons que ce fut en 313 que Constantin le Grand publia l’Édit de Milan déclarant le christianisme religion licite ou tolérée, et seulement en 370 que l’empereur Théodose le proclame religion officielle de l’empire. Or, les Arméniens sont fiers, à juste titre, d’être la première nation dans le monde à avoir officiellement embrassé la foi chrétienne. Mais leur conversion au christianisme n’alla pas sans graves conséquences politiques et même sans menaces pour l’indépendance du royaume.
Désormais isolée, l’Arménie, en raison de son choix religieux — situation que Thirdate avait certainement prévue — fut harcelée à l’est par les Perses, qui cherchaient à lui imposer leur religion païenne, le mazdéisme, et à l’ouest par l’armée de l’empire oriental. Cependant, Thirdate éleva sa foi comme un rempart contre le paganisme perse.
Le service ainsi rendu à la cause de l’Évangile et, par voie de conséquence, à l’Europe et à la civilisation occidentale fut incalculable. On peut affirmer que sans la résistance héroïque du peuple arménien, le paganisme aurait peut-être envahi l’Europe et sa brillante civilisation n’aurait pas vu le jour. Bien des siècles avant Charles Martel, lors de la célèbre bataille de Poitiers, la foi chrétienne trouvait son champion en la personne de Thirdate, et comme nous le verrons par la suite, en d’autres chefs arméniens. Nous conclurons en mentionnant que, sur l’emplacement où Grégoire l’Illuminateur avait été emprisonné fut bâtie une église, la première église arménienne portant le nom « d’Etchmiadzin », qui veut dire « la descente du Fils unique ». À ce jour, Etchmiatdzin près d’Erivan, capitale de l’État de l’Arménie actuelle, est la cathédrale et le siège de l’Église arménienne.
6. Résumé←⤒🔗
1. Le christianisme pénétra l’Arménie assez tôt (selon la tradition arménienne, par les soins des apôtres Thaddée et Barthélemy) et fut la première nation à accepter officiellement la foi chrétienne comme foi nationale.
2. Sous l’apostolat de Grégoire l’Illuminateur, le roi Thirdate se convertit et déclara en l’an 301 le christianisme religion officielle de son pays.
3. La conversion de l’Arménie à la foi chrétienne lui valut l’hostilité et l’oppression de la part de l’Empire sassanide.
4. Pour préserver à la fois son entité et son indépendance nationale et conserver intacte la foi chrétienne, les Arméniens menèrent une lutte de résistance qui, outre des effets immédiats sur leur histoire, empêche l’avancement de la religion mazdéenne vers l’Occident.
Notes
1 . Cet article s’intitule La foi et son prix.