Cet article a pour sujet le christianisme en Arménie aux 4e et 5e siècles, la traduction de la Bible en arménien, l'adoption du monophysisme, la résistance contre le mazdéisme et l'Empire perse des sassanides sous Vartan Mamigonian.

Source: L'Église dans l'histoire. 5 pages.

L'Église dans l'histoire (12) - La foi et son prix (301-451)

  1. L’invention de l’alphabet arménien
  2. La traduction de la Bible en arménien
  3. Orthodoxie chrétienne et monophysisme
  4. Vartan Mamigonian et la résistance contre le mazdéisme
  5. Lutte pour la liberté de la foi et pour l’indépendance nationale
  6. Résumé

L’article précédent1 traitait de l’origine du christianisme en Arménie et de la conversion du peuple arménien, le premier peuple, dans toute l’histoire, à avoir embrassé la foi chrétienne. Nous avons signalé en passant que la nouvelle situation religieuse du royaume arménien avait créé des tensions d’ordre politique d’une extrême gravité. Ces tensions surgissaient aussi bien du côté païen, les mazdéens perses, que du côté de l’Empire chrétien de Byzance.

Même christianisé, l’Empire romain voyait d’un œil méfiant toute politique d’indépendance nationale chez un peuple qui, bien que son vassal, pouvait lui servir d’allié et de tremplin pour attaquer son puissant rival oriental, le royaume des Parthes. Signalons aussi que l’esprit d’indépendance et l’amour de la liberté atteignent, depuis trois millénaires, un degré exceptionnel chez le peuple arménien. Ils ont fait de lui un peuple courageux, loyal à ses engagements et héroïque dans son combat pour sa survie.

Le présent article examinera les deux grands événements qui suivirent la conversion de l’Arménie au christianisme. Si le premier peut être considéré comme d’une importance décisive pour la nation, le second devrait être classé parmi les grands événements de l’histoire occidentale, ayant marqué le cours des siècles ultérieurs et ayant permis que l’Occident devienne ce qu’il est.

1. L’invention de l’alphabet arménien🔗

L’Église chrétienne en Arménie se développa et servit de lien entre toutes les régions et toutes les petites principautés du pays. Le nouveau chef de l’Église, Sahag, petit-fils de Grégoire l’Illuminateur, fut l’artisan de cette unité spirituelle et nationale. Cependant, un élément essentiel pour la propagation de la foi manquait au peuple. Sahag pensa, avec raison, que la foi pourrait servir de force de résistance contre l’influence étrangère si un alphabet pouvait fixer en langue arménienne les textes sacrés, l’Écriture sainte, au lieu d’avoir recours au grec ou au syriaque. Les textes bibliques étaient lus en ces deux langues et traduits ensuite au peuple. Ce processus compliquait passablement la compréhension de la Bible, et le sens et le message de la révélation n’étaient pas saisis dans leur totalité ni même de manière approximative.

C’est alors que deux hommes, le Katholikos Sahag et son ami et collaborateur, le prêtre Mesrob Mashtotz, se mirent à l’œuvre. Avec l’encouragement et l’appui du roi Vramshabouh, ils élaborèrent, entre 384 et 414, un alphabet de trente-six lettres qui s’adapta parfaitement à la langue parlée du pays et qui fut appliqué dès 406.

2. La traduction de la Bible en arménien🔗

L’invention de l’alphabet arménien entraîna une féconde activité littéraire, mais le fruit le plus important fut la traduction de la Bible. De l’avis de tous les spécialistes, aussi bien de la Bible que de la linguistique, cette version arménienne n’est pas seulement un chef-d’œuvre littéraire, mais elle sert, jusqu’à ce jour, à comparer le texte original avec les versions de l’époque. Comme il se doit, la lecture de la Bible par le peuple eut sur lui des conséquences spirituelles et culturelles qui le façonnèrent, en tant que nation chrétienne, et l’amenèrent à consentir à tous les sacrifices pour garder sa foi.

Mais l’opposition byzantine, chargée de lourdes menaces, se faisait sentir de plus en plus. Il fallut que l’empereur Théodose accorde son autorisation pour l’emploi du nouvel alphabet.

Du côté oriental, les Sassanides (la dynastie régnant sur l’antique Empire perse païen) observaient avec la plus grande méfiance l’activité religieuse et les développements culturels et nationaux de ses voisins arméniens. Sahag fut contraint d’abandonner sa fonction épiscopale. Il dut même s’exiler. Autorisé à rentrer, il reçut comme cadeau la Bible traduite en arménien, l’œuvre de vingt ans de labeur de son ami et précieux collaborateur Mesrob.

3. Orthodoxie chrétienne et monophysisme🔗

L’Église arménienne resta fidèle, dans les grandes lignes, à l’orthodoxie théologique telle qu’elle avait été définie lors des Conciles de Nicée et de Constantinople. Elle adopta également les décisions de celui d’Éphèse en 431.

Malheureusement, empêchée de participer à celui de Chalcédoine à cause de sa lutte contre l’oppression des Sassanides, de même que pour des raisons théologiques, elle n’a pas souscrit à la doctrine fondamentale des deux natures en la seule personne du Christ, formulée par les Pères du concile de 451. L’Église resta donc attachée à la doctrine monophysite, c’est-à-dire à la seule nature divine du Christ exalté.

4. Vartan Mamigonian et la résistance contre le mazdéisme🔗

La situation politique ne cessait de se dégrader. En 438, Hazgerd montait sur le trône des Sassanides. Il entreprit aussitôt une œuvre de conversion forcée au mazdéisme, la religion officielle de la Perse, de tous les peuples à demi soumis à son empire. À cet effet, il convoqua chez lui tous les princes arméniens qui formaient le conseil de régence en l’absence du roi décédé. Parmi ces nobles, la figure la plus grande et la plus vénérée de toute l’histoire de ce peuple fut celle de Vartan Mamigonian.

Hazgerd exigea qu’on renonce à la foi chrétienne et que la noblesse s’emploie à répandre le mazdéisme dans toute l’Arménie. Les princes convoqués se rendirent compte qu’ils étaient pris au piège du rusé et despotique monarque parthe. S’ils refusaient d’obtempérer, ils subiraient la mort loin de leur pays, laissant celui-ci à la merci de Hazgerd. L’Arménie serait dévastée et forcée, de toute manière, de se convertir au paganisme.

Ils acceptèrent alors la proposition du roi et s’engagèrent à collaborer avec cette œuvre de conversion forcée. Ils regagnèrent chacun leur domaine accompagnés de près de sept cents prêtres mazdéens, dont le rôle consistait à catéchiser le peuple et à démolir les édifices chrétiens. Mais ils n’avaient pas escompté la résistance du peuple lui-même. Celui-ci, devenu un cœur et une âme, refusa catégoriquement le paganisme et se dressa contre les prêtres étrangers. Les nobles rejoignirent sans tarder la masse et abandonnèrent la promesse faite au Sassanide. Ils prirent la tête de la résistance. Vartan, fils d’un général et petit-fils par sa mère de Sahag, devint le chef de l’armée. Il allait devenir bientôt le héros national, vénéré jusqu’à ce jour avec admiration.

Les princes arméniens comptaient avec naïveté sur l’aide de l’Empire byzantin chrétien. Leurs préparatifs à la résistance alarmèrent Hazgerd, qui dépêcha alors une puissante armée contre les rebelles. Il y envoya aussi une lettre dans laquelle il rappelait aux princes arméniens leur promesse non tenue. Dans leur réponse magnifique et émouvante, ceux-ci firent comprendre au despote païen que leur foi n’était pas une chemise qu’ils pouvaient changer au gré des circonstances et qu’ils étaient disposés à donner leur vie, si cela était nécessaire, pour défendre leur foi chrétienne. Vartan fit appel au roi, lui garantissant la loyauté politique en échange de la liberté religieuse. Le Sassanide déclara une amnistie. Mais les nobles arméniens se méfièrent, avec raison, de cette mesure de clémence. L’hostilité resurgit et la guerre devint inévitable. Elle commença au mois de mai de l’an 451 (année du Concile de Chalcédoine), lors de la célèbre bataille d’Avarair dans la plaine de Dgmous (Dermoud).

Vartan se trouva à la tête d’une armée de 66 000 hommes, des fantassins, qu’il divisa en trois corps d’armée dont l’un fut confié à Vassak, homme pourtant très peu sûr, un autre à Vartan lui-même et le troisième à un autre « nakharair ». Face à cette armée, le Perse avait mobilisé une armée colossale de 300 000 hommes avec un détachement de 3000 éléphants guerriers — les « blindés » de l’époque — surmontés de tours et occupés par des commandants et des archers, capable de surveiller l’ensemble des opérations.

L’armée arménienne combattit héroïquement toute la journée jusqu’au coucher du soleil. Mais au milieu de la bataille, Vassak, avec son corps d’armée, passa traîtreusement à l’ennemi, laissant ses compagnons exposés sans défense. Les forces étaient à présent tellement disproportionnées que l’issue de la bataille ne faisait plus de doute. Au coucher du soleil, on comptait 1066 soldats arméniens tombés sur le champ de bataille, et parmi eux, le grand Vartan.

5. Lutte pour la liberté de la foi et pour l’indépendance nationale🔗

Selon les apparences, les Arméniens avaient subi une défaite, mais, en réalité, la véritable issue de cette bataille d’Avarair fut une grande victoire pour le camp de la foi.

En dépit de sa victoire militaire, Hazgerd perdait la face, et les Arméniens, grâce à leur résistance héroïque, conquéraient le droit de pratiquer librement leur foi chrétienne. Vassak, le traître, tomba en disgrâce à la cour du despote sassanide. Accusé peu après de trahison envers les Parthes, il fut condamné et exécuté. Mais le peuple arménien n’abandonna pas la lutte pour son indépendance nationale. Sous la conduite de Vahan Mamigonian, le neveu de Vartan, la résistance reprit. Cette résistance, à la fois nationale et religieuse, donnait au peuple arménien comme un second baptême chrétien : celui de sa souffrance et de sa consécration.

Les Sassanides finirent par reconnaître qu’il était impossible de forcer à la conversion des gens pourvus d’une telle obstination pour l’Évangile. Et après une longue période d’oppression, de tentatives d’oppression et d’intimidation, ils furent forcés d’accorder aux Arméniens la liberté religieuse.

Mais au-delà même de l’importance de ces guerres de résistance pour la destinée nationale de l’Arménie, c’est tout le christianisme occidental qui bénéficia de la lutte d’un petit peuple écrasé entre deux tyrans pour garder sa foi. Si Vartan et ses hommes n’avaient pas lutté aussi héroïquement contre les Parthes sur les bords du Dgmoud, l’Europe aurait très certainement été submergée par le mazdéisme païen. Or, ce que la lecture de la Parole de Dieu nous apprend, l’histoire le confirme, c’est-à-dire que la foi personnelle ou communautaire a toujours des répercussions qui vont au-delà du plan strictement individuel et même ecclésiastique. Il y a là une véritable philosophie de l’histoire, riche en enseignements, que les Églises contemporaines feraient bien d’apprendre ou de réapprendre.

L’Arménie, première nation christianisée, offrit un exemple exceptionnel de résistance. Celle-ci alla parfois jusqu’au martyre. Les Arméniens peuvent se sentir privilégiés, en tant que peuple, d’avoir consenti à de tels sacrifices pour leur Seigneur, celui qui est le Maître de l’univers et qui attend de la part de chacun de ses disciples fidélité et confession publique de la foi.

6. Résumé🔗

1. Pour traduire la Bible en arménien, un alphabet fut inventé par Mesrob vers les débuts du 5siècle.

2. L’Église en Arménie adopta les décisions des Conciles de Nicée (325), de Constantinople (381) et d’Éphèse (431), mais pas de Chalcédoine (451) et demeure attachée au monophysisme.

3. En 451, Vartan Mamigonian, porté à la tête des nobles arméniens et du peuple et soutenu par le clergé, livra une bataille dramatique contre les Perses. Il perdit la vie dans ce combat contre une armée cinq fois plus grande que la sienne, mais il assura ainsi à l’Arménie une liberté religieuse totale.

Note

1. Cet article s’intitule Le christianisme arménien.