Cet article a pour sujet la jalousie, ce mal profond qui envie le bonheur, les qualités ou les biens d'un proche ou d'un collègue. La guérison se trouve auprès de Dieu, notre valeur suprême. En Jésus, nous avons tout pleinement.

Source: L'obéissance de la foi. 5 pages.

La jalousie

On pourrait passer la moitié de son existence, peut-être même son existence toute entière, sans se rendre compte que l’on est atteint, miné et spolié par une grave maladie de l’esprit : la jalousie! Le livre des Proverbes nous dit que « la jalousie est la carie des os » (Pr 14.30). Il est bien plus humiliant de reconnaître qu’on est jaloux qu’il ne l’est d’admettre qu’on est atteint par une maladie honteuse! Notre petit orgueil se rebelle farouchement contre l’insinuation selon laquelle on est envieux de quelqu’un.

L’ancienne théologie classait la jalousie parmi les sept péchés capitaux et tout chrétien quelque peu lucide et honnête dira que l’envie, ou jalousie, termes que j’emploierai interchangeablement, est une peine irrationnelle. Elle est cette douleur qui pince nos cœurs lorsque nous sommes les témoins du bonheur ou des qualités, réelles ou imaginaires, que nous prêtons à autrui; le malaise aussi que nous ressentons à la vue de sa prospérité. Que tel ou tel nous soit supérieur nous cause un profond déplaisir. Que fait-on alors? Soit avec un degré de malice habilement dissimulée, soit avec une évidente malignité, on se met à déprécier les qualités et à amoindrir les avantages dont l’autre, ami ou rival, antagoniste ou simple collègue, semble être l’heureux possesseur. On le dénigrera en privé, en prenant parfois des airs affligés, ou encore publiquement et allégrement.

Peu nombreux sont ceux qui parviennent à neutraliser le venin de ce vice. N’avons-nous pas été offensés, tout en cachant la morsure, lorsqu’on a vanté en notre présence les qualités d’un tel ou tel, avec qui nous avons des affinités culturelles ou intellectuelles? Ou lorsqu’il a été comparé à vous-même en vous faisant sentir qu’on le préférait? Mais quelle aubaine s’il est surpris à commettre une erreur ou même une maladresse! On en profite aussitôt pour le traiter de médiocre, peut-être même pour l’assassiner moralement.

Ces attitudes sont courantes, fréquentes, non seulement dans le vaste monde des incroyants, en dehors des enceintes des Églises, mais encore au sein de ce que nous appelons la communion des saints, c’est-à-dire au cœur des Églises et même parmi des ecclésiastiques de toute obédience… Bien des gens peuvent résister à mille autres tentations, mais succombent corps et âme à ce très vilain vice qu’est l’envie. La jalousie est un mal qui peut jeter son ombre au long de toute une existence.

Notons qu’il s’agit d’un vice tout à fait spécial. Normalement, il opère à l’intérieur des mêmes groupes professionnels et des mêmes classes sociales, qui ont des affinités communes. Le militaire sera jaloux du militaire, l’acteur et l’actrice de leurs pairs, le clergé d’une paroisse du clergé de la paroisse voisine… Je doute que tel intellectuel de renom soit, lui, jaloux d’un boxeur poids lourd! Mais il le sera de son collègue de l’université où il enseigne ou du centre de recherche où il travaille.

Le jaloux ne trouve aucune satisfaction en sa jalousie, elle ne lui procure aucune gratification concrète. Il est jaloux, un point c’est tout.

« L’envieux n’est certes pas un “donneur de sang”, écrit un auteur chrétien, c’est un être dont le cœur est enlacé par une sorte de pieuvre qui l’étreint de ses tentacules, prête à l’étouffer. Le monstre lui suce le sang, le beau sang rouge de son être, de son cœur d’homme. L’envieux ne donne pas son sang, mais son sang se retire de lui, et il demeure glacé dans sa farouche tristesse. »
« Quelle chute dans ce puits de mine qu’est l’envie! On y est comme enterré vivant, on n’en remonte jamais à moins qu’un jour on en sorte en tâtonnant, guidé par la lueur d’une lampe de mine, petite lueur d’amour. L’envieux est un fossoyeur qui n’attend pas la mort de sa victime, mais la brise vivante et la jette au fond de la fosse, respirant encore… Il est féroce… L’envieux n’aime et ne loue que les morts… Celui qui est mordu par l’envie, la jalousie et l’amertume, porte un visage défait. Le corps entier participe au ravage interne, à cette carie des os. Le front est soucieux, le regard fuyant, le sourire étudié s’achève en grimace… S’il est fossoyeur pour ceux qui le côtoient, il est avant tout son propre “croque-mort”, puisqu’il s’enveloppe en un linceul noir de tristesse, de jalousie, de désespérance, de rancœur et de dureté… »

Théodore Ribot écrivait :

« La cause qui suscite la jalousie ou l’envie est l’opinion vraie ou fausse d’une dépossession ou de la privation d’un bien convoité. […] Oui, la vipère de l’envie est souvent sur notre chemin pour nous mordre au talon, comme Satan, caché sous la figure du serpent, mordit spirituellement Ève en Eden. Le diable était envieux et jaloux du resplendissement lumineux du premier couple humain. »

Des statistiques signalent que ce vice est plus fréquent à l’âge adulte que durant l’adolescence. Il semblerait qu’une jeune personne ambitieuse puisse encore admettre que quelqu’un de plus capable qu’elle le dépasse, sans être profondément affectée par une telle comparaison. Elle sait qu’elle a pour elle la jeunesse, un potentiel latent et encore inexploré. L’avenir s’ouvre devant elle.

L’adulte qui a déjà atteint l’âge, qui a vu se dérouler le tapis des ans derrière lui, se voyant dépassé par un autre, plus jeune ou plus capable, se laissera volontiers contaminer par le mal. Il doute qu’il possède suffisamment de forces en réserve pour l’emporter sur des concurrents. La jalousie l’atteindra comme une fièvre de consomption.

Normalement, la jalousie vise ceux qui sont à proximité. L’inconnu n’en sera pas la cible ou la victime; mais avec quel acharnement mal contenu elle visera celui que l’on côtoie régulièrement! Prenons bien garde lorsque nous sommes en compagnie de ceux avec qui nous collaborons. Nous sommes facilement exposés au mal; certains climats peuvent porter en eux des miasmes propices à la pollution et au développement de germes.

Il existe dans l’Écriture sainte un cas classique de jalousie, celle du roi Saul, le premier monarque d’Israël, à l’égard du jeune David, le préféré, le choyé de la population. Les louanges recueillies par le jeune héros mirent le vieux monarque dans un état de véritable neurasthénie. Les mélodies que son jeune rival jouait à la harpe pour l’apaiser n’arrivaient pas à dissiper l’amertume engendrée par les comparaisons que les Israélites faisaient entre lui et David; même pas la générosité dont ce dernier fit preuve envers son aîné.

Que cela était pitoyable de la part du souverain! Et combien ridicule pour nous-mêmes lorsque, soit secrètement, soit sans le dissimuler, nous souffrons de cette maladie de l’âme qu’est la jalousie, cette « carie des os ».

Le bon sens populaire n’a pas manqué de constater qu’il est plus facile de sympathiser (on dit actuellement « être en empathie ») avec quelqu’un dans le malheur, que de communier à ses joies lorsqu’il réussit. En effet, nul ne s’aviserait à être jaloux du sort du malheureux. Ne dit-on pas volontiers : « Il vaut mieux faire envie que pitié »? Il n’est pourtant pas évident que celui qui réussit au-delà de toute attente n’ait pas, au-delà des apparences, de lourds fardeaux à porter dans l’existence. On peut ignorer les circonstances difficiles dans la vie d’un rival fortuné. Si on en était au courant, on serait peut-être moins porté à lui témoigner une jalousie envenimée et mortelle.

Quel remède pouvons-nous trouver contre l’envie à un niveau plus profond que celui de la simple morale ou de la psychologie courante? Si nous avons fait un constat assez pessimiste afin de voir ce drame sous son jour véritable, la raison en est qu’un mal aussi profond exige une guérison radicale. Et où la trouver, si ce n’est auprès de l’unique Médecin des âmes et des cœurs qu’est le Dieu tout-puissant, le Père de toute compassion, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ?

Ce n’est donc pas en moralistes que nous parlerons de la jalousie; je crains que la vieille théologie morale, qui l’a dénoncée avec raison, en soit restée au stade du simple moralisme et qu’elle en ait voulu couvrir la honte à l’aide d’une misérable feuille de vigne. Mais peut-on cacher la nudité d’une âme aussi tragiquement désarmée comme l’on raccommoderait des habits tombant en loques avec une petite pièce d’étoffe neuve?

C’est donc vers le Christ que nous dirigerons les regards. Celui qui a l’Esprit du Christ, qui a eu son cœur régénéré, dont l’âme a été purifiée, dont l’esprit rejette toute pesanteur pour vivre un style de vie entièrement nouveau, celui-là, celle-là, peut surmonter le mal.

S’il en était encore besoin, rappelons-nous que les traits des flèches empoisonnées de la jalousie furent dirigés contre lui, plus que contre quiconque au cours de l’histoire humaine. Mais Jésus n’a pas appliqué la loi du talion. Il n’en avait vu ni la raison ni le besoin; n’est jaloux que celui dont l’existence se consume dans la vacuité, qui n’a rien de précieux, de permanent, de solide, qui ne sait sur quoi compter. Mais celui qui a tout pleinement en Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la divinité, n’a aucune raison d’envier qui que ce soit.

Les pharisiens, cette secte religieuse juive contemporaine de Jésus, l’avaient solidement jalousé et haï parce qu’il soulevait l’enthousiasme de la foule, enseignait « avec autorité », parlait comme nul n’avait parlé et accomplissait des actes puissants de compassion qui faisaient grincer des dents ses ennemis. Car enseignants eux-mêmes, leur langue de bois n’émouvait pas la multitude; ils ne pouvaient pas faire naître l’espérance dans les cœurs des hommes meurtris, des femmes opprimées ou des parias rejetés de la compagnie des bien-pensants. Ils constataient avec impuissance, avec une mortelle amertume, que tout le monde suivait le Nazaréen.

Même dans ses critiques les plus cinglantes, Jésus ne laissa jamais apparaître la moindre trace de jalousie. S’il s’emporta contre les pharisiens hypocrites, spécialistes de la loi juive, ce fut dans une colère sainte; il n’était jaloux que pour la seule vérité libératrice. Jésus le Christ, le Messie d’Israël, le Sauveur des hommes, le Seigneur du monde, le Fils unique de Dieu, qui fut victime d’une jalousie haineuse, meurtrière, n’avait aucune raison d’envier ses adversaires.

En cela, il est notre miroir incomparable, reflétant la sainteté, afin que nous nous voyions tels que nous sommes avec nos défauts et nos rides, nos vices et notre péché. Afin que nous nous convertissions à lui; guéris par son exemple, autant que par la rédemption divine achevée en notre faveur.

Pour commencer, il nous place en face de la réalité, il établit un diagnostic infaillible; à ses yeux, le meilleur d’entre nous est un malade mortellement atteint; de jalousie et d’envie, sinon d’autre chose.

Ensuite, il aide à canaliser nos impulsions de manière positive, afin de les rendre productives. Nous comparer sans cesse à autrui portera un grave préjudice à notre vie spirituelle autant qu’à la réputation des autres; si nous nous imaginons constamment meilleurs et plus compétents que les autres, nous serons pris dans le piège d’un orgueil démesuré. Si, en revanche, nous passons notre vie à nous sentir inférieurs à eux, nous risquons de sombrer dans l’écueil inverse, celui du ressentiment. Néanmoins, cette impulsion de comparaison est forte en chacun d’entre nous.

Mais Christ nous appelle à lui. Il est à la fois Sauveur et Modèle, celui qui nous sanctifie. Il nous dit : Soyez mes imitateurs. Alors toute comparaison avec autrui s’estompera. Elle sera spirituellement superflue. Il nous fait également comprendre que chacun d’entre nous a sa place dans le dessein divin et que notre valeur suprême, permanente, infiniment supérieure à toute autre valeur humaine, réside précisément en cette nouvelle position que nous avons auprès de lui et dans le dessein bienveillant du Dieu libérateur. Cette connaissance et conviction nous guérira du mal de la jalousie. Nous souhaiterons alors du bien et du succès à ceux qui étaient la cible de nos sentiments mesquins. Si l’infinie sagesse divine et l’amour vainqueur du Dieu de Jésus-Christ contrôlent et dirigent ma course, pourquoi voudrais-je échanger ma place avec autrui, même s’il brille davantage que moi? À l’âme envieuse Jésus-Christ répond : « Que t’importe l’autre, toi, suis-moi! »

Enfin, Christ nous libère de l’obsession de quêter partout et à chaque instant les louanges des thuriféraires serviles. Je n’ignore pas que ce penchant est comme un diabète moral, attisant sans cesse notre soif. Mais le Christ nous demande de fixer notre attention sur l’appréciation que Dieu porte envers nos personnes et sur notre situation.

Une telle victoire contre le drame de la jalousie ne peut être remportée que par le Seigneur, qui est Esprit et qui dompte et transforme nos esprits.

Que ferons-nous lorsque nous sentirons la boue de l’envie nous atteindre? Nous crierons fort vers Dieu : « Je crie de joie à l’ombre de tes ailes » (Ps 63.8).

Saint Paul écrivait : « L’amour n’est pas envieux » (1 Co 13.4).