Cet article a pour sujet la joie qui vient de notre communion avec Dieu et de notre espérance en lui. Cette joie est différente du plaisir. Elle puise aux sources du salut en Jésus-Christ, qui changera la tristesse en allégresse.

Source: Méditations sur la vie chrétienne. 4 pages.

La joie

La Bible est le livre de la joie. Il n’y a qu’à ouvrir le recueil des Psaumes pour s’en convaincre. Aucune autre partie de l’Écriture sainte n’exprime avec plus de puissance la joie du croyant que ces pages inspirées. Le lecteur y entre dans un vaste concert et il peut se livrer à l’allégresse en méditant ces ardentes prières. La prière qui nous met en harmonie avec Dieu apporte la paix et la joie.

La révélation du Dieu Créateur et Sauveur provoque en l’homme une joie débordante. Comment contempler la création sans proclamer : « Moi, je veux me réjouir en l’Éternel » (Ps 104.34) et sans souhaiter « que l’Éternel se réjouisse de ses œuvres » (Ps 104.31)?

En face de Dieu, à l’œuvre dans l’histoire, la joie envahit celui qui n’est pas un insensé. « Allons acclamer l’Éternel! Lançons une joyeuse clameur vers le rocher de notre salut » (Ps 95.1).

« Que les cieux se réjouissent, et que la terre soit dans l’allégresse, que la mer retentisse, avec tout ce qui la remplit. Que la campagne exulte, avec tout ce qui s’y trouve. Que tous les arbres des forêts lancent des acclamations devant l’Éternel, car il vient, car il vient pour juger la terre » (Ps 96.11-13).

Et s’il vient, c’est pour lui en ouvrir l’accès : « Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur son trône de gloire » (Mt 25.31).

« Bienheureux l’homme… » C’est la phrase qui nous accueille au seuil du recueil des Psaumes. « Bienheureux le peuple » retentit au milieu, et « bienheureux » est encore la note finale de ce concert. Une harmonie joyeuse descend du trône de Dieu et, de là, magnifiquement, s’étend comme une parure de lumière sur le visage de ses enfants… Que le fidèle s’approche donc de Dieu, et il ira de victoire en victoire! Il tressaillira d’allégresse à cause des grandes délivrances dont il fut l’objet. Dieu le Père pardonne, sauve et console. « Je suis heureux, dit l’homme, parce que je me confie en Dieu, et en lui je place ma confiance. »

Si Dieu est la fin ultime de notre vie, alors notre cantique montera vers lui tel l’encens, tels un chant de joie et un concert de reconnaissance. À l’ombre de Dieu, on exulte, car rien ne peut plus vraiment nous effrayer. Le recueil des Psaumes et le magnifique concert de la nature, celui des arbres et des oiseaux, des montagnes et des collines, des fleurs et des champs, sont des instruments de l’exultation cosmique sous le regard de Dieu.

Mais, peut-être me direz-vous, les non-chrétiens ne connaîtraient-ils pas, eux aussi, la joie et le plaisir? Soulignons d’abord que les termes de joie, gaieté et plaisir ne recouvrent pas la même réalité et ne sont pas interchangeables. Le plaisir ne sert qu’à agrémenter notre existence et, parfois, il n’est qu’un moyen pour combler le vide dans la vie des gens. Le plaisir a son rôle à jouer durant notre enfance et le temps de notre immaturité. Si nous lui laissons jouer un trop grand rôle, il déforme ce qu’il avait formé. L’excès de plaisir arrête le progrès de notre personnalité, mais rien ne peut chasser la joie, car elle nous est donnée, elle s’enracine dans les profondeurs mêmes de notre être et, comme une marée montante douce et forte, inonde notre vie tout entière comme la sève parcourt le tronc et les branches des arbres et permet qu’ils se parent de feuilles nouvelles au printemps.

« Comme les forêts fabriquent l’oxygène, l’Évangile fabrique de la joie. » « Sans l’espérance évangélique, écrivait naguère un pasteur, nulle joie n’est durable. »
« Que de pressentiments funèbres, quelle horreur instinctive de la mort, quelle angoisse métaphysique! Cette foncière mélancolie empoisonne l’antiquité païenne. Homère nous dépeint l’ineffable ennui du héros Achille dans le royaume des ombres, où il arpente éternellement une prairie d’Aspodèles comme un lion en cage… Et nos modernes athées — poursuit l’auteur — sont-ils plus gais? La perspective du néant pour eux, pour leurs familles, pour l’humanité tout entière, pour l’esprit enfin, et pour la raison consciente ou impersonnelle, n’est pas de nature à réchauffer les courages. Il y a des rires nerveux qui sont le signe du désespoir ou la marque de la folie… »

Dans une savante étude sur les émotions, un auteur définit en ces termes inattendus les conditions de la joie : « Augmentation de l’innervation volontaire et dilatation musculaire. » Si, au contraire, les vaisseaux sanguins se contractaient, ce serait la tristesse… Cette définition date du début de notre siècle. Aurait-elle changé depuis? À moins que, avec le tyran soupçonneux mis en scène par Shakespeare, nous voyions dans l’embonpoint des gens la preuve qu’ils sont réfractaires aux idées noires et subversives. « Que j’aie toujours autour de moi des hommes gras et à la face brillante, des hommes qui dorment la nuit! »

La joie authentique est fille de l’espérance chrétienne qui l’inspire et la nourrit; elle se dessèche et s’évapore quand elle repose uniquement sur le plaisir, le confort, la santé, le succès, les satisfactions… « Il nous faut chercher notre félicité hors du monde », écrit Calvin. « Cette joie si chaude et si lumineuse dans l’âme de nos ancêtres clignote aujourd’hui en beaucoup de cœurs comme une veilleuse qui s’éteint… » Or, si la vie est triste en son fond ultime, si l’essence de l’univers est le hasard et sa fin le néant, quelle dignité y aurait-il et quel durable repos dans le soi-disant bonheur de croire, qui n’aurait plus de valeur morale et rationnelle que l’atonie du drogué?

Si notre cœur se purifie et notre vie se renouvelle, devient claire, nous connaîtrons la joie mystérieuse de Dieu. Pourquoi les sources de la joie restent-elles si cachées? Pourquoi ne voit-on pas où Dieu les a placées? On n’a aucune idée des richesses qui se développent dans une âme qui grandit sous le regard de Dieu. Parce que, trop souvent, on bouche le canal des sources sacrées du vrai bonheur avec le plaisir… Que de visages qui portent la marque de l’arrêt du développement de la vie, visages fermés au soleil de Dieu! Ils ont cherché la joie dans les circonstances de la vie, dans les événements ou dans la consommation des plaisirs, mais leur foi était-elle tournée vers le Dieu de l’espérance? La vie ne nous apprend rien par elle-même. Les années peuvent passer sans modifier notre personnalité, sans la toucher profondément, bref, sans nous former… Est-il nécessaire d’accepter de devenir des chômeurs de la vie intérieure, alors que la joie, indice de vie authentique et triomphe sur la tentation, est possible?

Durant les heures fécondes passées avec Dieu, elle ravitaille la vie tout entière par des provisions inattendues que le Père céleste envoie à ses enfants. Nourrie par la communion avec Dieu, source d’espérance, notre personne commence à fleurir, et alors la joie imprègne toute notre vie.

Bien sûr, le chrétien, pas moins que quiconque, n’ignore pas les heures sombres. La maladie, l’accident, le deuil et autres déchirures l’atteignent avec la même intensité et la même agressivité que le non-chrétien. Comme l’auteur du Psaume 126, il connaît aussi la vallée du Néguev, tellement sèche et aride, à moins d’être arrosée par des torrents… Le semeur qui y jette la semence ne sait pas s’il y moissonnera. Le grain est semé dans les larmes, seules gouttes de liquide arrosant ce sol ingrat. Mais lorsque les torrents grossissent et arrosent le sol, alors il sait qu’il y aura moisson et qu’elle sera engrangée dans la joie… « Éternel, ramène nos captifs comme des torrents dans le Négueb. Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec cris de triomphe » (Ps 126.4-5).

La dernière chose que Dieu veut de nous c’est notre malheur, une vie gâchée. Or, notre conviction est que l’actuelle tristesse sera changée en allégresse et que le torrent sec sera transformé en fleuve fertilisant.

Notre cœur devrait-il rester attristé? Refusons l’idée du deuil perpétuel, qui déshonore le Dieu de l’espérance, l’unique source intarissable de joie. Lorsque nous pouvons tirer sans cesse de l’eau du puits, faut-il nous abreuver aux marécages des inquiétudes empoisonnées et empoisonnantes? Il y a de la joie dans notre consécration à Dieu, dans l’abnégation et l’obéissance, dans la patience et le contentement…

Notre joie ne vient pas de l’absence de tribulation, mais de la présence du Christ. Il ne s’agit pas de nous embrouiller dans la mystique, mais de passer à l’action, au travail fructueux dans la joie. Les gens heureux de cette joie-là créent toujours quelque chose. Ceux qui font du mécontentement le principe de leur vie consomment toujours, sans jamais produire… Il n’y a pas de joie, la vraie, pour les parasites et pour les démissionnaires, mais pour celui qui travaille, qui construit, qui prend soin de sa famille, gagne son pain et celui des siens, forme un couple uni et élève ses enfants dans la foi, l’espérance et l’amour qui se trouvent uniquement en Dieu. Car il œuvre pour cette permanence qui est plus grande et plus précieuse qu’un chef-d’œuvre. Ceux qui bâtissent de la sorte éprouveront une joie intime, sobre et lumineuse, brillant d’un éclat qui ne s’éteindra pas durant les heures sombres…

Que notre vie aujourd’hui devienne lumineuse, qu’elle ne soit pas grise et terne comme le sont les vies sans espérance! Cela sera possible si le Seigneur nous accompagne. Nous pourrons rayonner si notre vie est enracinée en Christ, et alors nul ne pourra nous ravir notre joie.