Cet article a pour sujet l'antinomisme qui est l'erreur consistant à croire que la loi de Dieu est abolie ou sans usage pour normer la vie chrétienne, la sanctification et l'éthique chrétienne.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 4 pages.

L'antinomisme

Du grec, « anti », opposé à, et « nomos », loi (à ne pas confondre avec « anomie », être sans loi), l’antinomisme est cette idée théologique selon laquelle la foi aurait définitivement aboli la loi, ou bien son usage, de sorte que le chrétien ne lui est plus soumis. Les conceptions extrêmes de l’interprétation de la liberté vis-à-vis de la loi aboutissent à une conduite licencieuse, condamnée aussi bien par le Nouveau Testament que par les réformateurs. Mais, nous l’avons souligné, tant le Nouveau Testament que la Réforme refusent aussi toute éthique ou morale légaliste.

Bien que le terme n’apparaisse pas dans le Nouveau Testament, le sujet y est fréquemment abordé. L’antinomisme théorique est présent et dénoncé dans la lettre aux Romains par l’insistance sur la doctrine de la grâce; l’abus pratique de l’Évangile est condamné dans Éphésiens 5 et 6, et 2 Pierre 2 comme Jude le condamnent sans ambages.

Un enseignement gnostique à caractère antinomien a commis des ravages même durant le ministère des apôtres. Ainsi, les nicolaïtes (Ap 2.6,14,15) s’en référaient à la doctrine de Balaam, en approuvant la fornication et en abusant des choses indifféremment. Selon une tradition qu’atteste Irénée, ces hérétiques primitifs étaient des adeptes de la doctrine de Nicolaos, diacre et prosélyte d’Antioche (Ac 6.5). Il s’avère difficile d’authentifier la véracité de cette tradition, bien que Clément d’Alexandrie atteste qu’une certaine indiscrétion en acte et en parole de sa part a été déformée et servit d’excuses pour une certaine conduite licencieuse (Stromat. 2.20; 3.4). Selon Justin Martyr (Apol. 1.25,26; Dial. 120), et Irénée (ibid.), Simon le Magicien, père des aberrations gnostiques, accepta un culte non seulement pour lui-même, mais encore pour sa pensée (« Ennoia »), incarnée dans une femme du nom d’Hélène.

L’antinomisme ne reconnaît aucune obligation envers la loi morale biblique. Il s’agit d’un phénomène particulièrement religieux dans lequel ce qui légitimement devrait être qualifié de mal, de mauvais, est justifié de manière religieuse ou théologique.

Toute hérésie, a-t-on dit, surgit de l’esprit charnel, lequel est incapable de soumission à la loi divine. Le terme fut forgé par Luther, dans sa controverse avec Agricola, mais s’appliquera parfaitement à toutes les formes d’opposition à la loi biblique, manifestée au cours de l’histoire de l’Église.

Les spécialistes nous rappellent la difficulté qu’il y a à définir avec précision le courant antinomien. Ceci s’explique par le fait que l’antinomisme n’est pas une théorie construite avec grande clarté. Ceux qu’on accuserait de l’erreur récusent invariablement d’être qualifié d’antinomistes, ou bien ils reformuleront leurs positions à l’égard de la loi. En outre, l’association de notions théoriques relatives à la liberté chrétienne avec des pratiques de conduite licencieuse accroît davantage la difficulté de lui donner une définition suffisamment claire et précise.

Une autre difficulté dont il faut également tenir compte est que, suivant les positions dogmatiques auxquelles on tient, la définition ou bien l’évaluation critique varieront également. Ainsi, l’adepte de la théologie arminienne variera dans son attitude de celle du théologien calvinien réformé. Malgré les difficultés évidentes, on peut, non sans justesse, constater ce qui suit. Pour l’antinomien :

  1. La loi a été rendue caduque par l’avènement de la grâce. Seule la justification par la foi rend les bonnes œuvres nécessaires, mais pas la loi morale.
  2. Puisque les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires au salut, la soumission à la loi morale n’est plus requise.
  3. Dieu ne voit plus aucun péché dans le croyant qu’il a justifié, lequel n’est plus tenu à pratiquer la loi, et Dieu ne tient pas compte de son péché.
  4. Par conséquent, Dieu ne punit pas le fidèle justifié lorsque celui-ci commet un péché.
  5. Le péché ne porte pas préjudice au croyant.
  6. Puisque l’Évangile n’admet aucun devoir ni obligation, la foi et la repentance ne sont pas des commandements.
  7. Le chrétien n’est pas tenu de se repentir pour obtenir le pardon d’un péché qu’il a commis.
  8. Il n’a nul besoin de mortifier la chair. Le Christ a tout payé pour lui.
  9. Il ne doit pas s’affliger s’il chute, mais s’en tenir fermement à l’assurance de son salut, même au sein des pires actes immoraux.
  10. La foi qui justifie est l’assurance que l’on est déjà justifié.
  11. Les élus sont déjà justifiés avant même qu’ils croient, depuis toute éternité.
  12. Par conséquent, ils n’ont jamais été enfants de colère et de rébellion.
  13. Leur péché, en ce qui concerne sa réalité, a été imputé au Christ, donc il n’est pas leur péché, et la sainteté du Christ leur est attribuée en tant que leur propre sanctification.
  14. La sanctification n’est pas la preuve de la justification, car l’assurance du salut et du pardon est le fruit d’une révélation immédiate que l’on a été élu.
  15. Aucune conviction par la loi ne précède l’union du pécheur avec le Christ, d’autant que le Christ s’est librement offert aux pécheurs, en tant que des pécheurs.
  16. La repentance est produite non par la loi, mais par l’Évangile.
  17. C’est le conseil ou la volonté secrète de Dieu qui est la règle de conduite du chrétien.
  18. Dieu est l’auteur et celui qui approuve le péché; car le péché est l’accomplissement de sa volonté.
  19. À moins que le Saint-Esprit œuvre la sainteté dans l’âme, il n’existe aucune obligation d’être saint ou de s’efforcer à atteindre cet objectif.
  20. Tout ce qui est extérieur à la vie chrétienne est inutile puisque seul l’Esprit donne la vie.

Bien que la liste ci-dessus ne soit pas complète, elle n’est pas pour autant incohérente.

Dans les propositions 1 à 14, nous voyons des conséquences illégitimes tirées de la doctrine de la justification par la foi; celles 15 et 16, de l’offre libre du salut et de l’efficacité de l’Évangile; de 17 à 20 de la conviction de la souveraineté transcendante de Dieu.

L’on peut dire que l’antinomisme peut être qualifié principalement comme l’abus de la grâce qui justifie, en dénonçant l’autorité de la loi, en minimisant la nécessité de la repentance et même de la foi, en rendant nul le besoin de sanctification, en plaçant un accent exagéré sur l’assurance, en niant le rôle instrumental de la loi dans la conversion. Il est certain que la racine théologique de l’antinomisme moderne se trouve dans la théologie hérétique de Pélage.

Dans la proposition 17, l’on apercevra une inconsistance interne du système qui réfute le don gratuit, lequel est pourtant affirmé dans la proposition 15. La proposition 18, quant à elle, est blasphématoire, détruisant l’Évangile et la loi ensemble, mais avec la proposition 17 elle réfute la distinction entre volonté secrète et révélée de Dieu. La proposition 20 tend vers un mysticisme en représentant la souveraineté divine comme un facteur qui abolit la responsabilité humaine. Si l’on pousse davantage cet élément de mysticisme, celui-ci sapera le fondement même de la justification en éliminant tout sentiment de faute. Cette tension entre mystique et sentiment de culpabilité prouve la contradiction interne fondamentale de tout système antinomien1.

L’antinomisme est par définition refus même de l’ordre créé. L’ordre créationnel, y compris le corps humain, est indifférent à ses yeux. Aussi, tout comportement licencieux, dans son corps, ne porte aucune conséquence. Les chrétiens qui se réclament d’une spiritualité excessive sont coupables d’antinomisme. Ils s’abusent en devenant eux-mêmes une loi pour leur conduite.

L’antinomisme est en outre une vilification et corruption des valeurs morales, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Au nom de l’amour et de la beauté, on peut se permettre l’acte de forniquer (voir plus loin l’éthique de situation), de même pour justifier la répression, la cruauté, le génocide ou la purification ethnique au nom des idéaux nationaux ou religieux!

En troisième lieu, l’antinomisme cherche à se justifier avec des arguments tirés de l’ordre biologique ou celui de la psychologie. Il plaide en faveur de la détente nerveuse, ou à cause d’elle, évoque la fragilité humaine en faveur de l’état biologique (nous dirions pour un naturisme) et justifie des actes mauvais, méchants, immoraux.

Il faut évoquer également une interprétation dispensationaliste selon laquelle en l’attente eschatologique du retour du Christ, certains idéaux du Royaume sont impossibles à mettre en pratique; aussi ils ne nous imposent aucune obligation morale.

Enfin, rappelons une lecture déformée de la doctrine du salut par la seule grâce, notamment dans les écrits de saint Paul, lecture qui surévalue la grâce au détriment de la loi, enseignement pernicieux contre lequel s’est vigoureusement élevé l’apôtre (voir Rm 3.8; 6.1,4). Car, comme Jacques, Paul fait bien ressortir la vérité éthique fondamentale selon laquelle la foi sans les œuvres est nulle.

La lutte contre l’antinomisme requiert une parfaite, claire et correcte connaissance de l’Évangile.

Note

1. Voir Encyclopedia of Christianity, Vol. 1, article « Antinomianism ».