Le canon de l'Ancien Testament
Le canon de l'Ancien Testament
- Le sens du mot canon
- La reconnaissance des livres canoniques de l’Ancien Testament
- Brève histoire du canon de l’Ancien Testament
1. Le sens du mot canon⤒🔗
Le mot grec canon dérive probablement de « kana », « kanè », roseau, à rapprocher du sémitique. En hébreu, « qaneh » signifie roseau et secondairement unité de mesure de longueur, probablement parce qu’on se servait d’un roseau pour mesurer. Le canon désigne donc la mesure, la règle, le modèle et, par dérivation, la chose mesurée ou conforme à la règle.
À Alexandrie, les grammairiens appelaient « kanonès » les collections d’œuvres littéraires servant de modèle.
Le Nouveau Testament (NT) emploie le mot pour parler du champ de travail assigné par Dieu à Paul (2 Co 10.15). Le canon est la chose mesurée. Dans Galates 6.16, le canon est la règle de vie.
Les Pères grecs parlaient du canon de la tradition (« kanonès tès paradoséos »), de la règle de la foi (« o kanon tès pistéos »), de la règle de la vérité (« o kanon tès alèthéias »). Les Latins parlaient de la règle de la foi (« regula fidei ») ou de la règle de la vérité (« regula veritatis »), s’agissant de l’enseignement de l’Église et des apôtres, transmis soit par l’Écriture soit par l’Église.
Kanon a aussi le sens de « catalogue », d’index. Les « kanones chronikoi » d’Eusèbe, l’historien de l’Église, au 4e siècle, sont des tables chronologiques.
Les Écritures étaient reçues comme livre contenant la règle de la doctrine et de la vie. Elles sont la règle.
Il faut entendre l’expression « livre canonique » dans le sens de livre normatif, contenant les règles de la doctrine et de la vie. Ce n’est que plus tard que l’usage s’établit de dire que ces livres étaient « canoniques » parce qu’ils appartiennent à une liste officiellement reconnue, à un canon. C’est cette signification plus tardive qui a prévalu. On remarquera que les auteurs ne s’entendent pas toujours sur l’interprétation des textes patristiques et que pour certains la deuxième signification serait la plus ancienne. Cela vient du fait que ce mot « canon » est devenu équivoque et qu’on ne peut en déterminer le sens précis que par le contexte ou par les renseignements que l’on a sur la pensée commune à l’époque où le mot était employé.
Notons encore qu’on emploiera parfois l’expression « ta kanonizoména », les livres canonisés, pour parler des livres introduits dans le canon, c’est-à-dire placés parmi les livres normatifs. Mais c’était une expression maladroite qui laissait entendre que c’était l’Église qui rendait canonique les livres saints. En réalité, elle les a seulement reconnus comme étant canoniques.
La question théologique du canon biblique ayant été abordée dans notre Introduction au Nouveau Testament, nous n’y reviendrons pas. Nous tiendrons seulement à donner dans les grandes lignes l’histoire de la formation et de la reconnaissance des livres canoniques de l’Ancien Testament (AT).
2. La reconnaissance des livres canoniques de l’Ancien Testament←⤒🔗
La solution à donner au problème du canon de l’AT dépend du principe suivant : Étant en Christ, nous devons avoir envers les Écritures de l’AT la même attitude que le Christ. Nous recevons comme lui les Écritures possédées par la synagogue de Palestine en son temps. Pour Jésus, les Écritures étaient un tout bien défini qui ne pouvait être détruit et qui avait une pleine autorité (Mt 5.18; Lc 16.17).
Notre position est donc d’abord une position de foi, une attitude spirituelle. Si nous ne recevions pas comme Écriture un livre que Jésus a reçu ou si nous recevions d’autres livres que lui, sur ce point nous ne serions pas « en Christ ». Nous déclarons en même temps que les Écritures reçues par Jésus étaient celles de la synagogue de Palestine en son temps. En effet, Jésus n’a jamais discuté la possession des Écritures de la synagogue. Lorsqu’il s’adresse aux Juifs de la Palestine, il parle des Écritures comme d’un tout bien défini aussi bien pour lui que pour ses interlocuteurs. De plus, nous savons que les « oracles de Dieu » avaient été confiés à Israël (Rm 3.2). Jamais Dieu n’a accusé Israël de ne pas avoir gardé le dépôt qui lui avait été confié. Au contraire, tout s’est passé comme si Dieu, par l’Esprit et par Jésus-Christ, reconnaissait la pleine valeur du dépôt de la synagogue. Or, nous connaissons le dépôt confié à la synagogue. Il est toujours entre ses mains : c’est le texte des Bibles hébraïques. Sur ce point, il s’agit de discernement spirituel s’appuyant sur des faits. Nous considérons ces faits.
Eusèbe cite Philon, le penseur juif du premier siècle :
« Ils avaient une telle admiration pour Moïse qu’ils approuvaient tout ce qu’il avait ordonné. Soit qu’il ait rédigé des lois lui-même, soit que Dieu les lui ait révélées, les Juifs les ont toutes recueillies comme venant du ciel; et ils ont conservé un si grand respect pour leur législateur que depuis deux mille ans ils n’ont pas changé une seule lettre de ses écrits et qu’ils préfèrent mourir mille fois plutôt que de faire une action contraire à ses décrets. »
Quelles que soient les remarques à faire sur ce texte, il est caractéristique de la pensée générale des Juifs au sujet des Écritures et notamment de la Loi.
Josèphe comptait vingt-deux livres (autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet hébreu) : Les cinq livres de Moïse, les treize livres des prophètes (Josué, Juges, Ruth, Samuel, Rois, Chroniques, Esdras et Néhémie, Esther, Job, Ésaïe, Jérémie et Lamentations, Ézéchiel, Daniel, les douze petits prophètes) et quatre livres poétiques (Psaumes, Cantiques, Ecclésiaste, Proverbes). Ce sont les livres que la Synagogue lisait et qu’elle lit encore.
Cette possession tranquille du Livre par la Synagogue n’empêche pas que ça et là certains rabbins aient soulevé des discussions au sujet de tel ou tel livre. Ces opinions particulières ne sont pas la pensée de la Synagogue. Ni Jésus ni les apôtres n’en ont tenu compte. Tout se passe comme si ces opinions n’avaient pas eu d’autre audience que le cercle étroit de quelques rabbins. D’ailleurs, elles ne portent pas sur la valeur des livres, mais sur l’opportunité de leur lecture. On ne parle pas de les supprimer.
C’est ainsi qu’on discutait au sujet de l’opportunité de la lecture d’Ézéchiel 1 à cause de l’élévation du sujet traité. Actuellement encore, c’est un chapitre qu’on ne devrait lire qu’en hébreu. Une ancienne règle voulait qu’un Juif ne fût jamais admis à le lire qu’à l’âge de 30 ans!
Même remarque au sujet des Proverbes qu’on évitait de lire en public. Cependant, Hillel considérait les Proverbes comme un livre saint. Les expressions employées par les adversaires de l’Ecclésiaste et du Cantique sont plus sévères. Plus tard, on exclura ces livres de la lecture sans ajouter d’autre remarque dépréciative. Akiba reprochait à certains de chanter le Cantique dans les tavernes. Ce détail nous aide à comprendre la situation. Il ne faut pas croire que la population juive fût homogène. Le camp des moqueurs existait et sa verve s’exerçait facilement sur des livres comme l’Ecclésiaste et le Cantique. De là, une impression de gêne chez les Juifs pieux et leur désir, tout en ne supprimant pas ces livres, de ne pas leur donner une publicité qui était l’occasion de paroles scandaleuses.
Un autre scrupule fit discuter de lire Esther. La loi avait défini les fêtes (Lv 27.34). Avait-on le droit d’en ajouter une nouvelle, celles des Purim, en souvenir de l’histoire d’Esther? Mais les rabbins qui avaient réponse à tout dirent que le livre d’Esther avait été révélé à Moïse, mais écrit seulement au temps d’Esther! Même si cette raison ne vaut rien, elle témoigne de l’attachement de la Synagogue à ce livre.
3. Brève histoire du canon de l’Ancien Testament←⤒🔗
L’expansion du christianisme se fit dans des pays de langue grecque ou des pays dans lesquels le grec était devenu la langue officielle. Il s’agissait évidemment de la langue commune ou vernaculaire, la « koinè ». Les chrétiens ne firent pas à l’origine de traduction de l’AT. Ils se servirent de celle qui existait et qui n’était certainement pas sans comporter de nombreuses variantes. Plus tard, l’Église d’Occident traduisit la version grecque en latin.
Les Juifs se préoccupèrent de leur traduction grecque, et de leur préoccupation sont nées les traductions d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion. Dans l’Église, il faudra attendre Jérôme, à la fin du 4e siècle, pour qu’on revienne au texte hébreu pour la traduction en latin. Jamais on ne le traduisit en grec, même pour les Églises de langue grecque. Cependant, les traductions grecques des Juifs posaient des problèmes, ainsi qu’en témoignent les travaux d’Origène et les diverses recensions.
L’abandon à peu près total du texte hébreu et l’utilisation de manuscrits contenant des apocryphes de l’AT et du NT devaient provoquer de la confusion. On lisait les apocryphes traduits en grec. Le canon de Mommsen est un manuscrit datant du 10e siècle, mais il attesterait une tradition d’Afrique remontant à 360. Il contient des apocryphes. Les vieilles traductions latines les contiennent aussi. Les hérétiques s’en servent. On trouve dans les catacombes des dessins représentant des personnes ou des faits connus par ces mêmes livres apocryphes.
Mais que pensait l’Église? Au 3e siècle, où on commence à avoir des renseignements sur le canon, l’opinion n’est pas favorable aux apocryphes. Méliton de Sardes qui alla en Palestine pour enquêter sur cette question, Origène, les Pères palestiniens (Eusèbe de Césarée, Cyrille de Jérusalem, Épiphane), les Pères alexandrins (Athanase), s’en tiennent au canon juif. Pour eux, les autres livres ne sont que des livres édifiants. Parce qu’il les citait, on a prétendu qu’Athanase considérait comme inspirés les apocryphes. Cet argument n’a pas de valeur. Parmi ceux qui s’en tiennent au canon juif, il faut encore citer Grégoire de Naziance, Hilaire, Rufin. Cependant, Basile, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Théodoret, Lucien semblent avoir été d’un avis contraire.
Jérôme est bien connu pour son opinion en faveur du canon palestinien. Certains ont dit que les hésitations de l’Église avaient été causées par lui. C’est une affirmation gratuite. Jérôme a soutenu une opinion qui existait avant lui et indépendamment de lui. En tout cas, son attitude prouve que l’idée d’un canon comprenant les apocryphes n’avait pas d’autorité.
Les Conciles d’Hippone (393, 397, 419) recevaient les apocryphes. Innocent I écrivait dans ce sens une lettre à saint Exupère de Toulouse. Augustin, évêque d’Hippone, soutenait l’inspiration de la version des LXX, ce qui prouve l’extrême confusion des esprits.
La décision du Concile de Trente (16e siècle) n’avait pas de fondement solide dans la tradition. Certains de ses membres, et non des moindres, comme le célèbre théologien Cajétan, ne recevaient que le canon juif. Cependant, dans sa 4e session, le concile a fixé la liste des livres de l’AT. Elle contient tous les livres de la Bible juive et ajoute Tobie, Judith, la Sagesse, Ecclésiastique, Baruch, les deux livres des Maccabées. Le concile déclare :
« Si quelqu’un ne reçoit pas comme sacrés et canoniques les livres dans leur intégrité et avec toutes leurs parties, comme il est de coutume de les lire dans l’Église catholique et tels qu’ils sont contenus dans l’ancienne édition latine vulgaire (“in vulgata latina editione”), qu’il soit anathème ».
Ce canon fut renouvelé par Vatican I.
Les nestoriens, les monophysites de Syrie et d’Éthiopie, les Coptes, les Arméniens sont d’accord avec l’Église romaine sauf sur quelques points.
Au Concile de Trullo (692), l’Église grecque adopta les décrets des Conciles d’Hippone (393) et de Carthage sur le canon biblique. Au 9e siècle, lors des controverses entre Rome et Byzance, cette question ne fut pas discutée. Cependant, saint Jean Damascène ne recevait que le canon juif. Les théologiens romains expliquent ce silence en disant que les Grecs recevaient le canon élargi de Rome. Il vaut mieux dire qu’à cette époque le pape Grégoire le Grand, des théologiens comme Thomas d’Aquin, Cajétan, hésitaient et n’avaient certainement aucunement conscience de se trouver en présence d’une doctrine s’imposant à la foi.
Au Concile de Florence (1441), la liste fut élargie et fut inscrite dans la bulle « Cantate Domino » contre les Jacobites. Il n’y a pas eu de discussion. Ce silence n’implique pas une acceptation. Cyrille Lukaris de Constantinople, en 1629, dans sa confession de foi, adopta le canon juif. Le Concile de Jérusalem (1672) se prononça pour le canon élargi. Cela prouve que l’Orient, comme l’Occident, avant le Concile de Trente, n’avait pas d’opinion ferme sur le sujet.
La position protestante
Karlstadt adopta le point de vue de Jérôme; Luther introduisit à la fin de sa Bible, sous le nom d’apocryphes, les livres et les passages controversés; mais ces livres n’étaient pas mis sur le même plan que les Écritures inspirées, mais étaient bons à lire. Cette opinion passa dans l’Église anglicane. Au Synode de Dordrecht (1618-1619), les calvinistes demandèrent la suppression des apocryphes dans les éditions de la Bible.
En 1825-27, la controverse recommença dans l’Église anglicane. Il y a eu aussi au 19e siècle une dispute sur le point en Allemagne. En 1826, la Société biblique britannique et étrangère supprima les apocryphes de ses éditions. Les éditions allemandes les ont conservés comme « apocryphes ». Pour le libéralisme protestant, la distinction entre apocryphes et canoniques n’a pas d’intérêt. Les Églises évangéliques et fidèlement réformées restent attachées au seul canon palestinien reçu par Jésus (voir la Confession de foi de La Rochelle, art. 3).
Cette revue rapide des faits montre que nous n’avons aucune raison sérieuse de considérer comme canoniques des livres qu’Israël n’a jamais reçus et auxquels Jésus n’a rendu aucun témoignage (d’après G. Millon).