Le canon biblique
Le canon biblique
- Définition du terme
- L’usage du terme dans le Nouveau Testament
- L’histoire du terme dans le christianisme primitif
- La question du canon biblique
1. Définition du terme⤒🔗
Le mot grec « kanôn » vient probablement de « kanna », « kanè », roseau, à rapprocher du sémitique. En hébreu, « qaneh » signifie roseau et, secondairement, « unité de mesure de longueur », probablement parce qu’on se servait d’un roseau pour mesurer des longueurs (Éz 40.5).
En hébreu, il désigne le jonc, le « kalamus », et, par la suite, comme en assyrien, une mesure; finalement, il est employé pour la gradation du bras d’un chandelier. Dans les LXX, il s’y trouve à trois reprises : dans le livre apocryphe de Judith (13.6), dans le livre du prophète Michée (7.4) — par erreur dit-on —, et dans le quatrième livre apocryphe des Maccabées (7.21).
La traduction d’Aquila du passage de Job 38.5 a « kanôn » au sens de signe de mesure au lieu du « spartion » des LXX et de « schinion métrou » de la traduction de Symmaque.
Dans le langage profane, le sens fondamental sémitique a succombé à l’usage figuratif : une verge droite. Le mot prend d’abord un sens général lorsqu’il est employé pour un bâton qui mesure ou qui sert de règle dans l’architecture. Ce type d’expression a rapidement acquis une explication figurative comme technique étant employée dans les diverses sphères de l’activité. « Kanôn » ici est l’équivalent de la forme parfaite, la norme, par conséquent le but à rechercher, le critère infaillible (« kritèrion ») par lequel les choses doivent être mesurées. Le grec cherche l’idéal, ce qui est parfait, libre et harmonieux. C’est sa mesure qui détermine son assentiment. Ce qui correspond au « kanôn » qu’il a fixé atteint la plus haute mesure de la perfection souhaitée. Dans le monde grec, le concept reste en rapport avec la beauté esthétique et éthique. La loi qui fixe les règles est un « kanôn » et des idées spécifiques exprimées sont des « kanonés ». Épicure aurait rédigé un ouvrage, actuellement perdu, portant le titre de « Péri kritèriou è kanôn ».
Il appartiendrait à la philosophie de trouver une base, un « kanôn » par lequel on connaîtrait le vrai et le faux, ce qui est digne d’être recherché et ce qui devra être évité. Le « kanôn » établit la règle qui rend la connaissance vraie distincte d’une simple apparence. De tels critères seraient donnés aux hommes par la nature, mais ils doivent s’étendre et s’appliquer jusqu’à la réflexion philosophique. Les canons sont des règles fondamentales pour le bon usage de la libre volonté. Le mot s’emploie encore pour établir la liste ou la table mathématique, de même qu’en astronomie ou en science historique (« chronikai »); ici, les « kanonés » sont des tables des dates qui fixent les événements historiques. À Alexandrie, les grammairiens appelaient « kanonés » les collections d’œuvres littéraires servant de modèles. Selon Pline, on appelait « canon de Polyclète » les règles et proportions employées par ce sculpteur. Épictète qualifiait de « modèle », « kanôn », la vie d’un homme remarquable par la rectitude de ses mœurs.
On peut conclure ainsi qu’à partir de la pensée grecque déjà le « kanôn » désigne la mesure, la règle, le modèle et, par dérivation, la chose mesurée ou conforme à la règle.
2. L’usage du terme dans le Nouveau Testament←⤒🔗
Saint Paul se sert du terme, quoique rarement. Il ne songe jamais à sa signification originale. Chez lui, le terme a le double sens d’une norme d’action, le standard ou la mesure d’après laquelle il faut juger l’action d’autrui (Ga 6.16). Ce passage offre non seulement le résumé de l’épître, mais encore de toute la doctrine de l’authentique comportement chrétien. La rédemption par la croix détache le croyant du monde et de ses critères d’après lesquels il menait antérieurement son existence afin de le placer dans une réalité entièrement nouvelle. Le chrétien ne connaît qu’un seul « kanôn ». Aux yeux de la foi, les concepts du vieux monde sont caducs, toute la vie est désormais déterminée par la nouvelle réalité de la liberté accordée par le Christ. « Kanôn » dénote presque le terrain sur lequel on peut reconnaître celui qui est devenu chrétien. Bien que ce soit un passage difficile, le terme apparaît aussi dans 2 Corinthiens 10.13-16 à propos du champ de travail que Dieu a assigné à l’apôtre (voir aussi Ph 3.6 dans les manuscrits K et L). Certains estiment que le texte de la seconde aux Corinthiens désigne davantage une orientation, la « charis » accordée, qu’une délimitation géographique.
3. L’histoire du terme dans le christianisme primitif←⤒🔗
Au cours de l’histoire du christianisme, le terme sera employé pour dénoter ce qui est ecclésiastiquement normatif. La raison en est que des disputes avaient surgi au sujet de ce qui était véritablement chrétien. L’Église primitive a constamment cherché à ériger des normes pour définir et préserver son enseignement ainsi que le culte qu’elle devait rendre. Il lui fallait un mot qui put dénoter ce qui est valable pour l’exercice de sa foi et la pratique ecclésiastique. Les termes grecs de « kanôn » et « kanonikos » sont passés en usage dans le latin. Pour l’Église romaine, ces termes revêtaient une signification décisive.
Les Pères grecs ont parlé du « canon de la tradition » (« kanôn tès paradoséos », Clément de Rome), de la règle de la foi (« o kanôn tès pistéos »), de la « règle de la vérité » (« o kanôn alèthéias »), Irénée, Clément d’Alexandrie.
Les Latins parlèrent de la « règle de la foi » (« regula fidei ») ou de la « règle de la vérité » (« regula veritatis »). Dans ce cas, il s’agissait de l’enseignement de l’Église, de l’enseignement des apôtres transmis à l’Église, ou de l’Écriture.
Déjà chez Clément d’Alexandrie et chez Origène, il est question du « canon de l’Église » ou du « canon ecclésiastique » pour parler de la discipline. Au 4e siècle, les décisions ecclésiastiques seront appelées « canons » (Concile d’Antioche 341).
« Kanôn » a aussi le sens de « catalogue », « d’index ». Les « kanonès chronikoi » d’Eusèbe sont des tables chronologiques.
Chez Clément de Rome, il signifie la glorieuse et majestueuse règle de la tradition par laquelle l’on doit mener son existence. Nous avons ici une connotation morale.
Durant les trois premiers siècles de l’Église, le « kanôn tès alèthéias » désignera la vérité qui lie ce qui a été proclamé par l’Église et prit une forme concrète dans la prédication. Chez Irénée, on trouve l’expression : « E upo tès ecclèsias kurettoménè alèthéia, to tès alèthéias sèmateton, ou kanôn tès alèthéias ». Aussi proche est : « kanôn tès pistéos », ou « regula fidei ». Le « kanôn tès ecclèsias » inclut les deux autres. Le canon ecclésiastique inclut la confession baptismale. Toute la somme de la doctrine chrétienne chez Clément et la bonne exécution des actions ecclésiastiques sont placées sous ce vocable. Naturellement, le contenu de la règle fut accepté comme canon biblique. Clément décrit comme canon de l’Église l’harmonie (« sumphonia ») entre la loi et les prophètes d’une part et l’alliance instituée par l’incarnation du Seigneur d’autre part.
Ainsi, canoniser c’est reconnaître, faire partie, de la norme. On peut dire que, pour l’Église du 4e siècle, le canon désigne ce qui pour nous actuellement est divin, sacré, infaillible inconditionnellement normatif. C’est à partir du milieu de ce siècle que le terme désigne la collection des textes saints de l’Ancien Testament, reçus par la synagogue, et le Nouveau Testament ayant déjà pris une forme essentielle à partir de la fin du 2e siècle.
4. La question du canon biblique←⤒🔗
Selon Gabriel Millon, « si Dieu a inspiré les Écritures pour son peuple, les lui donnant et les lui confiant, une question se pose : quels sont les livres que le peuple de Dieu détient comme ayant été reçus de Dieu et donc comme inspirés? » C’est le problème du canon des Écritures, c’est-à-dire de la possession légitime des Écritures par Israël puis par l’Église.
Lorsque Dieu fait écrire pour son peuple, le Livre est, du même coup, la possession du peuple. Mais cette possession peut être une possession de droit ou une possession de fait; ces deux moments de la possession peuvent être séparés. Il se peut que telle partie du peuple de Dieu ait ignoré son droit de possession sur tel livre inspiré. La lettre aux Romains a été la possession de l’Église de Rome avant même qu’elle fût connue de l’Église de Corinthe. On peut donc se demander comment tout le peuple de Dieu et chacune de ses parties sont entrés en possession de fait de toutes les Écritures. Lorsqu’on étudie le problème du canon biblique, c’est la réalité du processus de cette prise de possession qui est considérée.
Nous ferons quelques remarques :
a. L’ignorance au sujet du canon, dans laquelle peut se trouver telle ou telle partie de l’Église, n’entame pas la canonicité des livres.
b. Les ignorances ou les hésitations sur ce point ne font pas que ceux qui ignorent ou hésitent soient étrangers au peuple de Dieu.
c. Le peuple de Dieu (ou telle de ses parties) peut établir la liste des livres qu’il reconnaît comme ayant été confiés par Dieu; mais en faisant cela, il constate la canonicité de ces livres, il ne la crée pas.
d. Ces livres valent ce que vaut la certitude de ceux qui les ont lues. Nous devons éprouver toutes choses, même ces listes.
e. La certitude relative au canon doit être spirituelle; elle ne s’établit pas de la même façon pour l’Ancien Testament et pour le Nouveau.
Le problème de la certitude en cette matière mérite notre attention. Elle ne repose pas sur une déclaration des Écritures elles-mêmes. Celles-ci ne nous font pas connaître la liste des livres saints. Elle ne repose pas non plus sur un discernement subjectif entre livre inspiré et livre non inspiré. Ce procédé est impraticable et n’a jamais été pratiqué. Elle repose sur différents témoignages et porte non pas sur le Livre seul, mais sur le Livre en tant que possédé par le peuple de Dieu. Le Livre n’a pas d’existence propre en dehors des mains du peuple de Dieu, et il n’y a pas de peuple de Dieu authentique sans son Livre. Le couple « Livre-peuple de Dieu » forme une unité dont nous percevons spirituellement la valeur soit dans son unité interne, soit dans sa relation à Dieu, soit dans ses œuvres et donc dans sa relation au plan de Dieu.
Notre certitude est spirituelle. Elle est individuelle et collective. Elle suppose une grâce, une aide de l’Esprit; cette aide n’est pas une révélation, mais elle permet de discerner spirituellement la valeur du couple Écriture-peuple de Dieu. Elle suppose évidemment chez le chrétien la capacité de discernement. Enfin, ce discernement est direct s’il porte sur les éléments du couple Écriture-peuple de Dieu et sur leurs relations mutuelles; il est indirect s’il porte d’abord sur l’Église et ensuite sur son dépôt. Il ne faut pas confondre cette certitude spirituelle avec les opinions qu’on peut essayer de fonder sur des arguments historiques.