Cet article a pour sujet l'euthanasie qui est la destruction d'une personne créée à l'image de Dieu. La valeur de la vie ne dépend pas de son utilité, mais du fait c'est un don Dieu et qu'elle possède un droit inhérent, digne d'être vécue devant lui.

Source: L'obéissance de la foi. 4 pages.

L'euthanasie

Avant même d’aborder la question de l’euthanasie proprement dite, introduisons le sujet par quelques considérations générales sur la vie naturelle.

La vie naturelle n’est pas informe. Le naturel est sa forme inhérente. Une vie qui se détacherait de cette forme pour s’affirmer librement se détruirait elle-même jusqu’aux racines. Une vie qui se pose elle-même en absolu, comme un but en soi, est néant et abîme. Elle est un mouvement sans fin, sans autre but que le néant. Elle ne connaît de repos qu’elle n’ait entraîné toutes choses dans ce mouvement destructeur. Le vitalisme existe dans la vie individuelle comme dans la vie sociale. On le crée en posant en absolu l’idée que la vie n’existe pas en vue d’un certain dessein, mais qu’elle est un but en soi. Or, laissée à elle-même, elle ne pourrait que s’anéantir.

Alors que le vitalisme détruit la vie en en faisant un but absolu, la vie soumise à un but peut, elle aussi, aboutir au même échec lorsqu’elle est « la mécanisation de la vie », où l’on ne voit l’individu que sous l’angle de son utilité pour la communauté. Le collectif devient un dieu à qui on sacrifie la vie individuelle et sociale dans ou par une mécanisation totale. De cette manière, on éteint la vie.

Or, Dieu désire la vie et lui donne une forme qui lui permet d’être. Le vitalisme et le mécanisme sont l’un et l’autre des formes d’expression du désespoir qu’éprouvent face à la vie naturelle ceux qui sont las de la vie ou encore inadaptés et hostiles à elle. Alors qu’à partir de Jésus-Christ on conçoit la vie en soi comme une réalité créée et la vie engagée comme une participation au royaume de Dieu. À cause du Christ et de sa venue, la vie naturelle doit être vécue selon des droits et avec des devoirs précis. À la racine de la vie reçue, il y a la gratitude qui se manifeste respectueusement et qui oriente celle-là vers le service du Dieu Créateur.

La vie que nous recevons sans y être pour rien porte en elle-même le droit à la conservation. Ce n’est pas un droit que nous aurions ravi ou acquis, mais qui est réellement né avec nous. Il repose sur l’existence même. Selon la volonté de Dieu, la vie humaine sur la terre doit être préservée.

La vie corporelle, comme la vie tout court, est destinée à servir un dessein plutôt qu’à être un but en soi. La conception idéaliste voit dans le corps la prison de l’âme immortelle, laquelle, à l’instant de la mort, quitte le corps pour toujours. La doctrine chrétienne revêt le corps d’une dignité plus grande en affirmant que l’homme, être corporel, le restera pour l’éternité.

La vie du corps a donc droit aux joies corporelles, mais les plaisirs du corps ne devraient pas dépasser un minimum convenable.

« Il n’y a de bon pour l’homme que de manger et de boire, et de voir pour lui-même le bon côté de sa peine; mais j’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu » (Ec 2.24).
« J’ai reconnu qu’il n’y a rien de bon pour lui sinon de se réjouir et de faire ce qui est bon pendant sa vie » (Ec 3.12).
« Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin; car Dieu a déjà agréé tes œuvres. Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs, et que l’huile ne manque pas sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de la vaine existence que Dieu t’a donnés sous le soleil, pendant tous tes jours de vanité; car c’est ta part dans la vie au milieu de la peine que tu te donnes sous le soleil » (Ec 9.7-9).
« Jeune homme, réjouis-toi pendant ton adolescence, que ton cœur te rende heureux pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux; mais sache que pour tout cela Dieu te fera venir en jugement » (Ec 11.9).

L’habitat des hommes, contrairement à celui des animaux, n’est pas destiné uniquement à servir de refuge contre le danger et à protéger des intempéries ou encore à élever des petits. Il est encore l’endroit où l’homme peut goûter les joies d’une vie personnelle, entouré des siens et dans la jouissance de ce qui lui appartient en propre. Les vêtements ne doivent pas seulement couvrir le corps, mais en être aussi l’ornement. Le délassement ne doit pas servir uniquement à obtenir un rendement plus grand, mais à accorder au corps le repos et la joie qui lui sont dus.

Porter sciemment atteinte à la vie corporelle d’une personne équivaut non seulement à détruire ses droits essentiels et à causer par là sa mort civique, mais encore à la destruction de la vie naturelle. Le premier droit à la vie consiste à préserver la vie corporelle d’un homicide arbitraire. Ce terme s’impose lorsque des vies innocentes sont anéanties intentionnellement. Tuer l’ennemi à la guerre n’est pas un acte arbitraire. Tuer un criminel qui a porté atteinte à une autre vie n’est pas un acte arbitraire. En revanche, il serait arbitraire de tuer des prisonniers ou des blessés sans défense ne pouvant plus porter atteinte à la vie d’autrui. Tuer un homme par passion ou en vue d’un profit quelconque est un acte arbitraire. De manière générale, est arbitraire tout acte visant à détruire consciemment une vie innocente.

Les égards qu’on doit à un malade incurable, à la gravité de son mal, exigent-ils l’achèvement intentionnel de sa vie par un homicide bienveillant, ce qu’on appelle l’euthanasie? Il va de soi que l’accord, ou plutôt le désir, du malade sont indispensables lorsqu’on envisage cette solution extrême. Si le malade n’exprime ou ne peut exprimer formellement ce désir, dans le cas d’un handicap profond par exemple, ou s’il exprime de façon non équivoque son désir de vivre, on ne peut plus invoquer honnêtement les égards qu’on lui doit. Qui est capable de mesurer à quel point le malade mental incurable tient à la vie malgré sa condition et quelle est l’intensité du sentiment de bonheur qu’il parvient à tirer de son existence misérable? Bien des signes nous indiquent que l’attitude de ces malades devant la vie est particulièrement affirmative. Par contre, lorsqu’un malade gravement dépressif demande qu’on mette un terme à ses jours, peut-on fermer les yeux devant le fait qu’il s’agit du désir d’un homme qui n’est pas maître de lui-même?

Supposons qu’un malade incurable consente en toute lucidité à ce qu’on abrège sa vie, et même qu’il le désire. Un tel désir est-il contraignant pour appliquer l’euthanasie? Le problème de la destruction d’une vie étrangère devient celui de la possibilité d’admettre la destruction de ma propre vie dans le cas d’une maladie désespérée. S’il est vrai qu’on ne peut pas dans chaque cas user de tous les moyens pour retarder la mort, il y a une différence décisive entre cette attitude et l’euthanasie active.

L’euthanasie part de la fausse idée que la vie consiste en sa valeur de rendement social. On oublie que la vie créée et maintenue par Dieu possède un droit qui lui est inhérent et qui est totalement indépendant de sa valeur de rapport. Le droit à la vie ne doit pas être subordonné à sa valeur apparente, car il est un don accordé par Dieu. La vie la plus misérable est digne d’être vécue devant lui, car il en est le Créateur, le Préservateur et le Rédempteur. Si ce n’est en Dieu, où serait le critère de la valeur dernière d’une vie?

Il est certes indéniable que les maladies graves, incurables et héréditaires, comportent des dangers et constituent un problème sérieux pour la communauté. La question est de savoir si l’on ne peut parer à ces dangers que par l’élimination de ces malades. On doit répondre négativement à cette question. Du point de vue de la prophylaxie, leur internement doit être un moyen suffisant. Du point de vue économique, l’entretien de ces malades ne portera pas un préjudice sérieux au niveau de vie d’un peuple, car les dépenses d’un pays pour ses malades n’atteignent jamais le niveau de celles pour des biens de consommation superflus!

Enfin, la maladie incurable et héréditaire doit être considérée comme une attaque contre l’existence de la communauté au même titre que, par exemple, l’attaque de l’ennemi à la guerre. Une double différence est à observer ici : d’une part, on peut se préserver de cette attaque par d’autres moyens que par la destruction de la vie; d’autre part, il s’agit, dans le cas des malades héréditaires, de vies innocentes. La question de savoir si la vie d’un handicapé mental est une vie humaine doit avoir une réponse affirmative. Oui, elle l’est, puisque ce sont des personnes humaines qui l’ont engendrée.

La possibilité de détruire une vie innocente et malade en faveur des bien portants est la tentative surhumaine de vouloir libérer à tout prix la société d’une situation ressentie comme injuste et absurde; de mener un combat contre la destinée, contre l’essence même d’un monde déchu sans tenir compte de la rédemption. On veut créer une humanité bien portante par des moyens rationnels. On tient la santé pour la valeur suprême, à laquelle toutes les autres valeurs doivent être sacrifiées.

Voici cependant de quelle manière l’Écriture sainte résume notre position : « Tu ne feras pas mourir l’innocent et le juste » (Ex 23.7).