L'implication pastorale des doctrines (1) - Définir la notion de doctrine
L'implication pastorale des doctrines (1) - Définir la notion de doctrine
- Introduction
-
La doctrine par rapport à l’Écriture
a. Le statut de l’Écriture
b. Le principe de l’analogie de la foi -
La doctrine en rapport avec la foi
a. La personne de Jésus et son enseignement
b. La posture post-moderne -
La doctrine en rapport avec la vie chrétienne
a. La dimension biblique d’intelligence
b. La notion biblique de justice - En conclusion
1. Introduction⤒🔗
Au 15e siècle aux Pays-Bas, les « Frères de la vie commune »1 recommandaient de ne jamais étudier la Bible si ce n’était pour la mettre en pratique. À leur école, Thomas A. Kempis, au premier chapitre de sa fameuse Imitation de Jésus-Christ, écrit : « Il vaut mieux plaire au Saint-Esprit que d’en connaître la définition. » Cette phrase remarquable se situe, chacun le voit, dans la ligne de ce que dit l’Écriture : « Ceux qui disent : Seigneur! Seigneur! n’entreront pas tous dans le Royaume de Dieu, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux », dit Jésus (Mt 7.21; voir Jc 1.22; 2.14).
Avec Luther, au 16e siècle, la théologie va sortir des couvents et des universités pour gagner les Églises au cœur de la cité. En même temps, l’autorité du Magistère romain est remplacée par celle de l’Écriture sainte. En découvrant dans l’Écriture que la justification est liée à la foi seule et que cette foi est nourrie par l’écoute de la Parole de Dieu, Luther s’affranchit du dualisme du dogme et des œuvres et met en lumière les fruits qui découlent de la foi. Ainsi, Luther peut-il écrire : « La vraie théologie est pratique et son fondement est le Christ. »
En soulignant l’importance des ministères de la Parole, Calvin aurait pu exposer de nouveau l’Église au risque du clivage entre la théorie et de la pratique. Reconnaissons que ce risque n’est jamais bien loin. Cependant, Calvin a placé à un niveau élevé l’exigence de la dimension pastorale. De fait, l’Institution de la religion chrétienne elle-même n’est pas un ouvrage de pure théologie : on y voit à chaque page, comme dans ses commentaires de la Bible d’ailleurs, ce principe qui en fait toute la force : les doctrines ne sont jamais sans application pastorale; l’application pastorale n’est jamais sans les doctrines.
Calvin présente trois signes pour reconnaître la véritable Église : l’Écriture y est prêchée fidèlement, les sacrements y sont administrés droitement et une saine discipline pastorale y est pratiquée2. Il est sans doute le réformateur qui a le plus développé la dimension pastorale du ministère, partagée entre les pasteurs et les anciens, appuyée par le service des diacres au sein de l’Église locale.
Il est significatif également que le Synode de Dordrecht, en 1618, ait décidé d’introduire, en plus des cinq points précisant l’orthodoxie calviniste, la discipline de la théologie pratique dans les études de théologie. L’apport des auteurs puritains, dans la deuxième partie du 16e siècle, a été remarquable dans le domaine de l’accompagnement pastoral personnalisé3. Le constat du divorce entre le discours et la pratique a été à l’origine des mouvements de piété (avec notamment le recours aux groupes de maisons) et de pratiquement tous les réveils.
En même temps, le rationalisme du Siècle des Lumières (18e s.) donna naissance au libéralisme théologique qui, autour de la personne du théologien allemand Schleiermacher (1768-1834), s’éloigna de l’Écriture en tant que révélation pour privilégier le sentiment religieux, intuitif en son commencement, mais qui conduit, paradoxalement, à une approche de Dieu dans une démarche de type scientifique.
Cette prétention s’accompagne, durant le 20e siècle d’une invasion des sciences psychologiques et sociales qui s’observe encore aujourd’hui. La pratique prime, mais dans un rapport rompu avec la doctrine biblique. La préoccupation majeure sera moins d’enseigner que de se centrer sur l’individu dans « sa situation ». L’approche déductive (qui part de la théologie et va vers la pratique) est alors remplacée par l’approche inductive (c’est le terrain, la situation qui est considérée en premier, avec le recours constant à la contextualisation).
En commençant ce cours par un regard sur la nature de la révélation biblique, nous tenterons d’en tirer leçon pour trouver le rapport juste entre l’enseignement et la marche chrétienne, les doctrines et leurs implications pastorales.
2. La doctrine par rapport à l’Écriture←⤒🔗
Plusieurs le disent et il faut le reconnaître, la Bible ne se présente pas premièrement comme un livre de doctrines ou comme un ouvrage théologique où les enseignements seraient abordés les uns après les autres d’une manière systématique. Ce qui émerge principalement, ce sont des événements, des rencontres. La trame, c’est l’histoire d’un peuple particulier dans sa relation avec Dieu et avec les autres peuples.
Il y a bien sûr des promesses, des lois, des préceptes, mais le cadre est celui d’une alliance4 et l’enjeu est celui d’une marche vers un objectif déterminé, autrement dit celui d’une pédagogie5. En ce sens, on pourrait dire que la tonalité qui l’emporte est nettement pastorale, dans le sens premier du terme, celui du Psaume 23. Quelle place donner alors aux doctrines6? Celles-ci ne sont-elles pas tout humaines, seulement humaines comme on l’entend dire parfois7? Ne suffit-il pas de prier et de chanter des cantiques? Mais les premiers disciples ont aussi « persévéré dans l’enseignement des apôtres » (Ac 2.42). L’enseignement, en grec, se dit didaskalia.
a. Le statut de l’Écriture←↰⤒🔗
1) Le mot doctrine←↰⤒🔗
Le mot doctrine vient du latin doctrina qui signifie : instruction, enseignement, formation, éducation. Une définition du mot doctrine pourrait donner ceci : enseignement sur un sujet donné, dans une perspective pastorale. Cela exclut une compréhension purement intellectuelle, de type philosophique.
Il est assez évident que cette définition correspond aussi assez exactement à ce qui ressort de l’Écriture sainte prise dans son ensemble, notamment si notre regard est éclairé par l’apport du Nouveau Testament. La traduction L. Segond utilise 30 fois le mot « doctrine », et seulement dans le Nouveau Testament8.
Il est intéressant de noter que l’ensemble de ces utilisations, de même que les mots maître et docteur, est rattaché à une même racine : didaskô qui signifie enseigner. Je cite deux autres utilisations de ce mot :
« Après que Jésus eut achevé ces discours, la foule fut frappée de sa doctrine [didakê] » (Mt 7.28).
« Il faut que l’ancien […] soit attaché à la vraie parole telle qu’elle a été enseignée [didakê], afin d’être capable d’exhorter selon la saine doctrine [didaskalia] et de réfuter les contradicteurs » (Ti 1.9)9.
Il nous faut donc tenir ensemble ces deux constats : la Bible est principalement le récit de la marche d’un peuple avec son Dieu; elle est cependant profondément habitée par la nécessité d’un enseignement à transmettre10.
2) La notion hébraïque et la notion grecque d’enseignement←↰⤒🔗
La notion grecque est sans doute plus technique, faisant appel à la logique, au raisonnement. Cette dimension n’est pas absente de la pensée hébraïque (enseigner l’art de la guerre ou du chant). Dans la plupart des cas, il s’agit d’un enseignement qui se situe dans le cadre d’une éducation globale : celle que donne le père de famille à ses enfants, par exemple. Dans ce contexte, la volonté est davantage sollicitée que la raison, ainsi que la notion de devoir : celui de se souvenir et d’être fidèle en obéissant. L’expression « marcher dans les voies de… » exprime bien cela (Ex 18.20; Dt 4.1; 11.19; Esd 7.10; Ps 25.4; 51.15). Celui qui transmet l’enseignement doit être en mesure d’expliquer pourquoi il en est ainsi. « Lorsque vos enfants vous diront : Que signifie…? » (Ex 12.26; voir Pr 1.8; 6.20-23 qui associent instruction et enseignement). La personne est concernée dans sa totalité, ce qu’exprime cette parole du livre des Proverbes : « Mon fils, donne-moi ton cœur » (Pr 23.26).
Le ministère de Jésus fait également apparaître une différence entre enseigner et prêcher. Employés ensemble, ces deux verbes sont proches sans être synonymes (Mt 11.1; Ac 4.2; 5.42; 15.35; 28.31; 1 Tm 5.17) :
- Enseigner (en grec, didaskô qui a donné didaskalia, doctrine), c’est transmettre un savoir normatif ayant un caractère permanent. Le fondement de l’enseignement est l’Écriture (Dt 4.14; 6.1; Esd 7.10; Ps 78.5). Assez rapidement, l’enseignement s’appuiera aussi sur le ministère de Jésus (Mt 28.20) et sur celui des apôtres (1 Co 4.17; Ép 2.20; Col 2.7; 2 Th 2.15; 1 Tm 6.2).
- Prêcher (en grec, kêrussô qui a donné kêrygma, message) met l’accent sur l’annonce d’un événement ou d’une parole biblique donnée, avec les conséquences qui en découlent maintenant.
On aurait tort d’opposer ces deux modes de transmission, mais aussi de les confondre11. Dans les deux cas, le souci de l’application pratique est présent, mais il est prédominant dans la prédication, tandis que l’enseignement s’attache principalement (mais pas exclusivement) aux principes permanents. Doit-on comprendre que toute prédication devrait comprendre une dimension d’enseignement? Je répondrais nettement oui.
Jésus enseignait et prêchait (Mt 11.1). La première période missionnaire privilégie sans doute la prédication (l’annonce), mais l’enseignement (la doctrine) devient aussitôt nécessaire pour ceux qui ont entendu et accepté le message (Ac 2.42; 18.25). Cela vaut pour la parole publique, mais aussi pour la transmission privée, notamment dans les maisons (Ac 5.42; 20.20).
3) Jésus enseignant←↰⤒🔗
Il est évident que, dans la forme, l’enseignement de Jésus ne diffère pas de celui des maîtres de son temps, et il n’est pas étonnant qu’il soit appelé rabbi, maître ou docteur (didaskalos, Jn 3.2). Comme eux, il enseigne dans les synagogues, comme eux, il a des disciples; comme eux, il cite et commente les Écritures. La différence est que, commentant les Écritures, il parle aussi de lui-même (Lc 24.27, 32; Jn 5.39, 45-47). Cela soulève la question importante du rapport entre l’enseignement et la personne de Jésus12. Cela indique clairement qu’entre l’enseignement et sa véritable compréhension, entre l’enseignement et sa véritable mise en pratique, se trouve la personne de Jésus.
Cela apparaît avec force lors de la conversion de Saul de Tarse. Pas d’enseignement ici, mais une rencontre! De même avec les disciples d’Emmaüs. Cela exclut-il l’enseignement? Certes pas : Jésus leur a expliqué « dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24.27, 32). Paul, de même, commence à prêcher aussitôt après sa conversion (Ac 9.20-22), « démontrant que Jésus est le Christ » (Ac 9.22)13. Il parle donc d’une expérience et d’une personne, mais il démontre que cela est conforme à ce qui est écrit. Au chapitre 2 du livre des Actes, l’apôtre Pierre, homme sans instruction, avait agit de même : il ne s’est pas contenté de raconter un événement, une expérience; il a cité les Écritures, les mettant en lien avec ce qui venait de se passer, et a adressé une forte interpellation à ses auditeurs. Parmi ceux-ci se sont trouvés trois mille nouveaux disciples (Ac 2.40-42) qui persévéraient dans l’enseignement (didakê) des apôtres.
4) Il est écrit!←↰⤒🔗
C’est ce qu’oppose Jésus au diable qui veut le tenter : Gégraptaï! Il est écrit! Autrement dit, Jésus appuie son autorité sur une autre autorité, celle de la Parole écrite de Dieu. Après sa résurrection, il « ouvre l’esprit de ses disciples afin qu’ils comprennent les Écritures » (Lc 24.44-45). Après la Pentecôte même, alors que l’Esprit est répandu pour l’équipement des disciples, ceux-ci doivent être enseignés comme nous venons de le rappeler, et c’est par l’Écriture qu’ils vérifient si ce qu’on leur dit est exact (Ac 17.11) ou qu’ils attestent que Jésus est le Christ (Ac 18.28).
Aux anciens d’Éphèse, Paul déclare qu’il leur a « annoncé tout le conseil de Dieu sans en rien cacher » (Ac 20.27), ce qui se réfère nécessairement à la révélation écrite dans son ensemble14. À Agrippa, il dira ne pouvoir « s’écarter en rien de ce que les prophètes et Moïse ont déclaré devoir arriver » (Ac 26.22). À Rome enfin, Paul annonce aux principaux des Juifs « le Royaume de Dieu, en rendant témoignage et en cherchant, par la loi de Moïse et par les prophètes, à les persuader de ce qui concerne Jésus » (Ac 28.23; voir Lc 16.29-31; Ac 26.22). Paul dira que la foi des disciples repose sur le fondement « des apôtres et des prophètes » (Ép 2.20) ce qui, là encore, témoigne de l’unité fondamentale de l’Écriture comme texte de l’alliance de Dieu.
Cette dernière référence est intéressante en ce qu’elle rappelle que l’objet de la foi est bien la personne de Jésus, que le témoignage personnel a bien sa place, mais que ni l’un ni l’autre ne peuvent se passer du fondement que constitue l’Écriture sainte15.
b. Le principe de l’analogie de la foi←↰⤒🔗
Que l’Écriture ait le statut de Parole écrite de Dieu, cela est une conviction acquise parmi nous. Mais comment passer de l’Écriture à la doctrine et même à la « règle de doctrine » (Rm 6.17), à la « bonne doctrine » (1 Tm 4.6), à la « saine doctrine » (1 Tm 1.10; 2 Tm 4.3; Tt 1.9; 2.1), à la « doctrine qui est selon la piété » (1 Tm 6.3), à la « doctrine qu’il faut honorer » (Tt 2.10)? Paul dit même qu’il convient de « ne pas blasphémer le nom de Dieu et la doctrine » (1 Tm 6.1), ce qui confère à cette dernière un grand honneur!
Quelques règles d’interprétations doivent être rappelées succinctement, relativement au statut de l’Écriture et autour du principe de l’analogie de la foi dont parle Paul (Rm 12.6) dans un contexte tout à fait pratique : « Que celui qui a le don de prophétie l’exerce selon l’analogie de la foi. »
Que signifie cette formule?
- Elle signifie que l’Écriture, avec ses différentes parties, constitue un tout indivisible au sein duquel on ne peut trier ou choisir16.
- Elle signifie que l’Écriture a un sens en elle-même qui ne dépend de rien à l’extérieur d’elle-même17.
- Elle signifie que la Bible doit être lue et interprétée avec le même Esprit qui l’a inspirée (2 Pi 1.20-21).
- Elle signifie que si la Bible présente des textes en apparence paradoxaux, elle ne contient pour autant aucune contradiction, et qu’il convient de garder chacun de ces textes et de trouver la bonne manière de les articuler, de les appliquer18.
- Elle signifie que les passages plus difficiles (2 Pi 3.16) doivent être interprétés à la lumière des passages plus clairs, et non l’inverse.
- Elle signifie que l’Écriture trouve son centre et son aboutissement dans la personne de Jésus-Christ (Lc 24.27; Jn 5.39; Ac 10.43; Rm 3.21; Ép 2.20; 1 Pi 1.10-11). « Le Christ tout entier dans l’Écriture tout entière », cette formule résume la pensée de Luther sur cette question.
- Elle signifie que les textes les plus récents éclairent les textes les plus anciens, même si ces derniers sont, eux aussi, porteurs d’éclairages précieux.
- Elle signifie que certains passages apparaissent comme revêtus d’un poids particulier, par la manière ou l’insistance avec laquelle ils sont présentés. Ces passages, une fois repérés, constituent des clés ou des colonnes de première importance au sein de la révélation écrite, ce que Calvin exprime ainsi : « Toutes les doctrines sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes. »
Ces principes d’interprétation revêtent une grande importance pour notre sujet. Ils démontrent que le texte biblique, les doctrines et une certaine construction théologique constituent un « cercle dynamique » nécessaire pour tout enseignant19.
Je propose maintenant cette définition : Une doctrine est un enseignement donné sur un sujet donné, dans une perspective pastorale. Il peut y avoir des doctrines secondaires et des doctrines principales. De même, il y a de saines doctrines et des doctrines erronées. L’expression au singulier « saine doctrine » désigne un enseignement conforme à celui du Seigneur, dans le contexte de l’Écriture tout entière.
3. La doctrine en rapport avec la foi←⤒🔗
a. La personne de Jésus et son enseignement←↰⤒🔗
Nous avons déjà dit que la foi est principalement liée à une rencontre avec le Seigneur Jésus-Christ. Songeons à la conversion du brigand repenti sur la croix, ou à celle de Saul de Tarse : ce n’est pas un message qui les a touchés, c’est la personne même de Jésus. Osons le dire : ce n’est pas la doctrine qui sauve (en tout cas dans le sens fort de ce mot « sauver »), c’est le Seigneur Jésus. Beaucoup de chrétiens authentiques peuvent errer sur diverses doctrines. Cela est regrettable pour ce qui est de leur maturité, de leur témoignage et de l’édification de l’Église, mais cela ne met pas nécessairement en question leur appartenance au Seigneur. Est-ce à dire que la question de la doctrine importe peu? On ne peut le dire, car pour certains, cela les aura conduits à « croire en vain », selon ce qu’écrit Paul (1 Co 15.1-3)20.
Nous ne pouvons oublier que la foi n’est pas qu’un élan du cœur : elle est aussi la réponse à une parole de Dieu entendue et reçue, on devrait dire à la Parole, comme l’écrit explicitement Paul : « La foi vient de la parole qu’on écoute et cette parole est celle qui annonce le Christ » (Rm 10.17)21. Cela apparaît par exemple quand Jésus explique ce qui le concerne aux disciples d’Emmaüs. « Notre cœur ne brûlait-il pas en chemin pendant qu’il nous expliquait les Écritures? » (Lc 24.32; voir Jn 5.40).
Il découle de cela et de nombreux autres passages qu’on ne peut absolument pas dissocier le Christ et la Parole, le fait de « demeurer en Christ » et de « garder sa parole » ou ses commandements (Jn 15.10; 1 Jn 3.22). Est-ce là une affirmation primaire, pénalisante, légaliste? C’est au contraire une démonstration de la nouvelle naissance, comme le dit Jean dans sa première lettre (1 Jn 3.24; 1 Jn 5.3-4)22.
b. La posture post-moderne←↰⤒🔗
Il nous faut dire ici un mot de la posture libérale, humaniste ou post-moderne qui peut se révéler séductrice pour plusieurs. Au risque de la caricaturer, j’en formule ici trois principes :
- Tout ce que je peux dire sur Dieu, c’est un homme qui le dit. Dieu demeure le Tout Autre.
- La Parole de Dieu, c’est le Christ. L’Écriture est un témoignage humain rendu au Christ.
- La foi est avant tout une démarche subjective, une quête. Elle n’a pas besoin des doctrines; pas même de certitudes, diront certains.
- Cette posture accorde à la raison une part importante, puisque le principe même d’une révélation verbale venant de Dieu est remis en question. Pour cette même raison, cette posture s’accommode aussi d’un certain mysticisme qui tente de faire équilibre. Les théologiens qui appartiennent à cette mouvance s’efforcent d’adopter une démarche de type « scientifique », appliquant à l’étude de l’Écriture les mêmes méthodes et les mêmes outils que ceux qui sont utilisés dans le milieu universitaire profane. Ces outils sont principalement ceux de l’anthropologie, de la philosophie, de la sociologie, de la psychanalyse. Ces outils mettent le texte « à distance », une distance tellement grande parfois qu’elle ouvre à des libertés quasi vertigineuses23.
L’accent est mis sur l’homme (c’est la seule donnée qui soit réellement sûre) et plus spécialement sur l’individu dans sa singularité : ce qui est vrai pour moi ne l’est pas nécessairement pour un autre. Le maître mot est celui de liberté, avec ses corollaires modernes : sincérité, respect, émancipation, non-jugement… Dans ce contexte, on voit revenir la pratique ancienne de la lectio divina qui consiste à dire non pas : Qu’est-ce que le texte dit? mais : Qu’est-ce que le texte me dit?
Que penser de cela? Dans toute posture, il y a une part de vérité et nous serons bien inspirés de ne pas dénigrer systématiquement ce qui nous paraît nouveau ou étonnant. Nous nous garderons aussi d’être naïfs et d’accueillir une démarche pour le simple fait qu’elle paraît nouvelle, positive, libératrice ou en accord avec l’esprit du temps.
Par exemple, il est certain que la question : Qu’est-ce que la Bible me dit? (qui se préoccupe moins de la doctrine que de l’interpellation personnelle) a du sens. Que sert-il d’étudier la Bible et même d’en comprendre le sens exact si je ne sais pas me l’appliquer personnellement? La parabole de la poutre et de la paille ne fait-elle pas de l’application personnelle une urgence absolue? Ce point a évidemment une grande importance pour l’objet de ce cours : L’implication pastorale des doctrines.
Il est assez évident que la posture humaniste nourrit une sorte d’évangile des mots positifs (où fleuriront les mots amour, tendresse, liberté…) qui rappelle étrangement ce qu’écrit l’apôtre Paul :
« Il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine; mais ayant la démangeaison d’entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs, détourneront l’oreille de la vérité et se tourneront vers des fables » (2 Tm 4.3-4).
Pour Sébastien Castellion24, « la saine doctrine est ce qui rend les hommes sains. Et qu’est-ce qu’un homme sain? C’est un homme doué de charité, d’une foi non feinte, d’une conscience pure. Il n’y a rien de doctrinal dans cette définition de la saine doctrine ». Cette définition est séduisante, ce qui ne signifie pas qu’elle soit exacte. Qu’observons-nous aujourd’hui? Les partisans de cette philosophie se déclarent favorables à la bénédiction des couples homosexuels, sous le prétexte que la chose n’est pas expressément interdite dans la Bible, ou que, si elle était interdite, cela devrait être situé dans un contexte culturel qui n’est plus le nôtre. Enfin, il y a l’argument de l’amour : s’ils s’aiment, qu’y a-t-il à redire?
Ainsi, on a supprimé l’importance des doctrines pour se situer sur le terrain de l’éthique. Mais que devient l’éthique quand il n’y a plus de doctrine, quand il n’y a plus que des opinions? Le professeur Henri Blocher écrit, au sujet des positions modernistes :
« La plupart de leurs objections se nourrissent d’oppositions que la Bible ignore. Je lance un défi : cherchez bien et voyez si jamais la Bible sépare la vie et la doctrine; ou la personne de Jésus et son enseignement, ou encore la parole et sa formulation. […] Ces attitudes falsifient la lecture de la Bible.25 »
Que devient alors la notion d’enseignement? Que devient la notion d’exactitude (Ac 17.11; 1 Co 15.1ss)? Pourquoi est-il écrit que les enseignants seront jugés plus sévèrement (Jc 3.1)?
4. La doctrine en rapport avec la vie chrétienne←⤒🔗
a. La dimension biblique d’intelligence←↰⤒🔗
Il me semble intéressant de nous pencher un instant sur la notion biblique d’intelligence, relativement différente de ce que nous entendons généralement avec ce mot. Cette notion n’exclut pas le savoir étendu, comme on le voit avec Salomon.
« Dieu donna à Salomon de la sagesse, une très grande intelligence, et des connaissances multipliées comme le sable qui est au bord de la mer. […] Il a prononcé trois mille sentences et composé mille et un cantiques. Il a parlé sur les arbres, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui sort de la muraille; il a aussi parlé sur les animaux, sur les oiseaux, sur les reptiles et sur les poissons » (1 R 4.29,32-33; voir Ac 26.24).
Nous remarquons ici que l’intelligence se trouve associée à la sagesse qui comprend la manière d’utiliser le savoir. Nous nous souvenons que la sagesse n’est pas sans référence à Dieu par qui tout doit être ordonné (dans les deux sens de ce terme). Nous nous souvenons que Salomon avait demandé à Dieu la sagesse, ce qui le rendait capable de « juger le peuple », c’est-à-dire de prononcer des paroles justes dans les situations difficiles qu’on lui présentait (1 R 3.16-28; 2 Ch 1.11), ce qui est le propre de la fonction pastorale (1 Co 2.15; 6.2-3).
Cela nous renvoie naturellement aux ordonnances de Dieu.
« Voici, dit Moïse, je vous ai enseigné des lois et des ordonnances, comme l’Éternel mon Dieu me l’a commandé, afin que vous les mettiez en pratique. […] Vous les observerez et vous les mettrez en pratique; car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples qui entendront parler de toutes ces lois et qui diront : Cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent! » (Dt 4.5-6; voir Ps 119.97-104).
S’agit-il seulement d’apprendre et d’obéir? Non, et les libéraux ont raison d’évoquer la conscience de chacun. Encore faut-il que cette conscience ne soit pas livrée à elle-même, mais qu’elle soit rendue sensible, qu’elle soit éclairée, qu’elle soit soumise. Dans la perspective biblique, l’idée d’autonomie n’existe pas. Tout revient à cette question : à qui (ou à quoi) suis-je soumis26? Ainsi, l’aptitude à distinguer ce qui est bien de ce qui est mal et le choix de conformer sa voie à la volonté de Dieu sont très étroitement liés. « Les hommes livrés au mal ne comprennent pas ce qui est juste. Ceux qui cherchent l’Éternel comprennent tout » (Pr 28.5). Selon Paul, c’est l’offrande totale de notre vie à Dieu qui rend possible le renouvellement de l’intelligence (Rm 12.2). Cela se traduit par le « oui » de la foi pas après pas27.
C’est pourquoi l’apôtre Pierre rappellera que les pasteurs doivent se consacrer à la prière et au ministère de la Parole (Ac 6.4). Pourquoi pas « au ministère de la Parole » seulement? Parce qu’il n’y a pas d’intelligence sans une dépendance assumée vis-à-vis de Dieu, ce qui est le principal de la prière (1 Jn 5.14). « Un aveugle peut-il conduire un aveugle? Ne tomberont-ils pas tous deux dans une fosse? », demande Jésus (Lc 6.39), qui a loué son Père de ce que les secrets de son Royaume demeurent « cachés aux sages et aux intelligents, et qu’ils soient révélés aux enfants » (Lc 10.21; voir Mt 16.17). Cela vient de Dieu.
La caractéristique de l’enfant est qu’il écoute et obéit (Ép 6.1). C’est aussi ce qui caractérise le disciple, qui, s’il est aguerri, « devient comme son maître » (Lc 6.40)28. Il est évident que ceci est une condition pour exercer un ministère. Il est évident que cela nécessite une connaissance (écouter, apprendre, garder) et une manière de vivre qui soit conforme.
C’est là le double caractère objectif et subjectif de la foi : l’attitude de cœur et la conformité à la Parole de Dieu. La nécessité de cette conformité est exprimée, par exemple, dans l’expression « obéir à la foi » (Ac 6.7; Rm 1.5) où le mot « foi » ne désigne pas seulement la confiance placée, mais aussi l’objet de cette confiance! On retrouve ce sens du mot « foi » dans l’expression du livre de Jude : « La foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes » (Jude 1.3). Croire de toutes ses forces quelque chose de faux, est-ce la foi? Certainement pas. « Autrement, vous auriez cru en vain! », dit Paul aux Corinthiens (1 Co 15.2)29.
Nous avons dit que c’était là une condition pour l’exercice du ministère. Cela est confirmé par ce que dit Paul à Timothée : « Tu as suivi de près mon enseignement, ma conduite, mes résolutions, ma foi… » (2 Tm 3.10). Le mot « foi », ici aussi, désigne le contenu de l’enseignement autant que la manière de marcher et de vivre conformément à cet enseignement. C’est ce que Paul exprime également avec l’expression : « garder le bon dépôt » (2 Tm 1.11-14)30.
b. La notion biblique de justice←↰⤒🔗
La notion biblique de justice est relativement proche de celle d’intelligence. Le juste est celui qui fait ce qui est juste, à commencer par reconnaître qu’il n’est pas juste31! Le juste n’est pas celui qui obéit par contrainte, mais celui qui obéit de cœur. « C’est une joie pour le juste de pratiquer la justice » (Pr 21.15; voir Ps 119.72). Le juste, ce n’est pas celui qui se recommande lui-même, mais celui que Dieu recommande (Mt 25.23), non parce qu’il est meilleur, mais parce qu’il s’est accordé avec Dieu et continue de le faire. La justice, c’est la volonté de Dieu, simplement, ce qui apparaît dans cette parole de Jésus : « Chercher premièrement le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6.33) qui formule autrement le début du Notre Père : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite » (Mt 6.10).
La notion de justice, plus encore que celles de sagesse ou d’intelligence, nous parle de conformité, d’exactitude. Les mots justesse et précision ne sont pas loin. Cela a une grande importance pour la manière de comprendre et de formuler la volonté de Dieu, pour la manière de l’appliquer. Ne nous contentons pas d’interprétations hâtives, hasardeuses, non vérifiées32… Dans cet exercice qui est au cœur de la tâche pastorale, la connaissance est nécessaire, mais aussi le discernement, la mesure, la bienveillance, l’esprit de service, comme le dit Pierre (1 Pi 5.1-4). Tel est le bon usage des doctrines. En réalité, la notion de doctrine comprend l’enseignement, la manière conforme de le transmettre et la marche conforme à cet enseignement. Ainsi, elle sous-tend, dans tous les domaines de la vie, l’instruction, l’exhortation, la répréhension, la consolation.
Ainsi, le mot « justice », qui sonne facilement à nos oreilles comme une menace, devient porteur d’applications personnelles, de soins appropriés, de pédagogie patiente33.
Dans ce sens, la doctrine est porteuse de l’ensemble des ministères de la Parole : celui de la proclamation, de l’enseignement, mais aussi le ministère prophétique qui semble bien proche de la préoccupation pastorale. L’enseignement transmet la Parole pour tous et en tout temps, le ministère prophétique applique cette même Parole ici et maintenant.
Dans ce sens, les doctrines sont pérennes : elles ne varient pas, le conseil de Dieu étant immuable (ni changement ni ombre de variation, Ps 33.11). Dans ce sens aussi certaines doctrines (et certains ministères) sont susceptibles de se trouver en tension les unes vis-à-vis des autres34, et une doctrine juste peut s’avérer négative si elle est énoncée de manière exagérée, unilatérale ou hors de propos.
Nous avons maints exemples de cela dans l’Écriture. Après avoir indiqué que « la grâce surabonde » (Rm 5.17), Paul corrige la compréhension erronée que certains pourraient faire de cette annonce et rappelle que cela ne constitue nullement une autorisation pour vivre dans le péché (Rm 6.1-2). On peut parler ici de deux doctrines qui s’équilibrent, ou d’une doctrine porteuse de deux versants qui doivent être maintenus ensemble ou être appliqués en fonction des besoins ou des dérives constatées.
Redisons-le : la notion biblique de justice nous montre l’importance des doctrines, mais aussi l’importance du bon usage des doctrines. On peut faire un usage injuste d’une doctrine, y compris d’une doctrine juste! Beaucoup de réveils dans l’histoire de l’Église se sont développés avec la remise en valeur d’une doctrine oubliée ou négligée. Mais souvent cette doctrine oubliée est devenue la doctrine centrale d’un nouveau système qui, à son tour, a fini par se scléroser. Nous pouvons tous avoir des exemples à l’esprit, avec les conséquences néfastes qui s’en sont suivies35.
5. En conclusion←⤒🔗
La nature de l’Écriture sainte rend possible l’élaboration de doctrines, c’est-à-dire d’un enseignement systématique sur un certain nombre de sujets36. Il importe de se rappeler que ces enseignements doivent toujours servir l’Écriture et non se servir d’elle. Même s’ils sont justes et légitimes, ils ne sont pas inspirés et encore moins infaillibles au même titre que l’Écriture. Souvent, ces enseignements ont été formulés dans des contextes donnés, notamment pour lutter contre des déviances. Cela est nécessaire (1 Co 10.6).
Cependant, le fait de se situer en réaction à un comportement déviant ou à une hérésie peut conduire à accentuer de manière exagérée ou unilatérale la présentation d’une vérité. Or, une exagération n’est pas la bonne manière de corriger une erreur! Trop à droite ne vaut pas mieux que trop à gauche. Trop n’est pas préférable à trop peu… « Ne sois pas juste à l’excès; ne te montre pas trop sage. Pourquoi te détruirais-tu? » (Ec 7.16). Trop n’est jamais bien!
Cela signifie-t-il que la modération est toujours de mise? En un sens, oui. Elle va avec la tempérance et la maîtrise de soi qui sont des manifestations du fruit de l’Esprit (Ga 5.22; voir 2 Tm 2.24-26). Cela signifie-t-il qu’on ne peut jamais prendre parti ou parler fermement? Non, bien sûr. Il est parfois nécessaire d’affirmer ou de corriger avec une forte conviction (Mt 16.23; Ga 2.11). Mais sans aller plus loin que ce qui est juste, au risque sinon d’occasionner des dégâts en voulant faire du bien. Jean le dit ainsi : « Quiconque va plus loin et ne demeure pas dans la doctrine de Christ n’a point Dieu; celui qui demeure dans cette doctrine a le Père et le Fils » (2 Jn 1.9)37.
Ainsi, chacun devra veiller à l’usage qu’il fait des doctrines :
- Suis-je amené à toujours rappeler la même ou les mêmes doctrines? C’est parfois nécessaire dans une période ou un lieu donné, mais cela expose à un déséquilibre.
- Est-ce que cela reflète ma pensée, mes craintes, ou la pensée de Dieu?
- Ce que je dis est-il agréable à Dieu?
- La manière avec laquelle je le dis est-elle agréable à Dieu38?
- Suis-je conscient de l’excès qui peut exister dans l’usage de telle doctrine qui m’est chère? Toute doctrine a sa limite, en un sens, car aucune ne contient toute l’Écriture.
- Suis-je conscient de la doctrine complémentaire qui est susceptible de corriger cet excès?
Notes
1. Il s’agit d’un mouvement de piété qui a réuni des chrétiens aux Pays-Bas au 14e siècle. Il ne s’agissait pas d’un ordre monastique et chacun pouvait quitter la communauté quand il le désirait. Ces communautés sont à l’origine d’une spiritualité qui a marqué l’évolution du christianisme sous le nom de Devotio moderna. L’ouvrage emblématique de la Devotio moderna est la célèbre Imitation de Jésus-Christ, écrite par Thomas A. Kempis qui vécut parmi eux de 1496 à 1499. La conversion, le dépouillement, la prière et la mise en pratique dans la vie chrétienne en sont les axes principaux. Ces frères interdisaient que l’on étudie la Bible si ce n’était en vue de la mettre en pratique. Érasme, mais aussi Martin Luther ont été influencés par ce mouvement de piété.
2. J. Calvin, Institution chrétienne, IV.I.9.
3. Voir Richard Baxter, The Reformed Pastor, 1656. En français, Le pasteur réformé. Paris, 1841.
4. Voir l’article de Pierre Courthial L’Écriture comme traité d’alliance.
5. Pédagogie vient du grec païdagôgia qui désignait la démarche de l’esclave qui accompagne l’enfant.
6. La lectio divina, par exemple, met complètement de côté la dimension doctrinale de la foi pour ne garder que la question suivante : Qu’est-ce que le texte me dit? Voir plus bas, la présentation du post-modernisme.
7. Le texte biblique a été écrit dans des contextes différents du nôtre. Deux erreurs sont à éviter. La première consiste à ne pas tenir compte de cela et à mettre sur un même plan l’enseignement contenu dans le texte et sa dimension culturelle. On fait alors dire trop au texte. La deuxième erreur consiste à évacuer l’enseignement avec la dimension culturelle, en ne donnant au texte qu’une dimension symbolique et en faisant de notre propre culture le critère d’interprétation du texte. La première erreur est celle du littéralisme qui ne tient pas compte du style littéraire ni de l’intention de l’auteur, accordant une valeur universelle à ce qui ne concerne qu’un contexte donné. La seconde erreur est celle de la lecture symbolique qui interprète la Bible comme si elle n’était composée que de paraboles et qui réduit le sens à retenir à une infime partie de ce qui est dit.
8. La traduction Darby l’utilise 4 fois dans l’Ancien Testament, en Dt 32.2; Jb 11.4; Pr 4.2; És 29.24 où la traduction Segond utilise les mots instructions, enseignement, ou l’expression manière de voir.
9. On peut rapprocher ce verset de 1 Tm 5.17 qui parle des anciens « qui se consacrent à la prédication et à l’enseignement ».
10. On peut lire à ce sujet Gn 18.18-19; Dt 6.6-7; Ps 78.5-8. Avec le début du Décalogue en référence, ce qu’il y a à enseigner en premier est ce que Dieu a accompli pour le peuple; puis, comment le peuple, objet d’une telle grâce et de telles promesses, doit vivre et marcher avec son Dieu. Cela correspond au cadre d’une alliance. Mais est-ce là un enseignement à proprement parler?
11. De même, on doit distinguer enseigner (qui suppose une position d’autorité) et instruire, édifier ou exhorter (qui ne la supposent pas de la même manière, voir 1 Co 14.3-4). Cela est important, entre autres pour ce qui est du ministère des femmes (1 Tm 2.12). Dans ce sens, la prophétie (possible par une femme) est soumise à l’enseignement (1 Co 14.29-33) qui est réservé aux hommes.
12. Ce point est abordé un peu plus loin, avec l’approche du post-modernisme.
13. Le verbe sumbibadzô comprend la dimension d’un raisonnement qui rassemble des arguments de manière cohérente.
14. Noter que Paul dit avoir parlé « publiquement et dans les maisons », ce qui suppose des enseignements généraux, identiques pour tous, et des enseignements particuliers, spécifiques à chacun (Ac 5.42; 20.20-31).
15. Le verbe « connaître » (Jn 17.3) implique une connaissance intime portée par une persuasion (une démonstration) intérieure. Dans ce sens, Calvin écrit : « La connaissance de Dieu est une vive expérience. » Mais il suffit de se pencher sur le Ps 119 pour constater que le rapport avec la Parole écrite de Dieu rend possible une expérience similaire. Dans ce Psaume, le nom de Jésus pourrait pratiquement remplacer toutes les mentions de l’Écriture-Parole de Dieu.
16. « L’hérétique, c’est celui-là qui, dans la Parole, choisit si peu que ce soit la vérité conforme à ses circonstances et à celles de son époque, à son esprit, à son tempérament. » Jean Cadier, Le Matin vient.
17. Dans son chapitre premier, la Confession de foi réformée baptiste (1689) dit que la règle infaillible pour l’interprétation de l’Écriture, c’est l’Écriture elle-même. Par conséquent, quand se pose une question au sujet du sens véritable et plein d’un passage de l’Écriture (sens qui est un et non multiple), la réponse doit être décidée sur la base d’autres passages qui parlent plus clairement de ce sujet.
18. On peut penser au verbe « juger » qui, selon le contexte, a une acception négative (Mt 6.7) ou positive (1 Co 6.2-3).
19. Le théologien (libéral) Rudolf Bultmann parle d’un « cercle herméneutique » qui relie les présupposés, le texte biblique et les doctrines.
20. Le salut est une réalité d’une importance considérable, mais en un sens, le salut n’est pas le but principal : il est un moyen en vue d’un but principal qui est le service pour le Seigneur. Ainsi, la question du salut, aussi importante soit-elle, n’est pas la seule question qui doit occuper notre pensée. Celle de la maturité et du témoignage est également extrêmement importante.
21. Nous ne pouvons pas oublier le Prologue de l’Évangile de Jean où le Messie est présenté comme la Parole même de Dieu. « À ceux qui l’ont reçue [cette Parole appelée la lumière, c’est- à-dire ce qui révèle et ce qui est révélé], elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jn 1.12).
22. Il est intéressant de remarquer que l’on peut aisément mettre la personne de Jésus-Christ à la place de la loi de Dieu, de ses commandements, de ses préceptes, dans des textes comme le Psaume 1 ou le Psaume 119. Cela démontre qu’il n’est pas nécessaire d’attendre le Nouveau Testament pour découvrir la dimension de la foi, la notion de justice qui fait vivre, la présence vivante et vivifiante du Seigneur Jésus.
23. Dans Le prix de la grâce, Dietrich Bonhoeffer a dit ceci à propos de la discipline en matière de doctrine : « La discipline de doctrine est différente de la discipline ecclésiastique dans la mesure où celle-ci découle d’une bonne doctrine, c’est-à-dire de l’usage correct des clés, alors que celle-là [la discipline de doctrine] s’exerce contre un mauvais usage de la doctrine. Une mauvaise doctrine corrompt la source de la vie de l’Église et de la discipline ecclésiastique. C’est pour cela que le péché contre la doctrine pèse plus lourd que celui contre la conduite. Quiconque vole l’Évangile à l’Église mérite une condamnation illimitée, alors que pour celui qui pèche dans sa vie, l’Évangile est là. La discipline de la doctrine s’applique, en premier lieu, à ceux qui ont été chargés du ministère d’enseignement dans l’Église. La présupposition de tout ceci est que, au moment où la charge est conférée, la garantie existe que celui qui la reçoit soit didastikos, “apte à l’enseignement” (1 Tm 3.2; 2 Tm 2.24; Ti 1.9), “capable d’enseigner aussi à d’autres” (2 Tm 2.2). La discipline de doctrine commence donc dès avant l’appel au ministère d’enseignement. La vie et la mort des Églises dépendent donc ici d’une conscience poussée jusqu’au scrupule. »
24. Figure de théologien libéral contemporain de Jean Calvin.
25. Henri Blocher, Les fondements de la confession de foi.
26. « ... car chacun est esclave de ce qui a triomphé de lui » (2 Pi 2.19).
27. « C’est en lui qu’est le oui; c’est pourquoi l’Amen par lui est prononcé par nous à la gloire de Dieu » (2 Co 1.20).
28. Il est remarquable que Jésus, Paul et Jean associent comme ils le font les notions de disciple et d’enfant (Mt 10.42; Mc 2.5; 1 Tm 1.2; 2 Tm 2.1; 1 Jn 2.1, 12, 18).
29. Quand Paul écrit que « l’amour croit tout » (1 Co 13.7), il faut entendre : tout ce qui est vrai, comme l’indique le verset 6.
30. Dans ce passage, la conformité à la révélation écrite est un fruit de l’action de l’Esprit Saint (2 Tm 1.14). C’est dans ce sens que l’on doit comprendre l’expression : « Son onction vous enseigne » (1 Jn 2.20, 27).
31. « Dieu déclare juste celui qui se déclare pécheur! », dit Martin Luther pour résumer le cœur de l’Évangile (Pr 3.7).
32. Comment, par exemple, appliquer correctement le deuxième commandement du « sommaire de la loi » si on ne comprend pas correctement le sens du mot « prochain »?
33. C’est ainsi — mais nous abordons là le thème du prochain chapitre — que se développe l’action pastorale autour du verbe corriger qui, lui aussi, peut être entendu de manière négative ou positive. « Ta houlette et ton bâton me rassurent », dit le Psaume 23. Corriger, c’est aider celui qui dévie. C’est une des vocations propres de l’Écriture, selon Paul : « L’Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice… » (2 Tm 3.16). C’est aussi le travail pastoral proprement dit. Pas seulement enseigner, mais appliquer l’enseignement de manière appropriée.
34. Par exemple celle qui affirme la souveraineté de Dieu et celle qui affirme la responsabilité de l’homme, ou celle de la foi sans les œuvres (Rm 4.5) et celle de la foi démontrée par les œuvres (Jc 2.14).
35. Cela fait apparaître le risque inhérent aux dénominations, quelles qu’elles soient, qui rassemblent des chrétiens ayant les mêmes convictions, mais aussi les mêmes faiblesses, les mêmes défauts qui, ainsi, risquent de ne pas être corrigés. Les dénominations sont en partie légitimes, mais elles devraient garder leur caractère secondaire et ne jamais borner notre horizon.
36. En fait, sur un très grand nombre de thèmes qui n’ont pas tous la même importance.
37. Le verbe « demeurer » montre tout à la fois l’importance de la fermeté et de la mesure. L’expression « trop loin » montre le risque d’un excès qui reflète alors la pensée de l’homme (même animée de bonnes intentions) et pas celle de Dieu (Mt 16.22-23; Ga 1.14). Le « trop » ne sert jamais la cause de Dieu.
38. Ga 2.10.