Cet article sur Luc 22.47-52 a pour sujet l'arrestation de Jésus et le miracle de guérison de l'oreille de Malchus. Cet esclave du sacrificateur Caïphe a trouvé la compassion et la libération auprès du vrai Sacrificateur.

Source: Celui qui devait venir. 5 pages.

Luc 22 - L'arrestation de Jésus

« Comme il parlait encore, voici qu’une foule arriva, et celui qui s’appelait Judas, l’un des douze, marchait devant elle. Il s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Jésus lui dit : Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme! Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, dirent : Seigneur, frapperons-nous de l’épée? Et l’un d’eux frappa le serviteur du souverain sacrificateur et lui emporta l’oreille droite. Mais Jésus prit la parole et dit : Tenez-vous en là! Puis il toucha l’oreille de cet homme et le guérit. Jésus dit ensuite aux principaux sacrificateurs, aux chefs des gardes du temple et aux anciens, qui étaient venus contre lui : Vous êtes venus, comme après un brigand, avec des épées et des bâtons. »

Luc 22.47-52

C’est l’heure des ténèbres. Le Christ est la lumière du monde, que les ténèbres veulent éteindre. Mais elles ne pourront la voiler que pour peu de temps. Car les ténèbres ne dureront pas longtemps, prophétisait déjà Ésaïe, le prophète. À travers le récit de ces sombres heures éclate la gloire du Christ rayonnant, malgré le voile d’ignominie dont les hommes la recouvrent et la sereine majesté avec laquelle il livre sa vie. Le Fils bien-aimé, maintenant que l’heure est venue, va glorifier son Père par sa parfaite obéissance; ayant accompli son œuvre, il s’apprête à retrouver dans le ciel la gloire qu’il avait auparavant.

Cette souveraineté de Jésus apparaît dans la manière dont il conduit les événements. Il a décidé du lieu où il sera arrêté et du moment de son arrestation, alors qu’il a renvoyé Judas de la chambre haute en lui disant : « Ce que tu fais, fais-le vite » (Jn 13.27). La maîtrise de Jésus sur les événements et les hommes éclate plus fortement encore au moment où les soldats vont s’emparer de lui. Il y a là une foule d’agents du temple, de serviteurs du grand-prêtre, renforcés d’un important détachement de la garnison romaine avec le tribun lui-même à sa tête. Une troupe, la vermine aux gages du Sanhédrin, grouille et ronge autour du Temple; les plus bas parasites de la société…

« J’étais tous les jours avec vous dans le temple et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais c’est ici votre heure et le pouvoir des ténèbres » (Lc 22.53). Tout ce monde, religieux ou incrédule, est soumis au prince des ténèbres et rejette la lumière du monde. Ils s’approchent à la lueur des torches et dans un bruit d’armes. Alors Jésus s’avance à leur rencontre, les interpelle et déclare son identité. Qui est ce Jésus de Nazareth? Un obscur paysan en révolte, un agitateur politique, un illuminé fanatique, un prophète peut-être? Voilà certainement ce que pensent ceux qui viennent l’arrêter. Et soudain retentissent, avec une suprême majesté, les mots que le Fils de Dieu peut seul prononcer : « C’est moi », plus littéralement : « Moi, je suis ». Cette affirmation court à travers l’Évangile comme un fil de lumière : « Moi, je suis la Lumière du monde, je suis le Pain de vie, je suis le bon Berger, la Vérité, le Cep, la Vie, la Résurrection, je suis le Maître et le Seigneur… »

Dans la nuit de Gethsémani, qu’essaie en vain d’éclairer la lumière fuligineuse des torches, cette parole sonne comme un chant de triomphe : Oui, je suis Jésus de Nazareth, je suis la lumière du monde. Devant cette clarté qui émane mystérieusement de lui, devant la force étrange qui se manifeste ainsi par ce royal « ego eimi », « c’est moi », par deux fois les hommes reculent et tombent à terre.

Saint Luc nous rapporte un incident qui fera l’objet principal de notre méditation sur cette partie du récit de la passion. L’un des serviteurs du souverain sacrificateur, nommé Malchus, a l’oreille arrachée par un geste impétueux de l’impulsif Pierre, et aussitôt Jésus accorde la guérison, comme le dernier miracle de son ministère public encore libre.

Malchus est un serviteur du souverain sacrificateur. Moins que valet, il est sans doute un esclave non affranchi. Pour lui, l’année de Jubilé, cette année liturgique qui devrait voir la libération de tous les esclaves, n’a pas sonné durant sa servitude auprès du chef religieux du peuple élu. Ce n’est que lors de sa rencontre avec le Libérateur venu délier toutes les chaînes de l’oppression qu’il célébrera l’année de Jubilé véritable et définitive. L’esclavage, tout esclavage, aussi bien spirituel ou moral que physique et matériel, est incompatible avec le règne de justice du Roi d’amour. Dans ce domaine royal, il existe une parfaite liberté, les ténèbres ne couvrent pas définitivement l’étendue de son territoire. Le Christ est venu accomplir la promesse prononcée jadis, pour chasser l’ombre de ce qui était prédit et le rendre vrai. Il le fera au prix de sa passion, de sa mort sacrificielle sur la croix. En cet instant, il en offre une nouvelle preuve en guérissant l’oreille blessée de Malchus, esclave du prestigieux chef religieux juif, l’archiprêtre Caïphe.

Venu avec la foule pour l’arrêter, Malchus se serait attendu à une résistance violente; mais il s’est trompé. Car le Christ a déjà mené un combat d’une autre nature, à genoux; aussi est-il prêt à faire la paix avec celui, avec ceux, qui viennent l’arrêter. Il a manifesté sa majesté. Il ne se dérobe point. Il n’a rien à se reprocher; il n’est point torturé par un sentiment quelconque de culpabilité. Il se déclare Fils de l’homme et son calme serein frappe la foule agressive et la vulgaire soldatesque. Malchus est témoin de cette scène qui dépasse son intelligence. Lui, il est habitué à des arrestations mouvementées, à des résistants violents qui préfèrent la mort sanglante à la reddition avilissante. Il a dû mener une existence rude d’esclave. Malchus vit une vie tragique.

Si Caïphe avait été un souverain sacrificateur digne de sa mission, s’il avait pu témoigner d’un élémentaire sentiment humain envers les membres du peuple dont en principe il est le berger, Malchus aurait connu un sort différent. Caïphe aurait dû servir son valet, lui faire voir la face miséricordieuse du Dieu de sa religion. Sa religion lui avait au moins théoriquement enseigné une morale humaine, prescrit un comportement juste, tracé les lignes d’une conduite marquée par la bonté envers tout malheureux et envers chaque démuni. En sa qualité de prêtre, il aurait dû savoir l’attitude à adopter vis-à-vis d’un esclave. Mais Caïphe n’est pas de ceux qui ont des scrupules d’âme; il ne vibre pas de cordes humaines sensibles sous son phylactère. Serait-il pire que d’autres qui l’ont précédé dans la même charge, plus cruel que ces hommes qui, tant qu’ils le peuvent, se comportent en loup pour l’homme?

Quoi qu’il en soit, hélas!, ses rapports avec ses esclaves sont de nature tragique. Caïphe est incapable de devenir dispensateur de lumière, d’annoncer l’année de Jubilé, de déclarer l’affranchissement auquel ceux rendus à la servilité soupirent si profondément. Dès lors, il n’est pas digne de sa mission et indigne même de préfigurer le grand et le vrai Prêtre qui tout à l’heure comparaîtra devant lui. Il est si près du Messie, mais tellement aveuglé qu’il ne le voit pas. Il fait accompagner la troupe par son esclave. Il le charge d’arrêter celui qui est venu déclarer l’affranchissement de tous les esclaves. Quelles ténèbres, en effet, non seulement dans le jardin de Gethsémani, mais dans le cœur du chef religieux juif! En réalité, lui aussi est esclave, asservi comme lui, servile même aux Romains, tout en s’étant enchaîné par les propres chaînes de son endurcissement. Ténèbres bien épaisses, mes amis. Caïphe et ses acolytes se protègent derrière le glaive du Romain, qui les maintient pourtant dans un esclavage totalement dégradant. Quelle ironie, que l’esclave du prêtre soit chargé d’arrêter le grand, le vrai Libérateur des hommes, le Prince de l’année de Jubilé.

Cependant, en cette nuit de ténèbres va jaillir sur Malchus, comme jadis sur les bergers de Bethléem, une grande lumière; il en sera presque aveuglé et aussitôt émancipé (la tradition soutient qu’il fut parmi les premiers convertis du Christ). Durant cette heure de ténèbres épaisses, il aura vu telle une grâce indicible, inattendue, la lumière éclatante, vraie, définitive, du Soleil de l’année de Jubilé, qui dissipera toute obscurité et mettra fin à l’oppression. Nuit étrange en effet que celle qui voit l’arrestation du grand Défenseur des pauvres et des humbles. Malchus participe donc déjà, au prix d’une blessure guérissable, au Royaume de paix qui va coûter la personne du divin Sauveur. Tandis que saigne sa blessure, il fait la connaissance personnelle du Prince de vie.

Il a suffi d’un geste emporté de Pierre, le disciple excité, qui lui arrache l’oreille, pour que le Christ intervienne dans sa malheureuse existence. « Remets ton épée au fourreau », dit-il à l’impatient Pierre (Jn 18.11). Car la justice divine ne s’obtient pas par une défense armée. Il importe que soit accomplie la justice divine, et celle-ci, sachons-le, unit toujours l’acte à la parole. Il n’a pas suffi de reprocher au disciple son geste violent; il a fallu qu’il répare la faute commise, qu’il guérisse la blessure. Dieu soit loué; à l’heure où est exigée la rétribution, le Fils de Dieu en personne en assume le paiement. Même s’il ne s’agit que d’un simple esclave, il fera ce geste, compensera la perte, guérira; il donnera la preuve de son divin pouvoir, accomplira un dernier miracle.

Ainsi, la lumière du véritable Jubilé inondera la personne de Malchus et, avec l’oreille guérie, c’est toute son âme d’être dégradé, d’esclave méprisé, qui recouvrera la liberté. Malchus l’esclave se trouvait placé entre deux grands-prêtres. Caïphe, officiellement reconnu comme tel; Jésus, lui, traité de bandit. Le premier refuse tout droit et toute dignité à son valet; le second, qui a renoncé aux siens et qui est maudit parmi les maudits, les accorde telle une offrande sacerdotale. Durant les longues années dédiées à son service avilissant, Caïphe n’a pas fait jaillir sur Malchus la moindre lueur. Mais il a suffi d’une brève rencontre avec le véritable et ultime Souverain Sacrificateur d’Israël, Jésus de Nazareth, pour qu’il soit baigné des rayons de la pure bonté céleste, pour devenir l’objet de la divine rédemption.

Jésus ne se dit pas : ce n’était qu’un vulgaire esclave; ce n’était qu’un bout d’oreille arrachée; il existe par le monde tant d’autres misères et de blessures béantes! Car à ses yeux les gens qu’il rencontre ne sont jamais insignifiants, méprisables. N’a-t-il pas accueilli les parias, réhabilité la prostituée? N’est-il pas devenu le compagnon des pécheurs et des exclus? Les femmes et les mendiants ont trouvé auprès de lui la bonté qu’on leur refusait partout. Les fils prodigues virent enfin la porte ouverte, les Samaritains entendirent la parole messianique, libératrice. Le Christ a simplement touché et il a guéri.

Quel que soit le type du miracle accompli, qu’il s’agisse de déplacer des montagnes ou de replacer une oreille arrachée, le miracle reste la manifestation du pouvoir d’amour et la preuve de la rédemption. À partir de maintenant, les hommes ne seront plus témoins des actes puissants du Christ jusqu’au moment où son Esprit se répandra à la Pentecôte. Cependant, ce dernier miracle représente la culmination de son ministère prophétique et celui d’enseignant. En présence d’un esclave, il s’est manifesté en tant que Roi souverain et conquérant; de nouveau, le miracle est le témoignage rendu à la révélation de la divine compassion. Ce n’est pas un prodige de magicien, mais un acte d’amour rédempteur que le Christ témoigne en cette heure des ténèbres. Les vrais miracles de nos quatre Évangiles ont comme objet la manifestation de la gloire divine et le salut de ceux qui en sont l’objet. Le miracle n’est jamais une fin en soi, mais un moyen.

Le Christ est le vrai Prêtre qui souffle à l’oreille de l’esclave : « Je suis celui qui te libérera des liens de chaînes que tu portes depuis si longtemps auprès de l’anti-prêtre. Écoute, Malchus, je suis le prêtre qui devint esclave afin que l’esclave puisse devenir membre de la nouvelle nation de sacrificateurs. » Même Dieu semble demander à Jésus : Libère-le définitivement, brise son joug injuste, laisse lui percevoir toute la véritable lumière messianique, qu’il découvre en toi son Souverain Sacrificateur.

Nous devrions courber nos têtes devant cet acte puissant. C’est le dernier de la majesté divine. Le miracle accompli sur Malchus annonce les temps nouveaux que nous attendons à notre tour. L’année du Jubilé, la fin de toute oppression, physique et morale, que ce soit sous la botte d’un tyran cruel et honni, que ce soit des chaînes qu’auront forgées nos propres vices. Le Christ a été toujours sublime et majestueux devant toutes les misères humaines. En ce moment, et pour nous aussi, qui sommes aliénés à des maîtres oppresseurs, il demeure notre puissant Sauveur, le suprême Libérateur. Le Maître est là qui nous sert. Et nous qui étions assis dans les ténèbres comme tout homme venant au monde, nous avons été, grâce à sa passion et ses propres chaînes, transportés en son admirable lumière.