Marc 2 - Le sabbat
Marc 2 - Le sabbat
« Puis il leur dit : le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat. »
Marc 2.27-28
C’est par cette conclusion que s’achève le long et passionnant débat que Jésus avait entamé avec ses adversaires, les pharisiens juifs. Il venait de traverser avec ses disciples — et ce, un jour de sabbat, jour de repos sacré — un champ de blé. Ses disciples étaient-ils plus affamés que dans d’autres occasions? Peut-être n’avaient-ils été accueillis par aucune amitié hospitalière et ils avaient jeûné depuis la veille… À moins que, par simple réflexe, ils n’eussent cueilli et mangé quelques épis.
Toujours est-il que les pharisiens, sans cesse aux aguets, observant le moindre geste du groupe des Galiléens et cherchant toujours l’occasion de les accuser, profitèrent une fois de plus de cette occasion inespérée pour entamer une nouvelle dispute envenimée avec le Maître et pour l’accuser, cette fois, de transgresser ouvertement le quatrième commandement, à leurs yeux le plus important de tous.
L’une des exigences les plus importantes de la piété juive était, en effet, l’observation rigoureuse du jour du sabbat, le jour de repos par excellence. Avec la circoncision, le sabbat constituait la plus claire caractéristique du judaïsme. Ce mot d’un ancien docteur de la loi donne la mesure de l’importance qu’on attachait au sabbat : « Si le peuple voulait, deux fois seulement, observer réellement le sabbat, le Royaume de Dieu viendrait. »
L’ancien commandement du repos durant le septième jour avait été compris comme une prescription cultuelle, mais il avait aussi des répercussions sociales et humanitaires. Par la suite, il était devenu, grâce à l’art des scribes, un monstrueux ramassis d’incompréhensibles contraintes. La brève phrase de la loi, qui interdisait de travailler le jour du sabbat pour le consacrer à l’Éternel, avait été développée et systématisée avec tant de raffinement qu’elle avait abouti à l’une des plus singulières aberrations de la pensée religieuse. Il y avait d’étranges prescriptions, comme par exemple quelle sorte de nœuds étaient permis ou défendus, combien de syllabes on pouvait écrire le jour de sabbat, le nombre de pas permis, les moments où l’on pouvait éteindre une lumière, etc.
« Le sabbat en était venu à peser sur l’âme du peuple comme une charge accablante. Il fallait une étude spéciale pour apprendre à en connaître toutes les règles. Ce jour-là, toute la vie de l’homme était rigoureusement livrée à une inexplicable volonté de Dieu. Tout ce sombre édifice était sans doute d’une inflexible grandeur, mais d’une grandeur perverse et pleine d’une subtilité sophistiquée. Il est arrivé ce qui se produit toujours quand l’homme ne comprend pas les ordres de Dieu auxquels il doit obéir. Il ne parvient pas à se soumettre aveuglément et il commence à discuter, à poser ses conditions. On marchande avec Dieu à propos de chaque prescription touchant le sabbat… L’homme considérait Dieu comme un commerçant avec lequel il établissait des contrats sur un pied d’égalité. Une attitude apparemment très pieuse était devenue totalement irréligieuse. L’homme cherchait à disposer de Dieu. On comprend que sur cette question les heurts entre Jésus et ses adversaires fussent devenus inévitables » (Günter Dehn).
La réponse de Jésus et la remarquable conclusion qu’il apporte révèlent le sens réel du sabbat. Dieu l’a désigné comme le temps de la joie, et son institution remonte à l’origine de la création. L’intention initiale de Dieu était claire : Ce devait être le jour de la commémoration et de la célébration de ses œuvres, le jour où il avait pris plaisir à les contempler parce que toutes celles-ci étaient bonnes et belles. L’homme, à son tour, devait prendre plaisir à un tel jour. Jour de bénédiction et de bonheur, il était aussi l’occasion privilégiée pour l’homme de consacrer cette journée entièrement à Dieu. Journée spéciale de culte; aussi, en démasquant et en dénonçant l’hypocrisie des pharisiens, Jésus affirmera que le sabbat a été fait pour l’homme.
Jésus, dans sa conclusion, ira plus loin encore. Il affirmera que le Fils de l’homme, c’est-à-dire lui en personne, est le Maître du sabbat. Il réclame cette journée pour lui. Car « tout a été créé par lui et pour lui », dira plus tard l’apôtre Paul (Col 1.16). Jésus avait sanctifié le sabbat en s’associant au culte des fidèles; outre le fait de l’avoir choisi comme le jour par excellence de culte et d’adoration, il l’avait également consacré à la pratique de la charité et de la compassion, pour démontrer la présence de Dieu et sa puissance libératrice dans l’existence des hommes miséreux et malades.
Quel type de journée devrait être le jour du repos? Dans l’incident évangélique, Jésus a prononcé le mot-clé : Il est, lui, le Maître du sabbat. Il a un droit de regard sur celui-ci. Le quatrième commandement nous rappelle qu’il faut le sanctifier, c’est-à-dire le mettre à part au service de Dieu, consacrer cette journée à une activité spéciale, distincte. Éviter les activités routinières ou les problèmes ordinaires. Éviter tout ce qui, en cette journée, pourrait obscurcir la présence du Seigneur. Le jour du repos est l’occasion de regarder en avant et de nous réjouir. Nous commençons une semaine non avec notre fatigue, mais déchargés de tous nos soucis et spirituellement renouvelés.
Le jour du repos est également et principalement celui de l’adoration. Jésus, ainsi que nous l’avions souligné, l’avait sanctifié en entrant selon son habitude dans la synagogue. Mais le sabbat de l’Ancien Testament, comme la Pâque, n’était que la préfiguration de l’œuvre du Christ. « Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles » (2 Co 5.17). La glorieuse espérance du peuple de Dieu est accomplie. Le Christ ressuscité reste parmi les siens, même après l’ascension, « jusqu’à la fin du monde » par son Saint-Esprit.
Lorsque l’Église a compris cela après la venue de l’Esprit, elle a commencé à se réunir pour célébrer le culte non plus le sabbat, mais le dimanche, « le premier jour de la semaine » (Jn 20.1,19; Ac 20.7; 1 Co 16.2), afin de témoigner que Jésus-Christ, après son incarnation, sa vie, sa mort et sa résurrection, nous a rendu le repos que nous avions perdu comme conséquence de la chute. Ceci nous avait été annoncé dans l’Ancien Testament à travers l’observance du sabbat « comme l’ombre des choses à venir ». Il a accompli à notre place les « œuvres de la loi » afin que nous puissions avoir accès au repos de Dieu dès ici et maintenant et pour l’éternité.
La grâce a remplacé la loi rituelle. Le dimanche devient le jour de la célébration des œuvres de Dieu et, avant tout, de l’œuvre de Dieu par excellence, le salut accompli en Christ qui est, en même temps, le Sabbat et la Pâque. Le repos nous est donné dès le « premier jour de la semaine », déjà avant que nous ayons pu accomplir aucune œuvre par nous-mêmes, comme signe du salut par pure grâce. Ce n’est que par la suite que nous serons en mesure d’accomplir les œuvres de reconnaissance que le Seigneur attend de nous.
On peut dire que ceux qui croient devoir garder à tout prix le sabbat au lieu du dimanche nient, en droit, le passage de l’Ancienne Alliance à la Nouvelle et, par là, la messianité du Christ en tant que l’accomplissement des promesses de l’Ancien Testament.
L’Église se réunit donc, dès le commencement, pour prier ensemble, persévérer dans l’enseignement des apôtres, rompre le pain (c’est-à-dire célébrer la sainte Cène) et vivre la communion fraternelle (Ac 2.42). Ce jour-là, l’Église devait aussi accomplir de manière tout à fait spéciale des œuvres de service chrétien et mettre en pratique la Parole écoutée. Jésus avait accompli des guérisons le jour du repos; il avait pardonné à des pécheurs; il avait secouru les malheureux.
Enfin, le jour du repos est le grand annonciateur du repos final que nous attendons. C’est durant cette journée, peut-être plus que durant les autres, que nous sommes conscients de la proximité de la venue du Seigneur. Il revient pour renouveler toutes choses, pour refaire un monde sans péché. L’épître aux Hébreux insiste particulièrement sur cette dimension éternelle du jour du repos (Hé 10.24-25)
Le jour du repos ne doit pas être un jour voué à la paresse ou aux plaisirs égocentriques, mais l’occasion exceptionnelle, la grâce qui nous a été accordée de nous consacrer, de nous offrir à nouveau à notre Dieu Sauveur, afin de marcher dans la lumière et d’obéir à notre sainte vocation pour témoigner de son amour auprès de notre prochain; le jour où, réunis dans nos foyers et dans l’Église, nous célébrerons ses grandes œuvres. Ainsi notre repos et notre bonheur seront parfaits. Ésaïe le prophète l’annonçait déjà en ces termes :
« Si tu retiens ton pied pendant le sabbat pour ne pas faire ce qui te plaît en mon saint jour, si tu qualifies le sabbat de délicieux, de jour saint de l’Éternel, de glorieux, et si tu le glorifies en ne suivant pas tes voies, en ne te livrant pas à ce qui te plaît, ni à de vains discours, alors tu feras de l’Éternel tes délices, et je te transporterai sur les hauteurs du pays, je te nourrirai de l’héritage de Jacob, ton père; car la bouche de l’Éternel a parlé » (És 58.13-14).