Matthieu 14 - Jésus marche sur les eaux - Appel au secours
Matthieu 14 - Jésus marche sur les eaux - Appel au secours
« Ensuite, il obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Après les avoir renvoyées, il monta sur la montagne pour prier à l’écart; et le soir venu, il était là seul. La barque était déjà à une distance de plusieurs stades de la terre, malmenée par les vagues; car le vent était contraire. À la quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur la mer. Quand les disciples le virent marcher sur la mer, ils furent troublés et dirent : C’est un fantôme! Et dans leur crainte, ils poussèrent des cris. Jésus leur dit aussitôt : Rassurez-vous, c’est moi, n’ayez pas peur! Pierre lui répondit : Si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur les eaux. Et il dit : Viens! Pierre sortit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais en voyant que le vent était fort, il eut peur, et, comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur sauve-moi! Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? Ils montèrent dans la barque, et le vent tomba. Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant Jésus et dirent : Tu es véritablement le Fils de Dieu. »
Matthieu 14.22-33
Voir aussi Marc 6.45-52 et Jean 6.16-21
Et c’est dans de telles circonstances que nous avons eu recours au suprême Soutien, lui faisant parvenir notre appel au secours; c’est dans de tels moments que nous avons imploré avec la plus grande intensité le Dieu de notre salut, Père de toutes les compassions. Il a pu nous sembler, pour un bref instant, qu’il ne nous entendait pas et que, s’il nous entendait, il ne daignait pas de nous répondre.
Malheureuse est l’âme qui, en de tels moments, ne saurait pas à qui adresser sa prière; en revanche, heureuse celle, celui qui, aussi insupportable que soit sa situation et extrême son dénuement, sait qu’une oreille attentive recueille sa plainte et qu’un bras s’étend pour l’arracher au péril.
Selon l’Écriture sainte, la Bible chrétienne, nos prières les plus courtes peuvent parfois être aussi les plus éloquentes. Tel fut l’appel au secours de Pierre, sombrant dans les flots et sur le point d’être emporté par les vagues en furie de la mer de Tibériade : « Seigneur, sauve-moi! » (Mt 14.30). Les circonstances dramatiques de ce récit sont décrites dans l’Évangile selon Matthieu (voir Mt 14.24-36)1.
À en juger d’après les apparences, Pierre s’enfonçant dans les flots méritait bien son sort; quelle raison avait-il pour entreprendre une telle aventure et pour justifier ensuite son appel au secours? Il y a quelques instants, il semblait être transporté avec ses compagnons dans un monde surnaturel, merveilleux. L’étrangeté de l’apparition de Jésus sur les eaux les laissait à mi-chemin entre l’effroi et l’incrédulité. Il est vrai qu’on ne peut franchir autrement que par la foi le seuil du mystère inaccessible que sont l’humanité et la divinité de Jésus, car le mystère du Royaume des cieux est manifesté et caché à la fois.
Pierre veut percer ce mystère, mais sa demande est-elle dictée par le doute ou par la foi? « Si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur les eaux » (Mt 14.28). Il exige une confirmation personnelle de la présence et de la puissance de Jésus. Aussi se jette-t-il par-dessus bord dans les flots agités de la mer. Est-ce par bravoure et par fanfaronnade qu’il se précipite dans le danger? Qu’avait-il à quitter l’abri de l’embarcation, même si celle-ci était devenue le jouet des vagues? Il y bénéficiait quand même d’une relative protection… Cependant, impétueux de nature, il s’adresse à la figure quasi fantomatique qui se tient devant eux, debout sur les eaux en cette nuit opaque, au milieu de la violence de la tempête. Et c’est à travers l’obscurité et les vagues déchaînées que lui est aussi adressée l’invitation : « Viens! » Pierre accourt comme lorsque sur terre le Maître lui avait lancé une autre invitation : « Suis-moi, je te ferai pêcheur d’hommes » (Mt 4.19). Dans un élan immédiat, impulsif, le téméraire disciple saute par-dessus bord pour rejoindre le Maître.
Quant à nous, nous sommes bien loin d’approuver cette imprudente impétuosité! À nos yeux, elle relève davantage d’une audace impertinente, voulant défier les lois de la nature, que de la foi. Cependant, je tiens à relever certains traits positifs dans ce geste qui ressemble à la bravoure gratuite. Il témoigne du sincère attachement de Pierre à son Maître, signale son amitié pour celui en faveur de qui il a tout laissé, profession et barques, famille et amis…
J’y insiste d’autant plus que, sans vouloir à tout prix chercher en ce geste de Pierre un modèle à imiter, je pense que nous autres chrétiens, la majorité d’entre nous en tout cas, nous ressemblons aux compagnons de Pierre, préférant l’abri plus ou moins confortable, même relatif, de la barque à la périlleuse aventure dans laquelle se lance leur ami. Peut-être ont-ils raisonné de la sorte : « Puisse cette tête brûlée de Pierre, toujours impulsif et même arrogant, apprendre une bonne leçon, qui ne lui fera pas de mal… »
La communion des saints peut se transformer parfois en la compagnie des bien-pensants et des tièdes, pragmatistes et calculateurs, qui, par prudence et petit bon sens terre à terre, ne risqueront rien, ne sacrifieront aucun de leurs conforts…
L’Église chrétienne, à l’heure actuelle, ne compte que trop de ces prétendus réalistes, les pieds rivés sur terre, toujours prêts au compromis, dédaignant l’aventure de la foi, reculant devant le prix à payer, méprisant ce qu’ils appelleront « des têtes brûlées », qui pourtant, malgré leurs imprudences, font quand même avancer la barque de l’Église…
Où sont les aventuriers d’antan, les imprudents ayant tout abandonné, tout sacrifié pour l’amour de l’Évangile? Ces pèlerins et ces saints martyrs, ces témoins et ces héros, aux yeux de qui tous les trésors du monde ne comptaient pas à côté de la perle unique du Royaume. Certains furent célèbres, d’autres restèrent anonymes, mais les uns comme les autres surent braver la tempête, voguer dans l’obscurité, s’engager sans compter, payer le prix sans calculer ni marchander; aussi firent-ils l’expérience de la main secourable du Maître; les autres — nous autres, devrais-je dire — si nous continuons à ronronner installés paresseusement dans nos meubles ecclésiastiques, rechignant à l’idée même d’être éclaboussés par l’eau, nous recroquevillant devant les besognes chrétiennes lorsque celles-ci dérangent nos habitudes ou notre confort, nous n’apprendrons jamais ce qu’est ni la grâce toute suffisante ni la fervente prière d’appel au secours. Pauvre Pierre, pensons-nous avec suffisance, pauvres chrétiens, rares, rarissimes, en réalité race en déperdition, qui osent encore se mouiller à l’aveuglette…
Or, ce sont précisément ceux-là qui méritent le titre de successeurs apostoliques de Pierre et de Paul, disciples à l’âme trempée dans le feu de l’épreuve, brûlés par un feu qui a laissé sur eux de profondes cicatrices, mais qui les a aussi purifiés et fortifiés, lorsqu’à travers les flots ou les flammes ils ont suivi leur Sauveur.
Représentons-nous un peu ce que Pierre a dû ressentir à cette occasion, sa panique lorsqu’il s’est trouvé s’enfonçant dans les eaux… Mais panique changée en gratitude et en émerveillement, dès que la main secourable du Christ l’a atteint. Car, lisons-nous : « Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit [et le tança quelque peu] et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? » (Mt 14.31).
Permettez-moi, en passant seulement, une remarque qui s’impose. Actuellement, dans certains milieux, on entend faire du doute la nécessaire condition de la foi… Car la foi serait au prix du doute! Il faut douter si l’on veut prouver l’authenticité de la foi, sans se rendre compte de l’incompatible nature entre les deux. Que le doute puisse nous assaillir, qui le nierait? Que la foi soit l’objectif principal à atteindre, sans s’arrêter à d’ineptes considérations au sujet de l’indispensable et incontournable doute, voilà qui est normal. Parfois, il m’arrive de penser que certaines facultés et certains séminaires aux théologies modernes doivent avoir une chaire consacrée à l’enseignement de la « doutologie ». Doutez, mes amis, c’est votre seule chance! Doutez, car c’est par le doute seul que vous serez justifié! Que Jésus-Christ ait reproché à son dévoué disciple son peu de foi, et qu’il blâme d’autres d’être incrédules ne vient nullement à l’esprit de nos doctes « doutologues », ceux dont la théologie porte un nom, celui de théologie négative.
Chez Pierre, comme chez d’innombrables disciples du Christ par la suite, il y eut doute, certes, désespoir aussi, mais suivis immédiatement d’une main secourable et de l’expérience du bonheur d’être secouru, la béatitude d’être pris en charge par le Rédempteur.
Lors d’une autre traversée dans l’orage, les disciples avaient réveillé le Christ, profondément endormi au fond de la barque. « Maître », lui dirent-ils, « ne te soucies-tu pas de ce que nous périssons? » (Mc 4.38). C’est une chose terrible que de penser au sujet du Christ Sauveur : « Ne te soucies-tu pas? »
Serions-nous différents d’eux? Nous sommes heureux lorsque la mer est lisse comme du cristal, quand les conditions atmosphériques permettent de naviguer tels d’heureux touristes à la suite de Jésus-Christ. Il fait bon d’entendre la voix du bon Berger seulement auprès des courants d’eaux paisibles et en parcourant de verts pâturages. Que vienne l’orage, physique, moral, spirituel, ecclésiastique, aussitôt le doute nous assaille et l’inquiétude nous ronge. « Pourquoi ne s’occupe-t-il pas de nous? Que fait-il donc, ce Sauveur qui se dit le bon Berger? » Tels sont nos murmures, telles sont nos plaintes… Le vieux psalmiste avait fait l’expérience d’un semblable désarroi :
« Ma voix s’élève à Dieu, et je crie. […] Au jour de ma détresse, je cherche le Seigneur. […] Mon âme refuse d’être consolée. Je me souviens de Dieu et je gémis; je réfléchis et mon esprit est abattu. Tu tiens mes paupières en éveil; je suis troublé, je ne parle pas. […] Le Seigneur rejettera-t-il pour l’éternité? Ne sera-t-il plus à nouveau favorable? Sa bienveillance est-elle à jamais épuisée? » (Ps 77.2-5, 8-9).
C’est aussi dans l’orage que sa voix se leva vers Dieu, s’élevant par-dessus les flots pour l’appeler au secours; et comme lorsque Pierre sur le point de sombrer implora le secours, le Seigneur entendit et répondit. « Pourquoi avez-vous peur? », avait-il dit aux douze en apaisant la tempête (Mt 8.26). « Pourquoi as-tu douté », reproche-t-il à Pierre (Mt 14.31). Le psalmiste reçut la réponse accordée à sa foi :
« Je méditerai sur toute ton action. Je réfléchirai sur tes hauts faits. Dieu! Ton chemin est dans la sainteté. Quel Dieu est grand comme Dieu? […] Ton chemin était dans la mer, ton sentier dans les grandes eaux » (Ps 77.13-14, 20).
Ainsi, le cri du désespoir a pu se transformer en hymne de délivrance.
Le personnage d’une parabole de Jésus, un publicain escroc, mais repentant, fit la même expérience. Sa brève prière contenait la même requête : « Ô Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis pécheur! » (Lc 18.13). Il était arrivé à bout de ses ressources morales et spirituelles. Il se savait misérable, avait perdu toute confiance et tout respect pour lui-même. Méprisé et rejeté par ses concitoyens, il se savait aussi jugé et condamné par Dieu.
Or, cet homme déchu ne s’en prend pas à son environnement, aux mauvaises fréquentations, à des tares héréditaires ou à la corruption des mœurs de ses compagnons. Il n’invoque pas « sa mauvaise chance » ou la fatalité qui l’a fait échouer dans « le gang des publicains » et autres mauvais garçons, ni l’éducation qu’il n’avait pas eue, ni son enfance difficile… Il ne dit pas que tout cela combiné l’a incité à la tricherie, à la malhonnêteté, à de viles combines… Que la société étant une jungle, il faut bien pouvoir y survivre… Non, ce n’est pas ainsi que raisonne ce personnage. Au contraire, il s’est accusé, d’où ce bref, mais combien pathétique Miserere : « Seigneur, aie pitié de moi, pécheur. » Il s’avoue vaincu, confesse sa faute, implore le secours divin… Une prière brève, mais éloquente. Jésus déclare que cet homme fut l’objet de la miséricorde divine et trouva le salut, à la manière de l’auteur du Psaume 32 : « Heureux l’homme à qui le Seigneur ne tient pas compte de sa faute. »
Comme cet autre psalmiste priant le De Profundis :
« Des profondeurs de l’abîme, je t’invoque au Éternel! Seigneur, écoute ma voix! Que tes oreilles soient attentives à la voix de mes supplications! Si tu gardais le souvenir des fautes, Éternel, Seigneur, qui pourrait subsister? Mais le pardon se trouve auprès de toi, afin qu’on te craigne. » (Ps 130.1-4).
Pierre, le péager, les psalmistes nous enseignent ce qu’est la prière d’appel au secours et qui est le Sauveur secourable. Relevons-nous donc de nos attitudes de prostration morale; c’est dans les moments de désespoir, lorsque tout semble perdu, que si l’on crie vers Dieu, le secours nous parviendra. Tel Abraham sur le mont Morija prêt à sacrifier son fils unique; ou Moïse enfant, sur les berges du Nil; ou encore David, chantant des psaumes au cours de nuits sombres; Job, à qui Dieu répondit dans l’ouragan; Jean à qui il offrit des visions célestes dans son île prison, et Paul, dont la vocation prit naissance lorsque l’éclair le terrassa et le fit tomber, aveugle, sur le chemin de Damas… Et, enfin, le Christ, soutenu dans le jardin de Gethsémané…
Le danger, l’obscurité, la défaite, voire la mort se placent devant nous. Mais nos cris adressés au Dieu tout-puissant, invoquant le Père des miséricordes en son Fils Jésus-Christ, le Sauveur et le Défenseur-Consolateur par son Esprit, seront exaucés; la délivrance, la sûreté, la lumière, la victoire, la vie nous sont acquises. Le désarroi présent peut nous apprendre la discipline spirituelle, à condition de savoir que nous nous adressons au Sauveur qui s’appelle Jésus-Christ, le Fils de Dieu, notre Seigneur.
Note
1. La méditation précédente intitulée Jésus marche sur les eaux — En sécurité au milieu de la tempête, vous a offert une explication de l’ensemble de ce récit, dans le passage parallèle de l’Évangile selon Marc (Mc 6.45-52).