Matthieu 5 - Heureux les miséricordieux - Cinquième béatitude
Matthieu 5 - Heureux les miséricordieux - Cinquième béatitude
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde! »
Matthieu 5.7
Le Dieu de Jésus-Christ est essentiellement un Dieu miséricordieux. « L’Éternel est bon; sa bienveillance dure à toujours » (Ps 100.5) « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde et, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos offenses, il nous a rendus à la vie avec le Christ » (Ép 2.4-5).
Un mot d’une grande valeur, l’hébreu « chesed » apparaît plus de 150 fois dans l’Ancien Testament, et ceci pour désigner presque exclusivement l’activité divine. « Chesed » c’est la bonté de Dieu lorsque celui-ci, ému de compassion, se plaît à entrer dans une relation miséricordieuse avec l’homme; « chesed » c’est la bonté infinie de Dieu; « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa bienveillance est efficace pour ceux qui le craignent », affirme le psalmiste (Ps 103.11).
La bonté de Dieu s’est manifestée lors des grands actes de libération dont témoigne l’Ancien Testament : lors de la sortie d’Égypte; ou bien en protégeant une jeune juive dans la cour d’un potentat persan et devenue, par le caprice d’un monarque absolu, la reine de l’empire le plus puissant de l’époque; ou encore dans l’existence mouvementée de Joseph, lors de son séjour dans une geôle égyptienne comme dans le palais du pharaon… La bonté de Dieu s’aperçoit à l’œil nu dans la nature et la structure de l’univers; la terre tout entière en est remplie.
« Sauve-moi à cause de ta bonté », supplie l’auteur d’un Psaume (Ps 6.5). « Pardonne la faute de ce peuple », intercède le grand chef Moïse, en s’appuyant sur cette même bonté divine (Nb 14.19).
La bonté de Dieu se manifeste également lors des troubles les plus graves, témoignant de sa fidélité autant que de sa vérité. La miséricorde de Dieu est positivement l’application, dans son alliance, de toutes les mesures de sa clémence, même envers le pécheur rebelle.
Mais c’est en Jésus-Christ qu’elle s’est manifestée dans toute sa force et dans toute son étendue. En lui « les entrailles de miséricorde de Dieu se sont émues », déclare dans un langage poétique le père de Jean Baptiste, le vieux prêtre Zacharie (Lc 1.78).
Et c’est en lui que la béatitude est promise à ceux qui savent transmettre la miséricorde divine. Car, avertit Jésus, si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus. La miséricorde reçue constitue le ressort, le moteur, et pour ainsi dire le cœur de toute communion fraternelle.
Sans Jésus-Christ, toute bonté serait absente ou fausse. Le monde païen était dépourvu d’entrailles de miséricorde. Les exemples qui nous viennent de l’antiquité témoignent de nombreux exemples. C’est dans un étrange climat de tendresse et de cruauté qu’ont vécu, respiré et écrit les esprits les plus brillants de l’antiquité.
Mais il n’est pas nécessaire de remonter aussi loin dans le temps pour trouver l’histoire d’hommes souillés par la cruauté. Ceux qui ont vu, durant notre siècle, les images insoutenables de films documentaires basés sur des faits réels ne peuvent pas oublier que l’homme est un prédateur, une hyène pour l’homme son prochain. Là où le vrai Dieu est absent, là prolifèrent goulags, hôpitaux psychiatriques pour dissidents, lavages de cerveau, torture et écrasement des faibles. Mais faut-il oublier que l’Église chrétienne n’est pas toujours innocente? Lorsqu’elle s’éloigne des commandements de son Dieu, elle peut, à son tour, s’adonner à la cruauté et à l’injustice. Elle a un lourd passé de violence. Croisades, inquisition, guerres de religion, galères, dragonnades…
Il nous faut apprendre à aimer, voilà la grande affaire. Et comme seul l’amour engendre l’amour, ce n’est que près de la flamme dévorante qui a brûlé en Christ que notre cœur peut s’allumer. « Comme un flambeau s’allume au toucher du flambeau. » C’est parce qu’il nous a aimés le premier que nous pouvons l’aimer. Il ne s’est pas contenté de nous dire : « Aimez-vous les uns les autres » ou « soyez miséricordieux », mais il a commencé par nous aimer. L’Évangile tout entier resplendit sur la croix du Calvaire. Alors, il n’est pas possible de ne pas aimer. Quand on aime le Christ, on est transformé à son image par l’action de son Esprit et on peut devenir ses imitateurs. On est alors capable d’aimer le frère pour lequel le Christ a donné sa vie.
Heureux les miséricordieux, ceux qui apportent à l’un des plus petits un morceau de pain, un verre d’eau; qui nourrissent les âmes affamées de foi; qui désaltèrent les consciences altérées de pardon; qui peuplent les solitudes douloureuses; qui s’approchent de la souffrance pour consoler et pour soulager, ou qui apportent tout simplement le réconfort de leur affection. Vivre sans aimer c’est être perdu, aimer c’est vivre du salut reçu. L’amour vient de Dieu et il nous renvoie vers notre prochain. Il ouvre les écluses de sa grâce pour nous aider à porter les fardeaux les uns des autres, en vue de tendre une main secourable, pour nous rendre capables de bander les plaies, encourager les âmes lassées et descendre parfois jusque dans les abîmes de la souffrance; où encore les cloaques du péché pour y apporter la lumière du Christ.
Il n’est pas besoin de rêver à des tâches grandioses et lointaines, souvent plus fantaisistes que réalisables. La vie quotidienne est parsemée d’occasions d’exercer la miséricorde. Il suffit parfois d’un mot, d’une main tendue, d’un regard… Il n’y a pas de parabole plus populaire que celle du bon Samaritain. Elle restera toujours pour nous l’exemple classique de l’amour qui sert son prochain sans tambour ni trompette. Et les paroles prononcées par Jésus d’après l’Évangile selon Matthieu (chap. 25) nous indiquent le chemin à suivre.
C’est avec un extrait d’un passage d’un rapport présenté à la sixième assemblée des Églises européennes à Nyborg concernant la diaconie caritative (ou service chrétien pour le prochain) que je termine cet exposé sur la cinquième béatitude :
« Tout comme à l’époque de Jésus, l’amour chrétien équivaut aujourd’hui à un plein engagement personnel à l’intention des nécessiteux qui vivent autour de nous. Jadis, ces “plus petits d’entre les frères de Jésus” étaient surtout les affamés et les sans-abri, les veuves et les orphelins, les malades et les prisonniers, les étrangers et les exilés. Or, avec le temps, la misère humaine, tout en continuant à revêtir les formes traditionnelles, en revêt aussi des nouvelles. Si nous avons les yeux ouverts sur la misère cachée de l’homme moderne, nous devrions pouvoir compléter l’agenda de l’amour personnel du prochain. En effet, dans notre société, il y a beaucoup de vieillards et d’isolés, qui, solitaires au milieu de la foule, ont faim et soif d’une présence humaine; il y a les handicapés physiques et mentaux, défavorisés dans la lutte pour l’existence; il y a les captifs d’un péché qui les empêche de fonctionner normalement dans la société, telle la dépendance de la drogue ou de l’alcool; il y a les candidats au suicide… Il y a ceux qui se trouvent en marge de la société pour toutes sortes de raisons : ouvriers saisonniers, persécutés politiques, réfugiés… À travers l’amour de Jésus, les chrétiens doivent discerner ces formes nouvelles et cachées de la misère humaine et être secourables envers ceux qui souffrent.
L’amour chrétien envers le prochain agit sous la forme des institutions caritatives de nos Églises. En Europe, c’est l’Église qui, dès ses débuts déjà, établit les premiers hôpitaux, les premiers orphelinats, les premiers hospices… Sans ces institutions caritatives, l’histoire européenne serait incomplète. Dans les nombreuses régions de notre continent, elles sont, aujourd’hui encore, universellement appréciées et constituent un complément essentiel de la prévoyance sociale organisée par l’État. Mais après avoir mentionné l’immense service rendu par ces organisations caritatives, force nous est de mentionner les deux tentations principales qu’elles comportent : D’une part le danger que beaucoup de chrétiens, et peut-être beaucoup d’Églises qui soutiennent ces institutions, y trouvent rapidement de quoi soulager leurs consciences, éclipsant totalement les autres exigences de la diaconie actuelle. De toute façon, ces institutions peuvent devenir facilement la forme exclusive, la forme transposée du service chrétien.
La diaconie caritative, comme d’ailleurs n’importe quelle forme de service chrétien, doit être accomplie, de la part de ceux qui suivent Jésus, comme une diaconie authentique, c’est-à-dire, comme un acte désintéressé, émanant de la gratitude pour la grâce de Dieu qui pardonne et qui restaure. Nous commettons un péché grave contre cette nature profonde de la diaconie lorsque nous considérons ce service comme un moyen d’assurer notre propre salut, dans une pensée orientée vers le mérite; lorsque nous désirons, grâce à notre service, récupérer l’influence, la crédibilité ou l’honneur de l’Église au sein de la société sécularisée. Et, surtout, si nous nous mettions à appliquer cette diaconie, notamment dans les pays en voie de développement, comme une méthode missionnaire moderne et efficace, nous nous rendrions indignes non seulement de l’amour désintéressé caractérisant les successeurs de Jésus, mais nous porterions aussi préjudice à la cause de l’Évangile (Mt 5.16). Les actes accomplis par l’amour chrétien peuvent être, dans la main de Dieu, précurseurs de l’Évangile, mais n’en seront jamais les moyens dont nous disposerons nous-mêmes. »