Nature et objet de l'espérance dans le Nouveau Testament
Nature et objet de l'espérance dans le Nouveau Testament
Parmi les nombreux termes qui expriment dans le Nouveau Testament l’espérance ou l’attente, les plus fréquents et les plus riches sont sans doute le substantif elpis et le verbe elpizo. L’un et l’autre signifient l’acte d’espérer ainsi que l’objet de l’espérance. Ainsi, ta elpizomena signifie les bonnes choses qui sont espérées et elpis l’objet de la bonne espérance, autant que l’acte d’espérer.
Un autre mot, proche du même sens, est apokaradokia qui renferme davantage le sens d’attendre avec ardeur, presque l’impatience, tandis que prosdokao et prosdokia impliquent une attente dans l’angoisse (catastrophe ou guerre) et que prosechomai, outre son sens fréquent de prendre, d’accepter, signifie aussi attendre, espérer.
Elpis et elpizo n’occupent pas une place considérable dans les Évangiles. Seul le verbe y apparaît; une fois dans Matthieu, qui cite l’Ancien Testament (Mt 12.21; És 42.4); une fois dans Jean (Jn 5.45); trois fois dans Luc (Lc 6.34; 23.8; 24.21), au sens d’attente subjective. Ce sont les écrits pauliniens qui l’emploient le plus. On y relève 19 parmi les 31 occurrences du verbe; 36 des 51 apparitions du substantif, dont dans l’épître aux Romains, 4 et 13 fois respectivement.
La première lettre de Pierre emploie deux fois le verbe et 3 fois le substantif; Hébreux, 1 et 5 fois. Dans le livre des Actes, le verbe et le substantif apparaissent le premier 2 fois et le second 8 fois, notamment au sujet de l’espérance d’Israël, interprétée en tant qu’espérance en la résurrection.
Dans le Nouveau Testament pas plus que dans l’Ancien Testament, le mot ne renferme l’idée d’anticipation vague ou anxieuse; il signifie toujours une attente de quelque chose de bon. Là où le verbe est suivi de la préposition eis tina, epi, tini, il se réfère à l’objet sur qui l’espérance est placée. Dans nombre de passages, elpis ne dénote pas l’attitude personnelle, mais le bénéfice objectif du salut vers qui l’espérance s’oriente (Ga 5.5; Col 1.5; Tt 2.13). Là où le verbe ou le substantif sont employés absolument, sans autre qualification, la référence se fait d’ordinaire par rapport à l’accomplissement eschatologique (Rm 8.24; 12.12; 15.13; Ép 2.12).
La révélation du Christ en tant que nouvelle situation, tel est l’objet de l’espérance. Tous les témoins du Nouveau Testament sont unanimes pour déclarer que sa venue a fondamentalement changé la situation. En la personne du Rédempteur, le jour du salut a fait irruption en tant que l’aujourd’hui de Dieu. Ce qui jadis n’était que futur est rendu actuellement présent à la foi. Par exemple, la justification par la foi, les relations personnelles avec Dieu, l’envoi du Saint-Esprit, la constitution d’un nouveau peuple de Dieu, comprenant aussi bien les croyants israélites que les païens convertis.
La présence du salut est particulièrement soulignée dans l’Évangile selon Jean, dans son « eschatologie réalisée ». Ce qui explique que le terme d’elpis n’y apparaît pas. L’absence du terme dans l’Apocalypse est due à une autre raison. L’image entièrement visionnaire de la fin et la scène de la parousie imminente remplacent ce qui pourrait être abstrait. Du fait de la situation nouvellement créée, l’espérance du Nouveau Testament est refaçonnée aussi bien donc dans son fondement que dans son contenu. Cependant, puisque l’aujourd’hui du salut n’est que partiel seulement, elle acquiert un double aspect : à ce qui est « maintenant » on doit ajouter le « pas encore » (1 Jn 3.2). Et à ce qui est « l’avoir » et « l’être » en Christ, l’on doit ajouter « l’espérer » et « l’attendre ».
L’espérance fait tellement partie intégrante de la position chrétienne qu’on peut la décrire comme la régénération en vue d’une espérance vivante (1 Pi 1.3).
Le paganisme, lui aussi, avait ses idées sur un futur métaphysique, mais ne connaissait aucune espérance comportant des éléments de consolation et de liberté face à la crainte de la mort (Ép 2.12; 1 Th 4.13). L’importance de l’elpis est rendue claire par le fait qu’à côté de la pistis, la foi, et de l’agapè, l’amour, elle forme la première triade chrétienne, à savoir les trois éléments fondamentaux chrétiens (1 Th 1.3; 1 Co 13.13). L’un ne peut exister sans l’autre. Il ne peut y avoir d’espérance sans la foi associée au Christ. C’est en lui que l’espérance est ancrée, et la foi sans l’espérance serait elle-même vide et futile (1 Co 15.14,17).
Trois facteurs forment les traits essentiels de l’espérance chrétienne selon le Nouveau Testament.
1. Son contenu⤒🔗
Elle n’est jamais égocentrique, mais centrée en Christ et en Dieu, son cœur se trouve non pas dans la bénédiction reçue par le croyant individuel, mais dans le règne universel de Dieu qui sera tout en tous.
La résurrection ne signifie pas la réintégration de la vie en sarki, dans la chair, ni même kata sarka, selon la chair, mais l’accomplissement de la vie reçue de l’Esprit. Le second Adam est devenu un esprit vivifiant. Le contenu du mot elpis est défini comme le salut (1 Th 5.8) la justice (Ga 5.5), la résurrection incorruptible (Ac 23.6; 24.15; 1 Co 15.52) la vie éternelle (Tt 1.2; 3.7), voir Dieu et être conforme à son image (1 Jn 3.2), la gloire de Dieu (Rm 5.2) ou simplement la doxa, la gloire (Col 1.27) et la doxa qui est permanente (2 Co 3.12).
2. Son fondement←⤒🔗
Elle ne se fonde pas sur des bonnes œuvres ni sur la loi, mais sur l’œuvre gracieuse de Dieu, entreprise et réalisée en Christ. Dieu est appelé notre espérance. Le Christ n’est pas étranger à la communauté de l’espérance, mais celui en qui, dans l’Évangile, on reconnaît le Crucifié et le Ressuscité, et dont la présence est connue et reconnue par son Esprit.
L’espérance est par conséquent placée, ou tournée, vers le futur de celui qui était déjà venu. Par le don de son Fils unique, Dieu accorde la certitude qu’il donnera toutes choses avec lui (Rm 8.32). Parce que Christ est ressuscité comme les prémices de la moisson, nous aussi nous ressusciterons (1 Co 15.20).
Celui qui vient est le Seigneur exalté, celui que Dieu a établi sur toutes choses comme chef (Ép 1.22).
3. Sa nature←⤒🔗
Elle est un don, celui du Père de toutes grâces (2 Th 2.16). Aussi est-elle suscitée par le message du salut (Col 1.23) par lequel nous recevons une illumination (Ép 1.18). L’espérance unit ceux qui ont été appelés (Ép 4.4). Par la puissance de l’Esprit Saint, nous recevons une surabondance d’espérance (Rm 15.13), sa présence chez le croyant est l’assurance de sa résurrection (Rm 8.11).
En tant qu’attitude subjective, l’espérance ne saurait être séparée de son contenu objectif. Car elle n’est pas une simple connaissance théorique au sujet d’un salut futur, mais la fonction d’une foi vivante et active. Elle est toujours une attente assurée et certaine des actes divins de salut. Sans jamais fermer les yeux sur les besoins et sur le jugement d’avant la parousie, elle regarde vers la cité de Dieu qui vient. La foi donne sa substance à l’espérance et alors elle est l’assurance des choses qu’on espère. Dans Romains 4, la foi d’Abraham est présentée comme une espérance contre toute espérance, contre tout jugement humain déclarant que l’avenir est impossible. Abraham espère à cause de la promesse faite par Dieu. La foi et l’espérance ont en commun le fait que leur objet reste encore invisible et non prouvé. Comme la foi, l’espérance du Nouveau Testament comporte en elle-même une certitude inconditionnelle. Aussi la confession de l’espérance s’introduit-elle par le « nous croyons », « nous sommes certains », « nous sommes persuadés » que les promesses de Dieu relatives au salut seront accomplies. Le chrétien espère et se glorifie en l’espérance. Il rend à Dieu des actions de grâces et se réjouit sur le fondement même de cette espérance.
Tout comme le couple foi-espérance, le couple amour-espérance est très étroitement lié (1 Co 13.13; Col 1.4-5).
L’espérance du Nouveau Testament s’étend à la fois au cœur et à la vision.
L’Église qui attend la rédemption du corps se sait solidaire de la création tout entière. L’espérance est une attente patiente, disciplinée, confiante dans le Seigneur et Sauveur. Espérer c’est être en mouvement à cause d’un objectif placé devant soi; mouvement qui conduit aussi vers cet objectif-là. Elle démontre son caractère vivant par la fermeté de son attente et surmonte les épreuves et les tentations. Elle peut devenir pénible, mais elle sera positivement comme le « travail avant l’enfantement » annonçant la régénération à venir (Mt 24.8). Ceux qui espèrent sont consolés et assurés. L’espérance est une attente disciplinée, d’où l’exhortation qu’on lira dans 1 Pierre 1.13.
Soyez prêts pour l’attaque. À ce contexte appartient aussi le renoncement fondamental de tout calcul concernant le futur; une humble reconnaissance des limites tracées à notre connaissance, la soumission de nos désirs aux exigences du combat, l’objectif de notre espérance nous invitant à veiller et à prier sans cesse. Celui qui lutte pour obtenir un prix terrestre sacrifie en vue de remporter le prix (1 Co 9.25). L’espérance devient ainsi motif de pureté personnelle (1 Jn 3.3). Elle nous stimule dans la voie de la sainteté, car, « sans la sanctification nul ne verra le Seigneur » (Hé 12.14). Rempli du désir de rentrer à la maison du Seigneur, l’apôtre cherche à lui plaire (2 Co 5.8).
L’espérance exige de nous une ferme confession de foi (Hé 10.23), de donner la réponse, d’en expliquer la raison (1 Pi 3.15). Finalement, elle est une attente joyeuse (Rm 12.12). Elle donne courage et force. Elle protège l’homme intérieur tel le casque protège la tête (1 Th 5.8).
Comme le navire est sûr lorsqu’il est ancré, ainsi notre vie est assurée par l’espérance qui nous lie au Christ, notre souverain Sacrificateur, qui a déjà pénétré dans le sanctuaire (Hé 6.18)1.
Note
1. Voir Hoffmann, Dictionary of Theology of the New Testament, article « Hope ».