Cet article a pour sujet les effets néfastes et destructeurs de la pornographie qui constituent le principal problème à l'origine du fossé grandissant entre hommes et femmes et de la peur des femmes de rencontrer des hommes.

4 pages. Traduit par Paulin Bédard

Pourquoi les femmes ont-elles peur des rencontres?

Au cours des dernières années, le mouvement de la « pilule rouge1 » — et « l’androsphère2 » qui l’a précédé — est passé du côté conservateur dominant. C’est devenu un symbole de la droite de se plaindre que le féminisme a ruiné les jeunes femmes, d’affirmer que les jeunes hommes deviennent plus conservateurs et les jeunes femmes plus progressistes, et de prétendre que cela a conduit à une crise collective dans laquelle les jeunes hommes solitaires ne peuvent pas trouver ce qu’ils souhaitent désespérément : une famille traditionnelle, une femme et des enfants.

En réponse à cette rhétorique, des prédateurs vendeurs de supercherie comme Andrew Tate3, Myron Gaines4 et d’autres personnalités ont acquis une audience masculine imposante en prêchant l’évangile de la promiscuité5, des régimes de remise en forme et l’évangile de la richesse personnelle, truffés de harems de femmes jetables après usage. Sur le plan religieux, des podpasteurs comme Joel Webbon6 et des commentateurs comme Andrew Wilson7 prêchent le « patriarcat » comme solution, leurs propres vies et carrières constituant les meilleurs arguments contre leur théologie de pacotille réactionnaire.

Effectivement, le féminisme moderne a introduit des forces extrêmement destructrices dans notre culture. Je travaille dans le mouvement pro-vie et j’ai vu de première main le coût humain horrible de cette idéologie8. On a tué des millions de bébés dans le ventre de leur mère au nom du féminisme, et, à mon avis, les tentatives de sauvetage ou de récupération d’un terme entaché de tant de sang échoueront toujours. Je dois admettre que des femmes se disent féministes et pro-vie; toutefois, le terme lui-même sera toujours associé à Gloria Steinem et à d’autres champions de l’industrie de l’avortement9.

Cependant, après plus d’une décennie de recherches et de discussions avec des milliers de jeunes sur la pornographie, je suis également convaincu que pointer du doigt le « féminisme » ou le changement progressif des jeunes femmes comme constituant le principal problème à l’origine de la fracture entre les sexes, c’est ignorer l’un des principaux coupables : l’omniprésence de la consommation de pornographie. Pour chaque jeune homme qui se plaint en ligne que le féminisme l’a privé de ses options matrimoniales, j’ai parlé avec une demi-douzaine de jeunes femmes qui désespèrent de trouver un partenaire dont l’esprit n’a pas absorbé d’images pornographiques dépravées de femmes dégradées et maltraitées.

Erika Bachiochi a récemment abordé cette question dans un essai éclairant intitulé « Davantage de jeunes femmes s’engageront dans la vie de famille si des hommes bien se mobilisent10 ». Bachiochi confirme l’existence de nombreuses plaintes concernant les jeunes hommes et les jeunes femmes, et note : « Ce que je crois que nous vivons aujourd’hui, c’est la dégénérescence post-chrétienne des sexes. » Bachiochi note également une chose que j’ai observée et entendue d’innombrables fois dans les lycées, sur les campus et dans les églises :

« Je ne pense pas que nous soyons assez nombreux à comprendre à quel point la pornographie elle-même terrorise les jeunes femmes, ou à quel point les hommes qu’elle a dévoyés font peur aux femmes. Ou franchement, à quel point est effrayante la rhétorique de ces provocateurs masculins en ligne d’extrême droite qui parlent trop souvent comme si la relation correcte entre les sexes était une relation de domination et de soumission au lieu d’une relation de réciprocité, de collaboration et de service attentionné. »

Elle a parfaitement raison. Erika Bachiochi souligne le phénomène horrifiant des filles qui tentent d’échapper littéralement à leur féminité en s’identifiant comme « trans » ou « non binaire »11, car pour toute une génération, la question « Qu’est-ce qu’une femme? » a trouvé sa réponse sur Pornhub. J’ai écrit un article sur cette tendance l’année dernière12. J’ai reçu tellement d’histoires personnelles en réponse que j’ai écrit un essai de suivi13. Les filles et les femmes voient aussi de la pornographie. Elles voient les rôles que la société attend des filles dans notre culture pornographique. Et beaucoup d’entre elles ont décidé que, si leur féminité fait d’elles une cible, elles préfèrent se cacher ou se retirer complètement du jeu.

Qu’est-ce que j’entends par « culture pornographique »? J’entends par là une culture dans laquelle la plupart des adultes regardent régulièrement de la pornographie et où une majorité d’enfants sont exposés à cette cocaïne numérique avant la puberté. Une culture dans laquelle 62 % des Américains qui s’identifient comme chrétiens affirment pouvoir regarder régulièrement de la pornographie sans que cela nuise à leur vie sexuelle14, où 75 % des pasteurs disent qu’ils aident les accros à la pornographie en difficulté et où 67 % des pasteurs admettent avoir lutté par le passé contre la consommation de pornographie. Une culture dans laquelle, comme je l’ai récemment expliqué15, près d’un quart des femmes adultes américaines admettent avoir eu peur pendant l’intimité à cause de comportements inspirés de la pornographie, comme la strangulation, une pratique devenue si courante que les membres de la génération Z s’y attendent tout simplement16.

Prétendre que la pornographie ne pose aucun problème, c’est délibérément faire abstraction des propos des jeunes filles sur la culture pornographique dans laquelle elles ont été forcées de grandir17. La force des garçons et des hommes dépasse presque toujours celle des filles et des femmes. Pourquoi les filles et les femmes devraient-elles mettre leur sécurité physique et émotionnelle entre les mains de garçons et d’hommes qui ont rempli leur cerveau de pornographie violente et dégradante? Comment peuvent-elles faire confiance à des hommes qui ont branché leur libido sur des images de femmes maltraitées? La pornographie a rendu de nombreux hommes dangereux. La pornographie a privé les hommes, souvent lorsqu’ils étaient encore des garçons, de leur capacité à respecter leur part de l’engagement (souvent tacite) conclu dans le cadre d’une relation.

Dans ce contexte, réfléchissez à l’impact sur les filles et les femmes lorsqu’elles entendent dire que, dans la culture pornographique dans laquelle nous vivons, elles constituent le principal problème. Si seulement elles se « soumettaient » davantage, si elles étaient plus disposées à subordonner leur sécurité aux hommes, si elles faisaient preuve de plus de retenue et si elles accordaient une plus grande attention aux désirs des hommes, cela résoudrait le « fossé entre les sexes ». Accuser les femmes de la responsabilité de nos problèmes est l’un des tout premiers péchés masculins consignés dans les Écritures, bien sûr. Cependant, dans la culture pornographique d’aujourd’hui, après avoir entendu des centaines d’histoires de filles et de femmes, je ressens du mépris pour cette version.

Je tiens à souligner que les garçons et les hommes ont eux aussi été victimes de l’industrie pornographique. La plupart des garçons voient de la pornographie avant d’avoir la capacité de comprendre ce contenu; beaucoup deviennent esclaves de cette pratique avant d’avoir les mots pour la décrire. (Une étude réalisée en 2016 par Defend Young Minds [Protéger les jeunes esprits] auprès d’adultes se souvenant de leur exposition à la pornographie dans leur enfance a révélé que l’âge moyen s’établissait à environ 9,66 ans pour les filles et 9,95 ans pour les garçons; seuls 7 % des filles et 10 % des garçons ont réellement cherché à voir de la pornographie18). De jeunes lycéens sont venus me voir en larmes, désespérant de pouvoir un jour se libérer des toiles numériques démoniaques tissées pour eux lorsqu’ils étaient encore enfants. L’industrie pornographique est l’ennemie de l’innocence, de l’intimité et de la culture elle-même.

Je suis de plus en plus convaincu que ce n’est qu’en ciblant cette industrie que nous pourrons commencer à combler le fossé entre les hommes et les femmes, car, tant que la consommation de pornographie sera normalisée, les relations seront risquées et la confiance et l’intimité authentiques impossibles.

Une enquête Statista réalisée en 2023 indique que 60 % des adultes américains avouent avoir l’habitude de regarder de la pornographie19. D’autres ensembles de données indiquent une utilisation plus importante. Malgré cela, la tristement célèbre proposition du Projet 2025 visant à interdire totalement la pornographie recueille 44 % des voix contre 44 % — 48 % des femmes se disent en faveur, et seuls 33 % s’y opposent20. En bref, des millions de personnes qui regardent de la pornographie veulent que l’État la rende illégale. Pourquoi? Parce qu’elles savent ce que signifie vivre dans un monde pornographique. Beaucoup d’hommes détestent leur esclavage et tout ce dont cela les prive. Beaucoup de femmes détestent l’effet de la pornographie sur elles-mêmes et sur les hommes. Ils s’entendent là-dessus. Nous avons besoin les uns des autres, mais, pour nous aimer, nous devons détester la pornographie. Nous devrions commencer par là.

Notes

1. N.D.T. Le film Matrix a popularisé le concept de « pilule rouge » (Red Pill). En général, elle représente le choix d’affronter la vérité dure et désagréable de la réalité, en opposition à la « pilule bleue », qui représente l’acceptation de l’ignorance et d’une réalité manipulée. Dans certains cercles, on utilise le terme « pilule rouge » pour décrire le moment où une personne réalise que, selon cette perspective, les rôles de genre et les attentes sociétales sont souvent conçus au bénéfice des femmes plutôt que des hommes.

2. N.D.T. : L’androsphère (traduction de l’anglais manosphere) désigne un espace de discussion en ligne où les hommes se rassemblent pour échanger sur la condition masculine et les diverses difficultés que les hommes rencontrent avec les femmes, de même que sur leurs différences avec celles-ci. Même si elle se veut un lieu d’échanges pour aborder les problèmes sociétaux liés aux hommes, certaines personnes y tiennent un discours haineux à l’égard du féminisme ou, plus généralement, à l’égard des femmes.

3. Jonathon Van Maren, « Andrew Tate, Symptom of the Sexual Revolution » [Andrew Tate, Symptôme de la révolution sexuelle], First Things, 20 janvier 2025.

4Myron gaines from fresh and fit gets challenged by ex fan at college campus [Myron Gaines de Fresh and Fit se fait défier par un ancien admirateur sur un campus universitaire].

5. Jonathon Van Maren, « Andrew Tate and Conservative Hypocrisy » [Andrew Tate et l’hypocrisie conservatrice], First Things, 3 mars 2025.

6. « O What a Tangled Webbon », Hilaire Nereus X.

7. « Andrew Wilson rates his wife Rachel a ‘6/10 for her age’ – she is only 46 » [Andrew Wilson attribue à sa femme Rachel un « 6/10 pour son âge » — elle n’a que 46 ans], Kinoblade Chronicles X, 4 juin 2025.

8. Jonathon Van Maren, « Abortion Victims : Where Are the Bodies? » [Les victimes de l’avortement : Où se trouvent les corps?], The Stream, 13 novembre 2020.

9. Jonathon Van Maren, « How one man sold the feminist movement on abortion » [Comment un homme a convaincu le mouvement féministe de l’avortement], The Bridgehead, 28 juin 2021.

10. Erika Bachiochi, « More Young Women Will Pursue Family Life If Good Men Step Up » [Davantage de jeunes femmes s’engageront dans la vie de famille si des hommes bien se mobilisent], Family Studies, 15 avril 2025.

11. Jennifer Lahl et Kallie Fell, « Afraid to Be Female » [La peur d’être une femme], Fairer Disputations, 15 mars 2024.

13. Jonathon Van Maren, « Readers Respond: Rape Culture, Transgenderism, and Growing Up in Porn World » [Les lecteurs réagissent : Culture du viol, transgenrisme et enfance dans le monde de la pornographie], The European Conservative, 13 février 2025.

18. Lacy Bentley, « Gender and Childhood Pornography Exposure: New Research Reveals Surprises! » [Sexe et exposition à la pornographie pendant l’enfance : de nouvelles recherches révèlent des surprises!], Defend Young Minds, 29 septembre 2016.

19. Laura Ceci, « Share of adults in the United States who have an habit of watching pornography as of October 2022 » [Proportion d’adultes aux États-Unis ayant l’habitude de regarder de la pornographie en octobre 2022], Statista, 28 juillet 2023.

20. « This is fascinating. A total ban on pornography (as “proposed in Project 2025”) polls at 44-44 » [C’est fascinant. L’interdiction totale de la pornographie (telle qu’elle est « proposée dans le projet 2025 ») obtient un score de 44-44], Jon Schweppe X.