Cet article a pour sujet la pornographie de plus en plus reconnue comme un poison pour la société et qui devrait être interdite sur Internet.

4 pages. Traduit par Paulin Bédard

La pornographie empoisonne : Nous devrions l’interdire L’évolution du discours sur la pornographie

Le débat public sur la pornographie a connu une évolution radicale au cours de la dernière décennie. En 2017, j’ai pris le parti de l’affirmative dans un débat radiophonique avec un professeur d’études queer sur la question : « La pornographie est-elle intrinsèquement nuisible à la société? » Une grande partie des points que j’ai mis en évidence à l’époque — la normalisation et la généralisation de la violence sexuelle, la dépendance omniprésente à la pornographie dès la préadolescence, l’incapacité qui en découle de s’engager dans une intimité saine ou même de la comprendre — se retrouve aujourd’hui chez des responsables gouvernementaux paniqués, du Royaume-Uni1 à la France2.

Il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne soulignent les effets dévastateurs de l’omniprésence de la pornographie en Occident et ailleurs. Rien qu’au mois de mai 2025, deux rapports mettent en évidence ce fait avec une clarté qui fait froid dans le dos.

Le premier consiste en un rapport troublant publié dans The Guardian par Harriet Grant3 sur le phénomène croissant d’hommes ne correspondant pas au profil typique des pédophiles, c’est-à-dire qui ont un intérêt sexuel pour les enfants, mais qui sont néanmoins arrêtés pour avoir regardé et possédé du contenu pédopornographique. Ces hommes ont fini par visionner de la pornographie enfantine lorsque leur dépendance s’est aggravée et qu’ils sont devenus incontrôlables. L’un d’entre eux lui a dit :

« Je n’ai pas commencé par vouloir voir des enfants. J’avais développé une dépendance à la pornographie, et je me suis totalement désensibilisé en m’éloignant de plus en plus de la normalité. »

En Angleterre et au Pays de Galles, 850 hommes sont arrêtés chaque mois pour « délits de pédophilie en ligne ». Des tendances similaires se dessinent ailleurs4. Mme Grant note que nous sommes confrontés à « une crise mondiale en spirale », les experts en matière d’application de la loi et de protection de l’enfance désignant systématiquement un coupable :

« L’explosion, au cours des 10 à 20 dernières années, de la pornographie en ligne gratuite et facilement accessible. […] De plus en plus de recherches commencent à mettre en garde contre le fait que des habitudes pornographiques problématiques peuvent constituer une voie d’accès à la visualisation d’images d’enfants victimes d’abus. »

Mme Grant observe que l’explosion des contenus extrêmes, y compris les images d’abus d’enfants, ne fait pas que répondre à une demande, elle l’alimente. Les utilisateurs ont envie de pornographie pour la dopamine5; ils doivent augmenter leur consommation pour obtenir une excitation constante; les algorithmes leur fournissent un régime numérique constant de dépravation. Depuis longtemps, les spectateurs sont poussés vers des contenus osés (comme en témoigne le phénomène « Barely Legal6 » [À peine légal]). Comme l’a raconté un homme :

« Nous savons que c’est mal, mais l’effet dopaminergique de nos actions l’emporte sur tout le reste. Je pense que toute la pornographie regardée a modifié les connexions de mon cerveau. […] Nous nous sentons malades et affreux. »

Il est significatif que la plupart des hommes qui ont fini par être confrontés à la pédopornographie ne l’avaient pas réellement recherchée. Le groupe finlandais Protect Children [Protégeons les enfants] a établi le profil de 4549 auteurs anonymes d’abus sexuels sur des enfants et a constaté que non seulement la pornographie était un « facteur facilitant » essentiel, mais que plus de 50 % d’entre eux avaient vu pour la première fois du contenu pédopornographique alors qu’ils ne le recherchaient pas. Michael Sheath, qui travaille avec des agresseurs d’enfants depuis plus de trente ans, a déclaré à Mme Grant :

« Je vois des hommes qui ont emprunté un chemin que j’appelle une “trajectoire descendante progressive”. Le lien se révèle évident. […] Le seuil du comportement abusif a été abaissé. Autrefois, trouver des contenus relatifs à la maltraitance des enfants s’avérait difficile, et regarder un tel contenu représentait un risque extrême. »

Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

« Nous voyons des gens qui ont 18 ans et qui ont consommé pendant 10 ans de la pornographie hardcore », a déclaré l’inspecteur en chef Tony Garner, qui dirige une équipe de spécialistes de la maltraitance des enfants en ligne au Royaume-Uni.

« Mes agents trouvent des jeunes qui regardent les contenus les plus abominables, y compris des abus sur des enfants. […] En tant que pays, en tant que société, nous avons l’impression d’avoir perdu tout contrôle. »

De son côté, Pornhub insiste sur le fait qu’il ne pousse pas les internautes à regarder des contenus de plus en plus extrêmes, mais qu’ils « découvrent » simplement de nouveaux thèmes sexuels.

Un rapport publié dans le New York Times par Nicholas Kristof7 présente une réalité différente. Kristof a examiné des documents internes de Pornhub publiés accidentellement par un tribunal fédéral de l’Alabama, révélant de nombreuses discussions internes. L’un des échanges entre les membres du personnel se lit comme suit : « On voit ici BEAUCOUP de contenu d’abus sexuel d’enfants très, très évident et dérangeant. » Un autre document indique qu’en mai 2020, Pornhub « comptait 706 000 vidéos disponibles sur le site que les utilisateurs avaient signalées parce qu’elles représentaient des viols ou des agressions sur des enfants ou pour d’autres problèmes ».

Malgré cela, de nombreuses vidéos restaient disponibles; Pornhub « n’examinait pas nécessairement une vidéo en vue d’un éventuel retrait tant qu’elle n’avait pas reçu au moins 16 signalements ». Une autre note privée « reconnaît que des utilisateurs ont visionné 684 millions de fois des vidéos présentant des abus sexuels visibles sur des enfants avant leur retrait ».

De nombreuses expressions dont Pornhub a débattu en interne se révèlent si ignobles et dégradantes que je dois m’abstenir de les rapporter. Kristof rapporte qu’en 2020, « underage » [mineur] a donné lieu à 183 301 vidéos sur le site; 155 447 vidéos contenaient le mot-clé « 12yo » [âgé de 12 ans]. Kristof conclut en déclarant que quelqu’un doit agir pour résoudre cette crise; il suggère que, peut-être, « nous pourrions utiliser des sanctions civiles et pénales pour inciter l’industrie de la pornographie à ne montrer que des vidéos pour lesquelles le site web a vérifié l’âge et le consentement ». Cette proposition, bien qu’elle constitue un pas dans la bonne direction, ne tient pas compte du fait que la consommation de pornographie augmente presque toujours.

Une série de lois récentes sur la vérification de l’âge aux États-Unis indique que les législateurs commencent à s’attaquer aux coûts sociaux de la pornographie. Le sénateur Mike Lee est allé plus loin en introduisant en mai la « Interstate Obscenity Definition Act8 » [Loi interétatique sur la définition de l’obscénité], qui inclurait la pornographie dans la catégorie des « obscénités » et rendrait essentiellement illégale une grande partie de ce contenu9. On a largement raillé la proposition de M. Lee, mais ceux qui insistent sur la nécessité de protéger la pornographie au nom de la liberté d’expression doivent être contraints de répondre à des questions essentielles.

Voulons-nous vivre dans une société où l’on considère comme normal qu’on expose les enfants à de la pornographie extrême avant la puberté et qu’on programme leur libido pour réagir à la violence sexuelle? Où près d’un quart des femmes adultes américaines ont déclaré « avoir eu peur pendant les rapports sexuels10 » en raison de la violence inspirée de la pornographie, comme l’étranglement?11 Où les mineurs qui consomment de la pornographie sont de plus en plus nombreux à abuser d’autres enfants?12 Où les hommes sont transformés en délinquants sexuels par une pornographie qu’ils éprouvent de plus en plus de difficulté à éviter? Où l’innocence devient de plus en plus rare?

Ces rapports révèlent la société que nous avons choisi de créer en donnant la priorité à la soi-disant « liberté sexuelle » au détriment de la sécurité et de l’innocence des femmes et des enfants. Nous savons maintenant où cette expérience sociale nous a menés et ce qu’elle nous a coûté. On admet de plus en plus, non seulement parmi les conservateurs, mais dans tous les segments de la société, que la pornographie représente une force extrêmement destructrice. Nous devons inverser nos priorités et reconnaître que la pornographie numérique constitue un poison mortel dans nos eaux souterraines culturelles et qu’on doit la traiter comme tel13.

Notes

1. Sian Norris, « It’s time for a public health campaign about harmful online porn » [On doit lancer une campagne de santé publique sur la pornographie en ligne dangereuse], The New Statesman, 23 octobre 2018.

2. Angelique Chrisafis, « French equality watchdog finds 90% of online pornography abuses women » [L’agence de surveillance française sur l’égalité constate que 90 % de la pornographie en ligne abuse des femmes], The Guardian, 27 septembre 2023.

3. Harriet Grant, « “I didn’t start out wanting to see kids” : are porn algorithms feeding a generation of paedophiles – or creating one? » [« Je n’ai pas commencé par vouloir voir des enfants » : les algorithmes pornographiques nourrissent-ils une génération de pédophiles ou en créent-ils une?], The Guardian, 4 avril 2025.

4. Jesse Tahirall, « Reported rate of child pornography increased 52% in 2023, total crime up 3%: Statistics Canada » [Le taux de signalement de la pornographie juvénile a augmenté de 52 % en 2023, tandis que le nombre total de crimes a augmenté de 3 % : Statistique Canada], CTV News, 25 juillet 2024.

5. Amber Biello-Taylor, « Why Is Porn Addictive? » [Pourquoi la pornographie rend-elle dépendant?], Addiction Center, 3 juin 2025.

6. N.D.T. : « Barely Legal » [À peine légal] est un film érotique qui a été diffusé à partir de juillet 2011.

7. Nicholas Kristof, « These Internal Documents Show Why We Shouldn’t Trust Porn Companies » [Ces documents internes montrent pourquoi nous ne devrions pas faire confiance aux entreprises pornographiques], The New York Times, 10 mai 2025.

8. « Interstate Obscenity Definition Act » [Loi interétatique sur la définition de l’obscénité], 119Congrès, 1re session.

9. Sierra Campbell, « Porn would become crime under Republican proposal » [La pornographie deviendrait un délit en vertu d’une proposition républicaine], The Hill, 15 mai 2025.

10. Olga Khazan, « The Startling Rise of Choking During Sex. A quarter of women in the U.S. report feeling scared during sex » [L’augmentation surprenante des cas d’étranglement pendant les rapports sexuels. Un quart des femmes américaines déclarent avoir peur pendant les rapports sexuels], The Atlantic, 24 juin 2019.

11. N.D.T. : Voir aussi de Jonathon Van Maren La culture pornographique prend nos filles à la gorge.

12. Sarah Plake, « Children abusing children: Children's Mercy sees dangerous trend involving children and porn » [Des enfants maltraitent des enfants : Children’s Mercy constate une tendance dangereuse concernant les enfants et la pornographie], 41 KSHB Kansas City, 30 novembre 2018.