Cet article a pour sujet l'empoisonnement des esprits par la pornographie qui a transformé la sexualité des jeunes et généralisé la violence sexuelle.

4 pages. Traduit par Paulin Bédard

Ce que les filles disent de la culture pornographique dans laquelle elles sont forcées de grandir

Au cours des dernières semaines, j’ai donné aux Pays-Bas un certain nombre de conférences sur l’avortement, la pornographie et d’autres aspects des guerres culturelles. Lors d’une conférence, j’ai expliqué en détail comment la pornographie avait largement transformé la sexualité des jeunes, notamment en ce qui concerne les comportements sexuellement violents qui se sont maintenant généralisés. Un homme d’âge moyen s’y est opposé vigoureusement, faisant remarquer que ses deux fils regardaient probablement de la pornographie et qu’il savait qu’ils ne feraient jamais rien d’horrible à une fille. Après tout, a-t-il fait remarquer, tout le monde ne possède-t-il pas la capacité de discerner entre le fantasme et la réalité?

J’ai répondu en soulignant un certain nombre de problèmes liés à sa question. Tout d’abord, si la pornographie a poussé un grand nombre de jeunes à fantasmer sur la violence sexuelle, n’est-ce pas un problème en soi? N’est-il pas vrai aussi que nous possédons un seul cerveau et qu’il est impossible d’en posséder un deuxième pour faire la cour aux fantasmes? Et enfin : Regarder de la pornographie violente, c’est participer à la violence sexuelle. Dans un film, lorsque quelqu’un se fait battre ou tirer dessus, il ne s’est pas réellement fait battre ou tirer dessus. Toutefois, dans un film pornographique, lorsqu’une fille se fait étrangler, gifler et abuser, c’est une vraie fille qui se fait réellement étrangler, gifler et abuser.

Le dernier point soulevé consiste à comprendre pourquoi la pornographie a profondément empoisonné les esprits : elle a généralisé la violence sexuelle1. Elle a introduit l’étranglement, les gifles, le sadisme et le masochisme dans notre culture sexuelle, non pas comme un fantasme étrange, mais comme une chose normale à laquelle les gens peuvent s’adonner, sans se soucier de savoir qui sera blessé. C’est pourquoi Cinquante nuances de Grey s’est vendu à 100 millions d’exemplaires alors que les associations de femmes protestaient contre le fait que ces « fantasmes » allaient faire souffrir davantage de femmes. Les prédateurs sexuels utilisent aujourd’hui ces scénarios pornographiques pour justifier leur comportement.

Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, tournons-nous un instant vers l’Australie, où Plan Australia et Our Watch viennent de publier une enquête commandée à Ipsos. Intitulé « Ne m’envoie pas cette photo2 », le rapport d’enquête provient d’une collecte de réponses auprès de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans dans tous les États et territoires australiens. L’enquête affirme sans ambages que les abus et le harcèlement sexuels, en particulier en ligne, sont devenus monnaie courante. Selon Melinda Tankard Reist, écrivant pour ABC News Australia :

« L’intimidation et le harcèlement sexuels font partie de la vie quotidienne de nombreuses filles. Les jeunes s’expriment de plus en plus sur les liens entre ces pratiques et la pornographie, et c’est bien normal, car ce sont eux qui ont le plus à perdre.3 »

En outre, Mme Reist note ceci :

« La pornographie façonne et conditionne les comportements sexuels et les attitudes des garçons, et les filles se retrouvent sans ressources pour faire face à ces garçons saturés de pornographie. »

Elle a également décrit sa propre interaction avec les étudiants, et ses expériences reflètent les miennes :

« Mon propre engagement auprès des jeunes femmes au cours des dernières années dans les écoles australiennes confirme que nous menons une expérience pornographique sur les jeunes, nous perpétrons une agression contre leur développement sexuel sain. »

Ceux qui en doutent, poursuit-elle, n’ont qu’à demander aux filles qui sont forcées de vivre dans ce monde :

« Des filles et des jeunes femmes décrivent des garçons qui font pression sur elles pour qu’elles se livrent à des actes inspirés par la pornographie qu’ils consomment couramment. Les filles racontent qu’on attend d’elles qu’elles supportent des choses qu’elles n’aiment pas. »

Lorsqu’elle a interrogé des filles sur leurs expériences sexuelles, écrit Mme Reist, elles lui ont répondu en se demandant si l’homme avait pris du plaisir.

« En grandissant dans un paysage pornographique, les filles apprennent que les hommes les considèrent comme des stations-service pour leur gratification et leur plaisir. »

Lorsqu’on lui a demandé comment les filles savaient si elles plaisaient à un garçon, une adolescente a répondu qu’un indicateur clé consistait à voir si le garçon voulait toujours parler après qu’elle lui ait prodigué une fellation. Les garçons de niveau secondaire sont connus pour promettre un baiser en échange d’actes sexuels : « On attend des filles qu’elles se livrent à des actes sexuels en guise de marques d’affection. » Les filles ont également indiqué que les demandes de photos de nues circulent pratiquement partout et qu’elles ne savent souvent tout simplement pas comment dire non dans une culture adolescente où cela est normal. Les garçons, quant à eux, échangent ces images et s’en servent souvent pour humilier les filles. En bref, les filles doivent fournir aux garçons les moyens de détruire leur vie à elles.

Que les jeunes filles s’interrogent également sur les pratiques dites BDSM4 ne surprend aucunement. « Beaucoup d’entre elles ont vu Cinquante nuances de Grey », écrit Reist, qui ajoute :

« Elles se demandent si le fait qu’il veuille me frapper, m’attacher et me harceler signifie qu’il m’aime. Les filles supportent des comportements dégradants et irrespectueux et intériorisent ainsi les messages de la pornographie sur leur rôle dédaigneux. Je rencontre des filles qui m’ont raconté avoir été tripotées dans la cour de l’école. […] Elles me disent que les garçons agissent comme s’ils avaient le droit de disposer du corps des filles. Les défenseurs de la pornographie affirment souvent qu’elle constitue un outil d’éducation sexuelle. C’est effectivement le cas : elle apprend aux garçons, même très jeunes, que les femmes et les filles sont toujours partantes. Le “non” signifie en fait “oui” ou “persuade-moi”. »

Les filles savent qu’elles sont comparées à des stars du porno et, par conséquent, les demandes de labiaplastie (chirurgie esthétique des organes génitaux féminins) ont triplé au cours des dix dernières années pour les femmes de moins de 24 ans.

Reist cite ensuite la directrice d’un centre pour victimes de violence domestique opérant sur la Côte d’Or en Australie, qui note que les « blessures liées à la pornographie » chez les jeunes filles, même très jeunes, augmentent de façon spectaculaire :

« Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation considérable du nombre de viols commis par des partenaires intimes sur des femmes âgées de 14 à plus de 80 ans. Le plus grand dénominateur commun, c’est la consommation de pornographie par l’agresseur. Les délinquants éprouvent beaucoup de difficulté à distinguer le fantasme et la réalité. Ils croient que les femmes se montrent “toujours disposées” 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ils adhèrent au mythe selon lequel “non veut dire oui et oui veut dire anal”. Ils ignorent les blessures qu’ils causent, ils ne songent jamais à demander leur consentement. Nous avons constaté une augmentation considérable des cas de privation de liberté, de blessures physiques, de torture, d’utilisation de drogues, de tournage et de partage d’images sans consentement.5 »

De plus en plus, on trouve difficile de nier que la pornographie produit un effet dévastateur sur l’esprit des jeunes dans le monde entier6. En Australie, une enquête sénatoriale recueille des preuves de l’impact de la pornographie sur les jeunes, et un symposium sur la question s’est également tenu récemment. Le professeur émérite Freda Briggs a récemment fait remarquer que la pornographie transforme les enfants en « prédateurs sexuels imitateurs » et que les taux d’abus d’enfants par des enfants ont augmenté de façon astronomique au cours des dernières années. Ce qui pourrait s’avérer encore plus choquant, c’est que la Société australienne de psychologie a estimé que les garçons adolescents commettent environ 20 % des viols de femmes adultes et 30 à 50 % des agressions sexuelles sur des enfants. L’impact de ces actes sur les vies concernées s’avère bouleversant et dure la vie entière.

Le rapport d’enquête se termine par un conseil sans ménagement et nécessaire de Josie, 18 ans :

« On doit sévir contre la pornographie violente, qui circule actuellement auprès des garçons et des hommes. Il devrait être illégal de produire ou de visionner cette pornographie violente en Australie, car nous avons manifestement un problème de violence et les garçons regardent beaucoup de pornographie qui peut se révéler très violente. […] Cela influence l’attitude des hommes envers les femmes et ce qu’ils pensent être acceptable. La pornographie violente s’infiltre dans les relations humaines en Australie.7 »

Voilà, en quelques mots, ma pensée lorsque j’affirme que la pornographie a généralisé la violence sexuelle : Elle l’a rendue normale. Les filles doivent accepter les abus sexuels, les hommes doivent les perpétrer, et la pornographie stimule la demande.

Un autre jeune père s’est approché de moi à la fin de la conférence pour obtenir plus d’informations. Il avait plusieurs fils et voulait savoir à quel point il devait s’inquiéter de la pornographie. Je lui ai demandé s’il avait une fille et il m’a répondu par l’affirmative. Je lui ai demandé s’il accepterait qu’elle sorte, seule, avec un jeune homme qui s’exciterait régulièrement en regardant la pornographie sexuellement violente que les jeunes hommes considèrent comme une norme. Il a sursauté, mais c’est bien de cela qu’on parle : les filles et les femmes doivent naviguer dans un paysage où les jeunes hommes ont grandi avec de la pornographie que nos parents auraient eu du mal à trouver et que beaucoup de nos grands-parents n’auraient pas pu imaginer.

La pornographie détruit les relations et dévaste une sexualité saine, et nous comptons sur les générations futures pour qu’elles remédient à ce grave problème, ce qui implique probablement d’interdire totalement l’accès à la pornographie violente.

Notes

2. « Don’t send me that pic » [Ne m’envoie pas cette photo], Plan International Australia, 2 mars 2016.

3. Melinda Tankard Reist, « Growing Up in Pornland: Girls Have Had It with Porn Conditioned Boys » [Grandir au Pornland : Les filles en ont assez des garçons conditionnés par la pornographie], ABC News Australia, 6 mars 2016.

4. N.D.T. : BDSM, c’est-à-dire « Bondage et discipline, domination et soumission, sadomasochisme », désigne un ensemble de pratiques sexuelles et contractuelles utilisant la douleur, la contrainte, l’humiliation érotique ou la mise en scène de divers fantasmes sexuels. Les pratiques sadomasochistes sont fondées sur un contrat entre deux parties (pôle dominant et pôle dominé). Le BDSM fait l’objet de pratiques très variées.

5. Melinda Tankard Reist, « What no one wants to talk about: how girl’s bodies are injured by porn using boys » [Ce dont personne ne veut parler : comment la pornographie mettant en scène des garçons blesse le corps des filles], MTR, 26 avril 2015.

7. « Don’t send me that pic » [Ne m’envoie pas cette photo], Plan International Australia, 2 mars 2016.