Cet article a pour sujet les trois usages de la loi de Dieu (politique ou civil, pédagogique et normatif) et le rapport complémentaire entre la loi et l'Évangile selon la Bible et la théologie réformée, avec l'exemple d'Israël délivré d'Égypte.

Source: L'Esprit de la loi - Éléments pour une éthique chrétienne et réformée. 7 pages.

Théologie réformée de la loi

  1. Le triple usage de la loi
  2. Le rapport entre la loi et l’Évangile
  3. L’exemple d’Israël

1. Le triple usage de la loi🔗

Pour la commodité même de la compréhension et la clarté du sujet, après avoir brièvement exposé la pensée de Jean Calvin, abordons dans un second paragraphe ce que la théologie réformée appelle le triple usage de la loi.

a. La théologie calvinienne a parlé de l’usage politique de la loi; car elle règle la vie extérieure de ceux qui ne croient pas en Christ. La révélation générale exerce dans leur vie une certaine influence, bien qu’ils ne reconnaissent pas Dieu. La Bible exerce également une influence, bien qu’elle ne soit pas acceptée et reconnue Parole de Dieu. Le chrétien, lui, reconnaît avec gratitude cette fonction de la loi qui rend la vie sur terre possible et lui permet de participer à la vie politique, sociale, etc. Par la loi, Dieu restreint le pouvoir du mal et limite l’étendue du pouvoir du péché, pour maintenir et même promouvoir dans un monde totalement corrompu le bien et la justice. Cet usage est extérieur à la vie chrétienne; aussi nous ne l’étudierons pas dans ses détails. Il est également connu comme usage civil de la loi.

b. L’usage pédagogique de la loi nous sert de pédagogue pour nous amener vers le Christ (Ga 3.24). Le terme pédagogue utilisé ici désignait, à l’époque de Paul, l’esclave chargé de conduire, parfois en les forçant, les enfants à l’école. La loi est la révélation du péché (Rm 3.20). Tel un miroir, elle montre notre visage authentique, ravagé par le péché. Elle ouvre nos yeux sous l’action efficace de l’Esprit et révèle l’horreur de notre condition de pécheurs. Elle annonce que le salaire du péché est la mort (Rm 6.23).

c. L’usage didactique ou normatif, lui, sert de règle pour notre conduite morale actuelle et comme reconnaissance. Elle nous dit de quelle manière nous pourrons plaire à Dieu et discerner sa volonté (Ps 19.7-8).

Nous aurons encore recours à la pensée du réformateur. Dans son commentaire sur les quatre derniers livres de Moïse, en abordant la question de la loi morale, et tandis qu’il la confirme, Calvin explique également comment l’État est tenu de se soumettre à elle. Il déclare qu’il n’existe aucun auteur profane qui n’ait reconnu que telle est la part principale de tout État normalement organisé, à savoir que d’un même accord l’on doive respect et adoration à Dieu.

À partir de cette conviction, Calvin déclare que la loi de Moïse reflète la loi naturelle lorsque celle-ci exige la mort pour ceux qui dévaluent gravement la religion. Dieu, écrit-il, donne l’ordre de mettre à mort les faux prophètes, ceux qui sapent les fondations de la religion et qui sont les auteurs et les conducteurs de rébellion. Pourquoi, se demande-t-il, les transgressions sérieuses contre la seconde table de la loi sont-elles passibles du châtiment suprême et pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour les offenses contre la première table? S’il faut décréter la peine capitale contre les adultères, ne le faut-il pas aussi contre ceux qui méprisent Dieu? La vraie religion, insiste-t-il, doit être protégée par l’action coercitive du gouvernement. Il indique à cet endroit que la persécution religieuse est justifiée seulement lorsque la religion a été démontrée comme vraie et qu’elle est légalement établie et acceptée par le public, et lorsque l’attaquer met celle-ci en grave danger. Ce n’est que dans une telle circonstance que l’État peut punir des offenses religieuses, telles que l’apostasie et les blasphèmes.

Au-delà des domaines où la loi mosaïque exprime la loi morale, Calvin reconnaît des aires où la loi donnée à Moïse a servi à des buts spécifiques qui étaient uniques à Israël. Par exemple, il voit l’alliance du Sinaï comme le renouvellement de l’alliance conclue avec Abraham, mais augmentée pour des fins supplémentaires. Il semble qu’il s’inspire correctement de l’enseignement de saint Paul dans Galates 3.19, où l’apôtre oppose la loi à la promesse faite au patriarche. La façon dont il traite la fonction particulière et le pouvoir et la fin de la loi est de la distinguer de la promesse de la grâce. Par conséquent, ce qui est propre à la loi de Moïse, c’est de remplir les esprits d’une crainte, en menaçant de malédiction…

Cependant, dans les mêmes commentaires, le réformateur limite l’applicabilité de la loi de Moïse en distinguant entre la loi morale permanente et des lois politiques temporaires. Tel précepte politique était donné temporairement au peuple ancien. Voici de quelle manière il fixe le critère sur la distinction entre ce qui est permanent et temporaire dans la loi mosaïque. Nous modernisons l’orthographe de Calvin :

« Si cette discipline était fondée sur l’utilité d’un seul peuple, ou sur la coutume d’une époque donnée, ou sur la nécessité présente, ou sur une autre circonstance, les lois déduites pourraient être abrogées pour des raisons nouvelles, ou leur observation pourrait être dispensée dans le cas de certaines personnes, en vertu d’un privilège spécial, mais, parce que dans leur opération c’était la décence perpétuelle de la nature qui était considérée seule, même une seule dispense ne pouvait être permise. Il peut en effet décréter qu’il est légal et non soumis au châtiment, puisqu’il est du pouvoir des princes de remettre des peines, cependant aucun législateur ne peut faire en sorte qu’une chose que la nature tient pour vicieux ne le soit pas; et si l’arrogance tyrannique ose le tenter, la lumière de la nature brillera et prévaudra. »

L’usage politique de la loi n’est pas la moindre des controverses actuelles soulevées à propos de la validité de la loi dans l’Église. Sans entrer dans un long débat, ce qui nous entraînerait loin des limites que nous nous sommes assignées dans cette introduction, nous rappellerons les traits essentiels de cet usage.

Selon 1 Timothée 1.9-10, la loi apparaît comme la force de Dieu qui restreint la nature et les penchants de l’homme déchu vers le mal. Comme telle, elle est bonne et l’expression même de la volonté bonne, sage et parfaite de Dieu. Toutefois, la différence entre cet usage et l’usage didactique qui en était fait dans l’Ancien Testament n’est pas une différence de nature, mais simplement de champ de son application. La révélation générale, ainsi qu’une partie de l’Écriture, permet à l’homme non régénéré, celui qui ne reconnaît pas l’autorité de la Parole révélée de Dieu, une certaine conformité aux commandements de Dieu. Le chrétien, quant à lui, reconnaîtra avec gratitude la fonction préventive de la loi, qui rend possible la vie sur terre, en dépit des monstrueuses conséquences de la chute et de la corruption totale de l’homme. La loi, force restreignante, lui permet de participer, dans certaines limites, à la vie civile ou « politique » de l’humanité.

2. Le rapport entre la loi et l’Évangile🔗

Depuis la Réforme du 16siècle, il est d’usage de distinguer dans la Parole, moyen de grâce, deux parties appelées loi et Évangile. Nous ne discuterons pas ici de la légitimité de la distinction, nous bornant à en rappeler les traits particuliers. Prenons garde de ne pas assimiler la première à l’Ancien Testament et la seconde au Nouveau Testament. L’examen des deux nous a démontré déjà que la loi est présente dans le Nouveau Testament et que l’Ancien Testament, lui, contient déjà l’Évangile. La loi est présente dans toute l’Écriture en tant que la formulation claire, suffisante, autorisée et infaillible de la volonté de Dieu. Comme telle, elle fait intégralement partie de son œuvre rédemptrice et réconciliatrice afin de déclarer, à sa manière, l’amour sauveur de Dieu, manifesté en Jésus-Christ.

Cependant, chacune de ces deux parties exerce une fonction qui lui est propre dans l’économie actuelle du salut et de la grâce. La loi cherche à éveiller la tristesse dans le cœur du croyant en vue de son repentir, tandis que l’Évangile, lui, engendre la foi en l’œuvre rédemptrice du Christ. En un sens, l’œuvre de la loi prépare et annonce l’avènement de l’Évangile. Elle approfondit la conscience du péché et convainc le pécheur de l’absolue nécessité du salut opéré par le Christ et achevé parfaitement sur la croix. La loi comme l’Évangile poursuivent donc un même dessein. Par conséquent, aux yeux de la foi reconnaissante, ils sont tous deux indispensables à l’ensemble : le moyen de grâce qu’est la Parole de Dieu.

Cette distinction et cette complémentarité, hélas!, n’ont pas toujours été reconnues ou comprises avec le sérieux qu’elles méritaient. L’aspect négatif de la loi accusatrice a été plus souvent souligné, et ceci au détriment de son caractère positif.

Depuis l’hérésiarque Marcion (2siècle), certains ont établi un contraste qui ne rend aucune justice au caractère propre et à l’intention initiale de la loi. Ils ont prétendu que l’Évangile excluait définitivement la loi en s’appuyant, en partie au moins, sur les reproches adressés par Paul à l’apôtre Pierre, lors de l’incident d’Antioche (voir Ga 2.11-14), ou encore en s’appuyant sur le fait que Paul établit parfois une distinction prononcée entre les deux, les considérant en quelque sorte comme des entités irréconciliables. Cependant, l’examen des textes pauliniens montre clairement en quoi consistait cette « opposition » entre loi et Évangile. On semble oublier que Paul reconnaissait à la loi le rôle de pédagogue conduisant le pécheur vers le Christ (Ga 3.24). La lettre aux Hébreux, quant à elle, l’introduit non pas comme une antithèse à l’Évangile, mais plutôt comme l’Évangile dans sa phase préliminaire et imparfaite.

L’opposition toute fictive entre Évangile et loi fut acceptée par un certain nombre de théologiens réformés du 16siècle. Aux yeux de ceux-ci, la loi ne représentait que le contenu de toutes les exigences de Dieu, tandis que l’Évangile, lui, apparaissait comme le moyen inconditionnel du salut acquis et offert gratuitement par Jésus-Christ. Cette opposition, écrit Louis Berkhof dans sa théologie systématique, était également due à la controverse soulevée entre réformés et arminiens au début du 17siècle. Pour ces derniers, le salut dépendait de la foi et de l’obéissance évangélique considérées en tant qu’œuvre de l’homme. Dans cette optique, l’Alliance de grâce n’imposerait aucun commandement, n’exigeant que la foi, l’espérance et l’amour en Dieu. Il y aurait donc lieu d’accepter inconditionnellement toutes les promesses de Dieu, aucune ne concernant l’obéissance de sa loi.

D’autres théologiens de l’époque soulignèrent, avec raison, que la loi de Moïse n’était pas dépourvue de promesses et que l’Évangile, lui, contient également des exigences. Pour l’Évangile, l’homme sauvé n’est jamais passif, car bien que Dieu œuvre en lui en vue du « vouloir et du faire », le bénéficiaire de l’Alliance de grâce et de tous les privilèges qui en découlent devra les accepter de manière active et répondre, certes par la foi, aux exigences qu’elle implique et qu’elle impose. L’obéissance à la loi, comme règle de vie, est une condition absolue pour la vie chrétienne normale.

La théologie dispensationaliste tient la loi et l’Évangile comme des antithèses absolues. À ses yeux, Israël était soumis au régime de la loi lors de la dispensation antérieure, mais l’Église de la dispensation actuelle, affranchie de ce régime, serait placée au bénéfice de l’Évangile, ce qui veut dire qu’elle serait totalement libre à l’égard de la loi. Le fidèle ne devra donc pas se préoccuper des exigences de la loi. Le Christ a fait face à toutes les exigences présentées par celle-ci. Les tenants de cette position farouchement antinomienne oublient que si le Christ a bien porté la malédiction de la loi, il n’a pas pour autant accompli la loi à leur place en tant que règle de vie, toujours en vigueur dans le régime de l’Évangile.

À la suite de la majorité des théologiens réformés, nous pensons que l’Évangile court d’un bout à l’autre à travers tout l’Ancien Testament et parvient à son sommet dans les prophéties messianiques. Il est par conséquent tout à fait injustifié de déclarer que, dans la nouvelle dispensation, la loi perd ses droits et qu’elle est rendue nulle. L’examen des discours et de l’attitude de Jésus ainsi que les textes de Paul et de Jacques ont suffisamment montré le contraire. Saint Jean écrit qu’il y a iniquité là où il y a péché et que l’amour de Dieu consiste précisément à observer ses commandements.

L’Évangile et la loi sont donc intimement liés dans une unité paradoxale; unité qui est indissoluble, car l’un comme l’autre dérivent de la révélation; paradoxale, car il paraît qu’ils sont présents de manière antithétique, voire en conflit. Cependant, cette tension sera résorbée aussitôt que nous les considérerons par rapport au Christ Seigneur et Sauveur. Toute promesse évangélique contient un impératif et tout impératif comporte une promesse. La loi est premièrement un commandement, de même que l’Évangile est une promesse, mais ils ne sont point exclusifs l’un de l’autre. Tous les deux sont et doivent être moyens de grâce, à condition qu’ils s’associent. De même que la loi ne doit jamais être prêchée sans le Christ, sans rapport à lui, de même l’œuvre du Sauveur ne peut être prêchée sans référence à la loi.

Un Évangile séparé de la loi devient une grâce bon marché. Il ne produit plus la justice selon Dieu, mais de l’antinomisme. La loi sans l’Évangile engendre seulement la propre justice, c’est-à-dire du légalisme. En dehors de l’Évangile, la loi conduit vers un moralisme stérile. Séparé de la loi, l’Évangile, lui, dégénère en une vague spiritualité. Un théologien puritain du 17siècle disait que la loi nous envoie vers l’Évangile qui nous justifie, mais l’Évangile nous renvoie à la loi pour nous apprendre qu’elle est notre responsabilité en tant que pécheur justifié. La grâce de Dieu confirme l’origine divine de la loi, non pas principalement pour servir la loi. Elle nous est accordée pour le salut par la foi et ainsi pour la seule gloire de Dieu.

L’unité de la loi et de l’Évangile est apparente en Christ, en sa personne et dans son œuvre rédemptrice. Il nous apparaît comme la Parole faite chair à la fois comme législateur et celui qui a parfaitement accompli la loi. C’est lui qui en a donné l’interprétation radicale de même qu’il l’a rendue intérieure à la personne. L’Évangile ne contredit pas la loi, il réfute sa mauvaise interprétation et son application légaliste. Bien que complémentaires, la loi et l’Évangile ne sont pas pour autant égaux. Leur unité déclare leur interdépendance, mais non leur égalité. La loi avait été donnée par les anges, l’Évangile directement par Dieu en le Fils incarné. La loi peut jouer un rôle dans l’évangélisation. On peut dire, sans trop forcer la pensée, que l’Évangile est à la fois l’accomplissement de la loi et la négation de ses exigences. Il n’est pas simplement un moyen vers la loi comme une fin supérieure, mais la loi est comprise en l’Évangile.

On a pu dire que le critère fondamental de l’éthique théologique n’est ni la loi ni l’Évangile, mais l’Évangile-loi. À présent, la loi est transformée en commandement divin lequel est grâce et commandement en une seule unité. La loi prépare-t-elle la voie vers l’Évangile? En un sens oui, car elle donne la connaissance du péché et celui qui est sous le péché cherchera à en supprimer la connaissance, il la refoulera. Par conséquent, en dehors du Christ, la loi conduit vers un malentendu plutôt qu’à une vraie perception de la condition humaine. En elle-même ou par elle-même, la loi soulève des sentiments d’indignité, mais ne nous conduit pas à confesser notre péché. Sans l’Esprit Saint, la loi n’aurait pas été le pédagogue nous conduisant au Christ, elle aurait été le pédagogue qui nous fait aboutir à la mort.

Avant la rencontre avec le Christ, nous ne serons pas confrontés à la loi de Dieu ni même à sa compréhension. C’est uniquement après une telle rencontre que nous apprenons la gravité du péché et le jugement de Dieu sur nous. Calvin dira que la connaissance de l’amour de Dieu et son pardon nous viennent avant notre repentance. C’est notre misère qui incite à chercher le salut en Christ. Personne ne se hâterait vers le Christ sans avoir auparavant l’assurance de la bonté de Dieu envers nous. La loi en soi, en elle-même, ne peut nous sauver. Par conséquent, elle ne peut accorder de solution à notre condition humaine. Sa fonction est de nous conduire vers le Christ. Elle nous rappelle le péché et même souligne l’immensité de la grâce. Lorsque la loi est ainsi associée à l’Évangile, elle peut devenir un instrument de conversion quand l’Esprit nous inspire la confiance en Dieu et en ses compassions. En ce sens, nous apprécierons les paroles du psalmiste : La loi du Seigneur est parfaite, elle réjouit le cœur (Ps 19.9).

Calvin nous aidera encore, pensons-nous, à saisir ce rapport étroit et l’association organique entre la loi et l’Évangile :

« Mais puisque nos adversaires nous assaillent encore avec d’autres armes, continuons à repousser leurs assauts. … Ils invoquent d’abord les promesses légales que Dieu a faites à ceux qui observent sa loi et nous demandent si ce sont de vaines promesses. Puisque, disent-ils, on ne peut raisonnablement dire qu’elles sont vaines, il faut bien qu’elles soient valables, d’où il ressort que nous ne sommes pas justifiés par la foi seule. … Nous avons déjà montré que si nous nous accrochons à la loi, nous sommes exclus de toute bénédiction et placés sous la malédiction qui frappe tous ceux qui l’enfreignent, puisque les promesses de Dieu ne sont que pour ceux qui observent parfaitement la loi, ce qui n’est le cas d’aucun homme au monde. Il demeure donc vrai que la loi rend tout le genre humain passible de la malédiction et de la colère de Dieu, dont nous ne pouvons être délivrés qu’en étant affranchis du pouvoir de la loi, comme des esclaves passent de la servitude à la liberté. Il ne s’agit pas d’une liberté charnelle qui en nous soustrayant à l’obéissance de la loi nous convierait à la licence et lâcherait la bride à nos instincts déréglés. Il s’agit d’une liberté spirituelle qui console et rassure la conscience inquiète en lui montrant qu’elle est délivrée de la malédiction que la loi faisait peser sur elle. Nous obtenons cette délivrance quand nous saisissons par la foi la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ. Par elle, nous avons la certitude du pardon de nos péchés, dont la loi nous donnait la conscience pour notre tourment. Pour cette raison, les promesses qui nous sont offertes par la loi seraient vaines si la bonté de Dieu ne nous venait en aide par l’Évangile. Car elles ne sont valables que si nous accomplissons la volonté de Dieu, condition à laquelle nous sommes bien incapables de satisfaire. Or le Seigneur nous vient en aide non pas en nous comptant la justice partielle que pourraient mériter nos œuvres et en suppléant par sa bonté à ce qui nous manque, mais en confiant entièrement au Christ l’accomplissement de notre justification.1 »

3. L’exemple d’Israël🔗

L’histoire biblique du pèlerinage du peuple d’Israël dans le désert est une belle illustration qui doit servir d’exemple de la vie du chrétien, du berceau à la tombe. Israël, peuple de l’Ancienne Alliance, avait été délivré par la main puissante de Dieu, arraché à l’oppression et préservé d’une mort certaine. Ensuite, il fut conduit dans un pays aride, au désert, où il dut dépendre à chaque instant de la bonté de son Libérateur pour sa subsistance. Dieu seul lui a fourni la nourriture, le protégea contre ses ennemis et promit de l’amener sain et sauf à sa destination.

Il est intéressant de noter que Dieu a conduit son ancien peuple par le chemin du mont Sinaï. C’est à cet endroit que Dieu lui a révélé sa loi, destinée à régir toute l’existence de ce peuple, aussi bien religieuse que civile et individuelle.

Cette expérience de l’Ancien Testament est répétée dans la vie de l’Église, peuple de la Nouvelle Alliance. Elle aussi est libérée de l’oppression tyrannique du péché, bien que, tel l’ancien Israël, elle se trouve sur le chemin du pèlerinage, en plein désert spirituel, entourée par de nombreux et redoutables ennemis, et où si souvent un abri lui fait défaut. Ce n’est que guidée par le Seigneur qu’elle sera en sécurité et qu’elle pourra enfin parvenir à la maison céleste, à la Cité dont l’architecte est Dieu.

Ainsi, quoique donnée dans le cadre de l’Ancien Testament, l’actualité de la loi du Sinaï conserve toute sa réalité et toute sa force. Les vertus recommandées, ainsi que les vices réprouvés, expriment la volonté sage, bonne et parfaite de Dieu à notre égard. Avec le Catéchisme de Heidelberg, nous estimons que la loi et son accomplissement sont à présent le signe de notre gratitude pour les grands actes rédempteurs de Dieu. Les deux tables de la loi montrent notre lien entre le ciel, demeure de Dieu, et la terre, lieu de rencontre et de cohabitation avec les hommes. Si nous avons saisi ce double attachement de la foi, nous éviterons le danger qui consiste à réduire la vie dans la foi à un aspect purement social, aux dépens de nos obligations envers Dieu, et celui de l’erreur opposée qui consisterait à cultiver des sentiments et une vie spirituelle tout en négligeant, voire dénigrant, la seconde table de la loi. Pour un certain nombre de chrétiens de cette catégorie, la seconde table de la loi serait commune à tous les hommes, en vertu de leur conscience morale tout à fait naturelle. Ainsi, la loi montre la place du croyant dans le monde, avec ses relations multiples et complexes et dans la situation qui est la sienne.

L’histoire de l’Église témoigne des erreurs d’appréciation qui ont amené des hommes et des femmes à fuir le monde pour se livrer à une ascèse sans fondement biblique. Le lecteur de la Bible sait qu’il n’y a pas lieu de fuir « ce monde ». Agir de la sorte c’est s’opposer consciemment ou inconsciemment à la volonté clairement révélée de Dieu. Les témoins de la foi, présentés dans la galerie des portraits que nous offre le chapitre 11 de la lettre aux Hébreux, n’ont pas fui le monde. Jésus en personne a exercé son ministère terrestre non pas en ascète, mais en se mêlant à toutes les affaires de ce monde, qu’il était venu restituer entre les mains du Père. Aussi, notre propre croissance dans la foi et l’accomplissement de notre mission s’effectueront par l’écoute et par la soumission à la volonté de Dieu concernant notre vie dans le monde présent, prémices de son règne qui vient et qui, jusqu’à la fin, sera régi par la loi qu’il a écrite sur les pages du Livre saint.

Note

1. J. Calvin, L’Institution chrétienne, édition abrégée en français moderne, P.B.U., Lausanne, 1985, III/17:1-2, p. 129.