Cet article a pour sujet une fausse conception moderne de la justice qui rejette la notion de responsabilité et de culpabilité. La peine devient alors une thérapie au lieu d'être la juste rétribution d'un malfaiteur.

Source: Pénologie - Considérations sur la peine capitale. 5 pages.

Une certaine conception de la justice

Deux notions de justice nous semblent actuellement en opposition ouverte; nous qualifierons l’une d’humanisme athée, l’autre de biblique. La première est une conception poétisée de la justice; la seconde, rétributive, s’enracine dans la justice divine, dont témoigne l’Écriture sainte.

L’une des principales tâches d’un tribunal consiste à déterminer si une personne sur qui pèsent des présomptions a effectivement commis le crime pour lequel elle est jugée. Sans entrer dans les détails des diverses juridictions en vigueur, il apparaît très clairement, en Occident tout au moins, que celles-ci se confondent davantage avec des notions psychologiques qu’avec la « justice juste » à proprement parler. Dans nombre de cas, la question qui apparaît comme essentielle est celle-ci : l’accusé jouissait-il ou non d’un parfait équilibre mental au moment des faits qui lui sont reprochés? Ici entre en jeu la notion de responsabilité atténuée. Si l’hypothèse d’une lacune mentale est retenue, son acte ne sera pas qualifié de crime. On assiste alors à la répudiation pure et simple de toute notion de culpabilité. La société substitue à la peine le système « d’hygiène mentale », et alors le tribunal ne juge pas, mais décide ce qui est préférable pour le criminel et, subsidiairement, pour la société…

Nous osons croire que le lecteur ne nous soupçonnera pas de vouloir nier à tout prix l’existence de criminels malades et de leur refuser toute « circonstance atténuante ». Mais là n’est pas le problème; il s’agit, à nos yeux, de la répudiation même de la notion de responsabilité, qui peut et doit entraîner la notion de culpabilité, et ce, même dans le cas d’un criminel malade… Entre alors en vigueur la détention thérapeutique et commence la « cure médicale » du criminel. La préoccupation exclusive devient alors : comment prévenir la société de crimes et comment éduquer le criminel? Selon cette théorie révolutionnaire de la justice, les positions traditionnelles qui établissent la culpabilité du criminel apparaissent comme quasiment barbares parce qu’elles ne tiennent pas compte de l’état mental de celui-ci au moment de la crise.

D’ailleurs, on procède toujours à l’examen de l’état d’esprit du criminel après que celui-ci eut commis son acte, et pas avant… Une telle procédure permet de tirer clairement une ligne entre la possibilité d’acquitter et celle de condamner. Car d’après la nouvelle légalité, toute notion rétributive passe pour barbare et irrationnelle. Puisque nous ne savons jamais au juste ce qui se passe dans la tête de l’homme criminel, nous n’avons pas non plus le moyen d’y découvrir ne serait-ce qu’un semblant d’élément de culpabilité. La doctrine juridique classique de la responsabilité individuelle est ouvertement niée. En revanche, on lui substitue un traitement qui n’est pas de nature juridique, c’est-à-dire un traitement médical ou psychologique.

C’est ainsi que la peine subit une transsubstantiation et devient thérapie. C’est contre celle-ci que s’élevait avec conviction et compétence le célèbre auteur britannique C.S. Lewis. Dans son ouvrage Théorie humaniste (ou humanitaire) du châtiment, l’auteur se demande d’abord si le meurtrier a plus de chances de se repentir devant l’instrument d’exécution que durant un long emprisonnement. La peur de la mort est-elle un motif suffisant de dissuasion? Les théoriciens humanistes de la peine capitale estiment que leurs positions sont plus miséricordieuses envers le condamné. Ils se trompent lourdement, écrit Lewis. « L’humanité » dont ils se réclament n’est qu’une illusion dangereuse. Elle cache mal le potentiel de cruauté et l’infinie injustice que recèle leur théorie humaniste ou humanitaire. Et si je plaide, poursuit-il, pour la théorie rétributive de la justice, je ne le fais pas uniquement dans l’intérêt de la société, mais encore dans celle du criminel. Lorsque la théorie opposée décrète que le criminel est un cas pathologique, l’idée de l’amendement se noie et disparaît totalement dans celle de la « guérison ». Si à première vue, d’ailleurs tout à fait superficielle, on s’imagine que les « mœurs barbares » de jadis dictant la théorie rétributive sont à jamais révolues au profit d’une position plus charitable et plus éclairée (puisqu’on s’occupe à présent du criminel), il faut tenir compte en réalité du traitement que celui-ci sera contraint de subir même si on l’appelle « thérapeutique rééducative ».

Or, celle-ci n’en demeure pas moins un traitement injuste. Ainsi, le voleur sera forcé de subir une cure de psychothérapie sans laquelle la société ne serait à l’abri d’une nouvelle menace d’oppression de sa part. Mais, précise l’auteur, une théorie qui n’est qu’apparemment charitable, et ce à l’insu même de ses défenseurs, porte une atteinte intolérable à la liberté du délinquant et devient par là une infraction encore plus grave que le crime contre la loi. La théorie en question a balayé toute idée de « mériter son châtiment », notion éminemment juridique. Car les autres questions, admises même à titre provisoire ou comme hypothèses, telle l’exemplarité de la peine ou surtout la rééducation et la réinsertion du délinquant dans la société, ne sont pas à proprement parler des questions de nature juridique.

Car il n’existe pas d’exemplarité juste ni même de thérapeutique juste. Celles-ci ne peuvent être qualifiées que de manière purement pragmatique et on ne peut parler à leur sujet qu’en termes de « réussite ». La théorie humaniste ne nous place pas devant une personne ayant des droits, même lorsqu’il s’agit d’un criminel, mais face à un objet, un patient, voire un gag.

Le but de la peine… est de punir celui qui mérite le châtiment. Si on décrète que le criminel n’est qu’un malade, c’est un « expert » et non pas le juge qui s’en occupera. Tout le système juridique est alors remis en question. Par exemple, un membre du jury appelé à se prononcer sur un cas, n’étant pas spécialisé en psychiatrie, n’aura plus le droit de se faire une opinion ni de prononcer un jugement, ni d’après sa conscience morale, ni d’après ce qu’on appelle le droit naturel, ni, bien entendu, d’après les données de la révélation biblique. Il ne reste qu’à fermer désormais toutes les cours d’assises pour les remplacer par des hôpitaux psychiatriques, car il n’y a pas lieu d’exiger une rétribution ni de rendre justice à la victime. Celle-ci devient victime à double titre : victime du délinquant, mais également victime de la société qui refuse de prendre sa défense. Une telle théorie, écrit encore Lewis, a ôté le pouvoir de la justice d’entre les mains des juges pour la confier aux techniciens et aux experts de la médecine psychiatrique. Personne ne semble se préoccuper du fait qu’une telle thérapeutique, prenant la place de la juste compensation, se fait inévitablement sous la contrainte et s’applique par la force. En outre, qui sera l’expert infaillible pour décider de la cure à prescrire?

Dans l’effarante confusion qui règne au sujet de la personne humaine, quelle sera l’école psychologique en mesure de prescrire et d’appliquer une « cure » qui ne soit pas — même à son insu — abusive si ce n’est barbare? Sous prétexte d’épargner la guillotine au criminel, ne risque-t-on pas de faire de lui un otage dans une sorte de rapt légal effectué par les soins d’une psychologie sociale à prétentions humanitaires? Quelle sera, finalement, l’instance ayant pouvoir de décision dans la vie d’un homme, même criminel? Ne courons-nous pas tous le risque, à la moindre infraction, d’être livrés entre les mains d’experts psychiatriques sous prétexte d’améliorer notre comportement?

Cette espèce de sanctification forcée nous semble la plus grave menace pesant actuellement sur nos libertés… Car une fois que les amarres de la véritable dignité de l’homme sont lâchées, tout peut arriver et, de fait, tout est déjà arrivé dans un grand nombre de pays. Mais même dans nos pays à prétentions démocratiques, les interférences de l’État dans nos vies privées risquent d’aller toujours plus loin.

En éliminant la notion de responsabilité individuelle, et surtout celle de la juste rétribution du malfaiteur, les sociologues modernes ôtent le Code criminel de son propre terrain, celui de la légalité, pour le placer dans celui du psychologisme, du sociologisme ou du biologisme.

Mais le crime ne saurait être ramené ni assimilé à un phénomène psychologique. Nous ne nions pas l’opportunité, ni parfois même la nécessité, d’avoir recours aux services de la psychologie moderne. Mais en agissant comme ils le font actuellement, les spécialistes en criminologie et pénologie permettent à la psychologie d’usurper un droit qui n’est pas le sien, donc qui ne peut plus réclamer pour lui l’autorité de la loi parce qu’il supplante le domaine juridique autonome.

Ce n’est pas la médecine ou la psychologie qui peuvent définir la loi. Même si celles-ci peuvent aider à définir un crime en tenant compte de tous les aspects du comportement d’une personne, toutefois, le refus d’accepter une responsabilité individuelle revient, en réalité, à achever la dépersonnalisation du criminel.

Nous aurons à établir la différence entre un acte intentionnel et délibérément commis et des actes accidentels, dus à des erreurs ou à des automatismes, voire à une insanité mentale. Cette différence reste à la racine même de notre concept de la personne humaine.

La justice rétributive punit le criminel parce que celui-ci mérite le châtiment. Sans la notion de peine, il ne peut exister ni de justice ni même de morale. Il n’y aura alors que des injustices, peut-être pires que celles qui sont perpétrées sous les dictatures oligarchiques — même si celles-ci prennent d’autres masques — et il n’y aura d’ordre social que celui des asiles et de thérapeutique que celle pratiquée par une psychiatrie dévoyée.

1984, Orange mécanique et l’univers de Vol au-dessus d’un nid de coucou pourraient dépasser les limites de la fiction pour devenir des réalités vécues quotidiennement. La violence organisée et officielle de l’institution étatique, devenue notre gardien légal (le « Big Brother ») pourrait porter systématiquement ses assauts contre notre personnalité créée à l’image de Dieu et libérée non pas à prix d’or et d’argent, mais au prix du précieux sang de notre Seigneur Jésus-Christ. Sous prétexte d’une théorie humanitaire de la peine et de toute cette révolutionnaire conception de la justice, on risquerait de nous asservir par la plus sophistiquée et la plus vile des formes d’oppression.

Si, dans un futur proche ou lointain, une « école de psychologie » décrétait que la foi est une anomalie mentale et par conséquent une maladie dangereuse pour la société, nous tomberions aussitôt entre les griffes des services aseptisés du nouvel univers pénitentiaire et nous serions livrés entre les mains « rassurantes » de médecins et d’infirmières devenus des policiers sociopsychologiques… Cela ne semble pour le moment qu’un cauchemar. Prions afin que la liberté à laquelle Dieu nous a appelés ne subisse jamais aucun de ces traitements pervers d’une prétendue science opposée à la loi de Dieu…

L’autre conception de la justice est celle que nous avons appelée rétributive. Elle exige l’élimination du mal; elle défend et s’occupe tout d’abord de la victime, et en cela reflète la justice divine. Certains actes, conséquences du mal enraciné dans le cœur de l’homme, doivent être punis ici et maintenant.

Alexandre Soljenitsyne écrivait quelque part que, « sans la justice, l’amour chrétien n’est rien ».

Jadis, le juge tirait ses arguments du droit naturel. Durant le Moyen Âge, des données chrétiennes s’ajoutèrent à celui-ci. Bien qu’il n’existe pas de fondement théologique du droit, nous en avons reconnu le fondement religieux1. La justice de cette époque, malgré une impossible synthèse entre éléments parasitaires et chrétiens, restait, dans ses principes au moins, une justice juste.

Quelques mots, avant de clore le présent paragraphe, au sujet du rôle de l’Église. L’Église chrétienne devra accompagner tout homme jusqu’à la fin de sa vie, et même le pire des criminels, jusqu’au pied de la potence. Elle ne doit pas se substituer aux instances juridiques légalement établies. Son ministère cherchera la conversion du condamné. Elle sait, mieux que quiconque, que Dieu, à qui tout homme appartient tant dans la vie que dans la mort, opère par son Esprit et par sa Parole dans les cœurs les plus endurcis. Mais l’Église devra également prendre garde à ne pas oublier que l’horizon terrestre n’est pas le seul horizon de l’homme. Il existe un au-delà; par conséquent, même lorsque la vie terrestre est ôtée au criminel, celui-ci pénètre dans l’autre, où il se présentera sans intermédiaire humain, à la face de Dieu. Or, à quoi servirait-il au délinquant, comme à tout homme, de gagner la vie présente s’il perdait plus tard la vie éternelle? Celui qui a été le Sauveur et le véritable défenseur des hommes a posé une fois pour toutes cette question essentielle.

Est-ce trop nous aventurer que de penser que l’une des raisons, peut-être la principale, non avouée, de l’acharnement de l’humanisme athée à « sauver » à tout prix les condamnés de la peine capitale est qu’il nie, précisément, toute vie au-delà de la mort, tout jugement infaillible au-delà du jugement humain? Dès lors, la survie, quelles qu’en soient les conditions, semble préférable à la mort.

Quant à nous, nous espérons que l’Église n’écoutera d’abord que la Parole du Seigneur, afin de mieux défendre chaque homme, par le ministère d’amour, quels que soient sa condition sociale et le jugement que la société porte sur lui.

Note

1. Voir mon article intitulé Quel fondement pour le droit?