Cet article a pour sujet l'histoire de la doctrine de l'élection et de la réprobation, en particulier le pélagianisme, l'augustinisme, le semi-pélagianisme, le thomisme, le calvinisme et la position de Karl Barth.

Source: La connaissance de Dieu. 8 pages.

Le conseil de Dieu - Histoire de la doctrine de l'élection et de la réprobation

Note de la rédaction

Cette partie traitera des opinions qui sont soit contraires à nos conceptions relatives au conseil de Dieu et à la providence, soit qu’elles divergent sensiblement d’elles. Nous nous servons ici, à quelques exceptions près, des notes dogmatiques du professeur G. E. Meuleman.

  1. Dans l’Église ancienne
  2. Saint Augustin
  3. Positions thomiste et catholique romaine
  4. La Réforme
  5. Après la Réforme
  6. Karl Barth

En général, la philosophie enseigne soit le panthéisme, un déterminisme panthéiste, soit une liberté déiste de la volonté. Le panthéisme, classique ou moderne, ne connaît pas de conseil de Dieu. À ses yeux, Dieu et le monde sont un (monisme). Pour le panthéisme, lorsqu’il se développe dans le monde, parfois Dieu devient davantage conscient de lui-même. Pour le déisme, Dieu ne s’occupe pas du monde. Il nie donc les décrets de Dieu.

Selon le judaïsme, l’homme pécheur possède une volonté libre.

Le parsisme, la religion de l’ancien Iran, connaît deux dieux : le dieu du bien (Ormuzd, Ahuramazda) et le dieu du mal (Ahriman). Le manichéisme a adopté cette même idée. Le manichéisme n’admet aucun décret de Dieu.

Marcion, l’hérésiarque du second siècle, adopta cette manière de voir et voulut la lier au christianisme plus que Manès l’avait fait. Il distingua le Dieu de l’Ancien Testament comme le Dieu de la création et du mal, et celui qui fit crucifier le Christ, et le Dieu qui s’est révélé en Christ, le Dieu de la rédemption.

1. Dans l’Église ancienne🔗

Les pélagiens ne connaissent qu’une prescience de Dieu des actes libres de l’homme, c’est-à-dire une prescience qui n’est pas une prédestination.

Le pélagianisme a été rejeté par l’Église catholique. Selon la doctrine romaine, il n’y a pas de salut sans la grâce. On ne trouve pas beaucoup de décisions officielles sur la prédestination. Le Concile d’Orange interdisait l’emploi de l’expression « praedestinatio ad malum » (prédestination au mal).

2. Saint Augustin🔗

Augustin a opposé à cette opinion sa doctrine de la « gemina praedestinatio » (double prédestination). Certainement, la prédestination est souvent, chez lui, contraire d’élection, lorsqu’il parle d’une prescience de Dieu en rapport avec la réprobation. Mais il voulait seulement indiquer de cette manière que Dieu voulait le mal d’une autre façon que le bien. L’élection est selon lui absolument gratuite. Il enseignait la particularité de la grâce.

La controverse s’est enracinée dans la lutte entre Augustin et Pélage. Selon Pélage, aussi bien le péché originel que le péché actuel (incrédulité) précèdent logiquement l’élection et la réprobation. Selon Augustin, Seul le péché originel précède la prédestination. Selon le supralapsarianisme, la prédestination logiquement précède non seulement le péché actuel, mais aussi le péché originel. D’où l’ordre des décrets divins enseigné par le pélagianisme : péché originel, péché actuel, prédestination; tandis que l’augustinisme ou l’infralapsarianisme enseigne l’ordre suivant : péché originel, prédestination, péché actuel; quant au supralapsarianisme, l’ordre serait le suivant : prédestination, péché originel, péché actuel.

Pour le semi-pélagianisme, l’homme est par nature ni sain ni mort, mais malade. Il ne peut mériter, mais il peut accepter la grâce de Dieu. Le décret est basé sur la prescience divine.

Augustin a enseigné une prédestination inconditionnelle, une élection non à cause, mais en vue de la foi, une prédestination fondée sur la souveraineté divine. La réprobation et l’élection ne sont pas strictement parallèles.

La controverse s’est poursuivie entre des disciples d’Augustin et des adhérents du semi-pélagianisme.

Après une centaine d’années de controverse, celle-ci s’arrêta par une décision du Synode d’Orange en 529 qui n’a pas pris une décision définitive.

Comme conséquence de cet échec, le semi-pélagianisme a par la suite triomphé au Synode de Chiercy en 853, qui condamna Gottschalk. Hinmar, Rabane Maure, Scot Érigène s’opposèrent à Gottschalk.

Le Synode de Valence en 855 a souscrit aux positions d’Augustin.

3. Positions thomiste et catholique romaine🔗

Thomas d’Aquin essaya de suivre Augustin. Il reconnaissait la « volonté du salut particulier ». Selon lui, le passage de 1 Timothée 2.4 traite de la « volontas signi » (la volonté révélée de Dieu, distincte de sa volonté décrétive). Thomas pose à côté de sa doctrine de la prédestination son sacramentalisme avec le sacrement qui opère « ex opere operato ». Cette doctrine est difficile à unir à celle de la prédestination particulière. Les deux pensées restent sans réconciliation l’une à côté de l’autre. L’accent chez Thomas est placé sur le sacrement.

La doctrine de la volonté du salut général est devenue plus tard la doctrine de l’Église. On affirmait qu’il y avait une grâce suffisante pour tous les hommes. Mais la thèse de Quesnel, selon laquelle Dieu donne infailliblement le salut à tous ceux à qui il veut le donner par le Christ, a été condamnée. On a choisi pour l’interprétation large 1 Timothée 2.4. Cependant, on maintint d’un autre côté la gratuité de la grâce, malgré la doctrine des bonnes œuvres et l’opinion fixée au Concile de Trente de la résistibilité de la grâce. On a inventé la distinction remarquable entre la grâce suffisante et la grâce efficace.

La théologie catholique distingue la « praedestinatio completa ou adequata » et la « praedestinatio incompleta ou inadequata ». La dernière est la prédestination « ad primam gratiam ». La première implique la prédestination « ad primam gratiam » et la prédestination « ad gloriam ». La prédestination incomplète, selon tous les théologiens romains, est gratuite. Elle n’est donnée en vertu d’aucun mérite. En général, on dit que la prédestination complète est aussi gratuite. Mais les molinistes veulent ainsi simplement dire qu’elle est gratuite « in causa », donc qu’elle peut être appelée gratuite parce que son commencement, la prédestination « ad primam gratiam », est gratuite.

Les différences apparaissent s’il s’agit de la prédestination « ad gloriam ». Celle-là est selon les molinistes « post praevisa merita ». Cela veut dire que cette prédestination est déterminée par les mérites de l’homme. On veut maintenir la liberté de Dieu par la doctrine de la science moyenne. Les congruistes enseignent que la prédestination a sa base aussi dans la « praevisa gratiae congruentia ou incongruentia ». Cette opinion est à l’encontre de ce que nous avons dit de la liberté du conseil de Dieu, aussi bien que le molinisme.

Thomistes comme augustiniens enseignent une élection « ad gloriam ante praevisa merita ». Les mérites sont, selon eux, un effet de la prédestination. Ils ont deux difficultés que les molinistes leur reprochent (avec raison).

La pensée que la grâce de Dieu est suffisante pour tous ne pourrait être unie avec l’opinion selon laquelle les mérites nécessaires pour le salut supposent nécessairement la grâce efficace à côté de la grâce suffisante.

Cette doctrine de la grâce efficace serait à l’encontre de ce que Trente enseigne sur la résistibilité de la grâce. Les thomistes se défendent en disant que la grâce n’est pas résistible « sensu composito » (c’est-à-dire « in concreto »), mais qu’elle est résistible « sensu diviso » (c’est-à-dire abstraitement, si on regarde la possibilité de l’homme en elle-même).

L’opinion thomiste se rapproche de la nôtre plus que celle des molinistes. Nous avons des objections contre leur pensée sur la relation entre Dieu et l’homme (« causa prima et secunda »). Notre objection principale est que leur doctrine des sacrements ne peut pas être unie avec celle de la prédestination.

Le Concile de Trente en 1563 rejeta la doctrine de la grâce irrésistible et l’absolue prédestination.

Le nominalisme a rejeté la Reforme; la théologie jésuite a combattu l’influence de la position augustinienne de la prédestination, avec comme résultat que l’Église romaine s’éloigna davantage de la vérité.

4. La Réforme🔗

Chez les luthériens, du fait de la base anthropologique et sotériologique de la doctrine de la prédestination de Luther, et à cause du changement graduel dans les vues de Melanchthon, l’Église luthérienne a abandonné ses positions initiales. Elle prit position aux côtés des Remonstrants que le Synode de Dordrecht avait condamnés en 1618-19.

Les Églises réformées restèrent fidèles à la doctrine paulinienne et augustinienne de la prédestination. Calvin a souligné son importance. Cependant, deux méthodes ont prévalu. L’une a prioristique, l’autre a posterioristique. La première dérive la doctrine du salut. La seconde prend son départ en la doctrine du salut et raisonne ensuite vers la prédestination.

La théologie calviniste rejette la pensée de Zwingli qui, raisonnant sur la puissance de Dieu, conclut que Dieu est l’auteur du péché. Son idée de la toute-puissance de Dieu n’était pas empruntée à la Bible, mais à la philosophie non chrétienne.

Les arminiens enseignaient la volonté du salut universel dans la grâce toujours résistible.

Les luthériens suivirent souvent, plus tard, les arminiens. La prédestination était d’ailleurs, dès le début, au dernier plan chez les luthériens. La « volontas signi », qui est universelle, était au premier plan. Melanchthon est tombé dans le synergisme.

Plusieurs disciples d’Augustin acceptèrent la doctrine d’une double prédestination : prédestination à la gloire, prédestination à la mort. Les trois réformateurs, Luther, Calvin, Zwingli, ont adopté le supralapsarianisme; l’élection et la réprobation sont des actes de la souveraineté divine précédant logiquement le décret de Dieu concernant la chute. Néanmoins, Calvin suit souvent le raisonnement infralapsaire.

Le Synode de Dordrecht s’est prononcé en faveur d’un infralapsarianisme sans toutefois condamner le supralapsarianisme. Il ne fit que rejeter l’arminianisme.

Durant la période de la Réforme, la doctrine avait été repoussée par Érasme, Pighius, Bolsec, Castellion, et d’autres.

Les sociniens ont nié la prédestination et même l’omniscience divine.

Les arminiens ou remonstrants ont enseigné l’élection conditionnée par la prescience divine.

Le français Moyse Amyraut a enseigné une doctrine d’universalisme hypothétique.

L’arminianisme a frayé le chemin au rationalisme, et durant les 17e et 18siècles, il exerça son influence sur le déisme, le quakerisme, le méthodisme, etc.

5. Après la Réforme🔗

Selon Leibniz, ce monde avec son mal serait le monde le meilleur possible. Le péché est indirectement impliqué dans la structure de la création. Le mal métaphysique est donné directement dans la création; sa conséquence est le mal moral qui entraîne à son tour le mal physique. Ainsi le péché devient-il relatif.

Signalons que souvent on a interprété le mal comme un moyen en vue d’un but. De cette façon, on a cherché à fonder une théodicée (défense de Dieu) téléologique (du grec « télos », fin ou but). Cette forme de théodicée est actuellement abandonnée.

Le français Wilfred Monod voulait justifier Dieu en disant qu’il n’est pas tout-puissant. Cette idée n’est pas biblique. Son opinion est proche de celle de Marcion. Il distingue le Dieu de la création et le Dieu qui est notre Père en Christ. Parce que le dernier n’est pas le Dieu tout-puissant de la tradition théologique, il n’est pas responsable du péché.

L’universalisme enseigne le salut de tous (« apokatastasis »). Mais, selon la Bible, celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui (Jn 3.36) et nul ne peut venir au Christ si le Père ne l’attire (Jn 6.44).

Pour l’idéalisme, le temps n’est qu’une révélation de l’éternité. Le Christ serait venu pour nous délivrer du malentendu selon lequel Dieu était pour nous le Dieu de la colère. Le Christ serait content si nous l’oubliions, à condition que nous retenions son message sur le Père.

Les temps contemporains virent le jour des négateurs de la prédestination; d’autres la comprirent comme le dessein de Dieu de sauver tous les hommes; d’autres encore acceptent la prédestination sur la base conditionnelle, sur la base de la foi prévue ou de l’incrédulité.

6. Karl Barth🔗

Nous donnons ici un aperçu général de la doctrine de la prédestination de Karl Barth. L’opinion de Barth est à l’encontre de certaines positions que nous avons défendues. Il est plus facile de comprendre l’opinion de Barth si nous en donnons un sommaire cohérent. C’est pourquoi nous parlons ici des questions que nous avons seulement indiquées plus haut.

Barth combat spécialement l’idée que la prédestination soit un décret caché de Dieu. La grande faute de la doctrine traditionnelle est, selon lui, qu’elle a seulement considéré le Christ comme le « speculum electionis », mais non comme l’élection elle-même, comme le « fondement de l’élection ». La prédestination n’est pas un décret derrière le Christ. Il est l’élection et la réprobation. Le Christ est la prédestination, car il est son sujet et son objet. Certainement, le Père et le Saint-Esprit sont aussi le sujet de la prédestination, mais le Christ l’est de même. Le Dieu qui est le sujet de la prédestination n’est pas le Dieu caché, mais il est le Dieu révélé en Christ. Le Christ est aussi l’objet de la prédestination. Il n’est pas seulement le Dieu qui élit, mais aussi l’homme élu. En choisissant de devenir homme en Christ, Dieu nous a élus.

Barth trouve spécialement cette idée du Christ qui est le Dieu qui élit et l’homme élu dans Jean 1.1 et Éphésiens 1.4. C’est une abstraction selon lui de dire que Jean parle dans son prologue du « logos asarkos » (la Parole non incarnée). Le logos est le « logos ensarkos » (incarné). Le Christ était au commencement avec Dieu. Barth parle de Jésus-Christ qui serait selon Jean 1.1 le commencement de toutes les voies de Dieu. Dieu a éternellement choisi de devenir homme, de porter le nom de Jésus. Tout ce que Dieu fait autrement est la conséquence de ce choix : la création, la réconciliation, la rédemption. Le Christ est l’homme élu. Les autres hommes sont élus en lui. Éphésiens 1.4 parle de l’élection de l’Église en Christ. Cela veut dire, selon Barth, que nous ne sommes pas seulement élus en communion avec le Christ, mais que nous sommes élus en sa personne, en son élection divine. Le Christ n’est donc pas seulement le miroir de notre élection, mais il est notre élection elle-même.

Pour Barth, la création entraîne l’existence du péché, comme la menace de la création. Cela ne veut pas dire que la création comme telle implique le péché. Dieu veut la création; mais il ne veut pas le péché. C’est pourquoi le péché est le néant. Le néant existe à cause de la volonté négative de Dieu. La création n’est pas le néant, mais quelque chose au bord du néant. Dieu vit, se distinguant éternellement de ce qu’il ne veut pas. Il veut la communion avec l’homme, qui est confronté lui-même avec ce qu’il ne veut pas. Ainsi, l’homme peut être le témoin de ce que Dieu veut aussi bien que de ce que Dieu ne veut pas. Mais l’homme ne peut pas résister au néant par sa propre force, comme Dieu peut résister sans aucune difficulté à ce qu’il ne veut pas. Aussi la création est le début d’une histoire dans laquelle la puissance du néant apparaît plus forte que celle de l’homme. La création est soumise au péché et à la misère. Dieu ne veut pas le péché, la chute, la misère. Mais il veut l’homme qui n’est pas capable de résister au néant, l’homme pécheur et chargé de misère. Il veut l’homme non afin qu’il tombe, mais afin qu’il soit le témoin de sa gloire comme homme tombé, parce qu’il le relèvera de sa chute. Ainsi l’homme peut-il devenir le témoin de ce que Dieu veut et de ce qui apparaît par contraste avec ce que Dieu ne veut pas et dont l’homme peut être aussi le témoin. Dieu a voulu éternellement l’homme comme un pécheur sauvé du péché et de la mort par la grâce de Dieu. Cet homme a été élu en Christ. Mais cela veut dire que Dieu a élu pour lui-même la misère de l’homme. Le Christ se chargera du péché et de la mort de l’homme, afin que l’homme puisse vivre dans la communion avec Dieu, comme l’homme que Dieu veut. Le Christ deviendra ce que Dieu ne veut pas, le rejeté, afin que l’homme pécheur puisse être l’élu de Dieu. Ainsi la prédestination est double. Le Christ est notre réprobation et notre élection. Chaque homme est un élu en Christ. Seul le Christ est le rejeté. Il n’y a donc pas une élection ou une réprobation en dehors du Christ ou derrière le Christ. Toute élection et toute réprobation sont incluses dans la prédestination dont le Christ est le sujet et l’objet. C’est pourquoi la prédestination est le sommaire de l’Évangile.

La réprobation de l’homme est donc une impossibilité à cause du fait que le Christ est notre réprobation. L’homme a cependant la possibilité de vivre comme s’il était rejeté. En ce sens, il peut être un rejeté, quelqu’un qui n’admet pas son élection en Christ. Cependant, ce rejet ne tombe pas hors de la volonté de Dieu, bien que Dieu ne veuille pas l’incroyance dans un sens positif. Il veut la culpabilité et l’incroyance des « rejetés » d’une autre façon que la foi des « élus ». On ne peut être un rejeté qu’en étant celui que Dieu ne veut pas.

Cette réprobation n’a pas sa place à côté de l’élection. Elle y est subordonnée. Le rejeté doit montrer comment l’homme élu est en lui-même. De même l’élu doit montrer comment l’homme (même l’homme qui vit comme rejeté) est en Christ. Ils témoignent tous les deux du même décret par lequel ils sont élus tous les deux. Selon Barth, l’élection concerne en premier lieu le service comme témoin. Il ne faut pas cependant considérer, selon Barth, l’élection et la réprobation, en premier lieu, comme des choses individuelles. On est élu pour faire partie du peuple de Dieu qui se groupe autour du Christ, qui est la révélation de Dieu. Ce peuple de Dieu a deux parties : Israël et l’Église. Israël montre ce que l’homme (et l’Église) est en lui-même. Il démontre la réprobation. L’Église montre l’élection (aussi d’Israël). Ils témoignent donc ensemble du Christ et de l’élection.

Mais il y a un ordre. Dieu va de l’Ancien Testament au Nouveau Testament, d’Israël à l’Église. Il n’y a pas un équilibre entre le Oui et le Non de Dieu. C’est pourquoi l’Église attend la conversion d’Israël (Rm 11.6). On ne peut croire à la réprobation de quelqu’un comme on ne peut croire sa propre réprobation. On peut seulement croire à l’élection parce que Dieu a pris notre réprobation sur lui-même en Christ. Dieu continue l’œuvre qu’il a commencée en Christ et qu’il a poursuivie en l’Église par les hommes pris individuellement. La distinction entre les élus et les rejetés est seulement relative. Ils ont été ensemble élus en Christ. Ils servent ensemble, selon leur manière propre, l’œuvre de Dieu. Ils sont ensemble les frères du Christ. La destination de l’élu est d’être le témoin de l’élection du Christ, et avec cela d’Israël, du monde et des rejetés. L’Église a été destinée à l’apostolat.

La destination des rejetés est d’être les témoins de la réprobation du Christ et avec cela de l’Église et des élus. L’élection est donc un décret toujours actuel, un événement. Dieu peut employer l’homme tantôt comme élu, tantôt comme rejeté. Il n’est pas le prisonnier de son propre décret. Il est libre. Pourtant, la prédestination n’est pas un caprice. La volonté de Dieu est toujours sa volonté en Christ. Elle est donc sa volonté qui, de toute éternité, est amour.

L’intention de Dieu au sujet des rejetés apparaît très bien selon Barth dans la figure de Judas. Il est un des apôtres élus, comme Israël appartient au peuple de Dieu. Judas a une tâche différente de celle des autres apôtres. Il doit montrer l’impureté des autres apôtres. Il doit servir l’exécution du conseil éternel de Dieu en livrant Jésus. Dieu se sert de Judas et d’Israël pour faire venir le salut dans le monde, comme il se sert aussi des apôtres et de l’Église; il y a un service négatif et un service positif.

Le Christ a donc porté la réprobation de tout le monde. Est-ce que cela implique l’universalisme du salut? Barth ne veut pas nier tout court la possibilité de « l’apocatastase ». Dans ce cas, on oublierait la grandeur de la miséricorde de Dieu. On ne peut croire en la réprobation comme on peut croire en l’élection. Pourtant, Barth ne veut pas prendre parti pour l’universalisme non plus. Cela lui semble être une négation de la liberté de Dieu. La Bible ne dit pas seulement que celui qui viendra au Christ ne sera pas mis dehors par lui, mais aussi que nul ne peut venir si le Père ne l’attire (Jn 6.37,44). La Bible n’enseigne nulle part que le monde tout entier sera sauvé, dit Barth. L’incroyance implique le danger de mort.

Barth termine en disant que les élus ne forment en tout cas un clôt, à côté duquel les rejetés formeraient aussi un groupe fixe. Ils ne sont pas non plus la totalité des hommes. Ils sont une multitude ouverte. Dieu décide de moment en moment. Il nous pose dans la situation ouverte de la prédication. Nous n’avons qu’à entendre et à prêcher : Dieu veut que vous croyiez à votre élection. Vous êtes élus. Prenez garde que l’ancienne malédiction ne soit mise sur vous de nouveau1.

L’universalisme semble être la conséquence du système de Barth. Selon la Bible, le Christ est le Sauveur de son peuple. Nous ne lisons pas que tous les hommes ont été élus en lui.

Les élus et les rejetés sont selon la Bible des groupes fixes. La pensée de Barth est impressionnante par son unité. Il affaiblit contre sa propre volonté l’opposition entre le bien et le mal. Barth veut exclure toute incertitude et tout caprice. Mais on ne peut pas déduire la différence existant entre les rejetés et les élus (dans le sens de Barth) du Christ. Les difficultés réapparaissent sur ce point. Barth pense que son idée élimine le problème qui se pose dans la théologie réformée traditionnelle par le fait qu’on veut maintenir que la foi est seulement acceptante aussi bien que la signification décisive de la foi. Barth doit parler ensuite lui-même de la situation ouverte de la prédication et du danger de l’incroyance.

Selon Karl Barth, Dieu se veut positivement. Il se distingue donc de ce qu’il ne veut pas. Cette distinction prend une forme si Dieu se révèle en dehors de lui. Ce que Dieu ne veut pas reçoit une forme dans le péché et dans le diable. Le diable et le péché n’ont pas leur existence en eux-mêmes. Ils existent par la volonté de Dieu, mais sa volonté négative, parce qu’il ne les veut pas. Cette explication du péché (qui n’est pas une explication selon Barth) dépasse les limites de ce qui est possible et permis, comme toutes les explications du péché.

La Bible ne nous enseigne pas le Christ comme le sujet et l’objet de la prédestination. Le Logos de Jean 1 n’est pas le Verbe incarné. Jean nous parle du Verbe qui se serait incarné. On ne peut pas déduire de Jean 1 que Jésus-Christ est le commencement de toutes les voies de Dieu. L’exégèse d’Éphésiens 1.4 ne peut pas être utilisée par Barth. Selon la Bible, le Christ est venu seulement pour nous racheter du péché (Mt 1.21; Lc 1.67; 2.30; Jn 3.16; Rm 8.3; Ga 4.4-5; 1 Tm 3.16; Hé 2.14; 1 Jn 3.8).

Note

1. Karl Barth, Dogmatique, II,II, p. 1-563.