Cet article a pour sujet la controverse de l'arianisme  causée au 4e siècle par Arius qui rejetait la divinité du Christ. Athanase s'y est opposé, puis le Concile de Nicée a reconnu que Jésus est de même substance que le Père.

Source: Nous croyons - Explication de la foi chrétienne en suivant l'ordre du Symbole de Nicée-Constantinople. 5 pages.

La controverse arienne

La controverse concerne la définition du rapport qui relie le Fils au Père à l’intérieur de la Trinité. Elle éclate à Alexandrie et oppose le presbytre Arius à l’évêque de cette ville, Alexandra (311-326). Arius est, avec Eusèbe de Nicomédie (évêque de Constantinople), élève de Lucien qui subit le martyre en 312. Lucien avait fondé sa doctrine de la Trinité et sa christologie sur Paul de Samosate, donc sur le monarchianisme dynamique, et sur Origène qui avait appelé le Christ « deuteros theos ». Arius (256-336) reprit l’erreur de Lucien d’Antioche et déchira l’Église pendant des décennies. Nous possédons de lui quelques fragments d’un ouvrage intitulé Thalie, une lettre adressée à Eusèbe de Nicomédie, une autre destinée à l’évêque d’Alexandrie, et la profession de foi qu’il soumit à l’empereur Constantin.

Dieu est pour lui une monade abstraite, seul inengendré (« agennètos »). Il est éternel, immuable, sans égal, séparé du monde par un abîme infranchissable, et ne peut communiquer sa substance à personne. Tout ce qui est en dehors de lui est créé « ex nihilo ». Ce Dieu lointain ne pouvait pas directement créer le monde (on ressent dans cette thèse l’influence de la philosophie grecque). Pour franchir l’abîme existant entre la matière et lui, il créa tout d’abord, avant les temps, un être intermédiaire. C’est le Fils de Dieu, le Logos, la plus grande de toutes les créatures, une créature parfaite. En son temps, cet être parfait assuma un corps humain, mais pas d’âme humaine, et racheta les hommes en leur montrant comment, en tant qu’êtres moralement libres, ils pouvaient comme lui choisir entre le bien et le mal. Si le Logos est antérieur au monde, il n’est pas éternel :

« Ouk aei ho theos patèr èn, all’èn hote ho theos monos èn kai oupô patèr èn, husteron de epigegone patèr. Ouk aei èn ho huios…, autos ho tou theou logos ex ouk ontôn gegone kai èn pote ouk èn, kai ouk èn prin genètai, all’archèn tou ktizesthai esche kai autos.1 »

Le Logos n’est donc pas substantiellement Dieu. S’il est appelé Dieu ou Fils de Dieu, c’est parce qu’il est en possession de la grâce, comme tout homme en possession de la grâce peut être appelé fils de Dieu : « Ei de kai legetai theos, all’ouk alèthinos estin, alla metochè charitos, hôsper kai hoi alloi pantes, houtôs kai autos onomati monon theos.2 » Arius ne peut pas accepter l’homoousie du Christ, incompatible avec son caractère de créature (« ktisma »).

Arius trouva de nombreux adeptes en Égypte, Palestine et Syrie, en particulier parmi les évêques. L’un des plus ardents défenseurs de son hérésie fut Eusèbe de Nicomédie. Son évêque, Alexandra d’Alexandrie, fut le premier à se dresser contre lui. Il convoqua un concile à Alexandrie (320) qui déposa l’hérétique et certains de ses partisans. Sans succès, car Arius continua de propager sa doctrine. Athanase (ca. 296-373) fut son adversaire le plus acharné. C’est à lui que l’Église doit sa victoire sur l’arianisme, bien qu’elle l’en ait mal récompensé (il fut excommunié plusieurs fois). Athanase, dans sa lutte contre Arius, soutenait que le Christ était « tou patros kai sophia kai logos », et cela non pas « metochè charitos », en vertu d’une participation à la grâce divine, « all’autosophia, autologos, autodunamis idia tou patros3 ». Le Logos est donc Dieu lui-même, de la même essence que le Père. Il s’est incarné pour rendre à l’humanité déchue l’immortalité. Eusèbe de Césarée se jeta lui aussi dans la bataille. Pour lui, le Logos est « theos ek theou » et « deuteros4 ». Il est « theos gennètos », « huios teleios kai monogenès », « apaugasme phôtos aidiou5 ». Il devint homme sans changer de substance, « ou metaballôn tèn ousian ». Tout en évoluant parmi les hommes pendant son séjour terrestre, il était chez le Père, remplissant toutes choses. Eusèbe de Césarée est cependant, comme son maître Origène et comme l’évêque Alexandre d’Alexandrie, subordinatien.

Arius avait séjourné deux ans en Asie, propageant son hérésie avec Eusèbe de Nicomédie. Un Synode de Bithynie avait pris parti pour lui. La controverse avait pris une ampleur sans précédent. L’empereur Constantin, ayant vaincu son rival Licinius en 323 et s’étant retiré à Nicomédie, réalisa le danger qui menaçait l’Église, après avoir pensé tout d’abord qu’il ne s’agissait que d’une querelle de mots que les évêques et théologiens devaient régler entre eux. Il chargea donc son conseiller religieux, l’évêque Ossius (ou Hosius) de Cordoue d’une lettre pour l’Église d’Alexandrie, dans laquelle il s’en prit aux deux partis, celui d’Arius et celui d’Athanase, les accusant d’intransigeance. Il les exhortait à la réconciliation. Arrivé à Alexandrie, Ossius se rendit compte que l’évêque Alexandre était pur du reproche de sabellianisme qu’on lui faisait. Il s’entendit avec lui sur la légitimité de l’emploi du concept d’homoousie. De retour auprès de l’empereur, il sut le convaincre que l’arianisme était bel et bien une hérésie dont il fallait libérer l’Église. Constantin convoqua donc un concile œcuménique à Nicée, en 325.

Le Concile de Nicée réunit environ 300 évêques, venus presque tous de l’Orient. L’Espagne était représentée par Ossius, et Rome par deux presbytres. Trois partis étaient en présence : les ariens (dont Eusèbe de Nicomédie), les origénistes représentés par Eusèbe de Césarée, et les partisans de l’évêque d’Alexandrie dont le porte-parole fut Athanase. Les ariens y firent figure d’accusés. Ils durent présenter une profession de foi au concile. Eusèbe de Nicomédie s’en chargea. Elle suscita des protestations unanimes et fut déchirée. Eusèbe de Césarée présenta un texte au nom de son parti, qui voulait transiger entre les ariens et les alexandrins. Cette confession avait l’avantage pour les ariens de pouvoir abriter leurs erreurs derrière les mots employés. Elle disait :

« Pisteuomen… eis hena kurion Ièsoun Christon, ton tou theou logon, theon ek theou, phôs ek phôtos, zôèn ek zôès, huion monogenè, prôtotokon pasès tès ktiseôs; di hou kai egeneto panta; ton dia tèn hèmeteran sôtèrian sarkôthenta kai en anthrôpois politeusamenon kai pathonta kai anastanta tè tritè hèmera kai anelthonta pros ton patera kai hèxonta palin en doxè krinai zôntas kai nekrous. »

L’empereur se déclara d’accord avec ce texte, à condition qu’on y insère le mot « homoousios ». Il prit ainsi parti pour les orthodoxes qui voulaient qu’on affirme non seulement l’identité, mais aussi l’unité d’essence ou « substantia », ou le « consubstantialis ». Il s’agissait de constituer un rempart contre la création du Fils. Les origénistes étaient hostiles à l’insertion du mot « homoousios » dans leur texte, mais ils s’inclinèrent quand ils constatèrent que c’était le souhait de l’empereur lui-même. On apporta donc au texte les modifications suivantes :

  1. On corrigea « logon tou theou » en « huion tou theou ».
  2. On ajouta les termes « gennèthenta ek patros monogenè, tout’estin ek tès ousias tou patros ».
  3. À « theon » on ajouta l’adjectif « alèthinon ».
  4. On apporta la précision nécessaire face à l’arianisme : « gennèthenta ou poièthenta, homoousion tô patri ».
  5. Au « sarkôthenta » on ajouta « katelthonta » et « enanthrôpèsanta ». Ce dernier terme devait sans doute affirmer l’humanité entière et véritable du Christ (on se souvient que selon les ariens Jésus n’avait pas d’âme humaine).
  6. On ajouta une formule qui rejetait officiellement l’hérésie arienne.

Voici donc le texte du Concile de Nicée :

« Pisteuomen eis hena theon patera pantokratora, pantôn oratôn te kai anoratôn poiètèn. Kai eis hena kurion Ièsoun Christon, ton huion tou theou, gennèthenta ek tou patros monogenè, tout’estin ek tès ousias tou patros, theon ek theou, phôs ek phôtos, theon alèthinon ek theou alèthinou, gennèthenta ou poièthenta, homoousion tô patri, di’hou ta panta egeneto, ta en tô ouranô kai ta en tè gè, ton di’hèmas tous anthrôpous kai dia tèn hèmeteran sotèrian katelthonta kai sarkôthenta kai enanthrôpèsanta, pathonta kai anastanta tè tritè hèmera, anelthonta eis tous ouranous, erchomenon krinai zôntas kai nekrous. Kai eis ton hagion pneuma. Tous de legontas : èn pote hote ouk èn kai prin gennèthènai ouk èn, kai hoti ex ouk ontôn egeneto è ex heteras hupostaseôs è ousias phaskontas einai, à ktiston è alloiôton ton huion tou theou anathematizei hè hagia kai apostolikè tou theou ekklèsia. »

Le texte du concile est donc le texte du symbole baptismal de Césarée présenté par Eusèbe de Césarée, revu et complété par quelques formules provenant de la doctrine occidentale de la Trinité (Tertullien, Novatien).

La christologie d’Athanase se résume en une seule phrase : En Jésus-Christ, Dieu est entré dans l’humanité! Elle en impose moins par son niveau dogmatique et scientifique que par la foi triomphante qui s’y manifeste. Elle plonge ses racines dans la rédemption. C’est parce que Jésus est Dieu et que ce Dieu s’est incarné qu’il a pu réaliser la rédemption des hommes. Athanase ne s’en tient pas à une formule immuable et définitive. Il appelle le Christ tour à tour « homoios », « homoiois kata panta », « homoios kat’ousian », et il faut attendre le milieu du quatrième siècle pour le voir utiliser le concept d’« homoousios » adopté à Nicée. Si le Christ est Dieu — et il l’est, sinon il n’aurait pas pu sauver l’humanité —, il ne possède rien de créaturel et ne fait en aucune façon partie du monde créé. Dieu est pour Athanase une unité, une « monas »; c’est pourquoi, étant Dieu, le Christ n’est pas de ce monde créé. Par contre, il est entièrement un avec le Père. Il est « gennèma tou patros », « ex ousias tou patros ». Rien de ce qui fait partie de ce monde n’est Dieu. « Holè trias heis theos estin ». Enfin, Athanase ne fait pas encore de différence entre « ousia » et « hupostasis ». Ce sont pour lui des synonymes, car il s’intéresse davantage à l’unité au sein de la Trinité qu’à ce qui différencie les trois personnes de cette Trinité. Ce n’est que par la suite qu’on en arrivera à distinguer entre « ousia » et « hupostasis ».

Eusèbe de Nicomédie rentra bientôt en faveur auprès de l’empereur et sut regrouper un nombre considérable d’évêques en Syrie et en Asie Mineure qui dénoncèrent dans le terme « homoousios » l’erreur sabellienne ou modaliste. Il obtint la réhabilitation d’Arius peu après 330, l’exil d’Athanase déposé au concile arien de Tyr en 335, et celui d’Eustathe d’Antioche (330) et de Marcel d’Ancyre, déposé au concile arien de Constantinople (336). Les successeurs de Constantin, Constance (Orient) et Constant (Occident) tergiversèrent. Constant était favorable aux orthodoxes, tandis que Constance se laisse gagner par les eusébiens. Les exilés qui avaient pu rentrer chez eux durent repartir en exil. Après le règne de Constant (337-350), Constance, d’abord empereur de l’Orient (337-361), réunifia l’Orient et l’Occident (350-361). Les ariens reprirent le dessus et poussèrent l’empereur à détacher d’Athanase l’Occident. Constance s’y employa aux conciles d’Arles (353) et de Milan (355) et exila les récalcitrants. Les ariens se divisèrent en trois groupes, suivant leurs tendances, et captèrent tour à tour les faveurs de Constance. Quand son successeur monta sur le trône (Constance II, 361-381), une réaction nicéenne se produisit immédiatement. En Orient, elle fut un peu plus lente qu’en Occident. Elle fut consolidée par Athanase rentré d’exil et par les Cappadociens.

Parmi les théologiens qui ont marqué cette époque, il faut mentionner Marcel d’Ancyre (mort en 374 ou 375). C’était un adversaire farouche des ariens, mais dont la doctrine n’en est pas pour autant entièrement scripturaire. Il assimila le Logos à un esprit immanent en Dieu qui, quand les temps furent accomplis, vint sur Marie et devint chair. Le Logos lui-même n’est pas Fils de Dieu, Roi ou Christ. Le jour où le Christ remettra toutes choses entre les mains de son Père, il se résorbera à nouveau en Dieu, sans que Marcel d’Ancyre puisse dire ce que deviendra son corps. Cette doctrine fut reprise par Photin de Sirmium. Eusèbe de Césarée s’en prit à elle, et Photin fut condamné à Milan en 344 ou 345 et excommunié.

Plusieurs partis se constituèrent parmi les ariens, comme nous l’avons dit. L’un d’eux, farouchement hostile à l’« homoousios », forgea le concept « homoiousios » : non pas identité de substance, mais similitude de substance. Telle était la doctrine de Basile d’Ancyre, successeur de Marcel d’Ancyre, et de Cyrille de Jérusalem, auteur de catéchèses rédigées dès avant 350 qui exposent cette doctrine. Par sa génération, le Christ a part à la « theotès patrikè » par laquelle il est un avec le Père, parce qu’il fait ce que veut le Père et accomplit les mêmes œuvres que lui. Il n’est pas non plus identique au Père, mais semblable à lui, « homoios kata panta tô patri6 ». D’autres ariens n’acceptèrent jamais cette doctrine, parmi lesquels Ateius de Syrie (mort en 367) et Eunomius de Cyzique (mort après 390) qui constituèrent un autre parti, celui des anomiens. Ils rejetaient à la fois l’homoousie et l’homoiousie, en faveur d’un « kata panta anomoios ho huios tô patri7 ». Jésus ressemble au Père dont il est l’image et le reflet, non pas par la substance, mais par les « energeiai », la volonté et l’activité. Les anomiens parvinrent à faire condamner les homoousiens et les homoiousiens au troisième Synode de Sirmium, en 357. Mais l’empereur prit parti pour les homoiousiens, dont la doctrine lui paraissait pouvoir réconcilier les antagonistes. Le quatrième Synode de Sirmium en fut chargé. On y confessa : « Homoion de legomen ton huion tô patri kata panta, hôs kai hagiai graphai legousi te kai didaskousi. »

Hilaire de Poitiers, exilé au Moyen-Orient en 356 fut pris de sympathie pour l’homoiousianisme. Il tenta de jeter un pont entre l’Orient et l’Occident à l’aide de son traité « De Synodis ». C’est un compromis entre « homoousie » et « homoiousie », ou une réinterprétation de l’homoousie qui peut coexister dans l’Église à côté de l’homoiousie.

Notes

1. Athanase, Orationes adversus Arianos, 1,5.

2. Athanase, o.c. 1,6.

3Contra Gentes, 46.47.

4Praep. XI, 14, 1.3.

5Dem. IV, 3,1.4.

6Catech. 4, 7.

7. Synode d’Antioche, 361.