Cet article a pour sujet la christologie d'après Rudolf Bultmann qui rejette le miracle, croit que Jésus est seulement un homme, et pratique la démythologisation des évangiles pour prêcher un existentialisme

Source: Les débats christologiques modernes. 3 pages.

Les débats christologiques modernes (3) - Rudolf Bultmann et la démythologisation

Il semble que ce nouveau mouvement soit tout à fait le contraire de l’école libérale. Bultmann est par exemple d’accord avec les libéraux de l’école de Ritschl, en ce que nous ne pouvons pas accepter l’idée du monde surnaturel du Nouveau Testament. Selon lui, l’homme d’aujourd’hui ne pourrait pas accepter la possibilité des influences « surnaturelles » dans l’ordre fermé de la nature. C’est pourquoi il ne veut pas reconnaître l’historicité des miracles, de la naissance virginale, de la résurrection et de l’ascension du Seigneur ni la pensée biblique du péché originel et de la puissance réconciliante de la croix de Christ. Selon Bultmann, toutes ces idées sont mythiques. L’école libérale voulait éliminer ces éléments mythiques des Évangiles, pour retenir un message qui peut avoir de la valeur pour l’homme moderne.

Bultmann reconnaît que celui qui voudrait éliminer des Évangiles ce que l’on appelle les éléments mythiques ne retient rien. L’erreur de l’école libérale était, selon lui, qu’elle n’a pas vu que le Nouveau Testament est entièrement mythique. Bultmann reconnaît que les auteurs du Nouveau Testament n’ont pas considéré Jésus comme étant un homme idéal, mais qu’ils ont tous cru à sa préexistence, à sa résurrection, etc. Mais cela n’impliquerait pas la nécessité de reconnaître que le Nouveau Testament ne peut donc plus avoir de valeur pour les hommes modernes. Bultmann pense même que le Nouveau Testament peut avoir pour notre vie une signification décisive. Mais pour que le Nouveau Testament puisse jouer ce rôle essentiel dans notre vie, il faudrait d’abord le « démythologiser », c’est-à-dire le transposer dans des notions qui répondent à la vision moderne du monde.

Cette transposition serait possible sans maltraiter le sens essentiel du Nouveau Testament, car la forme mythique ne serait pas du tout essentielle pour le Nouveau Testament. Les auteurs du Nouveau Testament auraient exprimé leur vue du monde comme elle avait été formée par l’événement historique de Christ, par le moyen d’une forme mystique parce qu’ils étaient tellement convaincus de l’importance de cet événement qu’ils pensaient ne pas pouvoir l’exprimer autrement qu’à l’aide des idées mythiques. Ainsi suivaient-ils l’habitude de leur époque. Les apôtres étaient convaincus que Dieu agissait avec le monde en Christ et que l’histoire de Christ avait donc une signification décisive et eschatologique pour le monde. Mais l’idée de l’être que l’on reçut par l’influence de l’événement de Christ n’est pas dépendante, selon Bultmann, de la forme mythique par laquelle on voulait l’exprimer. C’est pourquoi le message du Nouveau Testament pourrait aussi exiger notre attention. La croix est le point central de ce message, dit-il. Le Nouveau Testament parle de cette croix aussi dans une forme mythique.

En réalité, il n’y avait rien de surnaturel en Jésus. Il vit comme un homme ordinaire jusqu’à sa mort à la croix. Cependant, la personne et la mort de cet homme, appartenant pleinement à l’histoire, furent en même temps l’acte rédempteur de Dieu, qui a une signification pour tous les hommes de tous les temps. Car cette croix mena les disciples à l’abandon à Dieu, à la foi, à la confiance en lui. Ainsi toute leur vie fut-elle changée. Ainsi furent-ils crucifiés avec Christ et reçurent-ils une vie nouvelle, qu’ils ne considéraient pas comme leur œuvre à eux, mais comme une naissance nouvelle, comme un don de Dieu. La mort de Christ à la croix était pour eux identique à l’acte rédempteur de Dieu, parce que cette mort avait changé, converti leur vie. La signification de la mort de Christ était exprimée par eux en disant que le Seigneur est ressuscité d’entre les morts et qu’il vit encore. Car c’était lui qui déterminait leur vie aussi après sa mort. Cela est la conception de Bultmann.

Bultmann reconnaît donc la croix comme étant un événement historique. La résurrection de Christ n’est cependant selon lui qu’une manière mythique de désigner la signification décisive de la croix, qui peut conduire à ce que le Nouveau Testament appelle la vie selon l’Esprit, la vie de la liberté et de la confiance en Dieu qui se montre par des victoires toujours nouvelles sur le péché, sur la captivité par le monde. Selon Bultmann, le Nouveau Testament parle aussi de cette vie nouvelle dans une forme mythique aussi bien qu’il le fait pour la vie de ceux qui ne furent pas libérés par la croix.

Bien que la pensée de l’emprisonnement sous la puissance de Satan doive être démythologisée, on pourrait encore aujourd’hui parler de péché si on veut désigner cette vie qui est une méconnaissance de l’amour de Dieu et que la Bible appelle aussi la vie d’après la chair. Le message qui reste pour tous les temps serait donc la prédication de l’abandon de Jésus à la croix comme étant l’acte rédempteur de Dieu qui place chaque homme devant une décision dont dépend toute sa vie. Cette prédication serait encore capable de délivrer les hommes de leur sentiment de manque de liberté et de leur angoisse, parce qu’elle les mène à l’abandon à Dieu. Le message biblique appelle encore les hommes à la crucifixion d’eux-mêmes avec Christ et à une vie nouvelle. Et tous les hommes font l’expérience de ce changement comme étant un don de Dieu. Selon Bultmann, Jésus doit encore être prêché comme la Parole eschatologique de Dieu pour le monde, qui exige la foi.

On peut remarquer que Bultmann livre le Nouveau Testament tout à fait aux idées du monde de son interprète. Bultmann lui-même considère comme étant mythique tout ce qui n’est pas conforme aux idées de la philosophie de l’existence d’aujourd’hui. Cette philosophie enseigne que les hommes doivent choisir toujours de nouveau entre la perte de leur liberté, qui est le résultat de l’abandon au monde voulant garantir leur sécurité aux dépens de leur personnalité, et le maintien de leur personnalité libre, qui ne peut se réaliser qu’en s’abandonnant sans condition à l’avenir qui n’est pas à leur disposition. Bultmann accepte cette philosophie lui-même. Au fond, quand le Nouveau Testament parle des hommes charnels, des hommes qui veulent obtenir le salut par leurs propres œuvres légales, il s’agirait des hommes qui ont peur de l’avenir inconnu. La vie de l’abandon à l’inconnu dans laquelle l’angoisse est vaincue et qui est l’idéal de la philosophie de l’existence serait désignée quand le Nouveau Testament traite de la vie par l’Esprit, de la vie de la foi.

Bultmann s’oppose à la philosophie de l’existence par le fait que selon lui le changement de la vie humaine qui le délivre de l’angoisse n’est possible que comme don de Dieu, par Christ, par le « kérugma ». Bultmann insiste beaucoup sur le fait que le Nouveau Testament ne veut pas nous faire connaître des vérités générales comme l’école libérale le croyait. Selon lui, le Nouveau Testament nous parle de l’action historique et eschatologique de Dieu, il nous donne le message de l’acte décisif de Dieu. Jésus n’est pas simplement un génie religieux, la réconciliation n’a pas seulement un caractère subjectif. Selon Bultmann, la croix nous sauve, parce que Dieu nous rencontre objectivement dans la croix et dans le message de la croix. Ainsi nous réconcilie-t-il avec lui.

Dans la pensée de Bultmann, Jésus demeure cependant un homme ordinaire. Il n’était pas en réalité le Fils ontologique de Dieu. L’idée du monde de Bultmann veut concilier ce qu’il dit du « kérugma » avec cette idée du monde. Un acte eschatologique de Dieu dans notre monde est-il possible? Il ne semble pas être très conséquent quant à ce point. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que Bultmann diffère essentiellement du Nouveau Testament, même quand il dit que la vie nouvelle n’est possible que comme un don de Dieu. Car d’abord la vie des enfants de Dieu dont nous parle le Nouveau Testament n’est pas la même chose que la manière de vivre selon l’idéal de la philosophie de l’existence. Deuxièmement, on a pu remarquer que la croix de Christ ne cause pas elle-même un véritable changement objectif, comme cela est décrit dans le Nouveau Testament. La croix n’est que l’occasion qui a mené les disciples à la foi.

On peut considérer la christologie libérale et ses dérivées comme une certaine forme d’adoptianisme. Il n’est pas étonnant que Harnack avait un grand respect pour Paul de Samosate. La christologie de l’école kérygmatique peut au contraire être considérée comme une forme de docétisme, parce que cette école ne s’intéresse pas à l’historicité de Jésus.

On peut dire qu’une forme de docétisme se révèle là où le salut obtenu par Christ n’est pas considéré comme déterminant pour toute la vie parce que l’on réserve ce salut, par exemple avec le gnosticisme, pour l’esprit. Un tel docétisme peut être théorique, mais il peut être aussi seulement pratique. Le docétisme est aussi actuel si on pense pouvoir reconnaître Christ comme son Sauveur sans que l’on veuille le servir dans toute sa vie humaine de chaque jour.