Daniel 1 - Le Dieu de l'histoire
Daniel 1 - Le Dieu de l'histoire
Daniel 1
Le livre de Daniel, qui débute par le récit apparemment banal du régime alimentaire de quatre jeunes, est en réalité l’un des livres les plus explosifs de toute l’Écriture et assurément de toute la littérature mondiale. Philosophie de l’histoire, ce livre est une sorte de manifeste politique du Dieu souverain et absolu : C’est lui qui agit dans tous les aspects de notre existence et qui s’occupe de tous les détails de notre vie. La vie et la mort des moineaux sans valeur, aussi bien que l’apparition et la chute des empires, n’échappent pas à son œil vigilant. Il décide souverainement de leur sort.
Affirmer l’action de Dieu d’une manière rétrospective est une chose, la prédire en est une autre. Daniel décrit à l’avance l’histoire et le cours des événements. Aussi, il n’est pas étonnant que le livre qui porte son nom ait été la cible des critiques les plus violentes. Car il constitue une offense humiliante à l’intelligence humaine qui se veut à tout prix autarcique. Les critiques théologiques l’ont attribué à un rédacteur du deuxième siècle avant J.-C., en niant de la sorte l’authenticité de ces récits.
La question, extrêmement gênante pour l’homme de tous les âges et surtout pour l’homme moderne, c’est de savoir que Dieu opère aussi bien dans l’histoire que dans les vies individuelles et qu’il est, de surcroît, le seul capable de prédire la suite des événements. N’est-ce pas d’ailleurs le scandale causé par toute l’Écriture? Scandale permanent pour l’homme rebelle cherchant toujours à supprimer Dieu. Or, les pages du prophète réunissent en une synthèse admirable tous les éléments constitutifs fondamentaux de la foi au Dieu absolu. Ni mythe ni poésie (n’en déplaise aux critiques), elles témoignent de l’exigence absolue de la Parole de Dieu sur toute pensée humaine, aussi bien religieuse que politique et culturelle. Dieu appelle, voire parfois contraint les hommes, quels que soient leur position et leur rang, à le reconnaître, à l’adorer et à le servir.
Dans la série consacrée au livre de Daniel, nous chercherons à souligner quatre points principaux. Tout d’abord l’idée même de Dieu.
Dieu est Yahvé, l’Éternel. Auprès de lui, il n’y a point d’autre Dieu. Le Dieu éternel et révélé n’est ni l’équivalent de la valeur suprême, ni le citoyen majeur de l’univers, ni la somme totale du bien et du beau, ni l’essence de toutes les vertus, qui, en dépit des qualités lui étant attribuées, ne serait, en définitive, qu’un dieu impotent ayant besoin de sa créature.
Penser Dieu en ces termes est insensé; c’est même un blasphème. Si Dieu avait le moindre besoin de ses créatures, dans ce cas, ni la création, ni la sortie d’Égypte, ni les miracles de Daniel, ni la naissance virginale de Jésus-Christ, ni sa résurrection corporelle ne seraient son œuvre, ses œuvres. Auquel cas il faudrait évacuer à tout jamais la moindre notion du miraculeux et hisser l’homme à la place de Dieu.
Si Dieu n’était pas celui dont la Bible nous fait une description parfaite et suffisante, mais simplement une partie de l’univers, son aspect supérieur, et rien de plus, il ne saurait être question de son contrôle sur tout ce qui existe, hommes et bêtes, nature et univers; son pouvoir relèverait de la fiction pure. Or, seul un Dieu absolu et tout-puissant peut nous révéler sa personne, agir en notre faveur, opérer notre salut. Aucune personne humaine ne peut se révéler à ses propres yeux, se connaître parfaitement par ses propres moyens et encore moins contrôler son monde de manière ultime. Le Dieu de Daniel et de toute la Bible est non seulement l’Absolu, mais le seul en qui se trouve la clarté parfaite.
Certes, il reste incompréhensible et inexhaustible aux yeux de l’homme pécheur, mais en lui, il n’y a pas de contradiction. C’est aussi pour cela qu’il nous accorde une révélation infaillible aussi bien de son plan de rédemption que de ses interventions immédiates au cours de l’histoire des hommes. L’homme déchu et révolté, lui, se contenterait simplement d’un dieu-surprise. Un dieu qui accorderait périodiquement quelques bribes de révélation partielles, changeant constamment, un dieu en devenir, ainsi que l’on dit dans une certaine théologie moderne : chenille hier, chrysalide aujourd’hui, ce dieu inventé par la théologie radicale moderne connaît des mutations au fur et à mesure des possibilités offertes par la conjoncture!
Et l’homme, lui, s’imagine être en mesure de se connaître, mais il ne le peut, pas plus qu’il ne peut saisir la Parole divine. Cette hantise de son autognose, c’est-à-dire de sa propre connaissance, l’incite à avoir recours à la psychanalyse, aux diverses philosophies et, ce qui est pire, à des théologies aberrantes. « Connais-toi toi-même », disait Socrate, mais comment l’homme pourrait-il se connaître, si ce n’est en Dieu, dont il porte l’image et la ressemblance? Calvin l’a formulé de manière admirable :
« Toute la somme presque de notre sagesse, laquelle, à tout compter, mérite d’être réputée vraie et entière sagesse, est située en deux parties; c’est qu’en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse. »
N’avons-nous pas été choisis comme partenaires de l’alliance, faisant l’objet de la grâce divine, destinés à une bienheureuse communion avec lui? En dehors d’une telle connaissance de nous-mêmes, incluse, fondée et associée à la connaissance de Dieu, nous échouerons fatalement, soit sur les rivages des illusions mythologiques, soit dans les gouffres d’un irrationnel total. Il n’y a pas d’alternative, et l’un ou l’autre, c’est déjà la mort sans Dieu. Or, voici que le message de Daniel vient bouleverser le statu quo; il ébranle les assurances des hommes, dissipe leurs illusions, démontre l’inanité de leur sagesse.
Notons bien que l’homme de l’époque de Daniel, de même que notre contemporain, est tourmenté par l’ombre menaçante du futur. Le deuxième point saillant que nous voulons souligner c’est la prophétie qui prédit l’avenir. Rédigé quelques siècles avant J.-C. ce livre trace la trame des événements futurs, décrit les empires qui vont naître, annonce la venue de Jésus-Christ, l’institution de l’Église, le tout avec une confiance en Dieu totale. Une telle prédiction constitue précisément une pierre d’achoppement pour l’intelligence de l’homme déchu. Cet homme qui s’accroche à son autonomie, qui décrira l’horizon de la fin du millénaire, qui élaborera sa politique prospective en se considérant comme le seul artisan de son futur; un futur qui n’est d’ailleurs qu’imaginaire…
Daniel, au contraire, affirme la totale indépendance de Dieu par rapport à l’histoire des hommes; il est à la fois Créateur et Gouverneur du temps et de l’éternité. Sa main qui trace la journée d’aujourd’hui, est celle qui prépare le lendemain. Les nations ne sont que néant à ses yeux et les empires les plus puissants des outils qui servent à réaliser ses projets. Il soumet toutes choses à sa volonté et il poursuit sans défaillance les objectifs qu’il a d’avance établis. Il ne peut se laisser manipuler par l’homme; les théologies blasphématoires qui ont annoncé sa mort savent-elles qu’elles ne manipulaient pas le cadavre de Dieu, mais creusent leurs propres tombes?
Le troisième point à souligner est l’élément miraculeux auquel nous avons déjà fait allusion. Selon la conception antique, la vérité et l’authenticité d’une religion se vérifiaient dans et par le succès qu’elle procurait à ses adeptes. Par exemple, si Babylone étend son pouvoir et recule toujours plus loin les limites de son empire, c’est le signe de la supériorité de sa religion sur celle des peuples conquis. Si Nébucadnetsar avait pu piller impunément Jérusalem et emporter les ustensiles du temple, le succès d’une telle entreprise était attribué aux dieux qu’il servait. Il tenait ses divinités pour infiniment supérieures à celle d’Israël. Ce pragmatisme antique est une indication importante de l’inspiration et de l’orientation fondamentalement anthropocentriques de toute religion naturelle et païenne. Au regard de telles religions, il n’y a d’autre dieu valable que celui qui accorde succès et prospérité. Ainsi s’explique le rejet, voire le mépris des hommes envers le Dieu biblique. Quant au miracle, intervention de Dieu dans le cours des événements, il est purement et simplement un affront jeté à la figure de cette conception païenne. Les miracles de Daniel sont la déclaration de guerre contre celle-ci et la manifestation de la gloire et de la totale liberté du Dieu des cieux et de la terre, qui confond la sagesse de ce monde et anéantit le pouvoir des grands.
Enfin, dernier point-choc : la providence de Dieu trace d’avance le cours des événements et les prédestine pour faire éclater la gloire de son nom. Regardez de quelle manière cette providence opère dans le cas des quatre jeunes juifs exilés à Babylone. Daniel et ses compagnons, bien que croyants, ne sont apparemment que des prisonniers à la merci d’un monarque absolu et de ses courtisans. Décidément, ce Dieu biblique semble pratiquer une très mauvaise politique d’assurance tout risque! Mais c’est précisément en espérant contre toute espérance que la foi des quatre Juifs trouve la source d’une joie et d’une espérance incomparables. L’ancienne Babylone entretenait un rêve grandiose : celui de créer un monde unifié dans lequel les nations seraient subjuguées et brisées, de vastes populations assimilées et les jeunes soumis, oubliant leur culture d’origine et reniant leur foi ancestrale.
Daniel et ses compagnons se trouvent au bénéfice d’un luxe sans pareil, mais cette politique d’assimilation est un subterfuge employé pour les détacher aussi bien de leur patrie que de leur Dieu. Mais les quatre compagnons restent fermes; ils sont déterminés à ne pas se souiller au contact d’un paganisme qui nie leur Dieu et se substitue à sa souveraineté. Cette première phase de leur mésaventure rend compte de la résistance virile de ces jeunes croyants contre toutes les pressions exercées par leur milieu ambiant, ainsi que contre toutes les nuisances culturelles et idéologiques de leur temps. Si on ne peut être fidèle dans les petites choses, comment pourrait-on résister lorsque la tentation devient plus grande?
C’est là, dans les choses apparemment secondaires, que le combat gigantesque du croyant se déroule déjà contre l’adversaire subtil. Combat qui, parfois, exige le sacrifice de sa personne, mais n’est-ce pas pour la recevoir au centuple, ainsi que nous le promet le Seigneur Jésus-Christ, le Fils incarné de Dieu? Jérusalem détruite, l’élite déportée, le pays dévasté sous la botte du conquérant… Pourtant, la Parole de Dieu continue à réclamer partout et dans toutes les circonstances une obéissance sans faille. L’élu de Dieu se sait appartenir à son Maître et non aux hommes, quel que soit leur pouvoir sur lui. Dieu sera servi le premier, de toute manière, en toutes circonstances. Babylone peut rêver d’édifier un paradis terrestre bâti de ses propres mains; le Dieu de la Bible, l’Adonaï d’Israël ne partagera pas sa gloire avec la créature déchue.
Ainsi, aujourd’hui encore, à cause de la connaissance que nous avons du même Dieu, celui de Daniel, qui n’est autre que le Dieu de Jésus-Christ et de l’Église chrétienne, à cause de la confiance que nous plaçons en lui, nous lirons les quotidiens, écouterons les informateurs des médias de masse et suivrons l’actualité mondiale avec l’assurance de Daniel et dans l’espérance du Royaume qui vient. Nous persévérerons en dépit de tout, sans cesser de confesser le nom du Dieu Créateur des choses visibles et invisibles, à qui appartiennent le règne, la puissance et la gloire, ainsi que nous, son peuple racheté, pour le temps et pour l’éternité.