Cet article a pour sujet la pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre "Le diable et le bon Dieu", illustrant l'athéisme moderne et le désir de liberté absolue. La foi chrétienne annonce la libération en Jésus de l'homme à l'image de Dieu.

Source: L'homme en question. 4 pages.

Le diable et le bon Dieu

Dans Le diable et le bon Dieu, célèbre pièce de théâtre, l’auteur, Jean-Paul Sartre, intente un procès contre Dieu. Deux personnages à la fois contrastés et complémentaires, Heinrich, le curé des pauvres, et Goetz, l’aventurier, conduisent le fil du drame. Heinrich le prêtre s’est trouvé dans une situation dont l’ambiguïté a fait éclater la contradiction de sa foi. Curé des pauvres, il doit en même temps servir l’Église et servir le peuple. Or, le peuple révolté va assassiner les prêtres. Si Heinrich qui possède une clé secrète de la ville la livre à Goetz, l’assiégeant, les pauvres seront massacrés et les prêtres sauvés. Dans le cas contraire, la fidélité à la cause des pauvres se tournera contre l’Église. Hésitant et déchiré, Heinrich finit par donner la clé à Goetz. Mais le remords le jette au désespoir, le désespoir à la révolte. Il abandonne l’Église et donne son âme au diable.

Goetz a suivi le chemin inverse. Au moment où l’action s’engage, il est le héros du mal. Il fait le mal non par luxure ou avarice, ni même par plaisir, mais par système, parce que c’est le mal. Parce que Dieu a inventé le bien et qu’il veut, lui, Goetz, être libre d’inventer contre Dieu. C’est l’homme qui refait Lucifer, qui veut combattre Dieu à armes égales avec le pouvoir infini de sa liberté. Cependant, à la suite des circonstances invraisemblables, Goetz, par un coup de dés, a décidé de retourner sa veste et de devenir un saint. Jouant la comédie de la sainteté, il finit par se prendre au jeu. Il accède au plus parfait renoncement, il abolit totalement sa personnalité humaine, pour ne prendre intérêt qu’à l’éternel et au service divin. « Je ne suis plus un homme, je ne suis plus rien, il n’y a que Dieu », dit-il. Sur cette voie, il ne connaît que des échecs; en partageant ses terres, il a provoqué une révolte des pauvres, qui éclate trop tôt et qui est noyée dans le sang. En renvoyant sa maîtresse, il l’a condamnée à mourir dans l’angoisse et le désespoir. La cité du soleil, où on pratiquait absolument la charité et la douceur, a été détruite par les violents. Mais ce qui est échec sur échec sur le plan de l’histoire lui apparaît grâce et promesses de salut éternel.

Et c’est en vain que l’incroyante Hilda, sa maîtresse, voudrait le ramener de cette imperfection monstrueuse et stérile aux fécondes imperfections de sa nature d’homme. Il y reviendra pourtant après une longue et dure conversation avec Heinrich, quand les deux hommes confrontant leurs expériences seront amenés à conclure qu’il est aussi vain de se vendre au diable que de se donner à Dieu. Car il n’y a pour eux ni Dieu ni diable, ni bien ni mal. Il n’existe pas d’absolu dans un monde sans signe, il n’y a que l’homme libre de faire son histoire. Délivré de sa passion du mal comme de l’amour du bien, Goetz se retrouve enfin avec joie ce qu’il est : un homme qui va prendre avec courage sans illusions le commandement des paysans révoltés puisqu’il lui apparaît que c’est là son destin historique. Tant pis si, pour accomplir son destin, il doit commencer par un meurtre, affirmer son pouvoir en tuant un soldat. C’est le règne de l’homme qui commence et il ne faut pas que celui qui prétend agir sur l’histoire refuse d’être, quand il le faut, bourreau et boucher. « Je ne flancherai pas, je leur ferai horreur puisque je n’ai d’autre manière de les aimer. Je resterai seul avec le ciel vide au-dessus de ma tête puisque je n’ai pas d’autre manière d’être. » Sur ce mot conclut la pièce. Sous un ciel où Dieu est balayé et par une conscience qui ne connaît d’autres lois que celle que l’homme se donne.

« Navigation sans étoiles », écrit Pierre-Henri Simon, de l’Académie française, en consacrant une étude pertinente à l’ensemble de l’œuvre de Jean-Paul Sartre. Et c’est lui encore qui indique qu’il y a plus que le procès de la sainteté dans Le diable et le bon Dieu, c’est le procès fait à Dieu, ainsi que sa négation brutale. Serviteur du mal, Goetz était un assoiffé d’absolu, remarque Pierre-Henri Simon. C’est encore l’absolu qu’il voudrait atteindre dans le service de Dieu. Dans les deux cas, la soif de l’absolu le rejette hors de l’humanité en le rendant incapable d’une action efficace. Il devient, selon lui, vraiment homme quand il accepte la solidarité avec les hommes, et l’efficacité quand il accepte de se soumettre au relatif et à l’ambigu de la condition terrestre. Quand incurieux de l’éternel, il accepte franchement de jouer son rôle dans le temps. D’où son délirant cri de la mort de Dieu : « Dieu n’existe pas, joie, pleurs de joie. Alléluia, plus de ciel, plus d’enfer. Rien que la terre. Adieu les monstres. Adieu les saints, adieu l’orgueil. Il n’y a que des hommes. »

Dans toute son œuvre théâtrale et philosophique, Sartre a tenté de polariser la conscience de l’homme autour du sentiment de sa liberté. L’homme est un existant superflu ou une passion inutile. Mais du moins, il est libre. Libre de s’inventer, par chacun de ses actes, de donner un sens à son existence et de devenir ce qu’il n’était pas. La perfection humaine n’est pas une essence, une idée, une fois pour toutes définie et préalable à mon existence d’homme, elle est une possibilité, située non derrière moi, ni au-dessus de moi, ni même devant moi, mais en moi. Chacun de mes actes est de l’humain que je réalise, une figure que je donne à l’humanité. Les choix libres que l’homme fait de soi-même s’identifient absolument avec ce qu’on appelle sa destinée. Notre liberté n’est pas de changer de situation, mais de nous engager dans celle qui nous est faite en choisissant d’agir à partir d’elle et en lui donnant un sens. L’humanité commence, dit Sartre, de l’autre côté du désespoir. Il faut traverser ces ténèbres d’un tragique reconnu; if faut, pour devenir enfin un homme, avoir éprouvé ce délaissement, le sentiment vertigineux d’être seul dans un univers sans raison et sans Dieu. Mais aussi, toujours selon lui, si Dieu n’existe pas, tout est permis. La pratique de la liberté engagée dans l’histoire exclut tout scrupule de purisme moral et qu’il vaut mieux se salir les mains pour mener au succès la révolution nécessaire que de s’abstenir de le servir par idéalisme.

Le diable et le bon Dieu est une parabole extraordinaire de l’athéisme contemporain. Bien plus, il est aussi le plus parfait catéchisme de l’incrédulité qu’ingurgitent volontiers les hommes de notre temps. Il n’est pas étonnant qu’à chacune de ses représentations, chaque soir, des milliers de spectateurs restent bouché bées, et qu’à la fin se lèvent pour applaudir, frénétiquement, avec passion, quasi religieusement, l’annonce que Dieu est mort.

Il n’est pas étonnant que la prédication de l’Évangile, folie aux yeux des sages de ce monde, soit rejetée comme un non-sens. Ou bien et surtout, comme l’atteinte portée à l’homme et à la liberté de l’homme.

Pierre-Henri Simon, à qui nous empruntons les lignes suivantes, dans son étude La négation de Dieu dans la littérature française contemporaine, écrit encore :

« Agnosticisme, athéisme résolu et parfois antithéisme agressif, cette tendance, nous la considérons fréquemment dans la littérature d’aujourd’hui; elle marque tout un canton littéraire. Dieu est mort. Alléluia! le règne de l’homme commence. Voilà ce que nous entendons. Le règne de l’homme sans Dieu commence. Soit, mais il est visible que ce n’est ni par la joie, ni par la confiance. Dans son laboratoire, l’homme de science a peur de ce qu’il découvre. Dans sa méditation, le philosophe cherche anxieusement à fonder une morale d’abnégation et de courage sur une métaphysique négative de l’absolu. Plus sensibles, l’écrivain et l’artiste ne se lassent pas de créer les symboles de la révolte et de la terreur; ils n’osent plus regarder en face ni reproduire dans sa vérité une nature qui leur paraît absurde et une existence dont ils ont le dégoût. Pendant ce temps, l’État totalitaire abolit les libertés et les droits, l’univers concentrationnaire condamne des foules à la souffrance en d’horribles caricatures de cités, la science travaille pour la destruction du monde et, à travers les blasphèmes qui proclament orgueilleusement la mort de Dieu, nous entendons jaillir de partout, et souvent des mêmes bouches, une voix qui crie le dégoût de la vie et la peur du destin. »

Une admirable sculpture de la cathédrale de Chartres représente Adam buste à peine dégrossi, émergeant de la terre maternelle et façonné par les mains divines. Déjà, le visage du premier homme reproduit les traits de son modeleur. Parabole de pierre traduisant aux yeux, d’une manière aussi simple qu’expressive, les mots mystérieux de la Genèse : « Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance. »

La foi chrétienne, reconnaît notre premier titre de noblesse, le fondement de notre grandeur et de notre liberté. Raison, liberté, immortalité, domination sur la nature : autant de prérogatives en leur source, que Dieu communique à sa créature et qu’il fait rayonner sur sa face. Établissant l’homme à l’image de Dieu, chacune de ces prérogatives doit s’épanouir ensuite, jusqu’à parfaire en lui la divine ressemblance.

Le péché fut le désastre pour l’homme. Mais cette ressemblance, ainsi que l’authentique libération, lui sont accordées maintenant par la rédemption, qui est une recréation de l’homme accomplie par celui qui porte l’imagé parfaite de Dieu et qui a aussi porté notre visage, c’est-à-dire Jésus-Christ.

Non, Dieu n’est pas mort. Mais que le témoignage de notre foi puisse s’inspirer et se stimuler par la lecture du livre saint qui nous invite à exalter Dieu et à le louer par le chant du Psaume 145 :

« Je t’exalterai, ô mon Dieu, mon roi! Et je bénirai ton nom à toujours et à perpétuité. Chaque jour, je te bénirai, et je célébrerai ton nom à toujours et à perpétuité.
L’Éternel est grand et très digne de louange, et sa grandeur est insondable. Que chaque génération célèbre tes œuvres, et publie tes hauts faits! Je dirai la splendeur glorieuse de ta majesté; je chanterai tes merveilles. On parlera de ta puissance redoutable, et je raconterai ta grandeur. Qu’on proclame le souvenir de ton immense bonté, et qu’on célèbre ta justice!
L’Éternel est miséricordieux et compatissant. Lent à la colère et plein de bonté. L’Éternel est bon envers tous, et ses compassions s’étendent sur toutes ses œuvres. Toutes tes œuvres te loueront, ô Éternel! Et tes fidèles te béniront. Ils diront la gloire de ton règne, et ils proclameront ta puissance, pour faire connaître aux fils de l’homme ta puissance et la splendeur glorieuse de ton règne; ton règne est un règne de tous les siècles, et ta domination subsiste dans tous les âges.
L’Éternel soutient tous ceux qui tombent, et il redresse tous ceux qui sont courbés. Les yeux de tous espèrent en toi, et tu leur donnes la nourriture en son temps. Tu ouvres ta main, et tu rassasies à souhait tout ce qui a vie. L’Éternel est juste dans toutes ses voies, et miséricordieux dans toutes ses œuvres. L’Éternel est près de tous ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent avec sincérité; il accomplit les désirs de ceux qui le craignent, il entend leur cri et il les sauve. L’Éternel garde tous ceux qui l’aiment, et il détruit tous les méchants.
Que ma bouche publie la louange de l’Éternel, et que toute chair bénisse son saint nom, à toujours et à perpétuité! »