Cet article a pour sujet l'espérance chrétienne et la notion de l'histoire, du temps et de l'éternité d'après Augustin d’Hippone et son oeuvre sur la Cité de Dieu.

Source: Espérer contre toute espérance. 7 pages.

Espérance et histoire d'après Augustin

Augustin est le premier théologien de génie à refuser la conception antique du monde. Il rejette l’idée classique selon laquelle le temps serait un cycle récurrent, modèle invisible des révolutions cycliques des corps célestes. Ce n’est donc pas par hasard si le débat chrétien le plus explicite sur la théorie classique du cosmos est inclus dans une théologie de l’histoire qui s’intéresse au bonheur de l’homme. En effet, on peut traiter des problèmes cosmologiques non pas dans l’univers impersonnel, mais en Dieu, et implicitement en l’homme; l’existence de l’univers dépend entièrement de Dieu et son sens devra être découvert par l’homme, au moyen de sa foi.

Inversement, le lieu logique du débat classique au sujet de Dieu et de l’homme se trouve dans le cosmos, considéré par l’antiquité païenne comme éternel et divin, qui régit non seulement les lois naturelles, mais encore la destinée de l’homme. Compte tenu de cette divergence fondamentale entre l’approche chrétienne et l’approche païenne, on peut s’attendre d’avance à ce que la réfutation augustinienne de la théorie de la récurrence des cycles dans La Cité de Dieu, dans la mesure où elle met en évidence la faiblesse, voire la totale déficience morale de l’idée païenne, relève du domaine pratique et non du domaine théorique.

La question soulevée par Augustin n’est pas tant celle de savoir si l’univers est créé par Dieu ou s’il s’agit d’un univers éternel et divin en soi, que de savoir si les implications morales de la création et de la consommation finale sont plus satisfaisantes que celles avancées par l’idée de la récurrence éternelle sans commencement ni fin.

Le chapitre 4 du livre XI de La Cité de Dieu commence par affirmer que de toutes les choses visibles le monde est le plus grand; de toutes celles invisibles Dieu est le plus grand. « Mais que le monde soit, nous le savons parce que nous le voyons, que Dieu est, nous le croyons. » Déclaration véritablement classique de la position chrétienne, ce passage montre d’emblée pourquoi elle ne peut se concilier avec la thèse classique païenne, mais c’est aussi la raison pour laquelle Augustin ne prend pas la peine de la réfuter sur une base théorique.

La raison en est qu’il n’existe pas de transition entre le croire et le voir, à moins d’une vision directe immédiate de Dieu. Jugée par les yeux des sens, la foi est en effet « aveugle ». La théorie grecque, elle, est littéralement une vision ou une contemplation de ce qui est visible et, par conséquent, démontrable, tandis que la foi (la pistis) est une ferme assurance basée sur ce qui est invisible (Hé 11.1) et par conséquent non démontrable, bien qu’elle se prête à une ferme et joyeuse confession.

Le Dieu chrétien demeure inaccessible à toute théologie naturelle. Puisque Dieu est supérieur à sa création, en puissance et en son être, il ne peut y avoir d’explication authentique de Dieu à l’aide du monde sensible. Le monde entier peut être ou ne pas être, s’il dépend de la Parole créatrice de Dieu. Le monde chrétien n’existe pas essentiellement en soi; l’unique témoignage authentique rendu au monde visible est le Dieu invisible qui se révèle à l’homme en tant que Dieu Créateur par l’intermédiaire de ses prophètes.

Ce n’est qu’en deuxième lieu et comme réponse apportée aux objections païennes impliquant l’éternité du monde sans commencement et sans fin qu’Augustin discute du monde. Celui-ci donne de lui-même des signes de sa création, même quand les voix prophétiques se taisent.

Par sa propre mutabilité, par le caractère ordonné de ses changements et la belle apparence des choses visibles, le monde porte témoignage à la réalité de sa création. Cependant, loin d’avoir recours au deuxième argument en tant qu’argument décisif, et de conclure à l’existence d’un Dieu immuable à partir d’un ordre structurel, téléologique, Augustin souligne que toute grandeur, tout ordre et toute beauté dans l’univers ne sont rien et ne pourraient être comparés à l’invisible grandeur, sagesse et beauté du Dieu éternel qui, par l’efficace de sa Parole, créa, à partir du néant, les cieux et la terre. Un monde créé ex nihilo, du néant, est a priori privé de tout sens propre.

Ce que l’ancien univers perd en prétendue indépendance divine, il le gagne à présent dans la perspective biblique par sa totale dépendance à l’égard du Transcendant.

Avec l’espace, est créé, simultanément, le temps. Or, il est impensable d’imaginer qu’il ait pu exister un temps avant la création de quelque chose qui est en mouvement et en mutation, tandis que Dieu, lui, est immuable et en dehors du temps.

Dieu créa l’univers non pas dans le temps, mais simultanément avec le temps, en tant que monde temporel. Ce qui a été fait dans le temps est fait à la fois après et avant un certain temps, après ce qui s’est passé et avant ce qui est futur.

Rien ne pourrait alors être du passé, car il n’y avait aucune créature dont les mouvements et la durée pouvaient être mesurés. Le monde, le changement et la motion ont été créés simultanément avec le temps, ainsi qu’il apparaît de l’ordre des six ou sept premiers jours. Si, par conséquent, les penseurs païens affirment que le monde avec ses mouvements récurrents est éternel, sans commencement ni fin, ils se trompent lourdement et même étrangement, moins par l’absence d’intelligence que par leur folle impiété. Ils attribuent au monde ce qui ne peut se dire que de Dieu, lequel reste infiniment distinct du monde.

Au lieu de réfuter l’erreur païenne sur un fondement « théorique », Augustin se réfère à l’autorité de l’Écriture, dont la preuve et la vérité sont démontrées par l’accomplissement des prédictions prophétiques.

Une extension du temps qui commence à partir d’un certain commencement est limitée par une certaine fin (finitude) et, quelle que soit son extension elle est incomparablement brève, et même rien, comparée à Dieu qui n’a ni commencement ni fin.

L’homme aussi a un commencement réel, indépendant des autres hommes parce qu’il sait, par les yeux de la foi, qu’il n’est pas le simple produit de la procréation, mais la création unique et absolue de Dieu.

Le fait premier de l’existence humaine n’est pas la génération physique et l’identité par le moyen de cette génération, mais le fait que chaque individu, toit comme chaque génération, est faible et ignorant, décadent et mourant et, néanmoins, capable de se renouveler par la génération spirituelle. Ce qui est en cause dans ce bref intervalle de l’existence humaine est avant tout l’alternative entre le fait d’être soit éternellement béni, soit éternellement condamné. Il est exact que des penseurs païens parlent aussi de renouveau, mais seulement par rapport à la nature. C’est pourquoi ils y introduisent des cycles de temps fixes. Ils affirment que ces cycles reviendront sans cesse comme le lever du soleil et son coucher, l’été et l’hiver, la génération, la naissance et la dégénérescence… Cette théorie de la récurrence éternelle, qui pour l’esprit grec est naturellement manifestée dans un ordre immuable et rationnel, réglant les changements, a toujours assuré la fermeté et la fiabilité du cosmos.

Aux yeux d’Augustin, ce n’est là rien qu’une vicissitude qui devra être rejetée, d’autant plus qu’elle ne met pas à l’abri l’âme immortelle et la destinée de l’homme.

Par conséquent, son argument final contre ce concept classique du temps est de nature morale; la doctrine païenne est privée d’espérance, car celle-ci, ainsi que la foi, sont essentiellement associées au futur, un futur réel, qui ne peut exister si le temps passé et le temps à venir ne sont que des phases égales à l’intérieur d’une récurrence cyclique sans commencement ni fin.

Sur la base d’une évolution éternelle de ces cycles définis, on ne pourrait s’attendre qu’à une révolution (rotation) aveugle de misère et de bonheur, c’est-à-dire à un bonheur illusoire, mais à une misère réelle, à une répétition sans fin de ce qui est toujours le même et jamais neuf, rédempteur et final.

La foi chrétienne est véritablement promesse de salut et félicité éternelle pour ceux qui aiment Dieu, tandis que la doctrine impie des cycles futiles paralyse toute espérance et tout amour. Si tout devait se produire toujours à nouveau dans des intervalles fixes, l’espérance en une vie nouvelle serait futile.

Ainsi, en dernière analyse, l’exclusion du vrai bonheur fait que la théorie des cycles éternels est « une abomination » totalement hostile à la foi chrétienne qui, elle, est la foi en la nouveauté radicale qui a pénétré dans le monde et dans l’histoire avec un Sauveur personnel.

L’homme moderne, écrit Karl Löwith, vit sur le capital de la croix et du cercle du christianisme classique. L’histoire de l’homme occidental est une tentative renouvelée pour concilier l’un avec l’autre, la révélation avec la raison. Cependant, elle n’a jamais encore réussi et ne le pourrait qu’au prix d’une compromission dangereuse. Comment pourrait-on concilier la théorie du monde classique selon laquelle le monde — à cause des cycles récurrents — est considéré comme éternel, avec la foi chrétienne? Ils sont d’autant plus irréconciliables que la conception chrétienne du monde est, après tout, non pas une conception, mais une affaire d’espérance et de foi en ce qui demeure invisible, mais éternellement réel. C’est cette réalité invisible qui devient le principe qui régit toute La Cité de Dieu d’Augustin en tant qu’histoire du salut.

K. Löwith consacre ensuite une partie de son étude à La Cité de Dieu. Ce livre présente le modèle même de toute conception de l’histoire qui puisse se dire chrétienne.

On aurait de la peine à y chercher et à y trouver une philosophie de l’histoire. Au contraire, il offre une interprétation dogmatico-historique de la foi chrétienne. Bien qu’elle démontre la vérité de la doctrine chrétienne, moulée dans les matériaux de l’histoire sacrée et profane, l’histoire universelle ne possède pas à ses yeux un sens intrinsèque. La Cité de Dieu ne constitue pas un idéal qui pourrait se réaliser au cours de l’histoire présente, ainsi que le prétendra plus tard Joachim de Flore (ses trois âges). L’Église, dans son existence terrestre, n’est qu’une représentation (signification) de la vérité qui dépasse l’histoire. Pour Augustin, la mission historique de l’Église ne consiste pas à développer la vérité chrétienne à travers des étapes successives, mais plutôt à la répandre, car la vérité chrétienne comme telle a déjà été établie. Dans la mesure où l’Église est liée à l’histoire, Augustin se contente des faits qu’Eusèbe (l’historien de l’Église primitive) avait déjà présentés (ou recensés).

Ici, on est loin du concept mystique de l’Église comme corps du Christ qui prévaudra au cours du Moyen Âge, lorsque l’Église, à son tour, incarnera en tant qu’institution les moyens du salut. On est également loin de la notion moderne selon laquelle elle ferait partie de l’histoire de la civilisation et, par conséquent, serait soumise à des mutations et sujette à des variations.

Pour Augustin, l’histoire profane n’est pas pertinente d’une manière immédiate à ce qui est « éternel » (sauf en ce qui concerne notre décision historique d’accepter ou de refuser le Christ).

La foi d’Augustin n’a pas besoin d’élaboration historique parce que le processus historique comme tel ne peut jamais fonder et absorber le mystère central de l’incarnation.

Par rapport à l’absolue nouveauté de l’événement unique du Christ, plus rien de réellement neuf ne pourra se produire. Augustin parvient à démontrer dans La Cité de Dieu l’intégration, non d’une théologie de l’histoire, mais celle de la foi de l’Église en une doctrine d’Église institution. Il défend ainsi l’Église contre les attentes millénaristes (chrétienne, juive, païenne) davantage orientées de manière historique que ne l’était la doctrine de l’Église, qui ne devait pas attendre une fin imminente de l’histoire.

D’autre part, Augustin a éliminé, pour la première fois, l’attente d’une fin messianique apocalyptique et millénariste à l’intérieur du cadre temporel historique, lequel aurait une finalité (procursus) du commencement à la fin et permettrait l’établissement d’un millénium intermédiaire.

Le titre complet de l’ouvrage De civitatis Dei contra paganos indique son intention à la fois critique et apologétique. Il fut écrit à la suite du sac de Rome en l’an 410.

Les Romains prétendirent que la catastrophe inouïe survenue à leur cité s’expliquait par l’abandon des dieux païens et la présence des « athées » chrétiens, qui avaient aboli le culte ancestral.

Augustin rétorqua que, même avant l’apparition du christianisme, les Romains avaient déjà souffert de semblables désastres et qu’Alaric le Goth (qui était chrétien) s’était comporté relativement bien. Le culte polythéiste n’assurait pas la prospérité terrestre, et la conquête romaine était due, après tout, moins à la vertu romaine qu’à une politique dépourvue de tout scrupule, n’hésitant pas à l’occasion à exterminer des populations entières sans défense. Toutefois, c’est avec une remarquable sobriété qu’il se livre à l’analyse et à l’évaluation de l’Empire romain. Il le fait à la fois avec sympathie et un certain détachement.

Il rejette l’interprétation traditionnelle qui faisait de Rome le quatrième Empire du livre de Daniel, du fait même qu’il rejetait le principe d’une eschatologie mondaine et historique. Personnellement, il crut à la survie de l’Empire, sans toutefois considérer ni la survie ni le déclin d’un empire mondial comme une affaire d’une importance décisive dans l’ordre des fins dernières. L’ironie de son 155e sermon vise des païens autant que des chrétiens qui croient au caractère sacré exceptionnel de Rome. Les dix premiers livres de La Cité de Dieu sont une évaluation intentionnelle de l’orgueil aussi bien des chrétiens que des païens. Dans l’ordre de l’histoire authentique du salut, l’importance véritable de la Rome impériale consiste à ses yeux à préserver la paix terrestre comme une condition de la proclamation de l’Évangile. Les empires et les États ne sont pas l’œuvre du diable, pas plus qu’ils ne sont bons en eux-mêmes et, par conséquent, légitimés par la loi naturelle.

Ce qui est important pour l’histoire ce n’est pas la grandeur transitoire des empires, mais le salut ou la condamnation dans le monde à venir.

Le jugement dernier et la résurrection finale sont la contrepartie du premier commencement de l’histoire humaine : création et chute.

Par rapport à ce point supra-historique de l’origine et de la destination, l’histoire elle-même n’est qu’un intérim entre le dévoilement de son sens sacré et son accomplissement futur. Ce n’est pas dans la perspective d’un Heilsgeschehen que l’histoire profane occupe une place dans la conception augustinienne de l’histoire. Ce n’est que par sa référence à un commencement absolu et à une fin que l’histoire peut revêtir un sens.

Commencement et fin n’ont pas de sens en eux-mêmes non plus, mais uniquement en rapport avec l’histoire par laquelle ils commencent et s’achèvent, et dont l’événement central est Jésus-Christ et l’événement eschatologique par excellence son prochain retour.

L’essentiel dans l’histoire universelle, contrôlée par Dieu, est le conflit qui oppose la Cité de Dieu à la Cité des hommes. Ces deux cités ne sont pas à confondre la première avec l’Église, la seconde avec l’État. Il s’agit plutôt d’une société mystique composée d’hommes de types différents.

La Cité terrestre commence avec Caïn, le fratricide. La Cité de Dieu avec Abel son frère, la victime. Comme les deux cités elles-mêmes, leurs représentants devront aussi être compris de manière allégorique. Caïn est le citoyen du siècle présent et, par son crime, le fondateur de la Cité terrestre. Abel, lui, dans le siècle présent est le peregrinans, le pèlerin, qui se dirige vers la Cité céleste, vers un objectif dont la destination n’est pas terrestre. Les descendants spirituels d’Abel vivent dans le siècle présent dans la Cité de Caïn, mais sans qu’ils en soient les fondateurs ni même les occupants attitrés (Hé 13.14).

L’histoire de la Cité de Dieu n’est pas coordonnée avec celle de la Cité des hommes. Elle forme la véritable histoire du salut et le cours historique (procursus) de la Cité de Dieu consiste dans le pèlerinage « spirituel » qu’ils effectuent ici-bas.

Ainsi, pour l’auteur de La Cité de Dieu, tout progrès n’est que ce pèlerinage-là. En tant que Civitas peregrinans, l’Église est associée aux événements profanes dans leur relative utilité et qui serviront à une finalité transcendante, celle qui consistera à bâtir la maison de Dieu. Jugée par ses propres critères, la Civitas terrena se caractérise par l’orgueil et l’ambition; la Civitas Dei par le renoncement à soi, la soumission et l’humilité.

La première est vanité, la seconde vérité. La Civitas terrena vit par la génération naturelle, la Civitas Dei par la régénération surnaturelle.

L’une est temporelle et mortelle, l’autre éternelle et immortelle; l’une est déterminée par l’amour de Dieu, l’autre par l’amour envers soi et le mépris de Dieu. Les enfants de lumière considèrent leur existence terrestre comme un moyen pour jouir ici-bas de Dieu.

L’histoire sacrée du salut n’est pas un fait empirique, mais la succession de la foi. Tandis que l’histoire des gouvernements, c’est-à-dire celle du péché et de la mort, vient à une fin véritable qui est la fin historique du saeculum (âge ou siècle) présent.

Cet âge présent offre le spectacle d’une succession désespérée et de la cessation des générations, vue par les yeux de la foi.

Néanmoins, l’ensemble de l’histoire profane et l’ensemble de l’histoire sacrée est le fait de la ordinatio (prédestination) de Dieu.

Du début à la fin de son système, Augustin cherche à défendre Dieu au cours de l’histoire. Mais contrairement au dieu de Hegel, lequel se confond avec l’histoire, le Dieu d’Augustin, le Dieu révélé de la Bible, est le Maître et le Seigneur de l’histoire. La manière dont il traite de celle-ci ne tombe pas sous notre empire; sa providence va jusqu’à déjouer toutes les intentions iniques des hommes.

Nous ne discernons que quelques fragments du sens de l’histoire, ceux qu’il plaît à Dieu de manifester. C’est pourquoi il ne faut pas attendre chez Augustin un intérêt très développé à l’égard de l’histoire profane comme telle. Il n’a même pas cherché à harmoniser l’apparition du christianisme avec celle de l’Empire romain. Son thème central et son principal intérêt consistèrent dans l’histoire eschatologique et dans la foi secrète à l’intérieur même de l’histoire profane, subalterne et invisible pour celui qui est privé du regard de la foi. Le cours total de l’histoire est progressif et il revêt un sens intelligible seulement pour celui qui attend et espère, au-delà du temps historique, le triomphe final de la Cité de Dieu remporté sur celle de l’homme révolté.

Pour Augustin, le discours sur le progrès ou sur la crise dans l’ordre mondial est dépourvu de tout intérêt. Du point de vue chrétien, il n’y a qu’un seul progrès : l’avance vers une distinction toujours plus tranchée entre la foi et l’incrédulité, le Christ et l’Antichrist. Il n’y a que deux crises qui comptent : celle d’Éden et celle du Calvaire, un seul ordre mondial : la dispensation divine; tandis que l’histoire de l’empire « court dans les révoltes et dans une variété sotte de plaisirs ». Cette absence d’une corrélation détaillée entre événement séculier et profane distingue Augustin de l’apologétique « chrétienne » d’un Bossuet ou de la philosophie de l’histoire de Hegel. L’un et l’autre ont tiré trop de conclusions pour leur philosophie à partir d’événements historiques concrets, et ainsi ils ont trahi l’absence de la foi inconditionnelle en la souveraineté de Dieu.

Pour comprendre Augustin, conclut Löwith, il nous faut oublier l’histoire comme « science » et son ambition suprême à ordonner les événements futurs. Nous rappeler surtout de l’autorité de la Bible, en particulier des prédictions prophétiques et de la providence divine dont on ne saurait disposer à sa guise de la moindre parcelle.