Tout est accompli (5) - La rédaction du Nouveau Testament en grec
Tout est accompli (5) - La rédaction du Nouveau Testament en grec
Lorsque nous lisons la Bible en français ou dans une autre langue parlée aujourd’hui, nous la lisons toujours dans une traduction. L’Ancien Testament a originellement été écrit dans l’hébreu qui était parlé au Proche-Orient dans l’Antiquité, et ce au cours de plusieurs siècles (avec quelques passages en langue araméenne, par exemple dans le livre du prophète Daniel ou celui d’Esdras). Il est évident que la forme même de la langue hébraïque utilisée dans tel ou tel livre, voire dans telle ou telle section d’un même livre, dépend de l’époque de sa rédaction.
Pour ce qui est du Nouveau Testament, les 27 écrits qui le composent ont été rédigés en grec, le grec qu’on appelle koinè, qui servait de langue véhiculaire dans une bonne partie de l’Empire romain, surtout les régions situées à l’est. Aujourd’hui, la Bible se donne à connaître dans des traductions, certaines meilleures que d’autres sur le plan littéraire, certaines plus fidèles aux textes originaux que d’autres. Pour celui qui en a la possibilité et qui peut lire aussi bien l’hébreu que le grec, comparer différentes traductions dans une même langue, voire entre langues différentes, est toujours très instructif.
De nos jours, certains affirment que les écrits du Nouveau Testament, comme les quatre Évangiles — selon Matthieu, Marc, Luc et Jean — ou encore les lettres des apôtres Paul, Pierre, Jacques ou Jean, auraient été écrits dans l’araméen qui était parlé du temps de Jésus et non en grec. Rappelons que l’araméen était une langue sémitique apparentée à l’hébreu, et qui avait cours en Palestine, en Syrie et même en Égypte, avec des variations notables. À l’époque, l’hébreu de l’Ancien Testament n’était plus parlé couramment, mais il était lu lorsqu’on lisait les rouleaux des livres de l’Écriture sainte dans les synagogues de Palestine. Pour communiquer entre eux, les gens qui vivaient en Palestine parlaient donc l’araméen (langue qu’il ne faut pas confondre avec l’arménien, qui est une langue, non pas sémitique, mais indo-européenne).
Pourquoi certains, au sein même de l’Église, insistent-ils sur une rédaction du Nouveau Testament en araméen, et non en grec? Et cela a-t-il vraiment une quelconque importance? Après tout, est-ce que cela change quoi que ce soit au message du Nouveau Testament, centré autour de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ par rapport à l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament? Disons tout d’abord qu’il n’existe aucun document ou preuve scientifique venant étayer une telle hypothèse. Les plus anciens manuscrits que nous possédons des écrits du Nouveau Testament sont tous écrits en langue grecque. Après eux viennent des traductions très anciennes, comme en langue syriaque (apparentée à l’araméen), en langue gothique, copte, arménienne ou latine. Les plus anciens traducteurs ou compilateurs des textes du Nouveau Testament, comme Origène (né à la fin du 2e siècle de notre ère) ou Jérôme (qui vivait au début du 4e siècle) ont effectué leurs travaux à partir de manuscrits grecs. Aucun de ces savants du début de l’ère chrétienne n’a utilisé des textes ou des sources araméennes, qui du reste n’existaient pas.
En fait, l’insistance sur la rédaction du Nouveau Testament dans la langue sémitique araméenne répond à une autre visée : celle consistant à réinterpréter le rapport entre Jésus et l’Ancien Testament, pour justifier aujourd’hui qu’on célèbre les rituels de l’Ancien Testament comme ils l’étaient durant cette période de l’histoire du peuple de Dieu, sans tenir compte de la signification que Jésus leur a donnée en l’accomplissant parfaitement. Les tenants de cette vue se heurtent pourtant à des faits indiscutables. Prenons les lettres de l’apôtre Paul adressées à des communautés chrétiennes en Grèce ou en Asie Mineure. Pour quelle raison des Grecs vivant en Grèce auraient-ils lu ou parlé l’araméen, langue développée sur un autre continent? Depuis les campagnes militaires du Macédonien Alexandre le Grand trois siècles plus tôt, le grec était parlé sur une superficie extrêmement étendue, et pas seulement en Grèce du reste.
L’hébreu étant peu à peu tombé en désuétude comme langue parlée, même les juifs qui n’habitaient pas en Palestine, mais qui avaient été dispersés aux quatre coins de l’Empire babylonien, puis perse et ensuite macédonien, ne le pratiquaient plus. C’est la raison pour laquelle les écrits sacrés des juifs, l’Ancien Testament donc, avaient été traduits en grec par une équipe de savants dans la ville d’Alexandrie en Égypte quelque 150 ans avant Jésus-Christ. Cette traduction grecque, connue sous le nom de Septante, car 70 lettrés y auraient participé, était lue chaque jour de sabbat dans les synagogues situées en dehors de la Palestine. Le grec était la langue la plus appropriée pour véhiculer le message de l’Évangile aux quatre coins de l’Empire romain, aussi bien auprès des juifs de la diaspora qu’auprès des païens convertis au judaïsme, voire directement convertis au christianisme.
Que certains auteurs du Nouveau Testament (comme le disciple Jean) aient fait preuve de tournures sémitiques lorsqu’ils écrivirent tel ou tel texte en langue grecque, cela est bien compréhensible, mais ne signifie pas pour autant qu’ils ont d’abord rédigé en araméen leurs écrits, que d’autres auraient bien plus tard traduits en grec. En ce qui concerne l’auteur du plus grand nombre de lettres du Nouveau Testament, l’apôtre Paul, il était né et avait été éduqué dans la ville de Tarse, dans la province romaine de Cilicie. Or, à l’époque Tarse était un des plus grands centres intellectuels de l’hellénisme, c’est-à-dire de la culture grecque. Paul maîtrisait parfaitement cette langue. D’autres auteurs, comme celui de la lettre aux Hébreux, ou encore l’évangéliste Luc — auteur non seulement de l’Évangile qui porte son nom, mais également du livre des Actes des apôtres — s’expriment dans un grec qui ne doit rien à l’araméen. Finalement, ce qu’il nous faut souligner c’est que la langue grecque a été l’instrument par excellence de la propagation du message de l’Évangile, afin que le plus grand nombre puisse être atteint.
Dans ces conditions, à quoi bon obscurcir les conditions historiques de la rédaction originelle du Nouveau Testament, si ce n’est pour prétendre de manière somme toute assez sectaire qu’on s’est trompé depuis deux mille ans sur ces conditions, ceci afin de remettre en question quelque chose de bien plus grave qu’une simple question d’ordre linguistique, à savoir le plein et entier accomplissement de l’Ancien Testament par Jésus-Christ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, comme je vous l’ai expliqué dans les articles précédents de cette série intitulée « Tout est accompli », certains cherchent à observer rigoureusement les rites et fêtes de l’Ancien Testament pour se donner bonne conscience, pour faire valoir leur propre sainteté. Or, en cela, ils nient que sur la croix de Golgotha Jésus-Christ ait accompli tout ce qui était nécessaire pour notre salut.
On retombe dans une sorte de légalisme et de ritualisme qui s’aveugle sur la portée de l’œuvre rédemptrice du Christ. Et pour ce faire, on n’hésite finalement pas à dire que les textes du Nouveau Testament que l’Église a reçus dès le début ne seraient pas fiables, le tout sans aucune preuve matérielle, uniquement sur des présomptions. Remarquez que ce type de raisonnement rappelle assez celui de l’islam qui prétend que les textes du christianisme ont été faussés très tôt par de faux apôtres, lesquels auraient falsifié le message de Jésus. Donc pour véritablement savoir ce qu’a dit et fait Jésus, il nous faudrait lire le Coran, qui a été rédigé quelque 600 ans après les Évangiles du Nouveau Testament… Mais où, quand et par qui les Évangiles du Nouveau Testament auraient-ils été falsifiés? Cela, on ne vous le dit jamais, tout simplement parce qu’il n’en existe aucune preuve.
Pour revenir à l’étude du Nouveau Testament, nous devons insister sur le fait qu’on ne peut faire une étude sérieuse des textes originaux — ce qu’on appelle l’exégèse du texte — que dans la langue originale des manuscrits qui nous sont parvenus (même s’il est évident qu’aujourd’hui on consulte pour ce faire des éditions modernes de ces manuscrits). On ne peut pas faire des reconstructions hypothétiques de documents qu’on ne possède pas, et qui n’ont sans doute jamais existé, et leur attribuer le rôle de source fiable alors qu’on met volontairement de côté les documents qui, eux, existent bel et bien et ont été préservés par la providence divine. Si on ne respecte pas avec réalisme la réalité, alors on peut tout dire et n’importe quoi en se justifiant par les raisonnements les plus spécieux.
Tôt au tard, on tombera dans les fables et les mythes contre lesquels Paul lui-même mettait en garde son jeune ami Timothée au début de la première lettre qu’il lui adressait. Par opposition à ceux qui se tournaient vers de telles fables, Paul lui écrivait : « Le but de cette recommandation, c’est l’amour qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sans hypocrisie » (1 Tm 1.5). Et à un autre collaborateur, Tite, il écrivait de même :
« Mais évite les spéculations absurdes, l’étude des généalogies, les controverses et les polémiques au sujet de la loi, car elles sont inutiles et vides de sens. Si quelqu’un cause des divisions, avertis-le, une fois, deux fois, puis écarte-le de l’Église; car, tu peux en être certain, un tel homme est sorti du droit chemin : il fait le mal et prononce ainsi sa propre condamnation » (Tt 3.9-11).
Même si le contexte de ces deux avertissements est différent de celui qui nous a occupés jusqu’ici, leur portée demeure la même chaque fois que l’Évangile est obscurci sur la base de faux raisonnements et de toutes sortes de discussions inutiles.
Pour le dernier article de cette série intitulée « Tout est accompli », nous parlerons de la puissance de l’Évangile qui se manifeste en ceux qui croient et qui provient directement de la puissance de la résurrection de Jésus-Christ.