Exode 20 - Le vol - 8e commandement
Exode 20 - Le vol - 8e commandement
« Tu ne commettras pas de vol. »
Exode 20.15
Dieu lui-même n’est pas indifférent à l’égard de notre situation matérielle et moins encore de la manière dont nous nous procurons l’argent. L’obéissance que nous lui devons et que nous réclame le commandement à son tour touche ce domaine très précis de notre vie. Après s’être occupé de notre vie de famille, posé le problème de la pureté du cœur et exigé la sauvegarde de la vie du prochain, il pose sa main sur nos richesses et sur le processus dont nous les accumulons et distribuons.
Certes, l’argent à lui seul ne résoudra pas notre problème fondamental. « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4.4). Mais Dieu avait accordé à l’homme, dès le début, une propriété et une prospérité dépourvues du souci et de l’inquiétude qui si souvent les accompagnent, rongeant ceux qui les possèdent… Il l’avait largement pourvu de nourriture. Le paradis était la providence sans faille d’un Dieu qui aime sa créature. Si l’homme devait répondre pleinement et joyeusement à l’appel de Dieu, c’était parce que l’harmonie, aussi bien morale que physique, lui était accordée. Jésus n’a-t-il pas enseigné aux disciples à demander chaque jour le pain quotidien, avant même de demander le pardon de leurs péchés?
Certaines de ses paraboles décrivent la situation tragique d’hommes subissant le sort infâme d’une pauvreté sans espoir. La parabole du riche et de Lazare est l’une des descriptions les plus poignantes de la pauvreté et de l’extrême abandon que pouvaient connaître les malheureux, au seuil même de la richesse la plus opulente. La seule preuve de sympathie accordée à Lazare vient des chiens de la rue, méprisés chez les Juifs, qui lèchent les plaies du misérable, signe de sa misère matérielle et de sa dégradation sociale. Même les miettes tombant de la table du richissime voisin lui sont refusées… Par ces images frappantes, Jésus fustige avec une violence inaccoutumée la dureté du cœur des riches qui négligent les pauvres se trouvant là, tout près, à leurs portes. Ailleurs, il parle de ce débiteur insolvable qui tomba entre les mains de son cruel créancier et qui dut subir la prison. La situation des chômeurs et leur triste attente d’un emploi rémunérateur n’échappent pas non plus au regard du Fils de Dieu qui connaît et sympathise totalement avec toutes les détresses humaines.
Il n’y a aucun doute, le rôle joué par l’argent n’entre pas seulement dans nos préoccupations à nous, mais aussi dans celles de Dieu. Dieu a un plan à ce sujet. Il octroie un commandement précis. Aussi pouvons-nous le lire et en saisir le sens non plus comme un ordre négatif, à portée restreinte, comme s’il ne s’adressait qu’aux pickpockets des rues ou aux redoutables bandits armés, terreur des grandes métropoles. Lu à la lumière de toute l’Écriture, cet ordre devrait régler pour nous et pour notre époque les conditions complexes de nos relations économiques vers une bonne et équitable répartition des richesses qui circulent dans le monde.
Certes, les tentatives pour y parvenir n’ont pas manqué au cours de l’histoire. La plus récente est sûrement le système prôné par le marxisme-léninisme, qui prétend y apporter la solution unique et radicale… On pourrait penser que, dans les pays où le régime communiste exerce son pouvoir, les hommes pourraient vivre dans l’illusion de tout posséder. La propriété privée n’est-elle pas abolie? Tout n’appartient-il pas au domaine public? Le communisme serait-il donc le remède efficace contre les maux d’ordre économique, ne faudrait-il pas que les masses pauvres fondent leur espoir sur cette forme de messianisme politique? Certainement pas, car non seulement il se déclare ouvertement athée et hostile à la révélation et à la loi de Dieu, mais, de surcroît, il a fait lamentablement faillite partout où il a été imposé…
Il faut donc dénoncer l’erreur et même la malfaisance d’un tel système, non pour défendre nécessairement le système opposé, mais avant tout parce qu’il se situe ouvertement aux antipodes de la foi chrétienne. Il confesse une conception matérialiste de la vie, de telle sorte qu’il ignore l’origine ainsi que la destinée véritable de tout homme. La vie y est réduite à une lutte économique et la collectivité organisée est promue au rang de divinité. La personne perd toute individualité et toute originalité propres, et elle est sacrifiée à la masse et aux besoins de l’État.
Cependant, nous ne pouvons pas opter non plus pour les systèmes économiques dits libéraux qui n’ont d’autre but ni d’autre idéal qu’une société matérialiste et opulente tout aussi éloignée de Dieu et de sa loi dans la pratique que le communisme lui-même. Seule la perspective biblique peut apporter une parole de justice et de vérité dans le domaine de la pauvreté et de la richesse, car elle englobe non pas des problèmes isolés, mais l’être humain et son existence tout entière. Détail curieux qui ne doit pas échapper à notre attention : ce huitième commandement, à l’origine, était d’abord l’interdiction totale de dérober la personne humaine, homme ou femme. Parti de là, il prend le sens général de dérober aussi des objets. Pour éviter toute injustice et tout abus, une législation minutieuse régissait la vie d’Israël.
Ce commandement était un frein au danger menaçant, même au sein du peuple de l’alliance, les relations entre les riches et les pauvres. Des hommes ayant atteint une certaine position sociale et détenant les ressources en tiraient parfois profit au détriment des moins privilégiés, au lieu de les employer pour le bien de leur prochain. Pour y parvenir, ils exerçaient sans scrupules des pressions sur les pauvres, qui finissaient par être dépossédés de leurs biens. Une telle gestion était contraire à la vie dans la liberté et dans la dignité sur la bonne terre du Dieu Libérateur. Dans cette situation de l’ancien Israël, il est possible de voir, sur une moindre échelle, l’aspect malsain des relations économiques qui apparaîtra plus tard, sur une plus grande échelle, dans toutes les sociétés humaines qui succombèrent à leur tour à la tentation diabolique d’accumuler des richesses de manière injuste.
Car dans le cœur de l’homme se tapissent une insécurité et une anxiété fondamentales. Plus l’homme s’enrichit, et plus aiguë devient son angoisse. Plus il amasse des biens, et plus il devient insatiable. Il constate, à sa grande déception, la vanité et l’inefficacité des richesses, qui peu à peu deviennent son véritable maître. C’est la forme de paganisme appelée par Jésus « le Mammon », c’est-à-dire la richesse injuste contre laquelle Jésus s’élève avec véhémence. Dans une de ses paraboles inimitables, il dénonce l’avarice et la soif de posséder : « Cette nuit même, ton âme te sera redemandée; et ce que tu as amassé, à qui cela sera-t-il? » (Lc 12.20). Il ne faut pas voir dans cette histoire que de l’humour noir, car c’est le jugement même de Dieu que Jésus prononce en ces quelques phrases.
Le Dieu vivant et libérateur, celui qui avait promis de conduire son peuple libéré vers la terre promise, est le même qui ordonne « Tu ne commettras pas de vol. » Car c’est à lui qu’appartiennent la terre et tout ce qu’elle contient, le monde et ceux qui l’habitent, « l’argent est à moi et l’or est à moi », dit le Seigneur à son peuple incrédule et rebelle (Ag 2.8). Il nous prête ce que nous possédons.
« L’humanité, écrit un auteur contemporain, se débat à l’intérieur du grand vol collectif entre les diverses catégories des vols secondaires; le seul retour à l’ordre de Dieu sera la fin de notre anarchie financière. »
Non seulement nos biens, mais nos personnes elles aussi sont la propriété de Dieu, créées à son image et destinées à le servir. Lorsque Dieu enjoignit à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre, il délimitait la zone soustraite aux agissements libres de sa créature, et il révélait en même temps son règne incontesté sur le domaine qu’il entendait se réserver exclusivement.
Adam ne pouvait donc pas étendre impunément sa main pour cueillir le fruit qu’il convoitait. Il ne pouvait s’arroger la connaissance du bien et du mal sans porter atteinte à la souveraineté de Dieu, mais à cet endroit précis et dans cette occasion, Adam se déroba à Dieu et se détourna de lui. Ainsi, depuis ce moment, chaque vol, grand ou petit, porte la marque de notre perpétuelle rébellion contre Dieu. Ce jeune homme riche tellement sympathique, qui vint demander à Jésus comment gagner la vie éternelle, se déroba finalement, lui aussi, à son Seigneur. Il ne permit pas que celui-ci exerce son pouvoir et son contrôle. Ce faisant, il n’avait pas simplement rejeté la demande précise de Jésus d’abandonner ses biens, mais encore celle d’entrer dans une relation plus étroite avec Dieu et de dépendre uniquement de lui.
Ce détour et cet égarement ont nécessité la croix de Jésus-Christ. Celle-ci nous révèle la tragédie du vol, qui est le signe de notre aliénation d’avec Dieu. Elle est en même temps l’instrument qui nous ramène à lui et qui nous restitue à sa propriété. Le Christ, homme parfait, ne s’est pas dérobé à Dieu, mais il s’est offert totalement. Le Fils de Dieu n’a pas usé de sa divinité pour s’arroger des privilèges ni pour s’enrichir, mais il s’est appauvri pour nous. « Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ qui pour vous s’est fait pauvre de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis » (2 Co 8.9).
C’est à ce prix qu’il nous a enrichis de manière authentique. Et, oh miracle! ceux qui l’ont suivi ont vécu la même vie transformée d’offrande généreuse. Les premiers chrétiens, le lendemain de la Pentecôte, avaient saisi toute la portée et toutes les implications pratiques, matérielles, terre à terre de la rédemption et de la vie nouvelle offerte en Christ. « Ils avaient tout en commun », écrit l’historien de l’Église primitive, Luc, auteur du livre des Actes (Ac 2.44; 4.32). Il n’y avait là nulle contrainte, ni même une quelconque théorie économique. Ils savaient que Dieu, qui les avait rachetés à un prix énorme, ne les laisserait pas pauvres. Car sa providence se lève toujours sur chacun de ses enfants avant même que ne se lève le soleil du lendemain.