Cet article est une introduction aux paraboles de Jésus; elles font partie de son enseignement avec autorité: l'analyse des paraboles, leur but, leur diversité, leur thème, leur lecture, leur classification, leur exégèse, leur utilisation dans la prédication, leur message.

Source: L'Évangile en paraboles. 28 pages.

Introduction aux paraboles

  1. L’enseignement de Jésus
  2. « Avec autorité »
  3. Les sources de son enseignement
  4. Parabole vivante
  5. Notre prédication
  6. La parabole
  7. Analyse des paraboles
  8. Le but des paraboles
  9. La diversité des paraboles
  10. Le thème des paraboles
  11. Lire les paraboles
  12. Classification des paraboles
  13. L’exégèse des paraboles
  14. La question herméneutique
  15. Prêcher les paraboles
  16. Le message des paraboles
  17. Liste des paraboles

1. L’enseignement de Jésus🔗

Le ministère de Jésus fut en grande partie consacré à la prédication. À Pierre, qui le cherche parce que les foules l’attendent, le Seigneur répond : « Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que j’y prêche aussi; car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1.38). Cela indique clairement sa mission divine. Sa vocation est de prêcher. Cette vocation, l’exercice de ce ministère, lui confère le titre de Rabbi, c’est-à-dire Maître, bien que son mode d’enseignement soit différent de celui des scribes professionnels. On s’étonnait d’ailleurs qu’il enseigne, puisque, apparemment, il n’avait pas reçu de formation à cet effet. Cependant, il le fait « avec autorité » (Mc 1.22).

Jésus prêche partout; tout d’abord dans les synagogues, où il y a toujours un auditoire pour entendre la Parole de Dieu. On sait que tout mâle israélite pouvait prendre la parole dans une synagogue s’il y était invité par le président de celle-ci. Mais il prêche aussi à partir d’une barque ou sur les bords du lac, pour mieux se faire entendre de la foule. Il parlera dans la rue, dans des maisons et en plein air. Il s’adresse aux foules ou à des particuliers, de manière simple, se servant d’images empruntées à la nature ou puisées dans les coutumes populaires. Il serait facile de reconstituer bien des paysages palestiniens de l’époque à partir des prédications du Seigneur, et de comprendre nombre de traditions locales ou contemporaines.

Le thème général de ses discours est le Royaume de Dieu; lui-même se présente comme le messager de celui-ci. Cette révélation se fera progressivement et, à partir de la confession de Simon Pierre en Césarée de Philippe (Mt 16.15-16), aucune ambiguïté, aucun doute ne pourra plus planer sur son identité. Tout le reste, activités ou discours, évoluera désormais autour de ce fait central. Pour enseigner, Jésus se sert de toute forme littéraire et de toute figure de discours : conversations familières, interrogations, exposés, bénédictions et malédictions, invectives et encouragements, reproches cinglants, voire actes symboliques, pareils à ceux des prophètes de l’Ancien Testament, par exemple celui d’expulser les vendeurs au Temple (Jn 2.14-16), ou encore son geste d’écrire sur le sol (Jn 8.8).

Nous connaissons l’essentiel de son enseignement : les thèmes dans leurs grandes lignes, un grand nombre de détails et, bien entendu, son style pittoresque tout à fait exceptionnel et inimitable.

Certains théologiens l’ont inventorié d’un bout à l’autre pour le réduire souvent, hélas!, avec (ou sans) la meilleure intention, en formules et en classifications figées dans lesquelles fait défaut, hélas!, la grande Parole de vie. Certains se sont livrés même à de véritables fouilles pour y « découvrir », entre plusieurs « couches successives », des fragments considérés comme originaux et d’autres, tenus pour des adjonctions ultérieures, afin d’embellir (ou falsifier) la tradition. Ces spécialistes veulent distinguer entre ce qui, à leurs yeux, est authentique et ce qui échapperait à la recherche historique, donc à jamais invérifiable.

Le message de vie et de salut apporté par celui qui parla comme « nul autre » a été ainsi littéralement manipulé, trafiqué. Même la technique moderne a été appelée à la rescousse comme auxiliaire à certaines manipulations herméneutiques, et les services d’un ordinateur ont été requis pour déterminer quels mots on peut attribuer au discours « originel » de Jésus, et quels autres auraient été prêtés au Maître par la communauté chrétienne naissante.

Toutefois, nous pouvons dire, en paraphrasant une célèbre expression, que « le plus bel ordinateur du monde ne peut donner… que ce qu’il reçoit ». Si nous lui demandons une information sur tel ou tel sujet, il nous rendra des résultats en accord avec le code que nous lui aurons imposé. C’est chose facile que de décider ce qui est valable dans l’enseignement de Jésus-Christ d’après les présuppositions philosophiques et religieuses de quelqu’un, et de jeter dans les poubelles théologiques ce qu’il tient pour superflu… Faudrait-il opter pour la « Formegeschichtliche Schule » ou choisir la plus récente « Redaktiongeschichtliche Methode »? À moins que le vent délirant qui souffle actuellement chez nombre de théologiens ne vous précipite dans les labyrinthes du structuralisme…

Toute manipulation de textes anciens, qu’ils soient bibliques ou profanes, nous répugne. Non seulement parce qu’elle trafique la Parole de Dieu, mais encore parce qu’elle n’offre aucune garantie d’objectivité scientifique, même de la part de ceux qui font profession de rendre ces textes intelligibles à l’esprit des profanes. S’agissant des textes du Nouveau Testament, nous devrions crier halte à tous ces dépeçages de la Parole de vie, à toutes ces aberrantes « décompositions-recompositions » de l’Évangile. Ils finissent par démolir la foi, même si, heureusement, ils ne peuvent atteindre et annuler le message qui fonde la foi. Rien ne s’oppose à une lecture et à une étude scientifiques des textes des Évangiles. Mais de là à fonder des écoles qui, elles-mêmes, sont fondées sur des hypothèses aux multiples a priori philosophico-religieux, il y a tout un monde vis-à-vis duquel il conviendrait non seulement d’être prudent, mais même réfractaire.

2. « Avec autorité »🔗

Comprendre le contenu des discours de Jésus-Christ pose une condition préalable : celle de reconnaître son autorité (voir Mc 1.22). Le mot, j’en conviens, n’est pas populaire de nos jours. Il est tombé en désuétude; il est même en pleine « érosion », ainsi qu’on le dirait aujourd’hui. Le terme « autorité » évoque la restriction des libertés individuelles, l’obstacle à l’émancipation de l’homme… Il est plus que probable que si Jésus se présentait actuellement au milieu de nous pour nous parler avec la même autorité que jadis, il trouverait un accueil froid, si ce n’est franchement hostile. Il s’aliénerait même ses plus enthousiastes admirateurs. Ceux qui crient à la face de l’Église « rendez-nous Jésus! » risqueraient de vociférer « nous ne voulons pas de cet homme et de son autorité! » Il y eut, on s’en souvient, un triste précédent, lorsque, un jour inoubliable, une foule déchaînée, menée par des démagogues, demanda la mort du Fils de Dieu.

Ainsi, paradoxalement, ceux qui évoquent son nom et s’abritent derrière « l’autorité morale » de l’enseignement de Jésus pour justifier et fonder leur violence et leurs excès, en le tenant pour le prototype du révolutionnaire, font complètement abstraction de l’ensemble de l’enseignement de Jésus et de l’autorité réelle avec laquelle il prononça ses discours sur la pureté sexuelle, sur l’indissolubilité du mariage, sur le pardon des offenses et sur l’annonce d’un Royaume transcendant et éternel.

Que Jésus ait parlé avec autorité sur la providence comme sur la création, sur Dieu en tant qu’être vivant et personnel, comme le Père de ses enfants, son propre Père, aucun lecteur, même le plus candide, ne pourrait l’ignorer. L’autorité morale de Jésus a dressé parmi nous une échelle de valeurs unique et universelle, tant pour servir aux grands et aux forts que pour guider les pauvres et enseigner les ignorants. L’enseignement « autoritaire » de Jésus ne supporte pas deux sortes d’accueil : enthousiaste lorsqu’il conforte nos opinions, réfractaire, voire farouchement hostile lorsqu’il incommode nos élucubrations insensées.

Accepter l’autorité de l’enseignement de Jésus exige la conversion de nos intelligences, une véritable repentance ou « métanoia », le terme d’intelligence pris au sens de notre esprit, voire de toute notre personne. La chute a produit des effets négatifs sur notre intelligence. Elle en est affectée autant que nos sentiments et notre volonté. Mais lorsque nous nous plaçons par la foi au bénéfice de sa rédemption et que nous nous fions au témoignage intérieur que son Esprit rend à nos esprits, lui, sa personne et son œuvre, ses discours et sa seigneurie seront pour nous le chemin, la vérité, la vie.

L’Évangile selon Marc rapporte l’une des premières scènes de son ministère public. La foule qui l’écoutait, étonnée, avait constaté aussitôt une différence essentielle entre lui et les scribes. Pourtant, ces derniers étaient les interprètes attitrés de la synagogue et des experts compétents. Ils jouissaient d’une réputation justifiée, non seulement en tant que théologiens, mais encore en tant que juristes. Plusieurs centaines d’années de tradition faisaient d’eux des maîtres d’une compétence incontestée. Mais ce qu’ils appelaient dans leur enseignement « les affaires de Dieu » n’était, en réalité, qu’ergotage juridique et disputes au sujet de vétilles. Ils déclaraient, expliquaient, appliquaient, mais n’auraient jamais osé crier à la manière des prophètes : « Ainsi parle le Seigneur ».

À vrai dire, dans son enseignement, Jésus n’apportait aucun élément religieux inédit ou révolutionnaire. Lui aussi s’inspirait directement de la révélation de l’Ancien Testament. D’où lui venait son autorité? S’agissait-il d’un pouvoir séducteur subjuguant ses auditeurs? Ce pouvoir-là ne manque pas dans l’arsenal de nombre de prédicateurs-charlatans, rompus aux mille ressources des artifices du langage. Mais l’autorité de Jésus et la nature de sa personne sont intimement et indissolublement liées. L’une découle de l’autre. La seconde seule explique la première. Ceux qui jadis le rencontrèrent sur les chemins de la Judée ou en territoire syro-phénicien comprirent cela, comme le comprennent de nos jours ceux qui, nombreux encore dans l’Église chrétienne, déclarent dans la confession universelle de la foi chrétienne : « Jésus-Christ Dieu et homme ». Lorsque Jésus de Nazareth, le prophète de Galilée, parlait, Dieu en personne, et pour être plus précis, la deuxième personne de la Trinité s’adressait aux hommes.

Aussi, il est absolument insensé de chercher dans les Évangiles les traces d’un Jésus de l’histoire qui ne serait pas simultanément le Christ de la foi. Une telle schizophrénie intellectuelle et spirituelle sied parfaitement aux spécialistes de la négation, mais répugne aux disciples, témoins du seul nom donné sous le ciel (Ac 4.12). « Celui qui m’a vu a vu le Père », déclarait Jésus (Jn 14.9). Et cette formule à laquelle il a constamment recours, n’est-elle pas une preuve supplémentaire de ce qu’il affirme être? « En vérité, en vérité je vous le dis… »

Ce Rabbi (maître) juif du 1er siècle de notre ère est la Parole de Dieu, son Logos, la Raison divine devenue chair, « pour nous et pour notre salut ». Jésus s’est servi de son autorité pour éclairer, approfondir et appliquer le contenu de l’Ancien Testament. Juge universel, il annonce le pardon des offenses à quiconque croit et se repent. Au brigand mourant sur la croix à l’heure même où il agonise, l’autorité de sa Parole promettait déjà l’accès au Royaume.

Ses phrases redoutables (anathèmes?) contre les hypocrites sont revêtues d’autant d’autorité que ses paroles consolatrices : au « retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité » (Mt 7.23) succède l’autorité divine et humaine de celui qui, par sa seule parole, expulsa des démons, apaisa les éléments déchaînés de la nature, guérit les malades, redonna la vie aux cadavres…

Parler de l’autorité de l’enseignement de Jésus c’est poser la question essentielle : « Qui dites-vous que je suis? » (Mt 16.15). L’Évangile selon Marc introduit son livre par les mots suivants : « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu » (Mc 1.1). Le Christ est non seulement l’annonciateur de la Bonne Nouvelle, il est la Bonne Nouvelle en personne.

Nous avons reconnu son autorité contre toute autorité usurpatrice; celle des pouvoirs publics, celle d’une culture aliénée de Dieu, voire celle d’une fausse Église et de théologies ventriloques. À présent, comme jadis à Capernaüm, comme lors de la Réforme du 16siècle, comme depuis vingt siècles, ne compte pour nous que l’autorité de la Parole du Fils unique incarné de Dieu. Elle réclame pour lui notre personne tout entière. Elle a droit à notre acquiescement. Nous avons le choix entre lui et le mensonge aux multiples visages et aux multiples facettes qui peuple notre monde et qui le sape, le corrompt et le détruit…

3. Les sources de son enseignement🔗

Nous signalerons en passant les diverses « sources » d’où Jésus a puisé son inspiration, et nous rappellerons les années obscures que Jésus avait passées dans une ville insignifiante de la Galilée; insignifiante pour les historiens de métier, mais pas pour celui qui était venu mener parmi les hommes, dans sa bourgade grouillante de monde, la vie de l’homme total. La plupart des images qu’il a utilisées sont empruntées à ses souvenirs d’enfance et d’adolescence. L’atelier dans lequel il a travaillé de ses mains a influencé sans doute sa mentalité d’homme. Les troupeaux qui paissaient dans les champs et leurs bergers l’ont certainement beaucoup intéressé. Enfant de la campagne, il a observé les champs s’étendant autour de Nazareth, ou remarqué encore sur un coteau une maison éclairée durant la nuit.

Les personnes humaines ont été pour lui un autre vaste champ d’observation. Mais il n’a pas été un simple observateur, un « psychologue », au sens courant du terme. Il a surtout été, suprêmement, le connaisseur par excellence de l’homme. Selon le témoignage de Jean, « il n’avait pas besoin qu’on lui rende témoignage de quelqu’un; il savait de lui-même ce qui était dans l’homme » (Jn 2.25).

Il a parlé d’enfants jouant sur la place publique, rappelé la manière dont une femme moud le blé ou comment telle autre ira importuner, avec une ténacité opiniâtre, le magistrat de la ville, jusqu’à ce qu’elle obtienne gain de cause. Même les paresseux ont été cités, car il avait dû les voir vagabonder nonchalamment dans les ruelles de sa ville; des chômeurs aussi, tirant le diable par la queue, victimes des problèmes économiques du moment. Sans doute, il s’est ému à la vue des mendiants étendus à même le sol, couverts d’ulcères nauséabonds, et il s’est indigné en voyant de riches bourgeois fermant les portes de leur cœur et de leur bourse face à la misère.

Peut-être rencontra-t-il personnellement un homme content de lui et propre juste, le pharisien de la parabole bien connue, et fit-il la connaissance d’un grand pécheur repenti obtenant miséricorde, lui qui n’était qu’un marginal. Enfin, peut-être aussi eut-il connaissance de l’aventure malheureuse de ce jeune écervelé qui, atteint de la folie des grandeurs et contaminé par la fureur de vivre, ramassa un jour tout son héritage et partit à l’étranger pour s’y vautrer, loin de toute entrave parentale, dans la déchéance morale, pour se retrouver, à la fin, dans un dénuement indescriptible et déshonorant.

La tragédie du sort, l’ironie des circonstances, la solitude des uns, le désespoir des autres, la valeur d’une seule personne, une sagesse à toute épreuve, ont tissé le canevas de ses inoubliables histoires appelées paraboles, utilisées comme des véhicules pour transmettre le message, des cartes d’invitation pour entrer dans le festin du Royaume.

Mais plus que de la vie vécue, il a puisé son inspiration dans le Livre de la vie : la Loi, les Prophètes et les Psaumes, auxquels il aura constamment eu recours comme à la Parole écrite de Dieu.

4. Parabole vivante🔗

Examinons maintenant les raisons pour lesquelles ces paraboles elles-mêmes produisent si souvent l’effet contraire de ce qu’on aurait pu attendre.

« Simple comme l’Évangile », dit-on pour expliquer une vérité évidente, claire et rudimentaire. C’est de cette manière simple que Dieu s’est révélé aux hommes, dans l’extrême simplicité des discours de Jésus. Mais c’est aussi la raison pour laquelle la prédication de Jésus l’a conduit sur une croix. Il avait pourtant connu un début prometteur. Les gens ordinaires l’écoutaient avec plaisir et émerveillement. La foule le suivait d’une bourgade à l’autre afin de l’entendre et s’accrochait à chacune de ses paroles. Mais la popularité de Jésus n’a pas duré et, en moins de quatre ans, celui-ci connaissait, à vue humaine, un échec et une fin vraiment misérables.

Les responsables de sa condamnation n’étaient pas seulement les chefs et les adversaires haineux du Sauveur. Le peuple, autrefois enthousiaste, avait consenti et pris part à ce délire criminel. Déjà un jour, au début de son ministère, ses concitoyens de Nazareth avaient voulu l’éliminer physiquement.

« Ils furent tous remplis de fureur dans la synagogue, lorsqu’ils entendirent cela. Ils se levèrent, le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la montagne sur laquelle leur ville était bâtie afin de le précipiter en bas » (Lc 4.28-29).

La popularité de Jésus n’a pas duré même auprès de ceux qui semblaient sincères. Parmi eux, il y avait ceux qui pensaient avoir trouvé enfin le grand Prophète. Intéressés par ses discours, impressionnés par ses miracles, reconnaissants pour la guérison de leurs malades, le jour où ils l’ont entendu se déclarer Fils de Dieu, Sauveur des pécheurs, ils lui ont tourné le dos, « ils cessèrent d’aller avec lui » (Jn 6.66). Ce fut le commencement de la fin d’un prédicateur de talent et de succès. Jamais le rocher tarpéen n’avait été aussi proche du Capitole…

Quelles furent les raisons véritables de ce retournement? Les contemporains de Jésus ne l’auraient-ils pas compris? Comment un ministère aussi brillant avait-il pu aboutir à la crucifixion? Personne ne parlait avec autant de simplicité et de clarté, de manière aussi directe. « Il parlait en paraboles »; des histoires et des illustrations surprenantes, des images frappantes prises sur le vif. Jésus a prêché de manière à ce que tous, grands et petits, gens cultivés ou ignorants, puissent le comprendre. Il a résumé le grand Évangile du salut en des mots d’une extrême simplicité. Or, si étrange que cela puisse paraître, cet Évangile ne pénétrait pas leur cœur. Peut-être certains l’ont-ils critiqué pour cette simplicité même, pour utiliser des illustrations aussi ordinaires, de son propre cru et ne se référant à d’autres autorités que la sienne… Singulier prédicateur! Mais qui pourrait évaluer le prix et mesurer la peine que cette extrême simplicité a coûtés à Jésus-Christ, le Fils de Dieu, la Parole éternelle, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse divine? Qui ne pourra jamais comprendre ce qu’il en a coûté au Fils de Dieu de s’exprimer avec un langage accessible même aux jeunes enfants?

Or, la grande parabole, ce fut sa propre personne, Dieu venant au monde en forme humaine. Ceux qui entouraient Jésus n’entendaient pas simplement des paraboles, ils voyaient la plus grande des paraboles, une parabole vivante : le grand Dieu du ciel et de la terre quittant son éternité, enfermé dans nos limitations, enveloppé dans une forme terrestre… Ne pourrons-nous jamais mesurer la distance qui le séparait des hommes? Pourtant, il l’a parcourue; il a voulu atteindre chacun d’entre nous, descendre du niveau le plus élevé de la vérité à l’échelle la plus basse de la communication. Quel chemin étrange et douloureux a-t-il dû parcourir pour permettre à chaque pécheur d’entendre le message du salut! Car il ne suffisait pas de leur parler en paraboles, il fallait encore vivre au milieu d’eux, être leur Sauveur…

Le Christ en personne est l’Évangile vivant. Il vint non seulement prêcher l’Évangile, mais surtout pour qu’il y ait un Évangile. Sa personne constituait la substance de ses sermons. Sa chaire de prédicateur fut dressée non seulement dans la rue et les synagogues, sur les collines ou au bord de la mer, mais surtout sur le bois maudit du Calvaire et dans un tombeau qui resta vide. La mort et la résurrection de Jésus-Christ sont le cœur de tout l’Évangile. Et c’est là l’unique explication de sa venue parmi les hommes. Ce qu’il a prononcé était la grande vérité, la vérité qu’il fallait entendre d’urgence. Mais en dépit de ce contact direct, les uns ne l’ont pas compris et les autres l’ont ouvertement refusé.

Il en est ainsi depuis vingt siècles. Depuis deux mille ans, les convertis de Jésus-Christ sont bien peu nombreux. L’Église véritable est constituée par une infime minorité. Il faut dire que l’Évangile contraint un bon nombre de desseins et de pulsions qui existent dans le cœur de l’homme et repousse celui-ci plus qu’il ne le séduit. Deux mille ans de prédication simple et claire que les hommes ne tiennent pas à comprendre! Et lorsqu’ils la comprennent, c’est souvent pour la refuser…

Un jour, les disciples demandaient à Jésus de leur expliquer une certaine parabole. Jésus leur répondit qu’il leur était donné de comprendre le mystère du Royaume, mais « pas à ceux du dehors ». Pourtant, rien ne devait rester mystérieux, car en lui la révélation de Dieu est pleine, totale. Aucune ambiguïté sophiste, nulle complication théologique. Comment expliquer la différence entre ceux qui désirent comprendre et ceux qui résistent? « C’est à vous qu’a été donné le mystère du Royaume de Dieu, mais pour ceux du dehors, tout se passe en paraboles… » (Mc 4.11). Malgré la simplicité des discours et la clarté des paraboles, il fallait autre chose pour croire en lui. Leurs yeux, leurs oreilles et surtout leurs cœurs devaient s’ouvrir sous le miracle du Saint-Esprit avant de répondre par la foi. Car, autrement, la Parole allait produire l’effet contraire, « afin que tout en regardant bien, ils ne voient pas et qu’en entendant bien, ils ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné » (Mc 4.12). En d’autres mots, les auditeurs de Jésus n’étaient nullement disposés à se convertir et à être pardonnés, car tout leur être, tout leur orgueil et toute leur propre justice se dressaient contre l’Évangile et contre le Fils de Dieu. Seul le miracle de la grâce pouvait les rendre accessibles et réceptifs. C’est exactement ce qui s’était produit avec les disciples. Pourquoi eux et non pas les autres? Dieu seul le sait!

Il reste une question troublante. Pourquoi Jésus continue-t-il à prêcher? Pourquoi ne change-t-il pas de méthode? Ce n’est pas une question à laquelle il est facile de répondre. Mais qu’auriez-vous fait, vous, devant un enfant sourd et muet, qui ne parle ni n’entend? N’auriez-vous pas tout essayé pour l’atteindre? Car vous l’aimez; il est sorti de vos flancs; il est chair de votre chair et votre sang circule dans ses veines. Il en est ainsi avec Jésus. Certes, dans ce cas, les auditeurs seuls sont responsables, et mon illustration ne convient pas parfaitement. Ce que je veux dire, c’est que Jésus ne les abandonne pas parce qu’ils sont ses créatures, parce qu’ils portent l’image de Dieu. Il ira jusqu’au bout pour se faire comprendre, mais ce sera de leur faute s’ils ne le comprennent pas. Jésus-Christ n’abandonne jamais personne. Ce sont les hommes qui se détournent de lui. Ainsi, sont-ils inexcusables.

5. Notre prédication🔗

Chaque prédicateur sait que son message produit un double effet : Ou bien ses auditeurs l’entendent et l’accueillent, ou bien ils le rejettent. C’est pourquoi il prie avant chaque sermon pour demander le miracle du Saint-Esprit. Le prédicateur le plus éloquent et le plus doué sait que le meilleur de ses sermons ne convertira personne si Dieu n’ouvre pas les cœurs. Il y a des miracles de conversion parce que Dieu, par son Esprit, agit par la prédication. C’est pourquoi aucun véritable prédicateur de l’Évangile n’abandonnera jamais son ministère.

Oui, quelle parole étrange que celle qui produit la vie ou la mort, le salut ou le jugement. L’Église et le monde, les hommes qui sont dedans et ceux qui restent dehors sont séparés par un fossé infranchissable. Ils entendent une histoire dont le sens littéral leur est accessible, mais dont la signification véritable, captée par les uns, est refusée par les autres.

Le problème de l’Évangile n’est jamais celui de la communication. Dieu parle simplement, avec toute la clarté requise. Il nous dit ce que nous devons faire pour être sauvés. Si nous refusons de confesser nos fautes et de croire en Jésus-Christ, nous ne connaîtrons jamais le mystère du Royaume.

Mais remarquons l’attitude de Jésus envers ses disciples. Il leur explique en tête-à-tête ce qu’ils n’ont pas compris. Toute la vérité est explorée et exposée au grand jour. Il les aide à poser des questions et à exposer leurs problèmes. Il s’occupe de leurs doutes et de leurs craintes, et alors tout devient clair et lumineux : le sens de l’Évangile, l’importance de la foi. Certes, Jésus n’a pas répondu à toutes leurs questions. Sans doute, ils en avaient chaque jour de nouvelles, et chaque jour ils devaient s’adresser à lui de nouveau, car ils en avaient besoin. Mais la vraie, l’ultime réponse était sa personne même. Si nous le connaissons comme Sauveur, il résout la question essentielle : « Que dois-je faire pour être sauvé? » Le Christ a donné sa chair et son sang pour répondre à cette question.

6. La parabole🔗

L’enseignement de Jésus a revêtu des formes diverses; elles étaient si vivantes, si frappantes qu’elles saisissaient l’imagination de son auditoire et l’émerveillaient. S’il est vrai que le Christ n’a pas innové — car ses discours se réfèrent constamment à l’Ancien Testament et notamment au sommaire de la Loi, au Lévitique et au Deutéronome — cependant, un vent nouveau et frais les parcourt d’un bout à l’autre : le souffle puissant de l’Esprit vivifiant.

Parmi les formes les plus familières de ses discours, les plus prisées aussi, se trouvent les paraboles. Le mot vient du grec et, étymologiquement, signifie « placer à côté » et, par extension, « comparer » ou « illustrer ». Son équivalent hébreu est « machal », qui signifie « énigme » et aussi « proverbe ». L’un des livres du groupe des écrits dits de sagesse de l’Ancien Testament porte le titre de Proverbes, en hébreu : « mechalim » (au pluriel).

Nous nous occuperons spécialement des paraboles du Nouveau Testament, celles rapportées dans les quatre Évangiles. Cependant, il nous faut distinguer entre parabole, métaphore, similitude, allégorie et même illustration parabolique. Car il est possible de confondre ces genres les uns avec les autres et ne pas saisir le sens des discours du Christ, et alors, manquer le message que transmettent ses paraboles.

Une définition assez intéressante de la parabole a été donnée par un théologien réformé, pour qui elle est « une histoire terrestre avec une signification céleste ». Il s’agit de quelque chose, objet ou réalité, qui n’est pas clair en soi, mais le devient comparé à un autre objet ou réalité qui, lui, est clair. La comparaison en éclaire le sens. De très nombreuses paraboles commencent par la phrase ou l’aphorisme bien connu : « le Royaume de Dieu est semblable à… un homme, une femme, un roi, un commerçant, etc. »

Le Royaume est l’un des thèmes qui apparaissent le plus souvent, mais il est aussi le plus complexe. Acceptons le fait que Jésus n’a pas tenu à nous en donner une définition complète, mais il a raconté de brèves anecdotes pour révéler la nature de ce Royaume, au lieu de nous faire un cours magistral…

Le terme parabole peut être ambivalent. Un seul mot peut transformer en parabole une simple comparaison : le manteau auquel on ajoute un morceau d’étoffe neuf, le vin nouveau qu’on met dans de vieilles outres, ou encore le sel qui s’affadit. C’est de cette manière vivante, pénétrante, que Jésus a exposé les grandes vérités spirituelles et morales. Nombre de ses discours sont essentiellement des illustrations de nature parabolique. Certains en ont dénombré jusqu’à 70, mais en un sens étroit, leur nombre se situe vraisemblablement autour de 26 (la liste donnée plus loin ne veut pas être une statistique précise de celles-ci). On pourrait les diviser en deux groupes : d’une part, les paraboles principales, subdivisées en paraboles apparaissant dans un seul Évangile, dans deux Évangiles, dans trois Évangiles; d’autre part, les illustrations paraboliques.

7. Analyse des paraboles🔗

La parabole est une sorte d’allégorie à laquelle Jésus a recours afin de rendre accessible par des exemples concrets un enseignement qui aurait pu sembler trop abstrait à ceux qui écoutaient sa prédication sans y être préparés. Ces récits s’adressent parfois à des foules, parfois aux seuls disciples, pour lesquels Jésus ajoute, incidemment, un commentaire, leur expliquant qu’ils doivent être à même de connaître les mystères du Royaume. À ceux « du dehors », il parle en paraboles, afin « qu’en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent ». Même si, après une série de paraboles, Jésus pose à ses apôtres la question « avez-vous compris tout cela? » et que leur réponse est affirmative, il semble bien qu’ils ne saisissent que bien imparfaitement le sens du message; ils n’ont pas encore reçu les lumières de l’Esprit Saint qui doit leur expliquer toutes choses (Jn 16.12-13).

Le terme « parabole » revient quelque 50 fois dans le Nouveau Testament, dont 48 dans les synoptiques et deux dans l’épître aux Hébreux. Il désigne parfois un simple proverbe (Lc 4.23) ou une simple comparaison (Mc 3.23-27), un conseil imagé (Lc 14.7), une sentence (Mc 7.15-17). Il désigne surtout, et c’est à ce sens que nous nous attacherons, les récits dont Jésus se servait pour illustrer son enseignement. En ce sens, la parabole évangélique cherche à donner une leçon morale ou religieuse, et elle n’est pas une simple expression du bon sens commun. De ce fait, il y aura toujours lieu de chercher d’abord la leçon visée qui se cache sous le récit, et que nous appellerons la pointe de la parabole.

Les éléments descriptifs mis en œuvre peuvent, même dans la parabole, déborder le vraisemblable, par exemple qu’un berger puisse abandonner dans le désert 99 brebis, pour courir à la recherche de la 100e qui s’est égarée… Il faut regarder la leçon visée et non pas la lettre de l’histoire. Ainsi, l’économe infidèle de Luc 16 n’est pas donné comme un exemple de vertu; le Seigneur veut simplement dire que nous devons, dans les affaires propres à la vie de la foi, mettre autant d’application et de zèle qu’en a mis cet homme, rusé et malhonnête, dans ses affaires mondaines. Ne cherchons donc pas un sens précis à tous les détails d’une parabole, même si les Pères de l’Église dans le passé et des prédicateurs modernes l’ont fait plus que de raison. Les détails peuvent servir simplement d’ornement littéraire.

Lorsqu’il est évident que dans un récit tous les détails sont revêtus d’un sens, nous avons affaire à un autre genre littéraire voisin, mais différent : l’allégorie. Ces deux genres sont parents, et des détails allégoriques peuvent se glisser dans une parabole; le purisme littéraire n’est pas toujours de mise. Le quatrième Évangile contient deux récits paraboliques que nous appelons généralement des allégories, celui du bon Berger et celui de la Vigne. Mais, à côté de cela, on peut relever chez Jean nombre de comparaisons qui sont des paraboles en miniature. On peut dire, sans se tromper, que toute parabole (et même allégorie) se ramène à une comparaison : « de même que… de même ». Ainsi, pour la parabole de l’enfant prodigue, on peut résumer la leçon donnée à cette phrase : de même qu’un père plein de tendresse reçoit à bras ouverts un fils rebelle et fugitif qui, ayant quitté la maison paternelle, y revient repentant, de même le Père céleste est prêt à recevoir le pécheur qui se convertit.

Notons que les paraboles sont comparées et contrastées; ainsi, un certain nombre d’entre elles vont en pairs, comme le pharisien et le péager, le riche et Lazare, les deux fils, le prodigue et le frère aîné, les deux fondations, des arbres bons et mauvais, le trésor et la perle, la pièce d’étoffe et le vêtement, le vin et les outres, les brebis et les boucs, le bien portant et le malade, les veilleurs et les endormis, les deux débiteurs, le sel et la lumière, le festin de noces et le grand dîner, les talents et les mines.

8. Le but des paraboles🔗

Pour quelle raison Jésus a-t-il eu recours à ce mode d’enseignement? La raison principale pour laquelle le Christ s’est servi d’une telle méthode d’enseignement est exposée dans Matthieu 13.10-17. Les disciples furent les premiers à poser la question au Maître. « Les disciples s’approchèrent et lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles? » (Mt 13.10). Le Christ y donne une double réponse. « Jésus leur répondit : Parce qu’il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, et qu’à eux cela n’a pas été donné » (Mt 13.11).

L’un des buts est clair. Jésus tenait à rendre sa parole, sa vérité, claire et vivante. Il a raconté de courtes histoires que tout auditeur pouvait comprendre. La parabole du bon Samaritain est tellement plus persuasive et vivante qu’une longue dissertation philosophique sur la philanthropie ou les devoirs de l’homme envers son prochain. La tendre affection d’un berger pour une brebis égarée, c’est tellement plus émouvant qu’un discours théologique sur la miséricorde divine! (Non pas qu’on puisse faire l’économie des discours ou des traités théologiques; mais à condition qu’ils rendent fidèlement l’esprit et la lettre des discours de Jésus).

Les paraboles avaient encore, selon Jésus, un autre but. L’on pourrait estimer qu’il s’en est seulement servi comme un prédicateur actuel se sert d’une illustration pour rendre son message plus accessible à l’auditeur. Cependant, Jésus explique qu’il vise un autre objectif. Elles étaient aussi destinées à cacher la vérité (voir Mt 13.13). Si elles révélaient des vérités profondes à « ceux qui avaient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre », pour d’autres, aveugles et sourds à la Parole divine, ce n’étaient qu’historiettes poétiques ou intéressantes, sans plus.

Jésus s’est donc servi des paraboles à cause de l’incrédulité de ses auditeurs, incrédulité ou incompréhension due à leur cécité spirituelle. Même lorsqu’il enseigna clairement et ouvertement, ceux qui le refusaient ne voulurent pas le comprendre. Tous les hommes n’acceptent donc pas la vérité révélée. De là son principe : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a » (Mt 13.12). Puisque les hommes refusaient de croire en son clair enseignement, il se servit des paraboles pour révéler la vérité à ceux qui faisaient preuve de disponibilité spirituelle, mais le cacha à ceux qui s’obstinaient à demeurer aveugles en sa présence. « C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent » (Mt 13.13).

C’est une dure déclaration que celle qui dit qu’une parabole a été conçue pour obscurcir, égarer, endurcir. Soyons reconnaissants de ce que Dieu nous en ait révélé l’essentiel. Mais ceci ne préjuge pas d’une supériorité quelconque par rapport à autrui. En dernier ressort, Dieu seul décide qui sera accepté ou refusé dans son Royaume.

9. La diversité des paraboles🔗

Onze des paraboles sont destinées à illustrer le Royaume de Dieu : le bon grain et l’ivraie, le grain de sénevé, le levain dans la pâte, le trésor caché, la perle, le serviteur impitoyable, les noces royales, les ouvriers de la onzième heure, les vierges folles et les vierges sages. L’une d’elles, le grain de sénevé, se trouve dans les trois synoptiques, deux autres seulement chez Luc : le levain, les noces royales. La onzième, celle de la semence qui pousse d’elle-même, est particulière à Marc.

La parabole des dix vierges appartient, en outre, à la catégorie de celles qui exhortent à la vigilance comme celles du figuier, du voleur de nuit et de l’esclave fidèle.

La parabole des talents (ou des mines) est une exhortation à l’activité; celle des deux fils a pour conclusion : les publicains et les prostituées vous précéderont dans le Royaume de Dieu; celle de la lampe exprime qu’il n’y a rien de caché qui ne doive être manifesté. Deux des plus fameuses paraboles sont celle du semeur, qui démontre l’efficacité de la Parole de Dieu selon le terrain sur lequel elle tombe, et la parabole des vignerons homicides, allusion à la passion du Christ.

Particulières à l’Évangile de Luc sont les paraboles du bon Samaritain, de l’ami importun, du figuier stérile, deux des trois paraboles dites de « miséricorde », celles de la brebis perdue (à laquelle fait allusion aussi Matthieu), de la drachme perdue, de l’enfant prodigue; celles du gérant ou économe malhonnête, de Lazare et du mauvais riche, du juge inique, du pharisien et du publicain.

L’Évangile de Jean contient certaines paraboles qu’on assimile volontiers à de véritables allégories, comme celles du bon Berger, du cep et des sarments, etc.

Tout ce que nous appelons parabole n’en est donc pas forcément une. Il existe une différence fondamentale par exemple entre le bon Samaritain, qui est une vraie parabole, et le discours sur le levain, qui n’est qu’une similitude. Ces deux diffèrent encore du « vous êtes le sel de la terre » (Mt 5.13), laquelle est une métaphore, ou du « cueille-t-on des figues sur des chardons? » (Mt 7.16), qui est un épigramme.

Le bon Samaritain est l’exemple parfait de la vraie parabole. C’est une histoire pure et simple avec un commencement et une fin; elle comporte un plan. D’autres exemples sont la brebis perdue, le fils prodigue, l’invitation au festin, les ouvriers dans la vigne, le mauvais riche et Lazare, les dix vierges… Ce qui est dit du semeur ou du grain de sénevé est vrai aussi du levain. De telles paraboles sont des illustrations tirées de la vie quotidienne, au moyen desquelles Jésus voulut faire passer une vérité.

Il faut encore noter que, dans certains cas, les vignerons criminels par exemple (Mc 12.1-11; Mt 21.33-34; Lc 20.9-18), nous nous trouvons en face d’une parabole assez proche de l’allégorie, dans laquelle plusieurs détails de l’histoire représentent quelque chose (comme la parabole du bon Samaritain chez Augustin). Cependant, nous dirons de nouveau que la parabole n’est pas une allégorie, même si parfois elle peut nous apparaître sous les traits de celle-ci. La différence s’explique, bien entendu, par leurs fonctions respectives, l’une différente de l’autre. Parce que toutes les paraboles ne sont pas d’un seul genre, on ne peut pas nécessairement établir des règles générales s’appliquant à chacune individuellement.

10. Le thème des paraboles🔗

La présence et l’absence du Seigneur et son prochain avènement sont présents dans certaines paraboles, en même temps que notre obligation envers lui. Le semeur est absent, nous devons porter des fruits, car il viendra moissonner. Un festin se prépare, nous devons nous y rendre, l’hôte arrive; l’homme riche part, nous devons nous occuper des talents confiés; cet homme revient, il demandera des comptes.

Le thème du jugement est aussi présent dans les paraboles : jugement rétributif et distributif; châtiment pour la faute, récompense pour la fidélité. On pourra étudier pour ce thème l’ivraie et le bon grain, les bons et les mauvais poissons, les invités sans vêtements appropriés, les serviteurs fidèles et les mauvais, les vierges prudentes et prévoyantes et les vierges insensées, les méchants boucs et les brebis honnêtes, les serviteurs empressés et les paresseux…

Si l’on consulte une table analytique ou une synopse des Évangiles, au mot parabole on verra toute la gamme des sujets traités. Tout l’enseignement chrétien y est représenté. Il serait utile d’établir également une liste de thèmes individuels, tels que richesse et pauvreté, anxiété et joie, parole de Dieu, sévices, vigilance, diligence, compassion, prière, etc.

Mais le thème central en est le règne de Dieu. On trouvera aussi des éléments relatifs à la nature de Dieu : le Père et sa bonté; la mission de charité du Christ, le Fils de Dieu; l’annonce et la nature de l’Église que le Christ a instituée; le comportement que doit avoir le disciple du Sauveur; les thèmes eschatologiques, c’est-à-dire ceux qui se réfèrent à la fin des temps; ceux qui concernent la passion et l’avènement glorieux du Christ… La gamme serait encore plus large si l’on tenait compte des simples comparaisons ou figures, qui ne sont pas construites en récits paraboliques et que certains appellent des paraboles mineures, pour les distinguer des paraboles majeures ou véritables.

À ce sujet, il faut préciser, s’il en était besoin, qu’il ne s’agit certainement pas d’une identification littérale du Royaume avec les réalités terrestres et matérielles qui le représentent. Comparer le Royaume de Dieu à un grain de moutarde ou à un marchand ne signifie pas établir une identité entre le Royaume et les images employées. L’expression veut seulement dire « tel est aussi du cas du Royaume de Dieu, il en va exactement de même avec le Royaume de Dieu ». Il s’agit d’indiquer la nature du Royaume, non d’en décrire les composantes.

Les paraboles du Royaume rapportées par Matthieu et Marc ne sont pas simplement relatives au Royaume; elles sont la proclamation même de ce Royaume. D’où la pointe de ces paraboles et l’urgence d’y répondre. C’est l’heure, dépêchez-vous, dit Jésus. On se rend compte que le Royaume est à la fois présent et pas encore là, mais l’accent principal tombe sur le déjà. Le Royaume est déjà parmi vous. Le jugement est imminent, désastre et catastrophe sont à la porte. Pourtant, la Bonne Nouvelle du salut est librement annoncée et offerte (exemples : le riche insensé, l’économe malhonnête). L’heure est urgente, elle appelle à prendre une décision et une action; elle appelle surtout à la repentance; c’est l’heure du salut. Le Royaume déjà présent est une Bonne Nouvelle.

L’urgent message du Royaume, déjà présent et qui sera bientôt achevé, est encore nécessaire de nos jours. Ceux qui ne pensent qu’à s’assurer possessions matérielles et bien-être terrestre ont urgemment besoin d’être avertis du jugement imminent; les égarés, eux, ont besoin d’entendre l’annonce de la Bonne Nouvelle. L’heure de l’accomplissement est arrivée; c’est là la note dominante du message du Royaume. L’homme fort a été désarmé; les pouvoirs du mal vont céder; le médecin vient guérir les malades; les lépreux sont purifiés; ceux qui sont chargés de lourds fardeaux, et tout d’abord celui de la faute, doivent savoir qu’elle a été expiée; les brebis perdues sont ramenées au bercail du bon Berger; la porte de la maison paternelle est grande ouverte pour accueillir le fugitif; les pauvres et les mendiants sont invités au banquet; un maître généreux, à la bonté imméritée, donne le même salaire aux ouvriers normaux qu’à ceux embauchés sur la fin de la journée; une très grande joie remplit les cœurs, car l’année de grâce est inaugurée. Celui dont la majesté était voilée apparaît, et cette majesté éclate dans chacun de ses mots et dans chacune de ses paraboles.

11. Lire les paraboles🔗

Nous avons déjà dit que la parabole évangélique a été définie comme une histoire terrestre avec un sens céleste. C’est là une définition simple et correcte. La parabole n’est pas toujours une histoire vraie, vécue; elle ne rapporte pas un événement qui s’est déroulé réellement. Il n’est cependant pas exclu qu’elle soit en rapport avec un fait réel.

Une grande pensée sous-tend l’emploi des paraboles, à savoir que les lois qui régissent le monde naturel peuvent s’appliquer aussi au monde spirituel. Ce n’est pas étonnant, puisque c’est le même Dieu qui est l’Auteur et Créateur de ces deux mondes. Jésus a parfaitement vu leur unité. Aussi pouvait-il se servir librement du monde sensible présent comme source pour illustrer des réalités spirituelles. Par exemple, dans la parabole du semeur, Jésus dit que ce ne sont pas tous les grains semés par le laboureur qui produisent des fruits; sa conclusion est que la prédication de l’Évangile ne convertira pas davantage tous ses auditeurs (ni, d’ailleurs, les nôtres).

C’est à cause de ce réalisme des paraboles qu’il faut généralement se garder de les prendre comme des allégories, c’est-à-dire de chercher la signification symbolique de chacun des traits du récit. La parabole n’est pas une énigme à déchiffrer, mais une ressemblance à saisir. Ceux qui se refusent à cet effort montrent par là leur endurcissement et se préparent au jugement final. Ce jugement est entre les mains de Dieu. Il sait d’avance qui croira et qui ne croira pas, car c’est lui qui dirige tout. C’est pourquoi, à certains, ces choses sont « données ». Ils sont appelés ailleurs « les élus du Père ».

Ce n’est pas non plus pour rendre son enseignement obscur, comme s’il s’agissait d’un enseignement ésotérique compréhensible aux seuls initiés. C’est parce que c’est dans la nature même du Royaume d’être un mystère… Un mystère est un enseignement caché qui est révélé. Le Royaume, c’est le secret que Jésus révèle.

« Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu et qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. À nous, Dieu nous l’a révélé par l’Esprit » (1 Co 2.9-10).

Ainsi, la parabole devient l’occasion d’une révélation. Lorsque Jésus parle en paraboles, quelque chose doit se passer dans l’esprit de ceux dont le Royaume des cieux s’approche de la sorte. Jésus en montre une image très simple, tirée de la vie courante, une image que tout le monde peut voir et comprendre. Mais il faut qu’à travers cette image, au-delà d’elle, soit discernée la réalité qu’elle recouvre : « Que celui qui a des oreilles entende! » (Mt 13.9). « Que celui qui peut comprendre comprenne! » (Mt 19.12). Cet événement décisif, qui est provoqué par la parabole, c’est le miracle de la foi. C’est pour susciter, pour éveiller la foi de ses auditeurs que Jésus s’adresse à eux de cette manière. Mais comment cela peut-il se faire? Jésus n’hésite pas à répondre : cela est donné.

« Les disciples s’approchèrent et lui dire : Pourquoi leur parles-tu en paraboles? Jésus leur répondit : Parce qu’il vous a été donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, et qu’à eux, cela n’a pas été donné. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a » (Mt 13.11-12).

Mais ces affirmations de Jésus n’excluent nullement la liberté. Ceux qui ne sont pas élus sont aussi ceux qui n’ont pas voulu recevoir l’Évangile. Personne ne peut dire : « la foi ne m’est pas donnée; je ne suis pas un bon terrain ». C’est pourquoi Jésus invite ses auditeurs à croire. La foi a pour effet de mieux croire encore. L’incrédulité aboutit à un appauvrissement continuel : « On donnera à celui qui a, […] celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. »

L’idée centrale de la parabole est qu’il y a une efficacité de la Parole, même si elle semble souvent improductive. Si elle échoue, ce n’est pas faute de puissance, mais parce qu’elle ne trouve pas un terrain favorable. Mais lorsqu’elle réussit, sa fécondité est admirable. Que personne ne se décourage donc en constatant que le ministère de Jésus et l’action de l’Évangile semblent ne pas réussir. Que celui qui a des oreilles entende. Que sa foi en la puissance de l’Évangile soit inébranlable. Mais si nous nous reconnaissons à travers la description de l’un des terrains, ou de plusieurs à la fois, que faire? Doit-on se résigner avec fatalisme à être un mauvais terrain ou se réjouir orgueilleusement d’en être un bon, ou se borner à une exhortation morale superficielle : « tâchons d’être de bons terrains »? Tout cela n’est pas le centre de la parabole. Ces paroles doivent créer chez nous la crainte d’être de ceux pour qui la Parole sera inefficace. Cette crainte engendre la repentance et la foi. Dès lors, si nous produisons du fruit, il est clair que Dieu a fait de nous par sa grâce des « enfants du Royaume ». Toute autre spéculation sur nous-mêmes et sur les autres, ou encore sur la prédestination doit être écartée pour faire place à une réponse décisive à l’appel de Jésus.

Nous l’avons dit déjà, aussi étrange que cela puisse paraître, depuis les premiers siècles de l’Église jusqu’à nos jours, les paraboles du Christ ont été souvent très mal interprétées. Ce malentendu provient de la confusion entre parabole et récit allégorique.

La différence entre une parabole et une allégorie, par exemple l’image paulinienne du militant chrétien et de son armure dans le chapitre sixième de la lettre aux Éphésiens, ou encore le célèbre Voyage du Pèlerin de John Bunyan, consiste en ce que, dans l’allégorie, chaque détail forme une unité, une métaphore indépendante possédant un sens propre, tandis que la parabole, elle, veut attirer l’attention sur un point central. Ainsi, la parabole de l’enfant prodigue (Lc 15), que l’on devrait plutôt appeler la parabole du père miséricordieux, puisque c’est ce dernier qui en est la figure dominante, éclaire la vérité du pardon immérité accordé au pécheur repenti.

Écoutez cependant l’interprétation qu’en a donnée l’un des plus éminents Pères de l’Église post-apostolique, Tertullien. Selon l’illustre théologien, docteur de l’Église, le fils aîné représenterait les juifs, le fils cadet (prodigue) les chrétiens, la part d’héritage qu’il réclame et obtient du père serait la connaissance de Dieu que possède tout homme par sa naissance, et le citoyen du pays étranger à qui il loue ses services serait le diable; la belle robe qui lui sera accordée à son retour serait la filiation dont Adam avait été déchu, et le festin qui a suivi représenterait la sainte Cène… On peut être reconnaissant à Tertullien de n’avoir pas assimilé le veau gras, immolé pour la circonstance, à un innocent personnage acceptant d’être sacrifié pour nous servir comme modèle de consécration…

Mais même cette grande ingéniosité de Tertullien pâlit en comparaison des trouvailles d’Augustin, pourtant l’un des plus grands docteurs de l’Église de tous les temps, dans son interprétation de la parabole du bon Samaritain. Le « certain homme » qui descendit de Jérusalem à Jéricho serait Adam, Jérusalem représentant la cité céleste de paix dont il s’éloigne et déchoit ainsi de la citoyenneté; Jéricho, elle, représenterait la nature humaine mortelle; les bandits qui se ruent sur lui sont, bien entendu, Satan et ses hordes démoniaques le dépouillant de son immortalité… Le prêtre et le Lévite passant outre la victime ne pourraient être que les dispositions de l’Ancienne Alliance, incapables de secourir et de sauver l’homme en condition de chute. Le bon Samaritain est le Christ en personne, et là nous n’aurons pas d’objection; le pansement des plaies du voyageur imprudent signifierait la restriction en celui-ci de la force du péché, et l’huile versée sur ses blessures, la consolation qu’apporte l’espérance. La monture qui le transporte à la prochaine auberge représenterait la chair dans laquelle le Christ s’était incarné; l’auberge, cela va sans dire, est l’Église, l’aubergiste n’est autre que saint Paul et les deux pièces d’argent laissées en gage, les commandements d’amour…

Si tant d’imagination peut nous amuser, elle ne nous aide pas pour autant à avoir une intelligence correcte de cette admirable parabole. Nous pouvons sourire aux dépens du grand docteur de l’Église, que nous ne cesserons pas pour autant d’admirer, mais la pratique de telles extrapolations reste, hélas!, largement répandue encore de nos jours.

Ce fut un interprète du Nouveau Testament, l’Allemand Adolf Jülicher qui, à la fin du siècle dernier, protesta contre une herméneutique aussi fantaisiste qu’arbitraire. Pour lui, les paraboles n’étaient pas des discours allégoriques ou des cryptogrammes à déchiffrer à l’aide d’une exégèse subtile et ingénieuse. Elles possèdent, au contraire, un seul point central. C’est sur celui-ci que devrait se concentrer toute comparaison; les détails de l’histoire ne sont là que pour la rendre vraisemblable et permettre d’atteindre la cible, comme les plumes sur une flèche en facilitent l’élan et la trajectoire.

Jülicher a eu fondamentalement raison, mais sans doute emporté par l’euphorie de sa découverte, il est allé un peu trop loin dans ses conclusions. Car est-il exact de dire que les paraboles de Jésus ne contiennent aucune allégorie? Par exemple, dans la parabole des amis du fiancé, n’y a-t-il quand même pas une certaine allusion à Jésus? Et plus clairement encore dans celle des vignerons, le maître de la vigne n’est-il pas Dieu en personne, ses serviteurs les prophètes et le fils bien-aimé le Christ?

Si la parabole veut avant tout souligner un point central, quel est celui qu’il convient de souligner? C’est ici que l’enquête de Jülicher, insistant sur le point unique, n’a quand même pas donné une réponse satisfaisante. Son erreur a consisté à prendre la parabole pour un lieu commun moralisateur. Quel est d’après lui le message de la parabole des talents? En voici la leçon moralisatrice : au bout d’une belle et honnête performance, on est sûr de recevoir une récompense… De même, la parabole de l’économe injuste enseignerait que l’utilisation sage du présent garantit et conditionne le bonheur futur. Le message central de la parabole du riche insensé consisterait à faire comprendre que l’homme le plus riche dépend totalement de la puissance et de la miséricorde divines, et ainsi de suite. Ce sont là des explications se voulant, certes, pieuses, mais hors propos, uniquement moralisatrices et, finalement, stériles.

Le Jésus de la théologie de Jülicher est une belle et émouvante figure, mais sans consistance évangélique, inventée par le libéralisme théologique. Le doux maître qui s’en va par monts et par vaux endoctrinant les hommes dans une vérité moralisatrice, utilisant adroitement et avec grand talent des histoires pittoresques appelées paraboles, n’est pas le Jésus des Évangiles, le vrai… Et dans ce cas, se serait-on même donné la peine de le crucifier? Certainement pas.

12. Classification des paraboles🔗

Quant à nous, tâchons de comprendre autour de quoi tournent, en général, les paraboles de Jésus.

D’abord, elles nous annoncent la manière dont le Royaume de Dieu arrive et se développe. Voici la parabole des vieilles outres et du vin nouveau; elle veut nous faire comprendre la nouveauté intégrale du Royaume et démontrer la folie de la tentative consistant à vouloir l’accommoder à de vieux modèles. Quatre autres paraboles disent la manière dont le Royaume vient dans notre monde et comment il se développe, produisant des résultats inattendus, comme le grain de moutarde et le levain, qui, tranquillement, mais irrésistiblement, poursuivent leur action. Le grain qui dort secrètement et qui, en dépit des échecs, porte une abondante moisson. Pensons, enfin, à celle du semeur.

Mais Jésus ne se borne pas à se servir d’images tirées de l’agriculture. Il voit le Royaume comme la grande fête de Dieu à laquelle tous sont invités : « Venez, car tout est prêt » (Mt 22.4). Ou encore comme dans une grande guerre menée contre le royaume du diable, dans laquelle lui, le Messie, conduit l’offensive (le royaume divisé, l’homme fort spolié).

Un autre groupe de paraboles peut s’intituler les bénédictions du Royaume ou la miséricorde de Dieu envers les pécheurs. Aucun de ces groupes ne nous place à proximité du cœur de la Bonne Nouvelle autant que la parabole dans laquelle la grâce reste la note dominante. Nous l’entendons déclarer dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : La récompense du Royaume ne sera pas accordée d’après les mérites humains, mais par la seule grâce divine. Cette parabole était la réponse à la critique adressée à Jésus d’ouvrir le Royaume à des publicains et à des prostituées. Toutes les paraboles de ce groupe ont été racontées en présence de ses critiques et dans le but de défendre l’Évangile.

Mentionnons la parabole de la brebis perdue et celle de la drachme perdue, dites devant des pharisiens se plaignant que Jésus accueillait des pécheurs notoires. Elles déclarent : Si un homme se donne tant de peine pour recouvrer sa propriété perdue, combien plus Dieu le ferait-il pour ses enfants égarés! En tant qu’envoyé de Dieu, sa mission consiste précisément à rappeler cette résolution divine, à prouver que Dieu a, en effet, entrepris de sauver celui qui était perdu et de guérir les malades, aussi exorbitant qu’en fût le prix qu’il devait payer. Même chose pour la plus grande des paraboles, celle de l’enfant prodigue. L’explication la plus simple est celle qui dit que le père, ici, représente Dieu, le frère aîné les pharisiens envieux qui se plaignent, et le fils cadet les pécheurs accueillis par Jésus.

Un troisième groupe de paraboles décrit la manière dont il faut suivre Jésus pour être vraiment son disciple. Être son disciple équivaut à se trouver à l’intérieur du Royaume, car en sa personne Jésus incarne le Royaume de Dieu, ou des cieux. De telles paraboles aident à saisir le sens véritable de l’appel à suivre Jésus. Nous entendons son appel dans la parabole de la moisson et des ouvriers. Mais avant de se décider, l’on doit calculer le prix, ce qui est vivement conseillé dans la parabole de la tour inachevée et dans celle du roi qui se prépare à aller à la guerre. Pour participer à la richesse du Royaume, il faut auparavant consentir à des sacrifices, cette vérité étant de nouveau exposée dans la parabole du trésor caché. Dans la parabole de la veuve importune et de l’ami frappant à la porte de nuit, Jésus invite les hommes à ne pas adopter une attitude de refus, mais à attendre par la foi la réponse de Dieu et à croire qu’il accomplira de grandes choses. Le vrai disciple est celui en qui Dieu a allumé sa lumière et qui, tel le Serviteur du livre du prophète Ésaïe, éclaire à son tour le monde des païens avec la lampe et le boisseau. Qu’ils soient également de ceux qui savent pardonner sans mesure ni calcul (le serviteur impitoyable), leurs actes plutôt que leurs professions de foi prouveront leur sincérité (les deux bâtisseurs et l’arbre et ses fruits).

Enfin, nous arrivons à un groupe très important qui traite de la crise du Royaume. Jésus parle ici de son ministère, qui inaugure le règne de Dieu et qui le précipite vers la crise suprême, causée par la détérioration des rapports du peuple avec Dieu; elle aboutira non seulement à la mort du Messie et à sa victoire finale, mais aussi au rejet de la nation élue, à la destruction du Temple et à l’apparition d’un nouvel Israël.

Contre cet arrière-plan, toutes les paraboles traitant de l’heure zéro et de l’état d’urgence sont tout à fait lumineuses. Dans certaines, il avertit du temps de la visitation de Dieu, comme dans la parabole des enfants qui jouent sur la place publique, les signes des temps et les talents; il appelle Israël à porter des fruits dans le figuier stérile, la porte fermée, le portier, le voleur dans la nuit, les dix vierges.

Mais Israël n’ayant pas reconnu le temps de sa visitation ni celui qui devait lui procurer la paix, le grand drame de la rédemption se dénoua dans le paroxysme du Vendredi saint, dont le Fils de l’homme, celui qui raconta les paraboles, est la figure centrale. Il alla à Jérusalem un matin d’avril de l’année 30 ou 33, peu importe, et la crise culmina en sa crucifixion hors des murs de la ville sainte, suivie trois jours après par l’événement de la résurrection et du tombeau vide.

Une grande parabole, à moitié allégorique, adressée comme dernier avertissement aux chefs du peuple juif, fut celle des vignerons iniques. Ce fut là, hélas!, l’appel ultime adressé à un peuple demeuré rebelle et, à cause de cela, définitivement déchu de sa position de nation élue de Dieu.

13. L’exégèse des paraboles🔗

La raison du long malentendu concernant les paraboles remonte à ce que Jésus en personne déclare dans Marc 4.10-12 (voir Mt 13.10-13; Lc 8.9-10).

Interrogé quant au sens de celles-ci, il semble laisser entendre qu’elles contiennent des mystères révélés et destinés à ceux « de l’intérieur » tout en endurcissant l’entendement de ceux « de l’extérieur ». Ayant lui-même interprété la parabole du semeur de manière semi-allégorique, on en a déduit qu’il endurcissait à dessein les cœurs.

Les paraboles ont été considérées comme de simples histoires pour ceux de l’extérieur, auxquels le sens véritable des mystères est caché. Pour certains, elles n’appartiendraient qu’à l’Église, et leur mystère peut être découvert à l’aide de l’allégorie (exemple du bon Samaritain interprété par Augustin).

Or, Jésus n’a pas cherché cela. Après tout, le contexte ou le cadre immédiat est au sujet des relations humaines. La question essentielle est : « Qui est mon prochain? » Il n’est pas sûr que les paraboles aient été adressées uniquement pour les besoins du cercle intérieur. À plusieurs reprises, Jésus parle au peuple de manière à être compris, ainsi que ses paraboles, par ses auditeurs. En outre, le docteur de la loi qui entendit la parabole du bon Samaritain l’a compris fort bien, de même que les pharisiens et les principaux sacrificateurs se reconnurent dans la parabole des méchants vignerons rapportée dans Matthieu 21.45.

Si parfois nous avons de la peine à comprendre les paraboles, ce n’est pas parce qu’elles seraient des allégories ayant besoin d’une clé d’interprétation spéciale. La raison se trouve ailleurs.

Si les paraboles ne sont pas des mystères allégoriques destinés à l’Église, qu’est-ce que Jésus a voulu dire dans Marc 4 par « le mystère du Royaume » à propos de ses paraboles? Très probablement, la clé de cette parole doit être cherchée dans un jeu de mots possible dans la langue araméenne parlée par Jésus. Le terme de « machal », qui est traduit en grec par parabole, est employé pour désigner un éventail de figures de discours dans l’énigme, le puzzle ou l’illustration parabolique, et non seulement la figure de discours qu’ordinairement nous appelons parabole. Sans doute, le verset 11 signifie que le sens du ministère de Jésus (secret du Royaume) ne pouvait être perçu par ceux qui sont du dehors. C’était un « machal », une énigme. D’où son discours en « mechalim », en paraboles au pluriel, sorte d’énigmes caractérisant l’ensemble de son ministère. Ainsi, ils ont vu sans voir, ils ont entendu sans entendre, et même ils ont compris la parabole, mais sans pour autant comprendre et accepter le ministère de Jésus.

Notre exégèse des paraboles devra commencer par les règles valables pour tout autre genre littéraire ou catégorie de discours.

Jésus ne cherche pas à rendre stupides ses auditeurs. Il veut se faire clairement comprendre à eux. Notre tâche consiste donc en tout premier lieu, comme je l’ai signalé plus haut, à chercher ce que les premiers auditeurs ont compris. Notons cependant ceci : En elle-même, la parabole est à la fois éclairante et aveuglante. Il faut la comprendre.

Pour bien saisir ce que Marc et les autres évangélistes ont voulu signifier dans la parabole du semeur, il faut étudier avec attention les circonstances dans lesquelles cette parabole a été prononcée. Jésus se trouve à la fin de sa première année de ministère. Jusque-là, son enseignement n’a pas rencontré une opposition systématique. Mais voici que l’opposition des chefs religieux des Juifs s’organise; ils cherchent à éloigner de lui les foules qui accourent l’entendre, parce que portées par un espoir messianique exaltant. Jésus a conscience de la montée violente de l’opposition qui aboutira à la rupture définitive, notamment après la première multiplication des pains. Il porte alors ses efforts sur le petit groupe des disciples choisis qui doivent poursuivre sa mission; il leur explique la raison pour laquelle son enseignement parabolique pouvait comporter des traits mystérieux.

Mais il y aura ceux qui, soit parce que distraits, soit par opposition violente, trouveront dans la parabole une cause d’endurcissement. Cela s’était déjà produit au temps du prophète Ésaïe, et que les synoptiques rappellent avec à propos (És 6.9-10). Le prophète de l’Ancien Testament avait aussi laissé entendre que la Parole de Dieu peut devenir cause d’incrédulité. Jésus vivant dans la même ambiance biblique pouvait faire la même application dans le cas de ses auditeurs. Saint Paul appliquera la même parole dans sa diatribe contre les Juifs de Rome (Rm 11.7-10). Pour être précis, disons que Jésus comme Paul se sont servis d’un thème d’apologétique chrétienne primitive.

Ce rappel nous aide dans notre approche de l’interprétation des paraboles. L’une des premières choses à déterminer est la leçon morale qu’elle comporte. Mais pour cela, il faut placer le texte à sa place réelle et saisir dans quel cadre elles ont été prononcées.

Ainsi donc, la meilleure clé pour expliquer une parabole se trouvera dans sa fonction. Contrairement à ce que nous avons appelé illustration parabolique, elle ne sert pas à illustrer les discours de Jésus par des images ni à simplement transmettre des vérités spirituelles, quoiqu’elle puisse aussi le faire. Son tout premier but est d’exiger une réponse de la part de l’auditeur. La parabole elle-même devient le message prononcé pour attirer, voire captiver l’attention de l’auditeur afin de l’amener à prendre une décision, le forcer à répondre au ministère de Jésus.

C’est l’appel pour obtenir une réponse de cette nature qui cause le dilemme de son interprétation. En un certain sens, interpréter la parabole revient à détruire son intention originelle; ce serait comme vouloir interpréter un jeu de mots, lui enlevant ainsi toute sa saveur… Les paraboles étaient un message parlé, direct, que l’auditeur devait saisir sur-le-champ.

Notre cas est différent, puisqu’elles nous arrivent sous forme écrite. Que nous en saisissions immédiatement la pointe ou non, elles ne fonctionneront pas de la même manière que pour les premiers auditeurs de Jésus. Mais en les interprétant correctement, nous pourrons comprendre ce qu’ils avaient déjà saisi.

De même que le mot d’esprit ou l’anecdote amusante réclament une réponse, celle du rire, ainsi l’auditeur des paraboles doit en saisir immédiatement le message central et la tournure, souvent inespérée, que prennent les événements rapportés.

Voici un point de référence dans Luc 7.40-42 : Jésus est invité chez un pharisien; il y racontera la parabole des deux débiteurs. L’histoire ne demande aucune interprétation, mais Jésus en révèle le sens. Les trois points de référence sont le riche propriétaire et les deux débiteurs. L’identification est immédiate. Dieu est comme le riche propriétaire, la femme pécheresse et Simon sont les deux débiteurs. Simon ne pouvait manquer de comprendre le sens de la leçon. La femme, qui, elle aussi, a entendu la parabole, s’identifie aussitôt avec l’histoire; elle a compris que Dieu l’accepte telle qu’elle est. Ici, nous avons une vraie parabole et non une allégorie. Si l’interprétation de la parabole doit respecter l’occasion et les circonstances dans lesquelles elle a été prononcée, son application n’est pas limitée; elle a encore un message spirituel et moral pour nous aujourd’hui.

Il existe des paraboles dont on ignore le contexte immédiat. Dans ce cas, il faudrait chercher à identifier les points de référence et leur auditoire initial. Ainsi, dans la parabole des ouvriers de la vigne, il existe trois points de référence : le propriétaire, les ouvriers normaux engagés pour la journée et puis les ouvriers de la onzième heure. L’auditoire originel est également facile à identifier. Qui pourrait être intéressé par cette histoire? Évidemment les auditeurs qui se sont identifiés avec les ouvriers réguliers, puisque ce sont eux qui apparaissent encore à la fin de l’histoire.

14. La question herméneutique🔗

À quelques exceptions près, les paraboles n’avaient pas besoin d’être interprétées pour les contemporains de Jésus; ses auditeurs les comprenaient presque immédiatement. Quant à nous, il en va tout autrement, car, ainsi que nous l’avons dit plus haut, elles nous parviennent sous forme écrite et nous n’avons pas les points de référence actuels, immédiats, des premiers auditeurs du Christ.

Pour une bonne intelligence des paraboles, nous suggérons deux règles : D’abord, s’intéresser à leur contexte biblique littéraire, à leur forme écrite et à leur cadre historique lorsque ce dernier est connu. L’autre règle est que toutes les paraboles sont, en un sens, des moyens pour proclamer le Royaume. Il est donc nécessaire de se familiariser avec le concept de Royaume tel qu’il apparaît dans le ministère de Jésus.

Nous résumerons ici les positions de la théologie réformée de la façon suivante : Dans chaque parabole doit exister au moins un point de similitude entre l’histoire racontée et la vérité spirituelle qu’elle illustre. Jésus n’a jamais raconté une histoire sans illustrer au moins une « pointe » de vérité spirituelle. D’autre part, l’histoire et la vérité spirituelle ne sont jamais totalement identiques. La première tâche de l’interprète consiste à découvrir quelle est la vérité centrale, le point que Jésus a voulu souligner. Certains y cherchent le maximum d’enseignements, quitte à y introduire ce que Jésus, lui, n’y a pas inclus. Cela comporte le danger d’accorder plus d’autorité à ses propres idées qu’à l’enseignement du Maître. C’est là une démarche fort séduisante, mais qui ne manquera pas de violer le texte. D’autres, en revanche, iront à l’extrême opposé et ne verront dans chaque parabole qu’un seul point. Cette méthode est plus sûre, mais pas nécessairement meilleure que la précédente.

Nous ferons également attention à ne pas tirer d’une parabole une conclusion secondaire qui contredirait d’autres enseignements bibliques. À moins de trouver un appui dans d’autres textes bibliques, il ne faudra jamais accorder une autorité à un point secondaire d’une parabole. Prenons l’exemple du serviteur injuste (Lc 16.1-18). Jésus a cherché à faire comprendre que le serviteur infidèle a eu raison de se faire une provision pour son avenir menacé. Mais nous ne trouvons, dans cette illustration, la moindre justification de la paresse de l’économe, de sa malhonnêteté, de son orgueil ou de sa convoitise.

Celle du semeur dans Marc 4.1-20 (et ses parallèles de Mt 13.1-23 et Lc 8.4-15) contient nombre de vérités. Nous avons là un exemple de Jésus interprétant personnellement sa parabole. C’est presque une allégorie. La plupart des paraboles se trouvent entre ces deux extrêmes et l’interprète doit chercher à découvrir la vérité centrale. Mais lorsqu’il y aura réussi, il peut se demander légitimement s’il n’existe pas d’autres points d’où il puisse tirer des enseignements en accord avec le message évangélique.

Les quelques règles que voici compléteront ce qui a été dit plus haut au sujet de la lecture des paraboles :

a. Chercher à savoir si la parabole a été interprétée par Jésus lui-même. Son interprétation, là où elle a été donnée, est la seule correcte, et il ne faut point en chercher d’autres.

b. Parfois, c’est l’auteur de l’Évangile qui explique la raison pour laquelle la parabole a été dite (Lc 18.1).

c. Étudier les événements qui ont conduit Jésus à raconter la parabole (Mt 18)

d. Chercher le sens ou la leçon de la parabole. Chaque parabole a un seul point de similarité entre le monde matériel et le monde spirituel. Ce point constitue la leçon principale de la parabole, et c’est lui qu’il convient de retenir et de souligner, bien que dans la parabole du semeur Jésus explique aussi quelques détails. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, les détails secondaires ne devraient pas nous distraire du point central.

e. Veiller à ce que les paraboles ne contredisent aucun enseignement clairement délivré, soit par Jésus, soit par d’autres passages du Nouveau Testament. Se rappeler que les paraboles ne sont que des images verbales. De telles images rendent l’enseignement de la Bible vivant et attrayant. Mais sans une interprétation correcte, elles risquent de produire des malentendus.

15. Prêcher les paraboles🔗

La science moderne du Nouveau Testament nous a beaucoup aidés à avancer notre intelligence des paraboles et nous offre également la possibilité de les prêcher plus fidèlement.

Le présent paragraphe traitera plus particulièrement des principes qui devraient nous guider dans la préparation des messages sur les paraboles et leur application pour la foi. Nous suivrons ici d’assez près R. Wallace, dont nous adaptons les vues1.

La toute première règle à signaler est celle de la christologie. Il faut interpréter les paraboles et en appliquer le message de manière principalement christologique. En parlant en paraboles, Jésus a cherché à expliquer à ses auditeurs sa personne et sa mission. Elles sont des appels à la conversion, ainsi que des avertissements relatifs à un jugement imminent. Nous avons énoncé, dès le départ, l’urgence de prendre une décision à son égard, l’attitude qu’il faut prendre au cœur d’une crise qui pourrait soit se dénouer si on se tournait vers lui, soit finir dans la tragédie.

Nous ne comprendrions aucune parabole sans la placer auparavant à la lumière de sa personne et de sa mission. Elles ne sont pas des historiettes servant à illustrer des vérités et des doctrines générales de la foi chrétienne; si on s’en fait une telle idée, on manquera définitivement d’en saisir l’importance. Le Christ a parlé en paraboles parce qu’un enseignement classique n’aurait pas aidé ses auditeurs à saisir la vérité relative à sa personne et à sa mission. L’Évangile est un événement mystérieux, dont la nature dépasse le pouvoir d’entendement de la raison humaine déchue. Plus le cœur et la raison du croyant saisissent ce mystère, plus il est clair que le mystère est déroutant, profond, comportant des aspects différents. Il semble impossible de le décrire en langage clair, à tel point qu’il faut y être introduit d’abord au moyen d’une histoire. Humainement parlant, la parabole est le type le mieux approprié pour exprimer ce que Jésus, en son temps, pouvait exposer sur le mystère de l’événement rédempteur, dont les auditeurs sont les témoins oculaires.

On peut rapprocher cette méthode parabolique de celle dont le Seigneur se sert par les sacrements. Eux aussi sont en rapport intime avec un mystère de l’ordre rédempteur. L’objectif du prédicateur est le même que celui de l’officiant qui préside la célébration du sacrement. Un moyen matériel extérieur témoigne et signifie une grâce spirituelle intérieure. Le participant au sacrement doit revivre l’événement historique qui a vu l’institution de la Cène. De même, l’auditeur de la parabole devra se représenter l’événement de l’incarnation du Fils et la rédemption opérée par le Sauveur. C’est la raison pour laquelle il n’est pas aisé de systématiser l’enseignement parabolique de Jésus. On peut parfois se trouver en présence d’apparentes contradictions. Mais l’essentiel c’est de pouvoir tourner l’attention sur la personne et l’œuvre du Christ.

Il est non seulement intéressant, mais encore important de discerner le Christ dans ses paraboles. Dans la liste donnée, on peut tracer les figures du Christ en tant que Juge, noble Propriétaire, Époux, Créancier, Maître, Homme d’affaires, Hôte, Berger, Semeur, Médecin, Bâtisseur. On peut tracer aussi les portraits des gens tels que fils, serviteurs, vierges, invités, débiteurs, travailleurs, adorateurs, bâtisseurs; ou d’objets tels qu’habitations, terrain, semence, brebis, chèvres, poissons, trésor, lumière, sel.

Il convient ensuite de discerner dans les paraboles un élément prophétique, au regard tourné vers l’avenir, attendant un futur accomplissement. Jésus ne se réfère pas uniquement et exclusivement à des événements concernant son temps. Non seulement elles prédisent des crises immédiates, mais encore un développement historique se projetant dans l’avenir. Elles placent chacun, à chaque époque, sous une vive tension eschatologique. Tension qui couvre une longue période de temps, ce qui risque d’impatienter, voire de décourager le disciple. Il faut s’attendre à des événements de dimension universelle, voire de portée cosmique. Une crise gigantesque ébranlera le monde, et l’histoire personnelle de Jésus a déjà déclenché une crise qui va précipiter la fin de l’histoire.

Il est certain que les paraboles ont été dites autant pour nous-mêmes que pour les contemporains de Jésus. Elles n’appartiennent pas uniquement au passé.

Troisièmement, ne cherchons pas trop à limiter notre exposition par la définition étroite du terme parabole, c’est-à-dire une similitude ou une histoire dans laquelle un événement ou une situation sont décrits en termes qui captent l’imagination et stimulent l’esprit, permettant de former un jugement sur la situation décrite. Si le prédicateur a l’aptitude requise, il permettra à l’auditeur moderne de former un tel jugement, de se voir impliqué dans la situation décrite par Jésus, d’être en mesure aussi de modifier son comportement relativement à la claire implication de la parabole.

Quatrièmement, il faut tenir compte des considérations suivantes :

a. Le contexte dans lequel est placée la parabole donnera une indication du sens qu’elle comporte. Bien souvent, nous n’avons aucune indication des conditions dans lesquelles elles furent racontées. Dans ce cas, il est légitime, dans une certaine mesure, d’avoir recours à notre imagination, nous représenter le cadre dans lequel la parabole fut prononcée.

b. La doctrine exposée dans les paraboles, parce qu’elles appartiennent aux parties obscures de l’Écriture, devra être conforme à celles qui sont plus clairement révélées. Il est important d’établir une distinction entre le côté clair et le côté obscur des paraboles.

c. Dans l’exposition d’une parabole, on doit considérer l’ordre de celle-ci autant que son aspect homilétique, car Jésus n’a pas parlé de manière vague ou désordonnée. Si dans son exposition l’on n’en respecte pas l’ordre et l’harmonie, on risque fort d’en sacrifier aussi le message.

d. Il est normal que certaines métaphores employées dans les paraboles soient similaires à celles de l’Ancien Testament, car Jésus s’adressait à un auditoire familier avec des termes tels que lumière, vigne, moisson, etc.

e. Il faut reconnaître, enfin, l’élasticité qui les rend capables de s’accorder à toutes les situations de l’Église, à chaque génération. Le semeur de la parabole est tout d’abord une figure de Jésus, mais aussi celle de tout prédicateur fidèle de la Parole.

f. Toute véritable parabole est importante de deux manières. Elle possède un sens destiné aux auditeurs contemporains de Jésus, mais aussi un sens pour ses auditeurs actuels. On pourrait très bien apprécier une parabole sans en saisir l’importance pour soi-même; en tirer une leçon morale, mais refuser d’écouter l’appel personnel, direct et urgent qu’elle adresse.

La parabole doit être comprise de manière verticale, dans un mouvement qui descend d’en haut vers le bas, de Dieu vers nous. Ce qui est vrai de la parole de Jésus, « si un homme ne naît d’en haut, il ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jn 3.3), l’est aussi dans le cas de l’intelligence de la parabole. Son interprétation et son application exigent ce mouvement descendant. Si l’on reste à l’extérieur des sphères où se manifeste l’amour rédempteur de Dieu, on ne pourra jamais le connaître.

Toute parabole met son auditoire à l’épreuve et, par son attitude envers celle-ci, l’auditeur révèle s’il est « du dedans » ou s’il est « du dehors ».

N’oublions surtout pas que le but de Jésus en parlant en paraboles était tout d’abord que les humbles et doux de cœur puissent trouver le repos de leur âme. Mais lorsque ses discours produisent un effet d’offense et de division, il faut y reconnaître aussi, comme dans tous les actes de Dieu, l’étrangeté de son œuvre.

16. Le message des paraboles🔗

La tranchante distinction que Jésus établit entre ceux qui sont « au dehors » et ceux qui sont « au dedans » a quelque chose de surprenant, pour ne pas dire d’inquiétant, pour nous qui l’entendons. Aussitôt, nous nous posons la question : l’Évangile est-il et doit-il effectivement être annoncé à tous, ou bien n’est-il destiné qu’à une minorité de privilégiés? Jésus n’est-il pas venu pour appeler chacun, sans distinction, à croire en Dieu et trouver en lui son salut?

En effet, il allait d’un lieu à l’autre proclamant la Bonne Nouvelle et urgeant ses auditeurs d’y croire, de l’accepter. Peu avant son ascension, il donnait à ses disciples l’ordre suprême d’aller évangéliser toutes les nations. Mais à l’écouter dans cette parabole, il laisse entendre qu’il y a des gens qui peuvent le comprendre et d’autres qui ne le peuvent pas, ce qui a quelque chose d’étonnant, voire de choquant. Serions-nous en définitive en présence d’une doctrine ésotérique, destinée exclusivement à certains initiés, mais excluant les masses, comme c’est le cas dans certaines sectes?

Notre première surprise passée, acceptons le fait qu’il existe une distinction fondamentale parmi les auditeurs du Christ. Il nous faut donc saisir au préalable l’intention didactique de Jésus, mais ce n’est pas à nous de fixer, de manière arbitraire, la ligne de démarcation entre ses auditeurs. Ce n’est qu’à l’heure suprême du jugement final que nous la verrons parfaitement tracée, et je puis vous dire que nous risquons d’avoir bien des surprises lorsque le livre des comptes du Dieu souverain s’ouvrira! Parmi les noms inscrits pour la vie éternelle, nous serons surpris de ne pas y lire ceux que nous avions, au cours de l’existence temporelle, placés sur un piédestal parce qu’ils symbolisaient à nos yeux une dévotion exemplaire. Mais ils n’avaient eu en réalité que les apparences de la foi, en lorgnant constamment dans la direction opposée; ils avaient vécu avec un cœur partagé. Alors nous nous rendrons compte du mystère négatif du salut; nous apprendrons, enfin, quel degré de corruption le péché a engendré.

L’une des leçons que l’Évangile nous dispense est son invitation à bannir toute simagrée, toute spiritualité de façade. C’est avec une sévérité inouïe que Jésus dénonçait et jugeait ceux de ses contemporains qui avaient une conduite religieuse de surface. Mais son avertissement s’adresse à nous aussi, qui confondons si souvent des apparences chrétiennes, voire une civilisation chrétienne, avec la profonde et authentique expression de la foi. Vous vous souvenez peut-être de la pièce dramatique du grand auteur français des 16e et 17siècles que fut Agrippa d’Aubigné : Einai et phénestai, mots grecs pour « être et paraître ». Inspiré par l’Évangile, ce texte est d’une grande actualité.

Le jugement de Jésus est tout aussi véhément contre les chrétiens modernes qui ont failli dans leur tâche de transmettre au monde la Bonne Nouvelle du Royaume. Et ceci en dépit de la révélation reçue, malgré les privilèges et les dons accordés à cet effet. Nous devrions nous inquiéter sérieusement, nous autres chrétiens, de nos graves manquements. Nous avons bénéficié des institutions religieuses tout en étouffant l’événement spirituel qui devait les habiter.

En quoi reconnaîtrons-nous alors, me demanderez-vous, les signes d’une authenticité chrétienne? Quelle assurance avons-nous d’appartenir au cercle du Royaume? Quelle est la preuve que nous sommes ceux du dedans? Si nous interrogeons Jésus-Christ, il nous répondra que ceux du dedans, les membres du cercle du Royaume, sont ceux qui, ayant compris le secret révélé du Royaume, l’ont aussitôt manifesté à travers une vie transformée. Car à ses yeux il n’existe point de clivage entre l’écoute de sa Parole et la soumission active à celle-ci.

Comprendre le secret du Royaume c’est comprendre la personne et la mission de Jésus-Christ. Il en est la présence parmi les humains. Chaque forme de son ministère en a été la pleine, la claire, l’explicite manifestation. Ceux qui l’ont compris et suivi, ceux qui ont cru en Dieu et changé leur conduite, ceux-là sont devenus les gens du cercle de l’intérieur. Ils sont les intimes à qui Jésus s’adresse, sans qu’ils soient pour autant des gens exceptionnels.

Comprendre Jésus et sa mission rédemptrice ne se borne pas à une instruction religieuse primaire. Il faut encore toute la pensée, l’ensemble des énergies du cœur, l’intensité passionnée de l’esprit qui croit et se soumet. Voyez-vous, il serait superflu d’enseigner le Credo et de réciter le « Notre Père » si la vie, elle, n’en est pas transformée de fond en comble, si elle n’offrait le moindre signe de changement. À ce type de personnes s’applique la parole du Christ : « Mais pour ceux du dehors, tout se passe en paraboles, afin que tout en regardant bien, ils ne voient pas et qu’en entendant bien, ils ne comprennent pas » (Mc 4.11-12) « Quiconque me dit : Seigneur, Seigneur! n’entrera pas forcément dans le Royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7.21). Notre soumission active, voire joyeuse, est la preuve suffisante que nous sommes de ceux qui l’ont compris; la foi qui produit la charité est la seule foi authentique.

Mais cette même Parole fait un tri parmi les auditeurs. Elle les passe tous, sans distinction, au crible de son examen rigoureux, sans tricherie ni parti pris. Alors, sachons que plus nous proclamerons cette Parole, plus les esprits se diviseront à son sujet. Dieu en a ainsi décidé. Certes, il ne souhaite pas de manière arbitraire l’exclusion et l’élimination de certains et le salut des autres; nous savons par l’Évangile qu’il met tout en œuvre pour convertir à lui les hommes qu’il a choisi de sauver. Mais il attend aussi la décision humaine; il ne cherche pas l’adhésion et l’enrôlement d’automates. Cela explique que la liberté accordée sert, à la majorité, à prendre la route opposée. Ils répondent à Dieu, mais de manière négative, en lui tournant le dos. C’est de leur plein gré qu’ils décident de faire partie du cercle de ceux du dehors.

17. Liste des paraboles🔗

  • La lampe - Mt 5.15; Mc 4.21; Lc 8.16; 11.33
  • La paille et la poutre - Mt 7.1-5; Lc 6.37-42
  • Les deux maisons - Mt 7.24-27; Lc 6.46-49
  • Des enfants sur la place - Mt 11.16-17; Lc 7.31-32
  • Les deux débiteurs - Lc 7.41-42
  • Le mariage - Mt 9.15; Mc 2.19-20; Lc 5.34-35
  • Le vêtement déchiré - Mt 9.16; Mc 2.21; Lc 5.37
  • Les outres de vin - Mt 9.17; Mc 2.22; Lc 5.37-38
  • La moisson - Mt 9.37-38; Lc 10.2
  • Le bon Samaritain - Lc 10.30-37
  • Les trois pains - Lc 11.5-8
  • L’esprit impur - Mt 12.43-45; Lc 11.24-26
  • Les réflexions d’un riche - Lc 12.16-21
  • Le serviteur qui veille - Lc 12.36-38
  • L’adversaire - Mt 5.25; Lc 12.58
  • Le figuier stérile - Lc 13.6-9
  • Le semeur - Mt 13.3-23; Mc 4.3-20; Lc 8.4-15
  • L’ivraie - Mt 13.24-30
  • La semence - Mc 4.26-29
  • Le grain de sénevé - Mt 13.31-32; Mc 4.30-32; Lc 13.18-19
  • Le levain - Mt 13.33; Lc 13.20-21
  • L’homme en voyage - Mc 13.34
  • Le trésor caché - Mt 13.44
  • La perle de grande valeur - Mt 13.45-46
  • Le filet - Mt 13.47-50
  • Le maître de la maison - Mt 13.52
  • Le débiteur insolvable - Mt 18.23-35
  • Le bon Berger - Jn 10.1-16
  • La porte étroite - Mt 7.13-14; Lc 13.24
  • Les invités - Lc 14.7-11
  • Le banquet des noces - Mt 22.2-10; Lc 14.15-24
  • Les habits de noces - Mt 22.11-14
  • La tour - Lc 14.28-30
  • àLe roi s’en allant à la guerre - Lc 14.31-32
  • La brebis perdue - Mt 18.12-14; Lc 15.3-7
  • La drachme perdue - Lc 15.8-10
  • L’enfant prodigue - Lc 15.11-32
  • L’économe injuste - Lc 16.1-9
  • Le riche et Lazare - Lc 16.19-31
  • Le devoir du serviteur - Lc 17.7-10
  • La veuve importune - Lc 18.1-8
  • Le pharisien et le publicain - Lc 18.9-14
  • Les ouvriers dans la vigne - Mt 20.1-16
  • Les deux fils - Mt 21.28-32
  • Les vignerons assassins - Mt 21.33-46; Mc 12.1-12; Lc 20.9-19
  • Le figuier - Mt 24.32-33; Mc 13.28-29; Lc 21.29-31
  • Le serviteur qui veille - Mt 24.43; Lc 12.39
  • Le caractère de deux serviteurs - Mt 24.45-51; Lc 12.42-43
  • Les dix vierges - Mt 25.1-13
  • Les talents (les mines) - Mt 25.14-30; Lc 19.11-27
  • Le cep et les sarments - Jn 15.1-6

Note

1. Voir « The Parables and the Preaching », Scottish Journal of Theology, vol. 2, no 1, 1948,